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A la conférence de la FAO de 1984, à Rome, où fut élaborée la nouvelle orientation pour les pêches mondiales, dans le cadre de la Convention de 1982 sur le droit de la mer, les pêcheurs étaient totalement exclus. Avec Rio+20 un scénario du même genre se prépare. Des décisions majeures pour l’avenir des océans seront prises sous la pression de scientifiques biologistes et d’ONG environnementalistes, mais sans la mobilisation et la présence (sinon anecdotique) des délégués des dizaines de millions de pêcheurs. On parlera de surpêche pour occulter la responsabilité de la pollution et du pétrole dans la destruction des océans, laissant ainsi le champ libre au développement rapide de l’exploitation des gisements de pétrole off-shore.

Depuis près de 20 ans, suite à l’effondrement des stocks de morue au large du Canada, de puissantes ONG environnementalistes (ONGE), s’appuyant sur de richissimes fondations comme Pew ou Packard, qui financent des scientifiques et des campagnes médiatiques, ne cessent d’annoncer l’effondrement des ressources, la destruction des océans. Elles se font les missionnaires d’une religion largement répandue outre-Atlantique, celle de la préservation de l’intégrité des écosystèmes océaniques, dans la pure tradition américaine de la défense d’une nature vierge de toute intervention humaine. Elles ont leurs litanies, 80 à 90% des stocks sont surexploités et la pêche est la principale responsable des menaces sur les océans. Elles ont aussi leurs totems comme les dauphins ou les requins, et aussi leur Satan, le chalut ou la drague, bulldozers qui ravagent les fonds des mers.

Ces campagnes sont bien sûr appuyées sur des réalités, la surpêche et l’effondrement de plusieurs stocks ou des pratiques irresponsables ; elles ont aussi le mérite de donner l’alerte sur des réalités incontournables. Cependant ces ONGE focalisent leurs analyses sur une seule cause majeure de la crise des océans et de ses ressources : la pêche. Ainsi, en 20 ans, pour le grand public, la responsabilité des problèmes est passée de la pollution et du pétrole aux seuls pêcheurs. De ce fait, le terrain a été dégagé pour lever les obstacles au développement rapide de l’exploitation des gisements de pétrole off-shore. Ils ont aussi totalement négligé les phénomènes de variation naturelle de l’environnement marin qui ont un impact considérable sur l’état des stocks de poisson.

Aux Etats-Unis, mais aussi en Australie, ces fondations et ces ONGE ont réussi, au-delà de toute espérance, à imposer leurs conceptions et même, aux Etats-Unis à accéder au contrôle des organismes de gestion des pêches puisque Obama a nommé la vice-présidente d’une puissante ONGE (Environment Defense Fund-EDF) à la tête de la NOAA, organisme qui a la charge de piloter la gestion des pêches. On peut constater les effets de cette politique. Les exploitations pétrolières de gisements off-shore se sont multipliées jusqu’au récent désastre du Golfe du Mexique. Du point de vue des ressources, les résultats sont importants puisqu’on considère qu’il n’existe plus guère de situation de surpêche. La seule situation considérée comme problématique est celle de la morue dans le Golfe du Maine qui reste à un niveau très faible. Cependant la situation globale des stocks de poissons démersaux s’est considérablement améliorée et ce, très rapidement, après l’effondrement survenu de 1995 à 2005. La biomasse est estimée à 700 000 tonnes en 2008, soit proche du niveau recherché. Pourtant la pêche reste très limitée, les quotas se situent à près de 100 000 tonnes, mais dans une pêcherie multispécifique, pour protéger la morue, les captures réalisées se limitent à 35 000 tonnes. On est donc dans une situation de sous-pêche pour reconstituer un stock de morue, tout en sachant par ailleurs que ce dernier est largement remplacé par l’églefin qui occupe la même niche écologique et qui prolifère, comme d’autres espèces.

DE LA SURPECHE A LA SOUS-PECHE

L’effondrement des stocks a déjà considérablement réduit la flotte de pêche, mais le résultat de cette politique très restrictive est l’effondrement de la pêche hauturière démersale, accentuée tout récemment par la mise en place de quotas transférables. En 6 mois durant l’année 2010, le nombre de bateaux hauturiers a diminué de moitié au bénéfice de quelques gros armements. En fin de compte, quels ont été les grands bénéficiaires de cette politique de restauration des stocks ?

