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Des voix s’élèvent, au sein du gouvernement français, pour demander au Président Sarkozy la rupture d’avec les pratiques de la Françafrique dans les relations entre la France et l’Afrique. Ce serait entendre la raison. L’Afrique peut compter sur ses ressources humaines pour diagnostiquer de quoi elle souffre. Et elle dispose suffisamment de ressources matérielles pour son développement.

Il faut seulement que la France change de philosophie et des manières de faire. Elle ne peut continuer avec cette idée de vouloir faire le bonheur des peuples d’Afrique contre eux. Alors qu’elle continue de soutenir, par sa force et ses magouilles, des types de dirigeants qui n’ont ni le savoir, ni la volonté de changer leurs pays.

Le Tchad apparaît, dans cette relation France-Afrique, comme le maillon le plus faible du dispositif français. Voilà un pays à qui Dieu a donné le pétrole mais à qui cette ressource ne sert pratiquement à rien. Le président Idriss Déby Itno achète à tours de bras armes, avions, missiles et autres vétilles afin de s’imposer aux rebelles et museler son peuple. L’argent, le pouvoir, le prestige restent le privilège de la famille Itno. Les institutions de l’Etat sont complètement détruites. On tue et on pille à volonté.

(...) La colonie française au Tchad, à la tête de laquelle se trouvent l’ambassadeur et le consul de France, sait très bien que le Tchad ne remplit pas les normes internationales d’un Etat et que le pouvoir de Deby veut se maintenir à tout prix. Mais ces deux représentants de Paris clament haut et fort que Deby a la parfaite maîtrise de la situation. Les Tchadiens doivent comprendre que tant que Déby aura des soutiens dans l’armée française, les services spéciaux et bien sûr à l’Elysée, ils doivent se taire et subir ce que la famille Déby fait du Tchad et des biens de leur pays. Mais la mémoire collective des Tchadiens rejette ce diktat. Elle pense que Paris en fait trop et que la France doit changer de fusil d’épaule.

Les relations entre le Tchad et la France ne peuvent être effacées par les intérêts mafieux et conjoncturels. Ce sont des relations de sang, de souffrance et de lutte. La France doit une portion de sa gloire aux peuples du Tchad. Ils ont pris part aux guerres d’Indochine, de Madagascar, d’Algérie et du Cameroun, pour ne citer que celles-ci. Ils ont été le noyau dur de la colonne Leclerc. Pour avoir pris part à la deuxième guerre mondiale, une dizaine de tchadiens au moins ont la décoration et reconnaissance des « Compagnons de la libération ».

Le Tchad, malgré ses maigres ressources, a fait le bonheur de Boussac, qui s’est enrichi grâce à son coton. Les tchadiens ont participé massivement à la construction du chemin de fer Congo-Océan. Partout où l’honneur et la gloire de la France étaient en jeu, les tchadiens ont donné de leur sang et de leur vie. Ils voudraient, en retour, une coopération apaisée avec Paris où bénéficiant de la technologie et de la langue de Molière, construire leur propre destin et leur propre économie. Mais rien n’y fait. Ils ne récoltent que mépris et mort d’hommes.

En effet, de la colonisation à ce jour, l’armée française n’a pratiquement jamais quitté le Tchad. Mais notre pays n’a connu que la guerre et l’insécurité. La France, par son armée interposée, n’a cessé d’alimenter les conflits politiques, religieux et tribaux. Elle a soutenu toutes les dictatures dont celle de la triste Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) avec Habré et ses 40 000 morts. Elle regimbe avec Idriss Déby et ferme totalement les yeux sur le drame humain que charrie ce régime. Assassinats d’hommes politiques, de syndicalistes, d’hommes de presse et de leaders d’organisations de droit de l’homme. Massacres des populations innocentes dans toutes les régions.

A ces occasions, les avions de l’armée française transportent les soldats de Déby et la logistique opérationnelle. Et lorsque les forces expéditionnaires du président ont fini de réprimer, alors que fument encore les champs des durs affrontements, les soldats français récupèrent ceux de Déby et par Transal entiers les acheminent vers les hôpitaux où ils seront bien traités. Les civils, eux, seront évacués par des moyens rustiques vers des centres soi-disant médicaux où ils attendront patiemment que Dieu leur enlève le dernier souffle.

Oui, tous les ambassadeurs de France au Tchad savent tout ça. Mais jamais leurs rapports n’ont signalé une situation de crise politique grave dans notre pays. C’est ainsi que l’armée française sait combien de Tchadiens ont péri, de part et d’autre, dans les affrontements de Hadjer-Miram, Hadjer Marfeïne, Ganatir, Hadjer Hadid, Abou Gouleigne, Kapka… Des centaines de morts et des milliers de blessés. Mais elle estime que ces morts n’ont pas atteint le seuil de l’intolérable pour s’émouvoir. Tout le Tchad peut donc passer au compte de pertes et profits dans les corbeilles des échanges mafieux entre Paris et N’Djamena.

Ces genres de relations sont en effet celles de la mafia. Le parrain, par son soutien inconditionnel au protégé soumis, laisse ce dernier agir à sa guise. Pourvu que les intérêts de l’organisation et du chef soient préservés. Alors Déby, soutenu d’abord par Chirac, puis par Sarkozy, n’est tenu par aucun engagement et aucun serment. Les chefs d’Etat français peuvent ainsi se fabriquer des « amis » en Afrique contre leurs peuples et contre toutes les lois de protection du genre humain.

Si donc l’honneur et la grandeur de la France ont été les plus grandes valeurs du Gaullisme et qu’elles ne semblent plus caractériser les rapports à l’heure actuelle de la mondialisation, il reste tout de même un fond que le commerce et les chiffres de gains de calculettes ne peuvent effacer. L’Allemagne reste l’Allemagne avec ses peuples de l’Est. De l’empire austro-hongrois à l’Union Européenne, l’Allemagne reste l’Allemagne. D’où nous vient cette clique de responsables français qui n’ont aucune lecture de l’histoire, de la sociologie, de l’économie et de la politique des relations entre les peuples d’Afrique et de France ? D’où nous vient cette conception rachitique de la coopération qui détruit tous les bons sentiments qui unissent des populations qui ont partagé certaines douleurs dans leur passé ?

Les Tchadiens peuvent répondre à ces questions qui fâchent. Mais les autorités françaises le pourront-elles ? Si oui, qu’elles donnent un signal de renouveau dans ces rapports exécrables entre les locataires de l’Elysée et du palais Rose. A la grande satisfaction des peuples tchadien et français.

* Kamis, Wardougou, Eriteïro et Nadji : Les auteurs de ce texte l’ont aussi publié sur le site

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