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Magharebia

Le président du Mali Amadou Toumani Touré a formellement démissionné après avoir été destitué lors d’un coup d’Etat orchestré par les militaires en mars (…). Les militaires allèguent que Touré a mal géré la rébellion des Touaregs qui ont réussi à occuper plusieurs villes-clés dans le nord, déclarant l’indépendance de cette zone et demandant maintenant la reconnaissance internationale. Il est avancé officiellement que les rebelles sont un mélange d’indépendantistes touaregs et d’islamistes liés à Al Qaeda. Nous avons rencontré Firoze Manji, rédacteur en chef de Pambazuka News, qui argumente que l’instabilité politique au Mali, au Sénégal et au-delà, " est alimentée par le fait que nos populations ont perdu au cours des trente dernières années le bénéfice de l’indépendance" et dans une large mesure, ceci est la conséquence de ce qu’il est convenu d’appeler les politiques néolibérales imposées par le FMI et la Banque Mondiale. "

Amy Goodman : Nous commençons l’émission de ce jour par le Mali où le président Amadou Toumani Touré a remis sa démission après que les militaires l’ont destitué au cours d’un coup d’Etat le mois dernier. Le pouvoir va maintenant être transféré au président de l’Assemblée Nationale du Mali jusqu’aux élections prochaine. Touré s’est adressé aux médias affirmant qu’il avait démissionné de sa propre initiative.

Le président Amadou Toumani Touré : Aujourd’hui, en quête de solution je pense que la décision de la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la communauté internationale est la plus judicieuse. Il est nécessaire que le Mali poursuive son chemin selon les dispositions de la Constitution de 1992. Par conséquent, et je crois que c’est normal et je le fais librement et en toute bonne foi et surtout, par amour de ce pays, j’ai décidé de vous présenter ma lettre de démission pour que vous la remettiez aux autorités compétentes afin de permettre le plan et la réalisation pleine et entière des dispositions de l’art. 36 de la Constitution.

Amy Goodman : Vous avez entendu le président Touré du Mali. Il n’était plus qu’à quelques mois de la fin de son dernier mandat lorsque des soldats ont pris d’assaut le palais présidentiel le mettant ainsi en fuite. Alléguant que Touré a mal géré la rébellion dans le nord qui a commencé en janvier, les soldats expliquent que c’est la raison pour laquelle ils ont pris le pouvoir. Les rebelles touaregs ont réussi à prendre le contrôle de plusieurs villes-clés du nord, dont l’ancienne cité de Tombouctou, un trophée majeur dans leur long combat pour l’autonomie du nord. La semaine dernière les Touaregs ont déclarés l’indépendance. Appelant leur Etat Azawad, les Touaregs demandent maintenant qu’il soit reconnu par la communauté internationale. Ils ont cultivé ce rêve de sécession depuis que le Mali est devenu indépendant de la France en 1960. Suite au coup d’Etat du mois dernier, le Mali est maintenant approximativement divisé en deux, avec le nord contrôlé par les Touaregs et le sud par le junte cependant que les groupes humanitaires mettent en garde, disant que le pays est au bord de l’abîme.

Dimanche, des gens du nord, vivant à Bamako, se sont rassemblés dans la ville pour tenter de trouver une solution aux combats qui se poursuivent. Certains Maliens se sont interrogés sur les intentions des rebelles

Benco Maiga : Veulent-ils vraiment l’indépendance ? Parce que, lorsqu’on veut l’indépendance, on ne détruit pas les hôpitaux, les compagnies de crédit, les banques et les dépôts. Si je voulais l’indépendance, je garderais ce que j’ai et attendant d’avoir davantage.

Amy Goodman : Samedi, les meneurs du coup d’Etat ont déclaré que la junte remettrait le pouvoir aux civils dans les jours qui viennent, suite à un accord avec les pays voisins qui lèveront les sanctions et aideront à combattre les rebelles du nord. Les responsables affirment que les rebelles sont un mélange de séparatistes touaregs et d’islamistes liés à Al Qaeda. Voici Jeffrey de Laurentis, président intérimaire du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Jeffrey de Laurentis : Le Conseil de Sécurité condamne sévèrement les attaques persistantes, le pillage et la prise de territoire par les groupes rebelles dans le nord du Mali et exige une cessation immédiate des hostilités. Le Conseil est alarmé par la présence du groupe terroriste Al Qaeda au Maghreb islamique dans la région qui pourrait aggraver la déstabilisation de la sécurité de la région. Le Conseil en appelle aux rebelles pour qu’ils posent immédiatement les armes et demandent à toutes les parties au Mali de rechercher une solution pacifique au travers d’un dialogue politique approprié.

