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Pour marquer la célébration de la Journée Internationale de la Femme, le 8 mars dernier, nous publions dans cette édition une série d’articles sur l’Islam et les droits de la femme.
Dans son captivant article, Ayesha Imam aborde les droits sexuels et les droits à la reproduction des femmes dans le Nigeria musulman. A la faveur de la « Sharianization » de certains États du Nigeria, de nouveaux délits ont vu le jour et se rattachent pour la plupart à la sexualité ; ce qui n’a pas manqué d’avoir des effets néfastes sur les droits des femmes. Imam soutient que la Sharia n’est ni uniforme ni dictée par Dieu, et que l’opposition entre la jurisprudence des conservateurs et celle des libéraux n’a pas permis aux érudits et militants progressistes de faire adopter des lois musulmanes qui protègent les droits des femmes. Elle met l’accent sur ce qui peut être fait pour contrecarrer ces forces et ajoute que l’un des volets très importants de cette tâche concerne la démystification de la Sharia pour les communautés musulmanes du Nigeria (et d’ailleurs).

Amina Lawal a été reconnue coupable d’adultère en mars 2002, et condamnée à mort par lapidation. Suite à l’introduction d’un nouveau code pénal sur la Sharia dans l’Etat de Katsina, les défenseurs des droits religieux ont intenté un procès à son encontre parce qu’elle aurait eu un enfant après le divorce sans se remarier. Le présumé père a nié avoir entretenu des rapports sexuels avec Amina et fût relâché. Ces évènements se sont produits au moment où la controverse battait son plein au Nigeria sur la nature et l’opportunité de la Sharia (les lois musulmanes) , les droits dans les lois musulmanes, les droits constitutionnels, les droits humains internationaux et les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres.

Une coalition d’ONG nigérianes ont immédiatement pris fait et cause pour Lawal et lui ont trouvé des avocats, un abri sûr, des soins médicaux et un soutien affectif tout au long de cette épreuve de 18 mois. Elle était devenue le centre d’attention du monde, des medias, des campagnes médiatiques et de protestation qui ont, dans la plupart du temps, fustigé la loi islamique, la décrivant comme brutale. Ils ont aussi implorer la grâce du Président Nigérian, et demander l’abrogation de ces lois. En septembre 2003, Amina a gagné son procès en appel dans la Cour d’Appel de Sharia de son Etat, et a été acquittée (Lawal Kurami contre l’Etat).

C’est probablement l’un des procès les mieux connus relatifs à l’introduction du code pénal de la Sharia dans plusieurs États du Nigeria en 2000.’’Zina’’ ou rapports sexuels illégitimes comprend l’adultère, puni par la mort par lapidation , et la fornication, sanctionné par des coups de fouet. Dans certains États, les hommes peuvent être emprisonnés de surcroît.

Ces cas font partie intégrante des questions qui ont conduit au besoin de protéger les droits sexuels et les droits à la reproduction des femmes, et à la nécessité de mieux les comprendre dans le respect des cultures et traditions locales, et des conventions internationales y afférentes. Les tensions entre les politiques religieuses conservatrices et les politiques antiterroristes, qui sont souvent de nature islamophobe, doivent être analysées dans le cadre de ces discussions qui touchent aussi au mélange d’idéologies et de pratiques sociales complexes contenues dans les cultures locales, qui sont structurées par les rapports de force.

Les traités internationaux sur les droits humains, comme les cultures locales, doivent donc disposer d’une stratégie pour «revendiquer et émettre des avis» - en étant bien informés du discours tenu à la fois par les cultures locales et les droits humains internationaux, en ne privilégiant ni l’un ni l’autre, et en restant dans une situation qui leur permette d’émettre des avis sur les deux. Ceci permettrait aux principes relatifs aux droits humains de pouvoir réellement garantir les droits des personnes dans leur vie de tous les jours. Pour cela, il faut que ces droits soient revendiqués et respectés par les cultures locales, et qu’ils ne soient pas simplement du texte écrit. Ils doivent être vus comme des produits sociaux et historiques, affectés par le pouvoir politique et les traditions culturelles des groupes dominants dans leurs contextes respectifs.

Comprendre que l’interprétation des droits humains est elle aussi soumise à la répartition des pouvoirs nous permet de reconnaître l’influence de l’Occident sur l’interprétation des droits de nos jours. Cependant, il est possible d’accepter l’universalité de la notion des droits qui n’est pas statique, et est constamment réinterprétée par ceux dont les vies en sont affectées.

Les approches à l’endroit des droits humains doivent aussi être constamment réinterprétées. Il est important que les traditions et les normes religieuses et culturelles locales ainsi que les régimes des droits formels au plan national et international soient utilisés et qu’on en tienne compte également.

