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Le 29 mai 1966, le jour de l’Affirmation des Igbo, marque aussi bien le début du génocide de 1966 contre le peuple Igbo que le jour où ils ont décidé de survivre à la violence qui s’est déchaînée contre eux. Pour Herbert Ekwe-Ekwe, «ce génocide fondateur, suite à la conquête européenne de l’Afrique, est le pire de l’Afrique du 20ème siècle». Il rappelle que c’est sur ces assassinats de 3,1 millions de personnes que prendra naissance la sécession du Biafra.

Trois fêtes étaient de grande importance dans le calendrier annuel des Igbo avant le 29 mai 1966 : la journée nationale des Igbo, l’ « iri Jiri » ou le festival du yam nouveau et le 1er octobre. Cette dernière date était un jour de célébration commun à tous les peuples du Nigeria et marquait l’indépendance après 60 ans de conquête et d’occupation britannique. C’est en tous les cas la raison donnée pour désigner cette date.

LES ORIGINES

Les Igbo étaient l’un des rares peuples constitués dans ce qui était le Nigeria avant mai 1966, à avoir pleinement compris les immenses possibilités libératoires introduites par le 1er octobre et les défis complexes du vaste travail de reconstruction requis par la transformation sociétale et la transformation de l’Etat dans le sillage de l’occupation étrangère.

Les Igbo avaient l’économie la plus robuste du pays, dans leur patrie de la région de l’Est. Ils ont fourni au pays non seulement leurs principaux écrivains, artistes et intellectuels mais ils ont aussi fourni les meilleures universités du pays avec des vice-chanceliers et des professeurs et des scientifiques proéminents. Ils ont donné au pays sa première université indigène (la prestigieuse université de Nsukka) avec ses panafricanistes les plus engagés et ses meilleurs diplomates. Plus d’une école avaient à sa tête des directeurs et des enseignants et des administrateurs provenant du peuple igbo. On trouvait aussi les Igbo parmi les fonctionnaires de haut rang, les hommes d’affaires importants et les officiers supérieurs bien entraînés qu’on retrouvait dans l’armée et les forces de police. Les Igbo ont aussi donné au pays des sportifs de haut vol, ont travaillé dans les chemins de fer, les postes et télégraphes, les services de la marine et de l’aviation en offrant un niveau de qualité qui n’a pas été retrouvé depuis lors.

Ils ont certainement été conscients des vicissitudes engendrées par l’ère historique, précisément en raison du rôle d’avant-garde qu’ils ont joué en libérant le Nigeria de la Grande Bretagne dès le début des années 1930. Le commentateur Sabella Ogbobode Abidde n’aurait pas pu être plus emphatique en résumant la force de la mission igbo au cours de cette période : «La nation igbo a des attributs dont la plupart des autres peuples nigérians ne peuvent que rêver et sont ce que la plupart des autres nations ne sont pas. Les Igbo ont rendu le Nigeria meilleur. Est-il dès lors surprenant que les Igbo puissent faire sans le Nigeria ? Mais le Nigeria et ses myriades de nationalité peuvent-ils faire sans les Igbo ? Sortez les Igbo de l’équation du Nigeria … et le Nigeria suffoquera.»

GENOCIDE

La rupture entre les Igbo et le Nigeria s’est produite de manière catastrophique le 29 mai 1966. Ce jour-là, les dirigeants des Hausa-Fulani de la région du nord (seigneurs féodaux, clergé musulman, police militaire, hommes d’affaires, universitaires, fonctionnaires publics, d’autres représentants officiels et patrons) qui ont été longtemps opposés à la libération du Nigeria (il n’y a pas eu de phénomène semblable de groupes politiques, culturels, idéologiques, religieux nationaux et raciaux ailleurs dans le Sud à cette période qui ont pris la position peu enviable de se montrer hostiles à l’émancipation de l’occupation européenne de leurs terres comme les dirigeants des Hausa Fulani) et lancé des vagues d’attaques génocidaires préméditées contre la population igbo migrante qui résidait dans le nord.

