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Le sixième sommet des chefs d'Etats et de gouvernement des pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) s'est ouvert le 2 octobre à Accra pour deux jours de travaux avec de nouvelles priorités.
Dans la décision rendue publique à l'issue du sommet, les chefs d'Etats et de gouvernement des pays ACP ont instruit le président du Conseil et du secrétariat général du Groupe ACP d'explorer, pour fin octobre 2008, les modalités d'organisation d'une rencontre de haut niveau engageant leurs homologues de l'Union européenne. Le Conseil des ministres ACP a aussi été mandaté pour poursuivre les réflexions en vue de la création d'une zone de libre échange pour l'ensemble des pays ACP.

Outre les négociations d'accords commerciaux en cours entre les ACP et l'Union européenne, les chefs d'Etats et de gouvernements intervenant à la tribune officielle ont mis l'accent sur de nouveaux enjeux tels que la crise alimentaire, la crise de l'énergie, la crise financière, le changement climatique, la question de l'aide au développement ainsi que les objectifs du millénaire pour le développement.

Ce sommet intervient à un moment où les négociations entre l'Union européenne et les régions ACP se trouvent dans une phase assez délicate pour des régions comme l'Afrique de l'Ouest, mise sous pression par la signature des Accords de partenariat économique intérimaires qui constitue un sujet de controverse entre les pays ACP. Il s'agit d'accords commerciaux impliquant l'accès libre des produits ACP (sauf le riz et le sucre) au marché européen depuis le 1er janvier 2008, en échange d'une ouverture progressive d'au moins 80% des marchés ACP aux produits européens, paraphés par certains pays ACP devant l'impossibilité de parvenir à des accords complets avec l'Union européenne au 31 décembre 2007.

Pendant que les officiels soulèvent ces enjeux, ainsi que leur répercussions sur les pays ACP, appelant à une augmentation de l'aide de l'Union européenne en faveur de leurs pays, les représentants de la société civile présents à Accra exigent toujours l'exclusion de l'investissement et des questions dites de Singapour, des négociations d'accords commerciaux en cours entre l'Union européenne et les régions ACP.

Pour certains officiels, l'Afrique doit inclure la question de l'investissement au coeur de la coopération ACP-UE, pour créer des conditions propices à l'attrait des capitaux étrangers, les représentants de la société civile impliqués dans la « campagne arrêtez les APE », maintiennent que « les investissements doivent rester en dehors des APE pour permettre aux pays ACP de garder leur souveraineté sur la conception et la mise en oeuvre des mesures de politique en ce qui concerne l'investissement ».

Coordonnateur du « Programme commerce » de l'ONG Enda Tiers Monde, coordonnatrice de la Plate-forme ouest-africaine pour le suivi de l'Accord de Cotonou, Cheikh Tidiane Dièye estime que « les pays comme la Chine, qui ont attiré le plus l'investissement dans le monde, n'ont pas eu nécessairement recours à des législations laxistes en matière d'investissement ». Il estime que tout en acceptant de ne pas prendre en compte l'investissement comme chapitre à part entière dans l'APE, « l'Union européenne est en train d'utiliser les services pour faire passer la pilule de l'investissement ».

A la question de savoir que faire en fin juin 2009, si l'Afrique de l'Ouest ne parvient pas à la signature d'un APE global, la plupart des représentants de la société civile reconnaissent que la région serait face à un dilemme qui se pose ainsi : signer dans la précipitation un accord commercial peu satisfaisant pour sauvegarder l'intégration régionale avec la Côte d'Ivoire et le Ghana (deux pays qui ont paraphés les accords intérimaires), ou ne pas signer un accord commercial avec l'Uion européenne et poursuivre la consolidation de l'intégration régionale sans ces deux pays.

Venus à Accra à la tête d'une caravane de la société civile qui a sillonné les frontières Niger-Bénin, Bénin-Togo et Togo-Ghana pour évaluer la mise en oeuvre du protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des biens et des personnes, Sébastien Dohou et Ernest Pédro du Bénin, Laoual Sayabou du Niger, et Ema Esso du Togo ont montré que « l'Afrique de l'Ouest n'est pas pas prête et ne sera pas prête en juin 2009 », nouvelle date-butoir pour la signature de l’APE avec l’Union européenne. Pour eux, tous les indicateurs de l'état de préparation de la région qui ont justifié la non signature le 31 décembre 2007 demeurent intacts. « L'Afrique de l'ouest est encore dans une situation de déficit de capacité et sans combler ces insuffisances, il ne sert à rien de se précipiter dans une aventure », estiment-ils.