- Les grands armements industriels vers lesquels lorgnent déjà des spéculateurs financiers, encouragés par les ONGE les plus libérales comme EDF de Mme Lubchenko.

- Sans aucun doute, les phoques et les cétacés divers qui ont désormais de quoi se goinfrer. Au Canada voisin, les phoques -pléthoriques voir même envahissants - consomment 12 millions de tonnes, alors que la pêche canadienne débarque 1 million de tonnes ! Avec les autres cétacés, ce sont pas moins de 20 millions de tonnes qui sont dévorées sur la seule côte est du Canada.

- Les importateurs peuvent aussi se féliciter, tandis que certaines pêcheries comme celles de crevettes sont menacées par les importations à bas prix.

- Les pêcheurs amateurs peuvent se réjouir, ils peuvent désormais acheter des quotas de pêche et faire pression pour accroître leur part au nom de l’emploi dans le secteur des loisirs.

Les seuls perdants sont les pêcheurs artisans côtiers ou hauturiers. Dailleurs ils posent vraiment un problème aux gestionnaires des pêches parce que trop nombreux trop diversifiés, donc difficiles à surveiller et contrôler. Les pêcheurs sont en effet des délinquants en puissance, qu’il faut surveiller en permanence, au besoin par des caméras embarquées. Cette approche écolo-libérale de la pêche, la fondation Pew s’est donnée pour objectif de la mettre en œuvre en Europe à l’occasion de la réforme de la Politique Commune des Pêches (PCP). Des centaines de milliers de dollars ont été distribués à des ONGE, des chercheurs et des personnalités pour accentuer la pression sur les médias, les décideurs, et pour convaincre l’opinion publique. Dernière bénéficiaire en date, Claire Nouvian, de l’ONG Bloom, a personnellement reçu 150 000$ pour trois ans afin de mener campagne contre les subventions à la pêche (notamment l’absence de taxation du carburant pour la pêche).

LA PECHE N’EST PAS SEULE RESPONSABLE DE L’ETAT DES STOCKS

Au cours des années 1990 et jusque dans les premières années de la décennie 2000, l’Europe a connu un réel effondrement de ses ressources, lié à un surinvestissement dans les années 1980 et à de mauvaises pratiques de pêche (rejets). Ces dernières étaient dues en partie à la gestion par quota, peu adaptée à des pêcheries multispécifiques. Les pêcheurs rejetaient beaucoup de poissons hors quota ou faisaient une sur-sélection pour mieux valoriser leur quota. Connaissant cela, les scientifiques préconisaient des quotas toujours plus faibles, toujours aussi peu respectés. Cependant depuis lors, des signes de redressement se manifestent pour de nombreux stocks suite à la forte réduction du nombre de navires, aux efforts des pêcheurs pour la sélectivité et la mise en place de repos biologiques. Ainsi le stock de morue de Mer Celtique s’est rapidement redressé avec la mise en place d’interdictions temporaires de pêche sur les zones de reproduction, une mesure préconisée depuis longtemps par les pêcheurs, mais qui était méprisée par les scientifiques.

On connaît également la restauration étonnante du stock de merlus dans le Golfe de Gascogne et la bonne santé relative des langoustines et de bien d’autres espèces pour lesquelles de simples mesures temporaires permettent des améliorations. Pourtant les ONGE continuent leurs litanies sur la surpêche généralisée des eaux européennes, à préconiser le boycott d’espèces devenues abondantes tandis que ces dernières rencontrent des problèmes de commercialisation face aux importations à bas prix. En réalité, ces ONGE, avec la Commission Européenne et de nombreux scientifiques, veulent utiliser la crise pour organiser la pêche selon leurs conceptions. Elles n’ont donc aucun intérêt à souligner les améliorations constatées par tous les pêcheurs, au moins tant que le débat sur la réforme de la PCP n’est pas achevé.