Ces attaques ont par la suite été étendues à l’Igbo land - Biafra au cours de la seconde phase- qui ont commencé le 6 juillet 1967 et ont été soutenues par des nations Yoruba, Urhobo et Edo, ainsi que d’autres dans l’ouest et dans le reste du Nigeria et ont contribué au carnage.

Le soutien des Yoruba au génocide dès le 6 juillet 1967, par exemple, se distingue par son opportunisme. Il semble que les Yoruba ont perdu dans la compétition des années 1930-1960 entre eux-mêmes et les Igbo, qui consistait en la préparation et le développement de main d’œuvre et ressources ancillaires afin de se préparer à gérer le pays suite au départ des Anglais. Il s’en suit qu’ils ont estimé que le début des tueries massives du milieu de l’année 1966, dans la région du nord et ailleurs, étaient bienvenues et les vengeaient de leurs pertes au cours de la grande rivalité socioculturelle des trois décennies précédentes. Ils se sont emparés de toute bombe ou missile à portée de main pour, dès juillet 1967, dans leur marche mortelle vers l’Est, les lancer sans remords dans l’Igbo land assiégé, dans une maison, une école, un lieu de culte, une église, un hôpital, un bureau, un marché, une ferme, une usine, une entreprise, une place de jeux, l’hôtel de ville, un centre de réfugiés…

Benjamin Adekunle, l’un des commandants génocidaires les plus abominables, n’avait à cette époque aucun scrupule en se vantant des objectifs de sa monstrueuse mission lorsqu’il a déclaré lors d’une conférence de presse en août 1968, à laquelle assistaient des journalistes de médias internationaux :’ Nous tirons sur tout ce qui bouge et lorsque nos forces marchent dans le territoire igbo, nous tirons sur tout, y compris des choses qui ne bougent pas.’’

Il est surprenant comme la soif des génocidaires et leurs dispositions se construisent sur des précédents sanglants, comme en attestent les deux exemples suivants. D’abord en 1891, Karl Peters, le chef de l’occupation allemande de l’Afrique de l’Est, a décrit certains des horribles massacres perpétrés dans la région par ses forces : ‘Je vais montrer aux Vagogo ce que sont les Allemands ! Je vais piller les villages, mettre le feu aux maisons et casser tout ce qui ne brûle pas… A environs trois heures, j’ai marché vers le sud, vers d’autres villages… des torches ont été jetées dans les maisons et des haches ont détruit tout ce que le feu ne pouvait détruire. Ainsi vers 4 heures et demie une douzaine de villages ont été brûlés… Mon fusil était si chaud à force d’avoir tiré que je ne pouvais presque plus le tenir.’

En octobre 1904, Lother von Trotha, le général qui commandait les forces allemandes engagées dans le génocide du peuple herero et d’autres en Namibie, a proclamé ce qui suit et qui était un ordre d’extermination sans ambiguïté : ’Le peuple herero devra quitter le pays. Sinon je les contraindrais à la pointe du fusil… Chaque Herero trouvé, armé ou sans arme, avec ou sans bétail, sera tué. Je n’accepterai pas plus de femmes et d’enfants. Je les repousserai vers leurs gens. Sinon j’ordonnerais qu’on leur tire dessus. Ce sont-là mes ordres concernant le peuple Herero.’

Le résultat de la campagne de von Trotha a été cataclysmique. Aucune section de la population herero, pas plus que celle d’autres nations de la région, comme les Nama et les Berg Damara, n’ont été épargnées suite à ce génocide, comme le montre les statistiques allemandes de 1911 concernant cette région. Au cours de cette année, 80% des Herero ont été exterminés dans ce carnage, laissant 15 130 Hereros sur les 80 000 qui vivaient là en 1904. Pour les Nama, les Allemands en ont tué les 51%, laissant 9871 rescapés sur les 20 000 que la population comptait en 1904. Il n’existe pas de détails pour les Berg Damara, mais les Allemands estiment qu’environ 30% d’entre eux ont été assassinés au cours du génocide.