Amy Goodman : Pour plus d’informations sur le Mali, nous sommes maintenant rejoint par Firoze Manji à Montréal au Canada. Manji est le rédacteur en chef du Pambazuka News, un site web panafricaniste pour la justice sociale distingué par plusieurs prix qui lui ont été décernés. Il est ancien directeur d’Amnesty International pour l’Afrique. Récemment, Manji a été le co-auteur d’un livre intitulé "African Awakening : the emerging revolutions"

Firoze Manji, bienvenue à Democracy Now ! Pouvez-vous nous parler de la signification des propos du président du Mali lorsqu’il dit qu’il démissionne et la teneur de cet accord ?

Firoze Manji : Bonjour Amy. Je ne pense pas que ce soit aussi dramatique que ce que l’on veut bien dire. Il devait - même si le coup d’Etat n’avait pas eu lieu – quitter le pouvoir à la fin avril de toute façon. Je ne pense pas qu’il avait le choix. Cela fait probablement partie des négociations avec les jeunes officiers pour qu’ils renoncent au pouvoir. Et donc, je n’attacherais pas une grande importance à cela. Je pense que beaucoup plus graves sont les menaces proférées par la CEDEAO dont nous venons juste d’entendre parler. Les Etats membres menacent d’une intervention armée au Mali. Et s’ils mettent à exécution leur menace, nous pourrions nous retrouver avec une situation terrible et tragique.

Je pense que nous avons au Mali une situation très complexe. Nous avons, d’une part, des sous-officiers juniors, qui n’avaient pas de véritables plans ou d’idées sur ce qu’ils voulaient, sauf qu’ils étaient démoralisés par la défaite qu’ils ont subi face au Mouvement National de Libération de l’Azawad. Ce que les gens appellent les Touaregs sont en fait un mouvement unifié nommé Azawad. Et dans l’état actuel des choses ils ont conquis ce qui fait partie de leur terre traditionnelle, environ 50% du territoire du Mali. En fait, il ont occupé le territoire, ils ont organisé un cessez-le-feu. Ils ont eu ce qu’ils ont voulu.

Toutefois, la situation est encore compliquée, en raison de mouvements comme Al Qaeda au Maghreb, qui a perpétré toutes sortes d’activités terroriste et la personne des Nations Unies que vous venez de citer, insinue que c’est le mouvement Azawad qui a commis ces actes terroristes. C’est loin d’être vrai. En fait, les fuites récentes orchestrées par Wikileaks, suggèrent que le gouvernement du Mali a été de mèche avec AQMI dans le but précisément de miner les efforts du peuple Azawad pour gagner l’indépendance.

Amy Goodman : Le Conseil de Sécurité des Nations Unies a condamné le coup d’Etat au Mali et a mis en garde contre la présence de Al Qaeda au Mali. Voilà de nouveau l’Américain Jeffrey de Laurentis des Nations Unies.

Jeffrey de Laurentis : Le Conseil de Sécurité réitère sa ferme condamnation de la prise de pouvoir par la force au détriment du gouvernement malien démocratiquement élu, par certains éléments des forces armées maliennes et réfère à sa déclaration à la presse du 22 mars 2012 ainsi qu’à la déclaration présidentielle du 26 mars 2012. Le Conseil demande que les mutins garantissent la sécurité de tous les fonctionnaires maliens et exige une libération immédiate de ceux détenus. Le Conseil réitère son appel pour une restauration immédiate de la souveraineté constitutionnelle et du gouvernement démocratiquement élu et la préservation du processus électoral.

Amy Goodman : C’était Jeffrey de Laurentis, le représentant alternatif des Etats-Unis pour les affaires politiques spéciales aux Nations Unies. Votre réponse Firoze Manji ?