Le discours catastrophiste est leur meilleur alibi pour imposer leur vision extrêmement restrictive centrée sur l’objectif prioritaire de la préservation de l’intégrité des écosystèmes océaniques. Cet alarmisme permet aussi d’exclure les pêcheurs comme gestionnaires des ressources, puisqu’ils sont responsables d’un déclin continu, et de promouvoir la nécessité d’une gestion par les scientifiques. Parmi les scientifiques eux-mêmes, il y a de moins en moins de véritables halieutes et de plus en plus de biologistes et écologues. Pourtant, non seulement les pêcheurs ont des capacités pour déterminer collectivement des mesures de gestion lorsqu’on leur laisse cette possibilité, mais ils sont les seuls à être confrontés en temps réel aux changements environnementaux qui peuvent modifier rapidement l’état d’un stock, dans un sens comme dans l’autre. Les scientifiques, seuls, ont bien du mal à analyser ces changements. Leur collaboration avec les pêcheurs leur permet de disposer de données à jour et de les aider à définir des mesures d’adaptation de leur effort de pêche.

Contrairement à ce que répètent sans cesse les ONGE, l’état des stocks est loin d’être uniquement déterminé par la pression de pêche. Celle-ci joue bien sûr un rôle lorsqu’elle croît démesurément et rapidement, mais les chercheurs mettent de plus en plus en avant le rôle des changements environnementaux dans l’évolution brutale des stocks. L’évolution des courants et leurs oscillations périodiques ont un impact considérable sur la production de plancton et les changements climatiques affectent la répartition des diverses espèces. Ainsi l’effondrement de la morue en Amérique du Nord est lié à la combinaison d’une croissance très forte de la pression de pêche et d’un changement dans la circulation océanique qui a compromis la reproduction d’un stock affaibli. Il n’est pas certain qu’un stock en meilleur état aurait beaucoup mieux résisté car l’effondrement a été simultané sur plusieurs stocks différents. On constate également ce phénomène pour la morue de la Baltique où l’effondrement est lié à une pression de pêche excessive mais aussi à un changement de la circulation des eaux entre la Baltique et la Mer du Nord qui n’a pas permis le renouvellement des eaux très polluées de la Baltique et a compromis la reproduction pendant plusieurs années. Le stock s’est aujourd’hui largement reconstitué, mais il est difficile de faire la part de ce qui revient à la réduction de l’effort de pêche et celle qui revient au rétablissement de la circulation habituelle des eaux.

DES SCIENTIFIQUES QUI SE REMETTENT EN CAUSE

Les scientifiques, du fait de leurs préconisations, peuvent avoir une part de responsabilité dans la crise de la pêche du fait de leurs préconisations. Certains d’entre eux, impertinents, ont fait remarquer que pour la morue de l’Atlantique Nord, le début de la baisse des captures et de la biomasse coïncide avec la mise en œuvre des premières mesures de gestion avec l’augmentation de la taille des mailles. L’établissement de quotas de plus en plus faibles en Islande, devenus transférables, n’a pas arrêté la spirale du déclin. Est-ce une simple coïncidence ? Peut-être, mais de plus en plus de scientifiques mettent en doute la pertinence d’une gestion par quotas, espèces par espèces, dans des pêcheries multispécifiques, le cas le plus fréquent. Peut-on vraiment gérer l’ingérable avec de telles méthodes, se demandent même certains ? Les scientifiques n’ont pas les moyens de connaître la réalité de l’évolution de tous les stocks et la gestion des interactions entre espèces relève de la quadrature du cercle.

Evidemment, les ONGE demandent que, dans le cas de faiblesse des connaissances scientifiques, on applique le principe de précaution avec des quotas faibles et des arrêts de pêche. Cette dernière mesure limite de fait les connaissances basées sur l’étude des captures… Dans une mer fermée comme la Baltique, il est déjà quasi impossible de trouver des solutions pour combiner la gestion des trois stocks dominants – sprats, harengs, morues – qui interagissent et évoluent en fonction de divers paramètres : état du milieu, nombre de phoques, vents, etc. La prétention de certains chercheurs à fonder la gestion de réalités aussi aléatoires sur leur seul savoir, à nier les capacités des pêcheurs à gérer, paraît pour le moins présomptueuse.

