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Méthodes d’approche pour une Afrique postcoloniale

Existe-t-il un lien entre la langue, le statut d’esclavage, de dépendance ou de liberté d’un peuple et sa capacité de développement politique, économique, militaire ou culturelle ? Quelle est l’expérience acquise par les pays africains après les indépendances politiques jusqu’en cette année 2006, année des langues africaines ? Le Prince Kum’a Ndumbe III s'en explique dans cet article et présente en même temps les méthodes d’approche que la fondation AfricAvenir a essayé de mettre en application pour contribuer à clarifier le rapport entre langue et développement dans la conscience des populations et des décideurs.

1- Langue, pensée et situation coloniale

Langue et articulation de la pensée

Quand un enfant naît et que sa langue reste « attachée ou comme collée », tant que cette langue n’est pas déliée, l’enfant ne parviendra pas à articuler correctement la parole. L’organe qui nous permet de moduler les sons de notre parole, qui nous permet d’articuler les mots que nous voulons prononcer, cet organe lui-même doit impérativement être libre pour remplir sa mission d’articulation de notre parole. Si cette libération de langue ne s’opère pas, alors nous restons handicapés pour la vie. Dans ma tradition duala, on procède assez tôt à cette opération bénigne, et quand on veut qu’un enfant devienne particulièrement éloquent plus tard, il est de tradition qu’on lui casse une noix spéciale dans sa bouche de bébé (ba bo mo kasso o mudumbu).

La langue que nous utilisons nous permet d’articuler notre pensée, nos entiments, notre foi, nos rêves, notre vision du monde. C’est la langue qui nous permet de dire notre quotidien, d’interpeller notre passé, de projeter notre futur, c’est elle qui nous permet d’articuler la pensée créée. Or la pensée est porteuse de développement ou de régression.

C’est grâce à la création de la pensée et à sa mise en application pratique, technique ou technologique que les réalisations se font, que des acquis sont conservés, que les mutations initiées s’opèrent, que les prévisions et les probabilités sont programmés, que les dangers éventuels sont prévenus. Mais c’est aussi grâce à la pensée que la haine est matérialisée, que les destructions et les guerres se font. La pensée et son articulation sont donc au centre de notre existence humaine, elles déterminent la qualité et le rythme de notre progression sur terre.

L’expérience coloniale des pays africains a mis un frein déterminant dans l’articulation de la pensée collective des peuples africains. En imposant la langue du colonisateur comme seule langue officiellement reconnue, en rejetant les langues africaines dans le domaine folklorique de « langues vernaculaires » ou « patois », la pensée elle-même pouvait continuer à s’articuler au niveau de chaque individu dans son « patois » non reconnu et marginalisé. Mais l’articulation collective de la pensée d’un peuple africain donné ne pouvait plus s’identifier à cette pensée transportée par la langue officielle du colonisateur. Dans la rencontre entre l’Europe et l’Afrique sur terre fricaine, l’articulation de la pensée devenait ainsi subitement une question de pouvoir politique.

Le choc des rencontres dans le contexte colonial africain ne
put admettre de compromis dans l’articulation de la pensée. La langue du colon s’arrogeant l’exclusivité dans la vie publique en terre coloniale, la pensée exprimée en langue africaine autochtone devenait marginalisée, elle reçut l’étiquette de pensée primitive, barbare, arriérée, incapable d’esprit scientifique, incapable d’apporter progrès ou développement. Le savoir
véhiculé par les langues africaines reçut ainsi le qualificatif de non-savoir par le maître colonial. Dans la réalité, une pensée qui s’exprimait dans la langue africaine portait un caractère subversif, elle ne pouvait être ni comprise, contrôlée, ni maîtrisée par le maître colonial et devait être combattue et réduite au silence.

Or, les populations africaines n’ont pas arrêté de penser et d’articuler leurs pensées dans leurs propres langues, malgré la présence du colonisateur. Mais comme ces populations ont vécu en peuples vaincus, dominés et dont les territoires sont demeurés occupés militairement souvent pendant plus d’un siècle, tout support public fut supprimé à l’articulation de ces pensées qui sont devenues comme inexistantes dans tout espace public, à savoir dans l’administration, l’école, les médias, et dans une certaine mesure dans les églises, etc.