Firoze Manji : Je pense que cela c’est déjà produit. Je pense que ces sous-officiers n’avaient vraiment aucune idée de ce qu’ils faisaient, autrement que d’exprimer leur frustration suite à la défaite. Et je pense qu’ils vont maintenant remettre le pouvoir au président de l’Assemblée Nationale. Et ils vont tenter de négocier et de servir de médiateurs avec le Mouvement National pour la Libération de Azawad.

Ce que je crains c’est qu’il y aura beaucoup de sang versé, parce que ce n’est que le cinquième soulèvement, je crois, des Azawad. Le premier a été en 1916-1917 puis en 1963 et encore en 1991 et enfin en 1996. Nous avons donc eu plusieurs soulèvements mais celui-ci a réellement été exceptionnel. Pour la première fois, on se trouve devant un front unifié qui rassemble de nombreux mouvements pour la libération de l’Azawad. Et vous savez, ce sont des gens qui occupent pour des siècles et des siècles. Ce sont des bergers. Des gens du désert qui historiquement ont occupé des territoires qui incluent la Mauritanie, le Burkina Faso, l’Algérie et, au nord, une partie de la Libye. Ainsi nous avons une situation où il y a un mouvement de libération nationale qui veut libérer son propre peuple et qui veut son propre territoire. Mais je crains que ni le gouvernement du Mali ni la CEDEAO ou la communauté internationale ne vont accéder à leur demande. Et ceci va être réellement tragique.

Amy Goodman : Firoze Manji…

Firoze Manji : et nous devons être conscient…

Amy Goodman : … Si vous pouviez expliquer le rôle de la Libye et de la chute de Kadhafi dans ce tableau et nous parler des rebelles touaregs. Pour certains c’est la première fois qu’ils entendent le terme Touaregs.

Firoze Manji : Il y a eu beaucoup d’articles de presse et de publicité, alléguant que la chute de Kadhafi a conduit à cette forme particulière de rébellion. Il y a certainement de nombreuses personnes qui ont été entraînées dans l’armée de Kadhafi qui provenaient d’une population appelée les Touaregs. Et beaucoup d’entre eux sont rentrés chez eux après la chute de Kadhafi. Ils sont retournés au Mali. Peut-être la moitié d’entre eux a rejoint les rangs du mouvement touareg, mais l’autre moitié est descendue à Bamako, la capitale du Mali et a rejoint les forces maliennes déclarant qu’ils étaient Maliens. Il n’est donc pas absolument clair que ceux revenus de Libye ont tous rejoint le mouvement national de libération.

En ce qui concerne les Touaregs, c’est une population qui a occupé de vastes régions en Afrique. Elles vont du Maroc à la Mauritanie et au Burkina Faso. Il faut comprendre que ce sont des bergers. Ils ont été traditionnellement nomades, vont d’un endroit à l’autre et ont été incorporés au Mali parce que le gouvernement colonial français a simplement divisé le territoire selon son souhait d’exploiter les ressources du Mali. Et souvenez-vous que le Mali a des gisements substantiels d’or, de pétrole et de gaz. Ainsi la population touareg est apparentée à une grande communauté qui s’étend sur toute l’Afrique du Nord et dans de nombreuses parties de l’Afrique de l’Ouest. Ils ont cherché à avoir leur propre Etat, ce qui n’est pas déraisonnable. Il y a eu de nombreuses tentatives pour former un mouvement susceptible de libérer leur territoire. Ce qui leur a été refusé par la communauté internationale et par le gouvernement français. De fait les Etats-Unis ont une présence militaire dans la région nommée AFRICOM et il n’y a pas de doute qu’ils se sont activés pour empêcher la mise sur pied d’un mouvement de libération, le mouvement Azawad, comme les Touaregs se nomment eux-mêmes, afin de les empêcher d’accéder à l’indépendance.

Amy Goodman : quelle est la relation entre l’AFRICOM, l’Union africaine et la CEDEAO ?

Firoze Manji : D’un point de vue formel aucun pays africain, à l’exception du Liberia, et plus récemment de la Libye, n’a accepté la présence d’AFRICOM et de présence militaire en Afrique. Bien que ce soit là l’aspect formel. Car de fait, AFRICOM a été présent depuis de nombreuses années dans la région. Les militaires américains ont certainement été actifs en Algérie, juste au nord du Mali, et ont eu une présence dans de nombreux autres pays africains. Imaginez que des troupes kényanes occupent une partie des Etats-Unis. Je doute que la population américaine verrait cela d’un très bon œil. Et je crois que la population africaine a une réaction similaire : elle ne veut pas de troupe étrangère sur son territoire.

