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Tout en préparant le terrain avec un compte de comment et pourquoi l’Afrique a développé son propre système de protection des droits humains et des peuples, Hakima Abbas conclut que le succès de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, malgré « le manque apparent de volonté politique du côté des Etats et Gouvernements africains de tenir les uns et les autres responsables des violations des libertés fondamentales », réside principalement dans l’engagement distinctif de la société civile.

L’Afrique continue, depuis l’indépendance au colonialisme, d’être témoin de violations flagrantes des droits humains. Du génocide au Rwanda qui a fait quelque huit cent mille morts dans une période aussi courte qu’une centaine de jours, à la violence qui se poursuit en République Démocratique du Congo (RDC) qui a coûté la vie à plus de quatre millions de personnes, soient mille personnes par jour. Le continent abrite quelque cent vingt mille enfants soldats – plus d’un tiers de l’effectif mondial. L’Afrique a plus de personnes déplacées à l’intérieur que le reste du monde combiné, avec plus de treize millions de gens qui ont été forcés à fuir leurs domiciles et trois millions et demi qui ont traversé les frontières internationales en tant que réfugiés. L’impact du VIH/SIDA a dévasté des communautés entières, tandis que l’accès à la santé et à l’information reste limité pour certains des gens les plus pauvres du monde.

Alors que la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) reconnaissait et respectait les principes inclus dans la Charte des Nations Unies et dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), l’organisation était fermement enracinée dans la doctrine de non-interférence entre Etats ayant été établie pendant l’ère de la libération où l’unité et la solidarité contre le colonialisme étaient la première force motrice d’avant-garde pour l’institutionnalisation du panafricanisme. Les concepts de souveraineté et d’indépendance qui ont fait de l’OUA un corps efficace contre la colonisation furent plus tard utilisés pour étouffer la protection des droits humains par l’implication de l’apathie politique envers l’abus par les Etats africains contre leurs propres gens.
À la suite de l’adoption en 1963 de la Charte de l’OUA, les Chefs d’Etats africains furent invités à examiner la possibilité d’adopter une Convention Africaine des Droits de l’Homme. A cette époque, les Etats et les autres auteurs de violations des droits humains sur le continent se servaient souvent d’un argument relativiste culturel pour dissiper les critiques et résister au changement en politique et en pratique. Accusant de « néo-colonialisme » les défenseurs de droits humains à l’extérieur et au niveau national et appelant le concept même de droit humain « une valeur occidentale », ils ne sont pas parvenus à reconnaître ou à être tenus responsables des principes et normes africains de droits humains qui restent à incorporer formellement dans un système de Charte. Ceci devait changea suite, en premier lieu, aux efforts de l’Association des Juristes Africains[1]. Aussi tôt que 1961, les juristes africains se sont regroupés sous les auspices de la Commission Internationale des Juristes et ont formulé le concept d’une Charte et d’une Cour africaines des droits humains. Pourtant, ce n’est qu’en 1979, après des appels répétés de la part de ces juristes, que l’OUA sous la direction du Togolais Edem Kodjo a finalement abordé la question de droits humains et de rendre claire l’interconnexion avec le développement africain. A la fin de la même année, un comité d’experts s’est réuni à Dakar, sous la direction de l’OUA, pour rédiger le projet d’une charte des droits humains. La Charte Africaine des Droits Humains et des Peuples fut finalement adoptée à Nairobi, Kenya, en juillet 1981.
Le système africain de droits humains et des peuples est à la fois universel en caractère et distinctement africain dans son champ et dans ses principes. Maintenant sous les auspices de l’Union Africaine[2] (UA), l’Afrique a une richesse de mécanismes de droits et de norms[3] de droits humains, au centre desquels se trouve la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Contrairement aux autres traités de droits humains, la Charte Africaine reconnaît de façon unique les droits collectifs, les devoirs individuels et les droits de la troisième génération, tandis qu’elle souligne aussi de manière caractéristique l’interdépendance entre les droits politiques et civils avec les droits économiques, sociaux et culturels. Suivant son adoption en 1981, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples n’est entrée en vigueur qu’en 1986 mais elle a été depuis lors ratifiée par tous les 53 Etats de l’Union Africaine et elle est largement reconnue au sein de l’Afrique, du moins théoriquement, comme fixant les normes de protection des droits humains.

Alors qu’au sein de la communauté internationale certains gens mettent en doute la nécessité des mécanismes régionaux de protection étant donné le précepte même d’universalité intégré dans les droits humains, il est généralement admis que l’avantage de tels mécanismes soit l’intérêt commun des Etats au sein du bloc régional de respecter les droits humains, l’habileté de ces Etats et de leur société civile de s’influencer mutuellement, de même que l’habileté de définir les normes de droits humains basées sur des valeurs partagées au sein d’une region[4]. De tels mécanismes régionaux de droits humains existent également en Amérique et en Europe.