L’IFREMER et l’UICN viennent tout récemment de reconnaître que les approches de gestion fondées sur la sélection de classes d’âge ou d’espèces avaient pour effet de déstabiliser profondément les ressources de l’écosystème et qu’il fallait une approche plus équilibrée, sans souci exclusif de cibler les individus les plus âgés. « La pêche équilibrée (« balanced harvesting » en anglais) vise à ce que les prélèvements par la pêche reflètent les proportions naturellement présentes dans l’écosystème, en diversité de tailles comme
d’espèces ». (1)

C ‘est une autocritique courageuse, car elle remet profondément en cause les approches passées. La vraie question porte sur le niveau de pression de pêche en fonction du type de durabilité recherché. Et même cela n’est pas facile à déterminer de manière absolue et définitive. Ainsi au Canada, suite à plusieurs faibles remontées de saumons sur la rivière Fraser, chercheurs et ONGE ont bien sûr mis en cause la surpêche. L’année suivant une remontée quasi nulle, la remontée a été trois fois supérieure à la moyenne, les écologistes ont continué à demander une stricte limitation des pêches, contre l’avis des pêcheurs qui soulignaient que l’écosystème de la rivière ne pourrait supporter un tel nombre de saumons, qu’elle risquait l’asphyxie par la décomposition des reproducteurs et l’échec de la reproduction. C’est un exemple significatif de la complexité des écosystèmes, car bien que ces rivières à saumons aient été l’objet de centaines d’études scientifiques et d’un suivi régulier, personne ne comprend, pour l’instant, les variations d’abondance. Plus près de nous, alors qu’on annonçait la fin de l’anguille européenne au vu de l’effondrement des arrivées annuelles de civelles, cette année a été marquée par des remontées exceptionnelles sur plusieurs rivières. Personne ne sait encore pourquoi, ni si le phénomène va se poursuivre ; bien sûr ce constat ne dispense pas de mettre en œuvre des mesures de gestion des captures et de protection des milieux.

LA PECHE, UNE ACTIVITE PARMI LES PLUS DURABLES

En tant que secteur d’approvisionnement en denrées alimentaires, la pêche est l’une des activités les plus durables. Relativement aux autres activités agricoles ou industrielles, son impact environnemental est faible. C’est aussi le cas de l’aquaculture traditionnelle (conchyliculture, élevages de poissons herbivores) qui valorise la production primaire (planctons et végétaux). La pêche mondiale utilise 8% de la productivité primaire des océans, avec une variation de 2% pour les eaux du large à 30% des eaux des plateaux continentaux et d’upwellings. Les plus ardents défenseurs de l’intégrité des écosystèmes marins, comme Daniel Pauly, estiment que cette intégrité est menacée au-delà de l’utilisation de 10% de la productivité primaire par la pêche, c’est-à-dire lorsque les poissons et coquillages pêchés ont consommé 10% de la production primaire. On comprend dès lors leur acharnement à réduire la pêche, en particulier dans les zones côtières. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve régulièrement la proposition d’une réduction des deux tiers de l’effort de pêche dans la réforme de la PCP, que ce soit dans les textes de la Commission comme dans ceux des ONGE. Leur objectif réel est bien de réduire l’ensemble de la pêche, y compris en zone côtière où son impact environnemental est le plus important et où l’activité artisanale domine. Par comparaison, sur les continents, 24% de la productivité primaire sont utilisés par les sociétés.