Pour en revenir à l’époque post Peter/vonTrotha du milieu du 20ème siècle, plus particulièrement à la période qui va du 29 mai 1966 au 12 janvier 1970, Adekunle et sa horde génocidaire ont assassiné environ 3,1 millions d’Igbo, un chiffre hallucinant. Commençant par les foyers, les églises, les bureaux, les commerces igbo du nord du Nigeria, ils ont poursuivi leur chemin vers le centre du territoire Igbo , 400 miles plus au sud, ‘tirant sur tout ce qui bouge’, comme Adekunle l’a déclaré lors de l’infâme conférence de presse.

En ce qui concerne la catégorie ’des choses qui ne bougent pas’, les génocidaires n’ont guère dévié. La destruction gratuite de la fameuse infrastructure économique igbo, une des plus avancées de l’Afrique de cette période, a été d’une barbarie sans nom. Ceci a été suivi, après janvier 1970, par des mesures socioéconomiques de privation déshumanisantes dans l’Igbo land occupé, jamais vue ailleurs en Afrique. Le brigandage a inclus les mesures suivantes :

- Saisie de propriétés valant de nombreux millions à Igwe Ocha/Port Harcourt et ailleurs

- Mise sous séquestre des liquidités des Igbo au Nigeria dès janvier 1970 à l’exception de £20 (20 livres) distribués aux mâles survivant dans les familles igbo

- Expropriation des ressources pétrolières dans les régions administratives du delta de l’Abia de l’Imo et de Rivers.

- Politique générale de non développement de l’Igbo land

- Une destruction active de la vie socioéconomique de l’Igbo land et si une autre exemple est requis pour décrire la gravité de la situation, il y a l’article qui est paru dans le « Lagos Vanguard », le 16 novembre 2009 : »Des journalistes en Abia, Anambra, Ebonyi (Enuuwgu) et Imo (au centre de la région administrative de l’Igbo land) ont menacé d’entreprendre une grève de la faim afin de protester contre les mauvaises conditions des routes fédérales dans cette région. Ils regrettaient que ces routes lamentables aient coûté tant de vies humaines et des biens d’une valeur de milliards de naira. »

- Ignorer l’érosion des sols et les glissements de terrain qui sont en nombre croissant et autres urgences écologiques particulièrement dans le nord ouest de l’Igbo land.

- La continuation de l’état de siège de l’Igbo land

Ces dernières mesures qui font partie de la phase III du génocide des Igbo correspond à l’un des cinq points du génocide comme défini dans l’art. 2 de la Convention sur la prévention et le châtiment du crime de Génocide de 1948 des Nations Unies : « Délibérément infliger à un groupe des conditions destinées à entraîner sa destruction physique, tout ou en partie. »

Nous ne devons pas omettre d’ajouter finalement, que toutes ces mesures ont été élaborées par des économistes et juristes yoruba, conduits par Obafemi Awolow. L’ironie veut qu’il inclut Sam Aluko ainsi que des membres de sa famille, qui ont bénéficié de la générosité de l’asile politique en Igbo land alors que sa vie était menacée lors de la violence politique vicieuse interne à la nation yoruba au début des années 1960.

Dès sa conception, le gouvernement britannique de Harold Wilson a souscrit à cette période de génocide dévastatrice sur le plan militaire, politique et diplomatique. Il a été en liaison continue avec la cellule génocidaire Gowon-Mohammed-Danjuma des forces armée nigérianes, à différentes étapes, entre janvier et mai 1966, que ce soit lors des sauvages attaques aériennes et maritimes ou lorsque les centres des populations igbo ont été encerclés, les gens tuées, les maisons incendiées, en particulier entre mars 1968 et janvier 1970.

L’objectif stratégique de Londres en soutenant le génocide était de ‘punir’ les Igbo pour avoir eu le culot d’initier l’opposition à la colonisation anglaise du Nigeria et de vouloir y mettre un terme. Ce génocide fondateur, suite à la conquête européenne de l’Afrique, est le pire de l’Afrique du 20ème siècle et ne se serait probablement pas produit sans l’implication des Anglais. Il est inconcevable qu’un gouvernement britannique contemporain puisse continuer de tergiverser et ne présente pas des excuses sans réserve aux Igbo pour l’implication britannique dans l’exécution du génocide et pour offrir des dommages-intérêts.