Langue et transformations en période postcoloniale

Les Africains eux-mêmes qui passeront par le filtre de l’administration, de l’école, des séminaires de l’église, oui les Africains qui n’auront plus d’autres sources d’informations que les médias s’articulant dans la langue du colonisateur, finiront par être convaincus que l’Afrique n’aurait pas produit de pensée originale digne de progrès et de développement, que la pensée qui mène au progrès ne saurait s’articuler que dans la langue du colonisateur
européen.

Ce sont ces Africains qui prendront le pouvoir dans les pays africains après les indépendances des années soixante et soixante dix. Ils continueront l’application de l’œuvre coloniale en imposant à la population africaine l’articulation de la pensée dans la langue de l’ancien colonisateur. Malgré l’indépendance formelle que les pays asiatiques aussi ont acquise, la pensée en Afrique demeurera coloniale dans l’articulation linguistique de son expression. La pensée dans le domaine public africain demeurera donc embrigadée dans les normes de la langue européenne, dans les structures de diffusion de la pensée prévues par ces langues des métropoles européennes.

Or pour ces mêmes métropoles européennes, l’Afrique n’est qu’un continent en marge, un continent de la périphérie, un élément très secondaire dans la stratégie globale du partage du pouvoir dans le monde. Dans cette stratégie, l’Afrique doit être sévèrement contenue dans la marginalisation, contrôlée, affaiblie, dominée, pour que les vainqueurs de la mondialisation continuent à y puiser ce dont ils ont besoin pour asseoir leur pouvoir et leur suprématie mondialisée.

Les populations africaines, continuant dans leur écrasante majorité à vivre au quotidien avec leurs langues privées de support de communication et de supports administratifs, ne savent même pas vraiment dans quels jeux stratégiques elles sont embarquées, demeurent pour la plupart ignorantes des concepts, discours, programmes élaborés pour elles, aussi bien au niveau national que mondial. Ces populations demeurent dans un état de dépendance paternaliste, elles ne conçoivent pas, elles n’ont même pas accès au débat sur le sort qui leur
est réservé dans la grille de la compétition mondialisée.

La langue officielle du domaine public fonctionne comme une barrière insurmontable pour ces populations africaines qui, dans une erreur fatale, ont parfois fini par intérioriser que tous ces discours dans la langue du blanc qu’elles ne comprennent qu’approximativement ne les concernaient pas, que l’élite africaine au pouvoir et les organisations internationales scellaient le sort des populations qui n’ont pas droit à la parole. Dans cet engrenage, on entend souvent les populations dire qu’elles sont devenues impuissantes face au destin et que seule une force divine viendrait à bout de la conjuration de puissance créée par l’implication des intérêts de l’élite locale postcoloniale
avec les puissances et les organisations étrangères.

2- L’état postcolonial et la schizophrénie linguistique

Violence structurelle permanente et confiscation du discours

Les populations africaines vivent ainsi dans leur grande majorité dans une violence structurelle permanente, violence qui confisque toute élaboration de la pensée, tout discours fondamental sur la vie et le devenir d’une nation africaine donnée. La petite minorité passée par le filtre de l’école occidentale et qui est devenue incapable d’articuler pensée et discours dans sa propre langue maternelle africaine partage le discours étranger sur l’Afrique ou tente de s’y opposer avec des moyens dérisoires, cette opposition elle-même étant articulée dans une langue que la population comprend à peine ou ignore.

Ainsi, un soutien structurel manquera à cette opposition qui va réclamer l’articulation de la pensée et du discours dans la langue utilisée tous les jours par les populations, car ces populations, quoique concernée, n’auront pas accès à ce discours de l’opposition articulée en leur faveur dans la langue du
blanc. Certains pourraient m’opposer que le français, l’anglais, le portugais et l’espagnol seraient devenues des langues africaines puisque ces langues jouissent dans la plupart des cas de l’exclusivité à l’école, dans l’administration, dans les médias, bref dans la vie publique de tous les jours, et ceci depuis plus d’un siècle.

Les statistiques comptabilisent souvent le nombre des populations africaines d’un pays et les considèrent tout simplement comme locuteurs de l’ancienne langue coloniale. Le Nigéria avec ses 470 langues africaines devient ainsi un pays anglophone, les deux Congo avec leurs 221 langues pour la République Démocratique et les 60 langues pour le Congo Brazaville deviennent ainsi deux pays francophones. Certaines rencontres en Afrique aujourd’hui tentent de démontrer avec de plus en plus d’insistance que les langues européennes comme le français, l’anglais et le portugais seraient devenues des langues africaines et devraient bénéficier de ce statut, compte tenu aussi d’un développement linguistique particulier qui aurait permis l’enrichissement de ces langues européennes grâce au terroir africain. Seulement, l’imposition des langues européennes en Afrique n’a pas réussi à effacer l’utilisation au quotidien des langues africaines par les populations.

