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Issa Shivji poursuit le débat sur la création des « Etats-Unis d’Afrique ». S’inspirant de l’expérience du passé et des initiatives actuelles de coopération régionale en Afrique de l’Est, il suggère que l’accent économique devrait être placé au niveau de la production – le capital et la main d’œuvre, plutôt que sur le commerce. Politiquement, elle devrait être centrée sur les gens plutôt qu’orientée vers l’Etat.

L’Union Africaine s’apprête à un débat critique sur l’unité panafricaine. Ceci se rapproche profondément des lutes nationalistes qui ont produit l’indépendance de l’Afrique. A l’époque, le thème de définition et le cri de ralliement des nationalistes – de Nkrumah, Nyerere, Banda jusqu’à Babu – était le panafricanisme. Le nationalisme africain par définition, soutenaient-ils, ne pouvait être autre chose que le panafricanisme.

L’actuel débat sur le panafricanisme présente une moment propice pour que le continent affronte certains des défis clés auxquels il fait face, parmi lesquels figure l’impérialisme. Le nationalisme africain est né au milieu de la lutte contre l’impérialisme. Il ne pouvait durer qu’aussi longtemps qu’il resterait anti-impérialiste.

Aujourd’hui, un petit nombre de nos pays peuvent prétendre être vraiment indépendant. Nous n’avons pas le pouvoir de prendre les plus élémentaires de nos propres décisions. Notre souveraineté est vendue au plus offrant. Notre politique extérieure est alignée sur la super puissance. Nos lois – fabriquées au sein du FMI – sont imposées sur nos parlementaires. Les sociétés multinationales tordent chez nous des concessions atroces dans des accords, qui sont des ‘top secrets’, même pour les représentants élus par les gens.

L’actuelle recherche d’unité panafricaine doit reconnaître la menace, et non pas craindre le défi pose par l’impérialisme. Au moment où la mondialisation, une forme même plus vicieuse d’impérialisme, nous engouffre, nous devons retourner aux racines de nos indépendance: le grand mouvement nationaliste post-guerre qui a mené à l’indépendance de plus de 50 pays africains..

Aujourd’hui, alors que nous nous enfonçons davantage dans des contextes inexplorés de la mondialisation, et que nous laissons les usuriers et les requins du marché mondial dévorer nos ressources tout en nous dictant nos politiques, nos sociétés sont en train d’être mises en pièces sur base de diverses divergences insignifiantes d’ethnie, de race, de région et de clan. Si jamais il y a eu une époque où il faut raviver le rêve et la vision de panafricanisme, alors c’est bien maintenant.

Même pendant que l’Afrique place lentement son accent sur l’unité panafricaine, on voit une raison d’espérer et des promesses dans les efforts qui se poursuivent vers l’intégration régionale. Il y de sérieuses bases historiques derrière la quête d’unité régionale. Les visionnaires panafricanistes tels que Nkrumah et Nyerere ont anticipé et vu les dangers de devenir indépendant seul.

Mwalimu par exemple était prêt à retarder l’indépendance du Tanganyika si les quatre pas de l’Afrique de l’Est (Kenya, Ouganda, Tanganyika et Zanzibar) pouvaient le faire en tant qu’une unité fédérale. Les efforts en cours vers l’intégration régionale doivent donc être pesés dans le cadre du panafricanisme.

En Afrique de l’Est, les chefs d’Etats ont déjà décidé de re dynamiser la Coopération Est-Africaine et un traité a été déjà conclu. Des consultations ont été désormais initiées pour la recherche des avis des gens sur la création d’une fédération Est- Africaine.

La Communauté de l’Afrique de l’Est, qui a précédé à la Coopération Est-Africaine, s’est écroulée dans les années 1970 sous les difficultés dues aux différences entre les Etats et une rivalité acerbe en ce qui concerne leurs intérêts matériels.

Cette fois-ci, on espère que les leçons ont été apprises et que les erreurs du passé ne vont pas se répéter. L’objectif doit être de placer la coopération sur une base plus solide en adoptant des approches meilleures et durables à la question de l’unité.

Au moment où l’Afrique marche vers la consolidation de l’unité panafricaine, il y a des leçons qui peuvent être tirées aussi bien des expériences passées que des initiatives actuelles vers la consolidation de la coopération régionale en Afrique de l’Est.

L’ancienne coopération était caractérisée par deux grands moteurs. Sur le plan économique, elle était centrée sur le commerce. Tandis que sur le plan politique, c’était l’Etat qui se trouvait au centre. Son approche générale était économique plutôt que politique.

Une leçon utile à la vision panafricaine est que l’unité économique doit être basée sur la complémentarité des structures. Les pays ne peuvent coopérer que quand la question d’unité économique est traitée sous une approche politique. Par exemple, une approche commune en ce qui concerne la fixation des prix des exportations agricoles ou le remboursement des dettes peut être une base réelle de coopération. Ceci exige des décisions politiques.

