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L’entrée en vigueur du Protocole de Maputo, après sa ratification par 20 Etats, n’a pas suffisamment fait avancer la cause du respect des droits des femmes en Afrique. Si la faiblesse des ressources financières et humaines expliquent certaines lenteurs, c’est sans doute la volonté politique qui manque le plus. Pour Karen Stefiszyn, il peut bien y avoir un facteur d’impulsion si un meilleur suivi est fait des rapports que les Etats membres de l’Union africaine doivent soumettre sur le chemin du respect des droits humains compris dans la Charte, et plus spécifiquement le droits des femmes tel que prescrits par le Protocole.

Karen Stefiszyn

Cinq ans après que le Protocole de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples et pour les droits des femmes en Afrique (Protocole pour les femmes ou Protocole) est entré en vigueur, il est temps pour les 29 Etats parties de faire le bilan de leur succès, ou de l’absence de celui-ci, quant à leurs obligations découlant du traité régional. La méthode la plus effective pour mener à bien un tel exercice consisterait à cultiver des relations positives avec la Commission africaine sur les droits humains et des peuples, par la remise d’un rapport en accord avec l’article 26 du Protocole qui dit :

‘’Les Etats membres s’engagent à garantir l’implantation de ce Protocole au niveau national et le rapport périodique qu’ils soumettront en vertu de l’article 62 de la Charte africaine, indiquera les mesures législatives et autres mesures prises pour la pleine réalisation des droits qu’il contient.’’

En l’absence d’un tel exercice, comme c’est le cas actuellement, quelles sont les indications que le momentum en faveur de la réalisation des droits des femmes en Afrique ne s’est pas arrêté à la ratification par les Etats parties ? Quelles mesures législatives, administratives ou institutionnelles ont été prises au niveau national suite à la ratification du Protocole qui témoigneraient de la conformité des Etats parties avec les obligations contractées ? Quels sont les défis auxquels les Etats doivent faire face pour respecter les dispositions du Protocole ? Quelles sont les actions requises ? Comment les Etats évaluent-ils l’implantation du Protocole, le font-ils seulement ? Comment pouvons-nous savoir que la ratification du Protocole indiquait un véritable engagement à améliorer la condition des femmes ? Sans l’ébauche, la soumission et l’examen des rapports des Etats, la réponse à ces questions reste élusive.

En l’absence de mécanisme de surveillance plus efficace dans le système des droits humains régionaux, le rapport des Etats est le moyen par lequel la situation des droits des femmes peut être évalué dans les pays, à l’aune des garanties contenue dans le Protocole. S’il est utilisé comme prévu, c'est-à-dire comme un outil de réflexion et l’occasion de faire un bilan des mesures prises pour la protection et la promotion des droits des femmes au niveau national, un instrument pour stimuler le dialogue entre les Etats parties et la Commission africaine pour les droits humains et des peuples dont il découle la possibilité d’identifier les mesures prises pour faire progresser les droits des femmes au niveau national, alors le mécanisme aura en effet une grande valeur en ce qui concerne les progrès réalisés par les droits des femmes sur le continent. Toutefois, et c’est regrettable, ceci n’a guère été une priorité en ce qui concerne la Charte africaine et a été entièrement ignorée depuis que le Protocole est entré en vigueur et que l’échéance pour le rapport des premiers Etats parties était arrivée.

A l’aide des directives récemment adoptées, il est espéré que cette obligation sera prise plus sérieusement par les Etats parties, non seulement comme indication d’un engagement en faveur de l’implantation des dispositions du Protocole, mais aussi comme une tentative sincère de promouvoir les droits des femmes. Les directives pour le rapport des Etats prévu par le Protocole de la Charte africaine pour les droits humains et des peuples et pour les droits des femmes en Afrique ont été récemment adoptées par la Commission africaine. Il est envisagé que ces directives faciliteront et encourageront la conformité avec la procédure du rapport.

Les directives ont été initiées et coordonnées par un groupe de travail, qui incluait le Rapporteur Spécial sur les droits des femmes en Afrique, dans le cadre du Centre for Human Rights à l’université de Pretoria, suite à l’identification d’un besoin d’énoncer des directives claires quant au contenu des rapports des Etats parties au Protocole. Après qu’une évaluation du contenu des rapports soumis par les Etats, selon les exigences du Protocole, a révélé l’échec des Etats d’élaborer des mesures afin de réaliser les droits contenus dans le Protocole, il est clairement apparu que des directives explicites étaient nécessaires.

Les directives déclinent de manière spécifique les informations que le rapport initial doit contenir. Les rapports subséquents pourront être moins encombrants que le premier et se construire sur la base du premier rapport et se concentrer sur les progrès réalisés depuis le précédent rapport.