Schizophrénie linguistique et développement

Les Africains d’aujourd’hui vivent ainsi dans une situation de schizophrénie linguistique permanente dans laquelle les choses intimes et personnelles peuvent être articulées dans les langues africaines à la maison, lors des rituels, des séances de guérison, dans l’espace strictement privée, alors que les choses reconnues importantes se dérouleront dans l’espace public dans les langues européennes peu maîtrisées ou ignorées. La violence structurelle
engendre une schizophrénie linguistique qui écarte le citoyen de la sphère de l’élaboration de la pensée et du discours sur les enjeux de la nation.

L’Afrique moderne assiste comme impuissante à un génocide intellectuel devenu structurel, car perpétré au quotidien par l’administration, l’école, les médias, etc.. Celui qui n’arrive pas à se détourner de façon fondamentale de sa langue et de sa culture africaines et qui ne parvient pas à une maîtrise de
la langue du blanc (bwambo bwa mukala) est rejeté du système. Ce citoyen-là sera condamné à survivre ou pas dans le secteur dit informel délaissé par les structures administratives et la coopération internationale car ce n’est que dans ce secteur dit informel ou secteur de la « débrouillardise » que l’articulation de la pensée et du discours est permise au quotidien dans
les langues africaines.

Ainsi, seuls ces Africains passés avec succès au filtre de la violence structurelle linguistique sont en mesure de lire et peut-être de comprendre le discours étranger sur le développement des pays africains, discours articulé exclusivement dans les langues européennes. Le discours sur le développement de l’Afrique reste un discours conçu, élaboré, prononcé dans des langues que l’écrasante majorité des populations africaines ne comprend pas ou maîtrise à
peine. Ces populations ne peuvent ainsi pas participer à ce discours, elles ne peuvent pas le comprendre, le critiquer, l’amender ou le rejeter, et pourtant, ce sont elles qui sont invitées à le mettre en application.

Nous vivons dans ce cas d’espèce un discours anti-démocratique dans son essence même, puisqu’il n’est ni porté, ni partagé par la majorité de la population. Il s’impose tout simplement par le jeu de la violence structurelle. Le discours sur le développement de l’Afrique aura du mal à devenir un discours africain sur le développement de l’Afrique, tant qu’il ne saura être conçu, élaboré, critiqué, amendé ou rejeté par les populations africaines elles-mêmes dans les langues qu’elles utilisent au quotidien et maîtrisent. C’est terrible comme situation, car il y va de la vie de plusieurs centaines de millions de personnes qui devraient, mais n’arrivent pas vraiment à se prendre en charge.

Le nouveau cadre politique et juridique international

La situation historique actuelle met l’élite africaine au pouvoir dans un profond dilemme. Pour rester ou accéder au pouvoir, elle doit se conformer aux règles de jeu qui régissent le système de domination sur le continent africain, elle sait qu’elle doit gérer le pouvoir et l’administration en s’efforçant à plaire à ceux qui, hors du continent, déterminent celui qui peut ou qui ne doit pas rester au pouvoir dans un pays africain donné. Cette donne demeurant
primordiale dans la plupart des cas aujourd’hui encore, l’acteur politique africain se gardera par sagesse de trop forcer sur la nécessité des populations africaines à se réapproprier l’articulation de la pensée dans les langues africaines, certains refuseront tout simplement de soutenir la revendication d’une réappropriation africaine du discours sur le développement de l’Afrique. Ils y percevront plutôt un signe de déstabilisation de leur propre poste politique.

Les résolutions des conférences internationales, les conventions signées par les Etats et ratifiées par les parlements comme la convention de l’UNESCO sur le patrimoine culturel immatériel du 17 octobre 2003, la déclaration de l’Union africaine qui a fait de l’année 2006 l’année des langues africaines ou les programmes actuels de la francophonie en faveur des langues partenaires africaines à l’école primaire offrent des bases politiques et juridiques
nouvelles, elles permettent de donner un cadre d’action reconnu et au-dessus de tout soupçon de déstabilisation des régimes en place. Mais comme nous l’indique la réalité, peu de leaders politiques africains montent vraiment au créneau pour rendre à leurs peuples le pouvoir de l’articulation de leur destin.