Dans le cas de l’Afrique de l’Est, les structures de production dans les trois pays étaient en compétition au lieu d’être complémentaires. Etant des économies orientées vers l’exportation, les trois entités exportaient Presque les mêmes cultures agricoles. Elles faisaient la compétition en courtisant les mêmes investisseurs. Les trois pays étaient donc en rivalité au marché international au lieu d’être en coopération, ce qui rendait leur unité fragile.

L’entreprise panafricaine peut tirer trois leçons vitales de l’expérience de l’Afrique de l’Est. Premièrement, l’approche devrait être explicitement politique. Deuxièmement, sur le plan économique, la fondation de l’unité devrait se situer au niveau de la production – le capital et la main d’œuvre; plutôt que le commerce. Troisièmement, sur le plan politique, elle doit être centré sur les gens plutôt qu’orientée vers l’Etat.

Une autre région où la création d’une véritable coopération peut grandement soutenir la vision panafricaine est la région des Grands Lacs. Au sein d’un plus grand regroupement politique, il est peut-être plus facile et plus faisable de contrôler les guerres civiles qui ont débordé et devenues des guerres frontalières entre les pays de cette région. Un projet qui aboutirait à la paix dans cette région relancerait de façon dramatique le véritable panafricanisme rendrait plus proche la réalisation du rêve de l’unité africaine.

L’unité panafricaine peut fournir un espace pour l’interaction accrue spécialement dans les domaines tels que le développement des ressources humaines au profit des pays qui en ont besoin. Les pays en phase de réorientation tel que le Rwanda par exemple pourraient profiter des réserves de talents se trouvant dans d’autres pays exactement comme cela s’est passé dans les années 1960 lorsque le Nigeria a envoyé beaucoup de ses magistrats pour soutenir le secteur judiciaire de la Tanzanie.

La même chose pourrait s’appliquer au niveau de l’enseignement supérieur. Le Rwanda est dans le processus de reconstruire son université. Des universités britanniques sont rapidement en train de s’offrir pour les fonds des bailleurs en vue d’envoyer leurs équipes d’experts, des conseillers, professeurs etc. De telles opportunités devraient être consciencieusement utilisées pour créer des voies pratiques de coopération au lieu de s’adonner à la manipulation par de grandes puissances. Une telle coopération et l’assistance entre nous-mêmes seraient mutuellement bénéfiques et dans l’intérêt de l’idéal d’unité africaine.

La coopération à chaque niveau – régional ou continental – doit procurer un cadre propice d’implication de la société civile et des autres intervenants. Le raisonnement est simple. La coopération à tous ces niveaux est trop importante pour être laissée aux seuls chefs d’Etats. Le domaine direct que les chefs d’Etats identifient pour la coopération c’est la défense et la sécurité, surtout leur propre sécurité bien sûr.

Si on les laisse s’occuper comme bon leur semble, les Etats peuvent briser l’unité soit suite à la pression de la part des puissances internationales ou à des visions étroites suscitées par des intérêts matériels locaux. Les Africains doivent par conséquent ne pas abandonner la poursuite de l’unité panafricaine à leurs Etats et aux politiciens. C’est seulement lorsque les Africains seront unis que l’unité panafricaine peut être durable. Ils doivent élargir leurs horizons afin de tenir compte des nouvelles conditions et possibilités.

Alors qu’effectivement nous devons avoir la volonté suffisante et le sentiment de promouvoir l’unité africaine, nous devons en même temps être prudents en vue de protéger et renforcer nos intérêts nationaux. Cependant, ces deux éléments – le panafricanisme et le nationalisme – devraient être places dans des intérêts plus vastes de la majorité, et non succomber aux motifs étroits de certaines factions, ou à la cupidité des groupes et des classes. L’intérêt de la grande majorité – les classes populaires – devraient être test décisif.

L’unité africaine en tant qu’expression du panafricanisme est non seulement une vision souhaitable pour l’Afrique à ce stade de notre développement, mais une nécessité. C’est une nécessité parce que si nous sommes laissés à nous-mêmes, nous risquons de devenir – et nous devenons de plus en plus – des pions sur l’échiquier des puissances géopolitiques et militaires, sous l’hégémonie de la puissance la plus militarisée et la plus impitoyable de l’histoire de l’humanité.

* Issa G. Shivji était, jusqu’à sa retraite récemment, Professeur de Droit à l’Université de Dar es Salaam où il a enseigné depuis 1970. Il est auteur de plus d’une douzaine de livres et de nombreux articles. Parmi ses livres figurent Class Struggles in Tanzania (1976)- Les Luttes de Classes en Tanzanie), The Concept of Human Rights in Africa (1989)- Le Concept des Droits Humains en Afrique) Not Yet Democracy: Reforming Land Tenure in Tanzania (1998)- Pas Encore de Démocratie : Réforme de la Loi sur la Propriété Foncière en Tanzanie).

* Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News numéro 299. Voir :

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