Les groupes de défense des droits des femmes doivent faire partie de ce processus. Même si la plupart d’entre eux sont perçus comme étant en opposition à la communauté familiale, religieuse ou ethnique ; en fait, ils remettent en question non pas les communautés elles-mêmes mais les définitions actuelles de la culture et des normes de la communauté ainsi que les pouvoirs dont jouissent les gardiens de la culture pour entretenir ces définitions.
C’est dans ce contexte que le présent article examine la politique et les activités qui entourent les cas de ‘‘Zina’’ conformément au code pénal de la Sharia au Nigéria.

Le Nigéria a assisté au développement de l’essentialisme et du conservatisme religieux. Toutefois, l’introduction de la Sharia dans le pays est beaucoup plus liée à une question de politique émotionnelle, du fait des questions économiques et éducationnelles qu’au sentiment religieux.

Les réactions à la Sharianisation ont été diverses. Les chrétiens et les non musulmans craignaient qu’on leur impose le droit religieux musulman. Les militants des droits humains et de certaines ONG (comprenant des musulmans) avaient des inquiétudes relatives aux droits religieux des non-musulmans, et la violation des dispositions de la constitution relatives au caractère laïque du pays. Les militants des droits des femmes musulmanes et ceux des non-musulmanes étaient préoccupés par le fait que la Sharia pourrait être une source de discrimination contre les femmes et restreindre leurs droits.

Les réactions des musulmans face à la Sharia ont été aussi diverses. Ibrahim el-Zakzaky des Frères Musulmans, qui avait appelé à l’islamisation du Nigéria, s’est opposé à la Sharianisation au motif que le fait d’infliger de sévères punitions à un être humain sans au préalable veiller à la justesse des relations socio-économiques ne relevait pas de l’islam. D’autres musulmans craignaient des abus de la part de ceux qui étaient au pouvoir.

En tant que musulmans, ils ne voulaient pas s’opposer à la Sharia mais ne pensaient pas non plus être en mesure de critiquer d’éventuels cas de corruption sans savoir lire l’arabe ou avoir fait quelques années d’études sur la jurisprudence islamique. Pour cette raison, il y avait « une atmosphère de silence troublant ». Pourtant, après l’adoption de la Sharia, il y avait de la jubilation parce que pour beaucoup, la Sharia était synonyme de moralité. La moralité était non seulement rattachée à la sexualité mais aussi à la sécurité, et à la lutte contre la corruption dont souffraient beaucoup de personnes démunies.

Le Code Pénal de la Sharia a crée, dans le droit nigérian, de nouveaux délits, qui tournent autour de la sexualité. Ce code reconnaît la lapidation, les châtiments et les dettes de sang.
Ces lois s’appliquent seulement aux musulmans sur le plan théorique, mais la question est de savoir si les musulmans ont le droit d’accepter d’être régis par le droit général nigérian sans avoir à renoncer à leur identité religieuses.

Egalement non-résolues et ambiguës sont les contradictions et le fossé qui existent entre le nouveau Code Pénal de la Sharia et le Code de procédures pénales qui détermine ce que c’est qu’une procédure et une preuve, et comment les délits sont définis. Il a aussi été question de savoir si les lois de la Sharia ou la nature de la punition étaient soumises à la loi relative aux droits humains internationaux.

Le Nigeria est signataire de plusieurs accords internationaux sur les droits humains. Cependant, quand bien même ces accords donnent lieu à des obligations vis-à vis du droit international (à condition qu’ils soient explicitement incorporés dans le droit national), ils ne peuvent faire l’objet d’une quelconque revendication dans les juridiction nationales.

De plus, l’interaction entre les multiples et parallèles systèmes juridiques au Nigéria, émanant du droit laïque, musulman et coutumier, pose problème dans la mesure où ces systèmes juridiques donnent des droits différents selon les problèmes qui se posent ; Dans ce cas, la juridiction peut faire l’objet de controverse.
Quelle est la version de la Sharia qui doit être défendue est également une question qui mérite des réponses.

La Sharia n’est ni directement prescrite par dieu, ni uniforme à travers l’histoire ou les différentes communautés musulmanes. En principe, les lois musulmanes doivent être élaborées sur la base du Coran. La deuxième source est la Sunnah, les traditions du prophète. Ensuite vient le Ijma, le consensus sur la définition de la loi par qiyas (analogie) et Ijtihad (raisonnement interprétatif).A chaque étape, il y a eu des désaccords qui ont conduit à des divergences. Ainsi, les lois musulmanes sont, et ont toujours fait l’objet de controverse et de discussions.