Les directives de l’Union Africaine sont pourtant suffisamment claires aujourd’hui, grâce à la détermination de certains pays comme le Mali, l’Afrique du Sud, le Nigéria, etc. A côté de ces mesures des instances officielles, les actions de courage civil et l’engagement de la société civile africaine permettent de concevoir des initiatives menant à une réappropriation du discours sur le destin collectif des peuples africains

3 - Méthodes d’approches expérimentées par la Fondation AfricAvenir

C’est dans cette perspective que notre modeste structure, la fondation fricAvenir, Fondation pour la Renaissance de l’Afrique, le Développement, la Coopération internationale et la Paix à Douala tente depuis quelques années de provoquer un débat médiatisé sur l’insertion des langues africaines dans le domaine public, tout en suggérant quelques méthodes d’approche. Les forums de dialogue et palabres africaines. Les forums de dialogue organisés à Douala et les palabres africaines qui se sont déroulés dans les villages environnant de 2004 à 2006 ont démontré l’engouement des populations pour leurs langues camerounaises et surtout la volonté des citoyens à contribuer personnellement à
leur promotion. Ils demandent cependant un cadre institué par une volonté politique, afin de rassembler et canaliser les efforts individuels.

Le concours des langues africaines dans les établissements scolaires

Les concours de langues camerounaises organisés par la fondation AfricAvenir en 2004/2005 ont confirmé l’engouement des 1600 élèves représentant 16 établissements scolaires qui ont pris part aux concours. Pour la première fois de leur vie, ces élèves scolarisés exclusivement en français ou/et en anglais participaient à un concours dans lequel ils devaient articuler leur pensée, leurs sentiments dans leur langue camerounaise à travers expressions de rhétorique, traduction, lecture, chants, poésie, lecture, danse, etc.. Cependant, aussi bien les élèves participant au concours que leurs parents qui les accompagnaient prirent conscience de la gravité des lacunes dans la connaissance de leur propre patrimoine culturel, et il naquit une détermination générale à plus utiliser sa langue au quotidien.

Les après-midi et les soirées de contes

Les après-midi de contes dans les établissements scolaires et les soirées de contes à la Fondation AfricAvenir en 2004 et 2005 ont fait découvrir un monde merveilleux africain auquel la jeunesse scolarisée camerounaise d’aujourd’hui n’avait plus accès. Les contes racontés dans les langues camerounaises avec une courte traduction en français donnée au début de la séance éveillaient plus que de la curiosité, les élèves se retournèrent vers leurs parents pour demander des soirées de contes dans leurs langues à la maison. Le conte nous révéla aussi que une fois le bref résumé fait en français, le même public suivait attentivement des contes en duala, en tpuri ou en ewondo pendant plus de trois heures !

Les chorales religieuses, le rap et les soirées de chansons

Les chorales chrétiennes invitées à la Fondation chantent dans les langues camerounaises les dimanches à l’église, ceci est déjà une tradition bien établie. Les chanteurs camerounais eux-mêmes utilisent surtout les langues camerounaises dans leurs chansons, la langue duala étant privilégiée dans ce domaine. Lors de ces manifestations à caractère religieux ou mondain, les
populations se retrouvent pleinement. Le phénomène nouveau que nous avons eu à constater lors des manifestations à AfricAvenir est le rap chanté en langues camerounaises. Les jeunes nous ont demandé d’organiser un concours de rap dans nos langues.

Les mois de cinéma dans les langues africaines

Le cinéma dans les langues africaines nous a permis en 2005 et surtout en 2006 de dépasser le cadre camerounais et de montrer plusieurs films africains, dont p.e. ceux du sénégalais Sembène Ousmane, films en woolof, sous-titrés en français. Les auditeurs constatèrent qu’on pouvait parfaitement faire un film dans une langue africaine et avoir une audience internationale. Le film du Camerounais Bassek ba Khobio « Sango Malo » révéla au public que plusieurs langues camerounaises pouvaient être utilisées dans un même film, sans que
cela gène le moins du monde. Au contraire, quand on entendait sa langue parlée dans le film, on s’y reconnaissait plus et on appréciait le multilinguisme du Cameroun.