Amy Goodman : Et comment la situtation au Mali peut-elle être perçue en relation avec ce qui se passe au Sénégal ?

Firoze Manji : C’est une bonne question ! Nous voyons dans toute l’Afrique - tout le monde est au courrant du Printemps arabe - l’avènement de la révolution en Tunisie et en Egypte, avec la destitution des dictateurs là-bas. Mais nous voyons aussi un mécontentement croissant qui se fait jour dans tout le continent. Au Sénégal, l’ancien président Abdoulaye Wade a tenté de changer une seizième fois la Constitution afin de gagner les élections avec seulement 25% des voix. Mais les jeunes sont descendus dans la rue et il y a eu des manifestations énormes. Malheureusement environ 6 personnes sont mortes lors de ces protestations. Mais ces manifestations ont fait en sorte que le changement de la Constitution n’a pas été possible. De là on est allé à des élections qui ont conduit à la victoire de Macky Sall. Et c’est une immense victoire.

Cela fait partie d’un phénomène général qui a cours sur tout le continent, qui résulte du fait qu’au cours des trente dernières années notre population a perdu tous les acquis de l’indépendance. Nous avions des soins de santé gratuits. Nous avions accès gratuitement aux écoles, à l’eau, nous avions nos propres infrastructures de télécommunications. Tout ce que nous avions gagné par l’indépendance a été perdu et cette perte je l’impute à l’implantation de ce que j’appelle les politiques néolibérales qui ont été imposées à de nombreux pays africains par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale. Au cours des trente dernières années on a vu les gens aux prises avec un chômage massif, avec la dépossession de leurs terres, de leur emploi et avec un déclin du niveau de vie. Mais ce qu’il y a eu de pire au cours des trente dernières années a été la dépossession politique, qui laisse la population avec le sentiment que les gouvernements sont plus prompts à rendre des comptes aux banques et aux multinationales plutôt qu’à leurs propres citoyens. Et vous savez, je pense que les gens sont outrés que leur gouvernement fasse plus de cas de ces multinationales que de leurs propres citoyens.

Au Mali, par exemple, dans le nord Est, exactement dans la région où la révolution Azawad a eu lieu, il y a une région où des terres ont été remises à une compagnie pétrolière canadienne également impliquée dans l’exploitation de l’or dans d’autres régions du Mali. Et ainsi, voyez-vous… ils ne font aucun investissement au Mali même. La compagnie ne fait que d’extraire le pétrole. Elle ne paie pratiquement pas de taxes du tout. Et elle a le droit d’exporter la totalité de ses profits. Et donc le Mali, la population du Mali ne profite en rien. Et, en effet, les Touaregs, dont ils occupent les terres, n’en profitent pas non plus.

La même situation a cours au Sénégal. Et bien que ce soit une grande victoire que Macky Sall ait remporté la présidentielle, de fait il est lui-même directement impliqué et a des actions dans nombres de multinationales qui extraient du pétrole et des minerais.

Ainsi nous avons une situation dans une bonne partie de l’Afrique où nos dirigeants sont impliqués dans des multinationales. Et je crois qu’il y un mécontentement croissant chez les gens qui ont le sentiment qu’ils n’ont aucun moyen pour déterminer leur destinée. Dès lors, l’autodétermination est devenue un dynamique vitale sur tout le continent. Et je crois que le soulèvement du mouvement national de libération Azawad, que les gens appellent les Touaregs, participe aux mêmes sentiments. Celui de la perte de l’autodétermination

Amy Goodman : Firoze Mani, merci beaucoup d’avoir participé à notre émission

Firoze Manji : merci de m’avoir invité

Amy Goodman : Merci. Le rédacteur en chef du Pambazuka News, un site web panafricaniste pour la justice sociale distingué par des prix, Firoze Manji est l’ancien directeur d’Amnesty International pour l’Afrique. Récemment il a été le co-auteur d’un livre intitulé "African Awakening : the emerging revolutions"

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* Cette interview avec Democracy Now! (Democracynow.org) a été traduite de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger


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