Le groupe de travail a regroupé les dispositions du Protocole sous huit thèmes : égalité et non discrimination, protection des femmes contre la violence, le mariage, la santé et les droits reproductifs, les droits économiques, culturels et sociaux, le droit à la paix, la protection dans les conflits armés et les droits de groupes femme spécialement protégées.

En regard de chaque thème, les Etats doivent expliquer les mesures législatives, administratives, institutionnelles et programmatiques, éducationnelles et autres mesures prises pour réaliser ces dispositions. Ils doivent également fournir des informations sur les remèdes disponibles. De plus, ils doivent indiquer la mesure dans laquelle les femmes ont accès à ces droits. Les défis sur le chemin de l’implantation doivent être inclus dans le rapport et - très important - des statistiques spécifiques doivent aussi être fournies.

Les défenseurs des droits humains du continent sont bien conscients que les rapports dus sur la Charte africaine ne suscitent pas grand enthousiasme, avec pour conséquence et en dépit des exigences d’en soumettre un tout les deux ans, les Etats parties en général omettent de soumettre un rapport opportun ou même n’en soumettent aucun.

La question des droits des femmes a été abordée en termes généraux, et seulement en relation avec l’article 18 (3) de la Charte sur la non-discrimination et limitées aux mesures législatives et institutionnelles, sans analyse d’impact.

S’il est vrai que des ressources financières et humaines limitées peuvent être une contrainte empêchant la conformité avec les obligations, c’est toutefois plus un problème de volonté politique et une incompréhension de la nature du processus. Le rapport dû par les Etats fournit une occasion de réfléchir aux progrès et aux obstacles sur le chemin du respect des droits humains compris dans la Charte, et plus spécifiquement le droits des femmes tel que prescrits par le Protocole, et d’engager le dialogue avec des experts des droits humains régionaux, en particulier la Commission africaine pour les droits humains et des peuples. En dépit de cela, c’est souvent perçu comme une corvée dont on se passerait facilement. De plus, la démarche est souvent vue comme antagoniste plutôt que coopérative. Néanmoins, le Commission ne fonctionne pas comme un jury au cours d’un dialogue constructif, mais bien plutôt comme conseiller qui, en fin de compte, ébauche et émet des recommandations qui, si elles sont suivies, peuvent entraîner des changements positifs au niveau national.

Toutefois, pour que ces recommandations soient concrètes et puissent être suivies d’actions, elles doivent être basées sur assez d’informations de la part des Etats et des rapports officieux des ONG. En d’autres termes, plus la Commission reçoit, plus elle peut fournir de conseils et de directives. Le rapport des Etats n’est pas une fin en soi, mais fait partie intégrantes d’un cycle qui se déroule comme suit :
1) un rapport est soumis,
2) le rapport et informations annexe sont étudiés par la Commission,
3) des actions sont identifiées qui peuvent renforcer le respect des obligations contractées et qui seront stipulées dans les conclusions de la Commission et,
4) le cycle recommence là où le dernier rapport s’est arrêté, en particulier en se concentrant sur les mesures prises depuis le dernier rapport, y compris les démarches entreprises pour donner suite aux recommandations de la Commission.

Ce processus cyclique existe aux Nations Unies. La Sierra Leone, par exemple, a mis en place trois lois en 2007 : l’enregistrement des mariages et divorces selon le droit coutumier, la transmission de la propriété et la loi contre la violence, après que le comité de CEDAW, dans ses conclusions a noté, sur la base du rapport au comité, l’absence de ces législations en Sierra Leone. Il a recommandé que le pays mette la plus haute priorité sur cette faille législative, ce qui a stimulé des réformes légales au niveau national en faveur du progrès vers l’égalité des genres. La Commission africaine a également le mandat et les compétences pour diriger les Etats vers des réformes légales et autres mesures requises pour le progrès du droit des femmes tel que prévu dans le Protocole.

Pour les défenseurs de la société civile, 5 ans après l’entrée en vigueur suite au 29 ratifications, il est grand temps d’augmenter les efforts en faveur du renforcement du processus d’engagement entre les Etats parties et la Commission africaine pour les droits humains et des peuples, au travers des rapports. Les directives doivent être diffusées parmi les principaux acteurs et les Etats doivent répondre de leurs obligations de produire un rapport. La société civile doit participer à cet important processus, en soumettant des rapports officieux et en évaluant le suivi des recommandations de la Commission. Le potentiel de ce mécanisme est loin d’être épuisé sur le continent et lui insuffler de l’énergie peut être la clé pour passer lentement de la ratification à l’implantation du Protocole.

* Karen Stefiszyn est la directrice du Gender Unit au Centre for human rights à l’université de Pretoria – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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