La collection des livres et CD à la bibliothèque Cheikh Anta Diop

Pour soutenir l’apprentissage des langues nationales, la Fondation AfricAvenir a entrepris de collectionner les contes en langues camerounaises qui ont été édités dans des revues spécialisées de par le monde depuis la fin du 19è siècle. Une recherche fut donc entreprise dans les bibliothèques européennes des anciennes puissances coloniales, et ces contes parfois édités avant l’an 1900 ont été photocopiés et classés dans deux gros chronos aujourd’hui
consultables à la bibliothèque Cheikh Anta Diop à la Fondation à Douala.

Une deuxième action fut entreprise pour cette bibliothèque de la Fondation. Une équipe fut chargée de chercher dans des librairies, les foyers culturels, les centres linguistiques et les centres religieux à Douala et Yaoundé tout livre et brochure édité en langues camerounaises. Ce travail s’avéra fastidieux, car les librairies et messageries diffusent les livres dans les langues officielles, en français et en anglais uniquement. Nous avons cependant réussi à rassembler actuellement 251 livres dans 81 langues camerounaises à la bibliothèque Cheikh Anta Diop. Le résultat de cette action sera médiatisé cette année.

L’édition d’ouvrages illustrés de contes multilingues

Une autre équipe de la fondation AfricAvenir est entrain de préparer l’édition d’un livre du conte « Masomandala » ou « Jeki la Njamb’a Inono ». Cette épopée éditée en langue duala et en allemand en Allemagne à l’époque coloniale allemande a été reprise par notre équipe composée d’une Camerounaise professeur d’Allemand, d’un spécialiste de la langue duala, d’un spécialiste de la langue ewondo, d’un écrivain et d’un illustrateur de livres. L’épopée « Masomandala » d’une cinquantaine de pages A4 existe actuellement en version duala, en version ewondo, en version française et en version allemande. Il est prévu une édition illustrée trilingue en deux tomes duala-français-ewondo pour le Cameroun, ainsi qu’une édition illustrée allemande.

En effet, cette épopée collectée vers l’an 1901 nous fait vivre un monde de l’Afrique profonde avec ses mythes, ses croyances, sa philosophie, son organisation politique et sociale, sa résolution des conflits, ses mécanismes économiques. Nous nous retrouvons interpellés par une Afrique d’une richesse insoupçonnée qui revendique sa place dans notre espace de modernité. Ces différentes méthodes d’une approche globale pratiquée par la fondation AfricAvenir n’ont pu être mises en application que grâce au soutien essentiel du ministère autrichien de la culture et de la science bm :bwk depuis 2004, et du Land Steiermark en 2006. Sans eux, nous serions restés au niveau purement théorique. Qu’ils trouvent ici notre profonde reconnaissance.

Comme nous l’avons constaté dans cet exposé, la langue est un support primordial pour l’articulation de la pensée individuelle et collective. Quand une langue est prise à son peuple, qu’elle lui est interdite ou qu’elle devient marginalisée dans la vie publique, la pensée de ce peuple est elle aussi marginalisée, le peuple perd ses mots et son pouvoir de conception et d’articulation de son devenir. La langue étrangère qui dès lors occupe l’espace public est accompagnée d’une violence structurelle politique et linguistique, elle importe sa vision du monde, ses projets du moment et de l’avenir, sa philosophie, ses valeurs, ses rêves et soumet le peuple dominé à l’accomplissement de ses besoins étrangers, souvent opposés aux besoins du peuple dominé.

Grâce au combat des Africains pour une renaissance profonde ducontinent, grâce aussi aux nouvelles conventions interafricaines et internationales, un cadre plus propice se met en place pour permettre aux peuples africains de se réapproprier l’articulation de leur pensée dans leurs propres langues, même si leurs populations, multilingues par tradition, utiliseront aussi des langues de communication internationales. Cette transformation, si elle est accompagnée d’une volonté politique conséquente, ouvrira une voie nouvelle pour le projet de développement articulé par les Africains eux-mêmes. La coopération internationale n’y gagnera qu’en qualité et en efficacité.

* Le Prince Kum’a Ndumbe III est Professeur à l’Université de Yaoundé (Cameroun). Il est le président de la fondation AfricAvenir (Voir : ).
Cette communication a été faite à l'occasion du symposum sur les langues africaines tenu en octobre 2006 à l'Université de Vienne, Autriche.

* Commentaires à envoyer à [email protected] ou en ligne en visitant le site www.pambazuka.org