Si l’on prend comme critère écologique le rendement énergétique pour les productions de protéines animales, la pêche et l’aquaculture sont les activités les plus efficaces dans l’utilisation de l’énergie. Le rendement moyen de 29 pêcheries d’Atlantique Nord est de 9,5%. Ce rendement est seulement dépassé de peu par les élevages de moules (10%) et surtout les élevages traditionnels de carpes en Indonésie (70%). Le rendement de la production de lait et de dindes aux Etats-Unis est de 7%, celui du porc de 5,6%, du poulet 2,9%, du bœuf 1,9%. (2) La pêche est aussi attaquée pour son impact négatif sur la biodiversité, mais là encore, la comparaison est nettement à l’avantage de la pêche. Elle entraîne une perte moyenne de 30% de la biodiversité. Même le chalutage, considéré comme si destructeur par les ONGE, ne réduit la biodiversité que de 27% en moyenne avec un impact plus faible sur les fonds vaseux. Aucune activité agricole, même l’agriculture biologique, n’a d’impact aussi faible sur la biodiversité puisqu’il faut défricher et retourner la terre pour créer des sols cultivables. Ne parlons pas des activités industrielles ou de l’urbanisation ! En fait la pêche est une des activités productives les plus écologiques et respectueuses de l’environnement. Elle ne touche qu’exceptionnellement la productivité primaire alors que toute activité agricole la modifie. Le danger le plus grave pour les océans vient de la destruction ou du développement de planctons toxiques liés aux pollutions d’origine terrestre. Tous ces éléments en faveur de la pêche et de l’aquaculture traditionnelle ne signifient nullement qu’il n’y a pas de problèmes dans le fonctionnement de ces activités mais on est loin d’assister à une catastrophe généralisée, aux effets irrémédiables. On applique à la pêche seule l’obligation de préserver l’intégrité des écosystèmes alors que toute la vie des sociétés humaines a été basée sur une transformation permanente des écosystèmes, terrestres et marins. Il reste à réaliser ces transformations de la manière la plus durable possible, mais là encore, il faut définir les objectifs et la nature de cette durabilité qui reste aujourd’hui largement restreinte à ses aspects environnementaux.

IL N’Y A PAS CRISE DE LA RESSOURCE MAIS CRISE DE LA GOUVERNANCE DES PECHES

« Le poisson pourrit par la tête » disent les pêcheurs et c’est donc dans la manière d’assurer la gouvernance complexe de la pêche qu’il faut chercher la racine des maux que subissent les ressources et les pêcheurs. Il n’y a pas de catastrophe généralisée et irrémédiable des ressources. Les problèmes de surpêche ne sont pas nouveaux et les pêcheurs ont toujours dû s’adapter à l’évolution des ressources qu’elle soit due à la surpêche ou aux aléas naturels. Ils n’y ont pas toujours réussi en gérant les ressources puisqu’ils avaient la possibilité de rechercher ailleurs. Cette possibilité n’existe plus, ou ne devrait plus exister, car elle s’exerce aux dépens d’autres pêcheurs plus faibles. Il est clair aussi qu’on ne pourra pas augmenter la pression de pêche ou le niveau global de captures, même si localement la restauration de stocks permet de pêcher plus. Les pêcheurs doivent faire face à de nouvelles préoccupations (biodiversité) et de nouveaux défis comme l’énergie, mais ce dernier n’est pas spécifique à la pêche.

Les problèmes de la pêche ne sont pas seulement liés aux ressources. Celles-ci peuvent être en bon état, mais la pêche reste non rentable si la valorisation sur les marchés est trop faible ou s’il y a surinvestissement. Enfin on constate partout dans le monde une désaffection des jeunes pour l’activité, même s’il reste des passionnés. C’est un métier difficile qui procure des revenus aléatoires, entraîne une vie familiale au rythme très particulier. En fait la crise de la pêche est liée aux hommes, à leur accès au métier, au partage des ressources, aux conditions de travail et à la gouvernance. Les pêcheurs ont perdu le contrôle de leur activité au profit de scientifiques, de fonctionnaires, d’instances politiques, d’intérêts économiques et financiers très puissants, parfois d’ONGE. Dans toutes les sociétés, ils sont politiquement marginalisés, leur voix n’est plus entendue. Scientifiques, ONGE et institutions internationales tendent à imposer de nouvelles valeurs comme l’intégrité des écosystèmes, qui n’ont pas de sens pour les pêcheurs.

De nombreux écologistes et scientifiques, de puissants lobbies, préparent le terrain pour la privatisation des ressources marines. Ils considèrent que la valorisation par le marché permettra une meilleure gestion et un meilleur contrôle. Tous ces acteurs veulent imposer un nouveau consensus autour de leur choix de valeurs et de priorités : une gouvernance de la pêche centrée sur l’intégrité des écosystèmes, une pression de pêche la plus faible possible et une marginalisation des pêcheurs. De tels choix méritent un débat public, aujourd’hui inexistant du fait de la toute puissance médiatique de ce courant. Une faible pression de pêche assure effectivement un moindre impact écologique, une rentabilité très élevée, mais au prix d’un niveau d’emploi et d’une production faibles. En poussant le raisonnement à son terme, certains en arrivent à préconiser l’interdiction totale de la pêche car cela permet à la fois de préserver les océans et de valoriser la biodiversité par la plongée et le tourisme. Ce faisant ils oublient de considérer les impacts sociaux et alimentaires d’une telle mesure et bien sûr l’impact écologique considérable du tourisme. Un tel raisonnement est déjà à la base du développement de nombreuses réserves intégrales. (3)

