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Des prises de position opportunistes, face à des circonstances dramatiques, ont mis Laurent Gbabgo et de Khadafi, entre autres, dans des situations de combat contre l’impérialisme, conduisant à en faire des héros anti-impérialistes chez certains. Mais pour Paul Martial, il faut éviter de succomber à cette démagogie facile qui fait que quand « des dictateurs se retrouvent en mauvaise posture, ils utilisent la rhétorique anticolonialiste » pour susciter une union sacrée autour d’eux.

Colonialisme, guerre froide, politique d’ajustement structurel, le capitalisme continue sa course effrénée de recherche du profit. Avec la mondialisation, le pillage est accentué, l’idée de développement abandonnée au profit des accords de partenariat économique qui instaurent la libéralisation totale des échanges économiques entre les pays riches et les pays dominés. La conséquence prévisible en est la destruction du tissu industriel des pays africains, bien trop faible pour résister à la concurrence du Nord. La mondialisation réinstaure une politique de comptoir colonial, avec le processus d’accaparement des terres arables, particulièrement en Afrique qui vient en regard de la montée continue des prix alimentaires.

En parallèle, l’hypocrisie des dirigeants des pays riches reste au rendez-vous. On ne compte plus le nombre de réunions internationales, aussi coûteuses qu’inutiles, prétendument pour éradiquer la pauvreté, réduire les maladies, aider au développement. Mais l’humanitaire, c’est d’abord le droit d’ingérence, véritable axiome de la géométrie variable en politique, qui permet de bombarder des pays africains comme la Somalie, le Tchad, la Côte d’Ivoire ou la Libye. L’argent c’est pour le kaki pas pour les blouses blanches.

Ce mépris, mais aussi l’absence de perspective à court terme, poussent de plus en plus les populations à trouver des solutions : l’intégrisme religieux pour certains qui n’offre, en attendant une place au soleil dans l’au-delà, que l’oppression des plus faibles dans la société, c'est-à-dire les femmes, les homosexuels ou le massacre des mécréants d’en face. Beaucoup d’organisations progressistes peinent à construire des alternatives et se jettent imprudemment dans les bras de certains dirigeants, pour peu qu’ils soient un peu différents de leurs prédécesseurs. Ainsi, lors de l’appel à la manifestation contre la Françafrique du 28 septembre 2010, on pouvait lire : «Prenant également note des encouragements de Barack Obama au mois d’août 2010 demandant aux Africains, particulièrement la jeunesse africaine, de prendre ses responsabilités devant l’histoire pour la liberté, la démocratie et le progrès, les Africains que nous sommes avons décidé de ne plus subir la Françafrique.» (1)

Déjà à l’époque de ce texte, l’administration Obama continuait la guerre en Somalie, soutenait les régimes répressifs et corrompus, comme ceux de Museveni en Ouganda ou Zenawi en Ethiopie. La connivence de Sarkozy et d’Obama en Côte d’Ivoire et en Lybie donne un goût amer à cet «encouragement». Les mêmes voient en Laurent Gbagbo le héros de la résistance africaine contre l’impérialisme ; or s’il est vrai que, dans un passé lointain, Laurent Gbagbo a été un opposant courageux et a contribué à instaurer le multipartisme en Côte d’Ivoire, il n’en reste pas moins vrai que lors de cette dernière décennie, il s’est comporté comme n’importe quel tyran. En quoi serait-il un exemple à suivre pour les peuples africains, lui qui prône une politique xénophobe d’ivoirité, qui a transformé la FESCI, le syndicat étudiant, en véritable milice qui rackette les étudiants et organise des chasses à l’homme contre les militants communistes dans les campus ? Serions-nous dans le même camp qu’un homme qui a organisé les escadrons de la mort, qui a fait appel à l’armée française pour qu’elle intervienne contre les rebelles du Nord et qui a signé, de gré à gré, tous les contrats juteux aux entreprises françaises ?

Tout comme Kadhafi ne peut être un modèle ou même un allié. Il a accepté sans sourciller, contre espèces sonnantes et trébuchantes, de faire de la Lybie un immense camp de rétention pour les Africains qui tenteraient d’immigrer vers le Vieux Continent. Il a installé, avec le Soudan et la France, Idriss Deby, ancien chef d’état-major d’Habré, qui accueille une base de l’armée française, utilisée pour renforcer la Licorne dans sa bataille contre Gbagbo. Kadhafi est-il digne d’être soutenu, lui qui n’a pas hésité à faire exécuter 1600 prisonniers pour mater une mutinerie ?
C’est se fourvoyer que penser qu’à chaque fois qu’un chef d’Etat est en bisbille avec l’impérialisme, il serait du côté du peuple et serait un combattant anti-impérialiste. Ne tombons pas dans la démagogie, nous savons tous que lorsque des dictateurs se retrouvent en mauvaise posture, ils utilisent la rhétorique anticolonialiste, comme le montre le thuriféraire de Paul Biya contre le CCFD dans l’affaire des « biens mal acquis ». «Derrière le moralisme sirupeux et donneur de leçons de ses prises de position sur les grands sujets de politique, d’économie et relation internationales se dissimule un paternalisme désuet, et un misérabilisme qui semble être son véritable fond de commerce. Le CCFD croit sans doute comme l’écrivait Rudyard Kipling, que l’homme blanc a pour fardeau de civiliser le monde et de diffuser l’occidentalisme comme norme de valeurs sur la planète.» (2)

RENOUER AVEC LE PASSE POUR CREER DU NOUVEAU

Pour notre part nous ne croyons pas à l’homme, ou à la femme, providentiel(le). La libération de l’Afrique viendra du peuple lui-même. Les Tunisiens, les Egyptiens n’ont pas eu besoin de dirigeants, de leaders, de guides pour se débarrasser eux-mêmes de leur dictateur. C’est le travail patient, pugnace des simples militant(e)s et l’auto organisation des populations qui ont permis ce «printemps arabe».

Si, sans réserve, nous condamnons avec constance et la plus grande fermeté les interventions militaires et le pillage des entreprises françaises en Afrique, nous ne soutenons pas pour autant les Gbagbo et les Kadhafi qui en ont été complices. Le soutien, voire même de l’indulgence, reviendrait à légitimer l’oppression et l’exploitation de leur peuple. Cela briserait la force du panafricanisme qui repose sur l’unicité de la lutte sur le continent. L’idée que la lutte de chaque peuple africain est la lutte de tous les peuples africains.

NOTES

1) http://www.afromanif.blogspot.com/

2) Afrique Expansion magazine, n°377, octobre-novembre 2009

* Paul Martial est membre du Nouveau Parti Anticapitaliste, rédacteur d’«Afrique en lutte». Cet article est paru dans l’édition d’avril-mai.

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