LE JOUR DU 29 MAI

Le jour du 29 mai est sans aucun doute le jour le plus tragique dans les annales de l’histoire igbo. C’est ce jour-là que les Igbo ont subi un déferlement de violence sans égal et une brutalité constante aux mains de leurs supposés compatriotes. L’ironie fait que les atrocités ont été minutieusement organisées, supervisées et réalisées par l’Etat qui doit largement sa libération de la conquête et l’occupation coloniales, aux Igbo qui ont joué un rôle crucial. Cet Etat, maintenant dominé par des forces sociopolitiques anti- africaines et meurtrières, a failli à sa responsabilité sacrée envers les citoyens Igbo : garantir leur protection. Au lieu de fournir la sécurité à ses citoyens, l’Etat du Nigeria en a assassiné 3,1 millions. L’hymne du génocide, diffusé en permanence en hausa sur les ondes de la radio Kaduna et à la télévision tout au long de sa durée, était sans ambiguïté quant à son objectif principal de crime contre l’humanité :

'Mu je mu kashe nyamiri
Mu kashe maza su da yan maza su
Mu chi mata su da yan mata su
Mu kwashe kaya su'

En traduction du hausa, le message disait : ‘ allons tuer ces satanés Igbo. Tuez leurs hommes et leurs garçons. Violez leurs épouses et leurs filles. Emparez-vous de leurs propriétés.’

Néanmoins, le 29 mai est aussi le jour de l’Affirmation des Igbo. Les Igbo ont décidé en ce jour, ce jour qui marquait le début du génocide, de survivre à la catastrophe. C’est le jour où les Igbo ont cessé d’être des citoyens nigérians pour toujours, partout où ils étaient, dans des camps de la mort des districts résidentiels de sabon gari, dans les bureaux et les gares et les stations de bus et les aéroports et les églises et les écoles et les marchés et les hôpitaux dans le nord du Nigeria. A la place, ils ont créé l’Etat du Biafra qui devait offrir la sécurité en son sein et empêcher l’Etat génocidaire du Nigeria de mener à bien son effroyable mission. Le symbole heuristique du 1er octobre a été anéanti dans le sillage de la déclaration historique des Igbo. Pour les Igbo, le renoncement à la nationalité nigériane est une accusation permanente des Igbo contre un Etat qui s’est levé violemment pour occire sa propre population.

Les Igbo n’auraient pas pu survivre s’ils étaient restés nigérians. Ils ont fait le bon choix et ont rejeté la nationalité nigériane. Par conséquent l’Etat nigérian s’est effondré, sans perspective d’avenir. En dépit de ces quatre années meurtrières, les Igbo ont démontré une bien plus grande capacité créatrice de civilisation avancée au Biafra que tous ce que les Nigérians rêvaient d’atteindre au cours de ces 40 ans passés. ‘Nigeria gburu ochu; Nigeria mere alu’. Sûrement que le Nigeria ne pourra pas se relever d’avoir commis ces crimes haineux, ces crimes contre l’humanité, ce 'Malebolge'

Le 29 mai, c’est donc ce phare de résilience de l’esprit humain qui surmonte les forces les plus hostiles, les plus brutales. C’est la nouvelle journée nationale des Igbo. C’est un jour de méditation dans tous les foyers igbo où l’on se souvient les 3,1 millions qui ont été assassinés. Une journée aussi de gratitude et d’action de grâce pour les survivants et d’engagements collectifs des Igbo en faveur de l’objectif urgent de restauration de la souveraineté des Igbo.

* Herbert Ekwe-Ekwe est un intellectuel indépendant qui étudie les systèmes étatiques inclusifs et les droits des peuples les constituant. Son nouveau livre, Readings from readings : Essays on African politics, genocide, literature, sera publié plus tard dans l’année. – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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