Il y a quatre principales écoles de jurisprudence islamique parmi les sunnites (qui représentent 80% de tous les musulmans). Ces écoles ont autant de similitudes que de différences. Pourtant, les enseignants de ces écoles ne se voient pas en train d’élaborer un code juridique prescrit par dieu et qui doit être toujours respecté par tous les musulmans.

Au contraire, ils sont catégoriques sur le fait que les musulmans ne sont pas obligés de les respecter s’ils ne pensent pas que le raisonnement fait du Coran et de la sunna est exact. Ces enseignants n’ont nullement l’intention d’imposer leur perception sur les musulmans. Le stéréotype d’un droit unique, uniforme et inspiré par dieu ne tient pas la route. Toutefois, ce mythe a été utilisé par les conservateurs musulmans, et cela est perceptible dans le domaine des droits sexuels et des droits à la reproduction.

Il y a trois cas relatifs au ‘‘Zina’’ : la ‘‘Zina’’ peut être considérée comme un péché que dieu lui même se chargera de punir sauf dans les cas où il y a des aveux volontaires ou répétés. La loi peut avoir un effet dissuasif qui requiert des preuves formelles pouvant aboutir à des poursuites et a quelques rares condamnations ; et finalement l’application agressive de la moralité politiquement motivée à travers une législation restrictive et des poursuites enthousiastes. Le dernier cas illustre ce qui s’est passé au Nigéria.

Pour ce qui est des droits à la reproduction pour les femmes, la Sharia est également diversement interprétée. Beaucoup de juristes musulmans pensent que la gestion de la fécondité est permise et que le plaisir sexuel est un droit pour aussi bien la femme que l’homme. D’aucuns pensent aussi que l’islam ne s’oppose pas à l’excision. Pourtant le droit religieux a décris la gestion de la fécondité comme une source d’immoralité et de ‘‘Zina’’, et a, par conséquent, tenter de s’y opposer.

L’opposition entre l’interprétation des lois musulmanes par les conservateurs et celle des libéraux, et le mythe d’une Sharia unique et uniforme (conservatrice) a permis à l’extrême droite musulmane d’empêcher les érudits musulmans progressistes et les défenseurs musulmans des droits humains d’asseoir la légitimité de leur positions dans le fiqh (jurisprudence), la Sharia ou dans les lois non-religieuses. Ironie du sort, plusieurs partisans progressistes et de gauche, en Occident, font de même, considérant les voix critiques émanant de l’intérieur du monde musulman comme des voix « occidentalisées » et non authentiques. Il est aussi important de considérer ces dissidents comme des membres à part entière de la communauté.

Plusieurs groupes sont en train de s’organiser au Nigeria pour protéger les droits de la femme dans le cadre de la Sharianisation. La première stratégie de ces organisations consiste à défendre les femmes condamnées en mettant l’accent sur les appels en justice dans les juridictions de la Sharia, ce qui leur donne le temps de se rapprocher des plus hautes juridictions qui ont, de tout temps, été plus justes envers les femmes. Se pourvoir en cassation en invoquant des arguments du fiqh, des insuffisances de la loi, et des préjugés est acceptable.

D’autres perceptions juridiques musulmanes peuvent également être utilisées. Le fait d’être acquitté peut aussi vouloir dire qu’aucune condamnation n’aurait dû être faite, et constitue, de ce fait, une justification pour la personne qui a été condamnée à tort. Le fait d’interjeter appel permet aussi de montrer que toute personne a le droit de se pourvoir en cassation et de défier l’injustice, y compris celle qui est perpétrée au nom de la religion. Le succès de ces pourvois montre qu’ils vaillent bien la peine. Très peu de femmes et d’hommes ont été inculpés de ‘‘Zina’’ ou condamnés à mort par lapidation depuis l’affaire Amina. Les deux femmes inculpées se sont pourvues en cassation et ont été acquittées en l’espace de trois mois.

Ces mêmes groupes de défense des droits humains et des droits des femmes ont aussi tenté de démystifier la Sharia en organisant des séminaires, des ateliers, des sessions de formation, des débats, des conférences, des émissions à la télévision ou à la radio, ou en écrivant des articles et des pamphlets. Au nombre de ces groupes figurent le Constitutional Rights Project, BAOBAB for Women’s Human Rights, the Women’s Action Collective with Women’s Action Research and Documentation, ainsi que la représentation nigériane du International Human Rights Law Group.

La démystification de la Sharia nécessite aussi qu’on se prononce sur les préjugés faits sur la base du genre et de la classe aussi bien en théorie que dans la pratique. Les personnes démunies sont celles qui sont le plus soumises aux châtiments sévères. Il y a eu très peu de condamnations d’hommes que de femmes pour des cas d’adultères ou de fornication.