Avec ce sommet des chefs d'Etats et de gouvernement des pays Afrique-Caraïbes-Pacifique, Accra a été trois fois en six mois, la capitale de rencontres internationales de haut niveau sur les enjeux mondiaux de développement. Il y eut d’abord la douzième session de la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED XII) et ensuite la troisième rencontre de haut niveau sur l’efficacité de l’aide publique au développement,

La douzième Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED XII) tenue du 20 au 25 avril 2008, avait débouché sur un document de consensus baptisé “Accord d'Accra” et une déclaration. La plupart des délégués, y compris les africains, ont estimé en ce moment là que l'accord offre une “feuille de route pour accroître l'efficacité de la Cnuced au cours des quatre prochaines années”.

Déjà à ce rendez-vous l'essentiel des sujets objet de discussion dans le cadre de ce sixième sommet ACP étaient au coeur des préoccupations. Il s'agit notamment des négociations d'accords commerciaux (APE et multilatéral), de la crise alimentaire et de la situation des produits de base sur le marché international, de la problématique des investissements dans le commerce, de la crise énergétique et des opportunités et menaces liées à la production des biocarburants.

Le troisième Forum de haut niveau sur l'efficacité de l'aide, organisé du 2 au 4 septembre derniers, est survenu après Rome en 2003, Paris en 2005. Il s'agit ici de rencontres de haut niveau qui interviennent à un moment où l'Afrique se trouve au coeur des grandes interrogations en ce qui concerne les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) fixés par les Nations-Unies pour l'horizon 2015. La réduction de la pauvreté étant l'enjeu majeur des OMD, il convient de se demander en quoi la tenue de ces différentes rencontres de haut niveau sur le développement dans une capitale africaine permet au continent de mieux se positionner sur l'échiquier mondial de l'amélioration du bien-être de ses populations ?

De nombreuses interrogations persistent également quant à la vision globale de politique économique qui guide la participation des pays africains à ces différents processus de dialogue. Une fois encore, la nécessité d'une analyse de cohérence s'impose pour assurer une efficiente participation de l'Afrique aux grands fora mondiaux de réflexion sur les enjeux de politique de développement. Il y va de la crédibilité des chefs d'Etat et de gouvernement qui constituent la caution morale et politique des engagements et options de développement pris pour le continent.

En refusant de se concentrer exclusivement sur les négociations d'Accord de partenariat économique (APE) entre l'Afrique de l'Ouest et l'Union européenne (actualité la plus brûlante de la coopération ACP-UE), le Sommet des ACP n'a fait que replacer à une échelle moindre le décor de la CNUCED XII centrée sur les mêmes questions de crise alimentaire, de crise énergétique, de négociations d'accords commerciaux et de la problématique de l'investissement dans le commerce.

A cela on pourrait ajouter d'autres grandes messes multilatérales à Genève, à Rome (pour ne citer que celles là) focalisées sur les mêmes questions où les chefs d'Etat africains jouent souvent le rôle de « Grande vedette » défendant la cause des plus pauvres.

N'est-on pas en droit de se demander ce qui a changé fondamentalement dans le vécu quotidien des ces millions d'être humains qui croupissent chaque jours sous le poids de famine, entre la fin de la douzième session de la CNUCED et l'ouverture de ce sixième sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des pays ACP ? Quelles heureuses implications a-t-on dégagées, dégage-t-on et dégagera-t-on de la multiplication des grandes messes régionales, bilatérales, plurilatérales et multilatérales focalisées plus ou moins sur les mêmes questions sans qu'aucune réponse réelle ne se pointe à l'horizon ?

Répondre à ces interrogations, c'est aussi veiller à la cohérence entre les réflexions sur l'efficacité de l'utilisation des ressources publiques et les autres dynamiques de dialogue politique et de coopération internationale visant l'amélioration du bien-être des citoyens africains.

En attendant, le président soudanais Omar el-Béchir, président sortant du groupe ACP, a transmis le flambeau au chef de l'Etat ghanéen John Kufuor, président entrant du groupe ACP. Ce dernier a insisté sur la volonté des ACP de réduire l'impact de la flambée des prix alimentaires en développant localement des unités de transformation des produits agricoles.

Créé en 1975, le groupe ACP comprend 79 pays, dont 48 d'Afrique sub-saharienne, 16 des Caraïbes et 15 du Pacifique. Depuis 1997, le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres du Groupe ACP est prévu pour se tenir tous les deux ans afin de fixer les grandes orientations de la politique générale du Groupe et donner au Conseil des ministres ACP des directives relatives à sa mise en œuvre.

* Abel Gbêtoénonmon est le directeur exécutif Agence Afrique Performance

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