La gouvernance des pêches impose de faire un choix entre divers objectifs et donc des compromis. Les objectifs sont écologiques (intégrité des écosystèmes), économiques (profit), biologiques (rendement biologique maximum), sociaux (emploi). A chaque objectif prioritaire correspond un niveau de l’effort de pêche. Cet effort croît en passant de l’objectif écologique à l’objectif social. On peut choisir un type de durabilité différent suivant l’objectif prioritaire. On peut en effet considérer que, dans des conditions données, il est nécessaire de maximiser l’emploi, quitte à dépasser l’optimum biologique, sans toutefois risquer un effondrement des ressources. C’est effectivement souvent le cas pour de nombreuses pêcheries, surtout dans les pays du Sud, parce qu’il n’y a pas d’alternatives d’emploi, surtout pour des pêcheurs qui n’ont ni les moyens ni les formations pour accéder facilement à d’autres activités. Beaucoup sont conscients de la réalité de la surpêche, mais ils misent sur l’éducation de leurs enfants pour réduire, à la génération suivante, la pression de pêche. C’est un choix tout à fait raisonnable et rationnel. Il faut donc tenir compte de ces réalités sociales pour mettre en œuvre des améliorations de la gestion ou des mesures en faveur de la biodiversité.

Ce sont de telles réalités sociales qui sont négligées et parfois niées par certains scientifiques et ONGE qui idéalisent leur vision des pêches dans un avenir à moyen terme alors que les pêcheurs doivent assurer leur survie aujourd’hui et demain. C’est donc seulement avec eux que l’on peut améliorer la situation. Ils sont les mieux placés pour définir collectivement les mesures qui leur permettront d’assurer leurs moyens d’existence pour le présent et l’avenir. Aux scientifiques, aux ONGE et aux dirigeants politiques de les aider dans ces choix et de les accompagner, au lieu de fixer autoritairement, et à leur place, des objectifs et des réglementations créant de nouvelles contraintes qui peuvent restreindre leurs capacités d’adaptation. C’est malheureusement sans doute ce qui se passera lors de Rio+ 20, car, s’il y a un pêcheur sur 1000 personnes en charge de définir la nouvelle politique en faveur des océans, et donc de la pêche, ce sera bien un maximum. A la conférence de la FAO de 1984, à Rome, où fut élaborée la nouvelle orientation pour les pêches mondiales, dans le cadre de la Convention de 1982 sur le droit de la mer, les pêcheurs étaient totalement exclus. Pourtant la crise de la ressource était déjà perceptible et surtout le conflit pour son partage. La FAO fit le choix de soutenir l’expansion de pêches industrielles et on a vu les résultats dans les années 1990.

En 2012, un scénario du même genre se prépare, comme à Johannesburg en 2002. Des décisions majeures pour l’avenir des océans seront prises, essentiellement sur la pression de scientifiques biologistes et d’ONGE, mais sans la mobilisation et la présence (sinon anecdotique) des délégués des dizaines de millions de pêcheurs. Scientifiques et ONGE s’appuieront ensuite sur les décisions prises lors de Rio+ 20 pour exiger la mise en œuvre des mesures de contrainte et de restriction pour les pêches ¬réserves intégrales, interdiction d’engins, etc. Les gouvernements n’auront plus qu’à s’exécuter et les pêcheurs à crier dans un désert médiatique leur rage de voir mettre en œuvre des mesures totalement inadaptées aux réalités de leurs territoires.

NOTES
1) Communiqué de presse de l’IFREMER du 5 mars 2012
2) Peter TYEDMERS, fisheries and energy use, Encyclopedia of Energy, Volume 2. éd
Elsevier, 2004
3) Voir le film « La lune et le Bananier » de Daniel Serre, qui décrit l’impact social et
économique d’une réserve naturelle terrestre et marine à Madagascar, 2010

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** Alain Le Sann est président du Festival « Pêcheurs du monde »

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