En outre, les hommes reconnus coupables pour des délits sexuels tels que le viol ou l’agression sexuelle ont été moins châtiés (généralement des amendes, des peines d’emprisonnement, ou l’invocation d’un mauvais état de santé ou d’une démence), malgré l’existence de châtiments plus sévères prévus par le Code Pénal de la Sharia, et qui sont généralement infligés en cas d’adultère.

Les femmes font clairement l’objet de discriminations. Des juges ont ignoré ou rejeté des allégations de viol et de coercition dans des cas de ‘‘Zina’’. Avant l’acquittement de Amina Lawal, les chefs d’inculpation contre les femmes utilisaient des normes de preuves discriminatoires et différentes de celles utilisées pour les hommes – celle de grossesse hors mariage.

Il y a par conséquent beaucoup à faire et cela ne se limite pas à ce qui doit être fait pour que la Sharia soit favorable aux femmes. Il faut, entre autre, de la rééducation et de la sensibilisation pour changer les vieilles habitudes tout en valorisant les cultures et traditions locales.

La couverture par les médias internationaux de ces procès y compris celui de Amina Lawal a été phénoménale. Le reportage médiatique et les pétitions ont eu des résultats contradictoires.
S’il y a eu plus de sensibilisation. S’il y a eu plus de sensibilisation sur les questions de violation de droits, il y a eu cependant un certain nombre d’actes hypocrites qui ont été identifiés : beaucoup de Nigérians se sont demandés pourquoi les Occidentaux s’intéressent tant à la vie d’une seule femme nigériane alors qu’ils tuent des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants musulmans en Irak, commettant de pires atrocités.

La solidarité internationale est certes importante pour la protection des droits au niveau local, et les pétitions et les campagnes peuvent permettre d’atteindre des résultats. Toutefois, cela doit se faire sans stéréotypes ou entraves à la protection des droits humains et des droits des femmes.

De plus, les média et les protestations internationales ont beaucoup ignoré l’existence de voix dissidentes au sein des musulmans, et ont ainsi minimisée l’existence des protestations et des campagnes organisées à l’intérieur du Nigéria. La tendance à traiter le monde musulman comme un monde uniforme ne fait que légitimer la position de l’extrême droite religieuse, qui prétend parler pour tous les musulmans, et enlève toute légitimité aux déclarations des érudits progressistes, et des militants des droits humains. Minimiser ce qui est fait à l’intérieur sous-entend que c’est la pression et le pouvoir provenant d’intérêts externes qui importent et non le renforcement des cultures et des droits locaux.

Pour aller de l’avant, il est important d’utiliser les structures et mécanismes locaux (pourvoi, résolution informelle de conflit, simulacre de tribunaux organisés par les ONG locales, réseaux de sympathisants et des campagnes) pour faire barrage aux lois ou interprétation rétrogrades et aux forces qui les soutiennent. Agir de la sorte renforce le contre-discours local et a plus de légitimité que les pressions venant de l’extérieur. Par ailleurs, l’utilisation des structures et discours locaux peut réellement régler la question de la lutte de pouvoir politique au niveau local qui sous-tend l’utilisation politique des religions et de l’appartenance ethnique.

La reforme des lois est d’une importance capitale et nécessitera une éducation publique sur les lois musulmanes, les avis juridiques ainsi que des débats juridiques sur la teneur des lois. Cela nécessite également de la solidarité entre les différents acteurs afin que ceux-ci aient la même compréhension et élaborent des stratégies et des plateformes communes pour les droits humains dont ceux des femmes. Les groupes locaux devraient trouver les moyens d’interagir avec les médias internationaux et de les influencer pour qu’ils soient plus justes et nuancés dans leur reportage. Ils devraient aussi négocier et influencer les politiques des agences internationales afin de créer une solidarité avisée et respectueuse.

Mener des campagnes pour que les gouvernements et les media soutiennent les politiques internationales propices aux droits et à la justice économiques serait une source d’espoir partout dans le monde. Ainsi, la pauvreté et l’incertitude ne continueront pas d’être un terreau où les sentiments et acteurs religieux de l’extrême droite trouveront le soutien pour les discours et les lois qui violent les droits.

*Cette communication révisée comprend un résumé et des extraits d’une communication plus longue qui est la version révisée de l’article paru dans Where Human Rights Begin ( le point départ des droits humains) Santé, Sexualité, et Femmes à l’orée du Nouveau Millénaire,” publié par Wendy Chavkin et Ellen Chesler, Rutgers University Press, Novembre 2005.