La Charte a posé les jalons pour la création de la Commission Africaine des Droits De l’Homme et des Peuples (CADHP), qui fut établie en 1987. La Commission a pour mission de promouvoir et de protéger les droits incorporés dans la Charte Africaine en examinant les rapports périodiques des Etats sur la mise en oeuvre au niveau national et le respect des droits repris dans la Charte; contribuant au développement et à la définition des normes et principes des droits humains sur le Continent; en écoutant les plaintes des Etats, de la société civile et des individus sur les violations des droits humains et des peuples, en produisant des rapports contenant les conclusions indiquant si les abus sont survenus et en faisant des recommandations à l’Etat et aux autres auteurs de remédier à ces violations; effectuant des missions de constatation des faits et mettant sur pieds des procédures spéciales, telle que l’affectation de Rapporteurs Spéciaux et d’Equipes de Travail, sur les questions saillantes sur le Continent.

Alors que les principes de la Charte ont été largement adoptés à travers l’Afrique, comme l’a été le mandat de la Commission, le principe de non-ingérence entre les Etats semble avoir été toujours retenu. A ce jour, la Commission Africaine n’a entendu qu’une seule plainte inter-Etats depuis sa création. Malgré le manque apparent de volonté politique du côté des Etats et Gouvernements africains de tenir les uns et les autres responsables des violations des libertés fondamentales, le succès de la Commission réside d’abord dans la collaboration avec la société civile dans son travail. La Charte des Droits De l’Homme et des Peuples ne définit pas de manière explicite qui est capable de saisir la Commission des complaintes individuelles mais la Commission elle-même a interprété la Charte de telle façon qu’elle permette largement aux individus et aux ONGs de déposer des plaintes. De plus, à chaque session de la Commission, un Forum des ONGs, actuellement organisé par le Centre Africain Pour les Etudes des Droits Humains et de la Démocratie (ACHRDS) précède à l’ouverture officielle et aux débats. Le Forum des ONGs s’est dressé comme une partie importante du travail de la Commission en fournissant des rapports sur les situations thématiques et régionales de même qu’en offrant une plateforme de plaidoyer et d’action conjoints de la société civile. En reconnaissant la contribution importante de la société civile au travail de la Commission, le communiqué final du forum des ONGs est délivré oralement aux représentants des Etats, aux Commissaires, et à la société civile pendant la cérémonie d’ouverture de chaque session de la Commission. Le Forum des ONGs a réussi à mettre les questions d’importance à l’ordre du jour de la Commission et à fournir une information alternative que la Commission doit tenir en compte en même temps que les rapports des Etats. En outre, le Forum des ONGs a montré sa valeur inestimable dans la création d’un réseau d’organisations de la société civile vibrantes qui collaborent efficacement avec les décideurs politiques et les institutions panafricaines pour créer un véritable changement en Afrique. Non seulement tenant les Etats et les gouvernements responsables, le Forum des ONGs a efficacement poussé pour une plus grande insistance sur le travail de la Commission à l’Union Africaine, contribuant ainsi à l’avancement d’une culture de respect des droits humains sur le Continent.

En novembre 2007, la Commission va célébrer sa vingtième année d’opération lors de sa 42ème session ordinaire au Congo Brazzaville. À ce stade de l’évolution de la Commission et avec l’opération éminente de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples[5], il est important de faire une évaluation critique des succès, des défis et de l’efficacité du système de droits humains en Afrique. La seule véritable mesure d’une telle évaluation est faite des changements en réalité pour les individus et les communautés à travers le continent. Grâce à cet instrument de mesure, il est difficile d’ignorer les échecs de ce système pendant que nous observons les tragédies au Darfour, la crise en cours au nord de l’Ouganda, les violations répandues des droits de la femme, l’usage systématique de la torture et d’autres punitions cruelles et dégradantes, parmi d’autres violations qui continuent de se répandre en Afrique. Etant donné que l’Etat est en premier lieu responsable de garantir les droits humains et des peuples, ce n’est pas illogique de penser que sans la volonté politique de respecter ces droits, les violations continueront sans diminuer. Mais même au-delà de la volonté des Etats de se tenir les uns et les autres et eux-mêmes responsables, les systèmes africains des droits humains fait face à des défis fondamentaux. Parmi ces derniers, il y a tout simplement le manque de connaissance de ces droits et mécanismes à travers le Continent. Il est en fait vrai qu’il y a un fossé entre les décisions prises dans la plupart des institutions panafricaines et les gens du Continent directement affectés par ces décisions. Cependant, ce fait est particulièrement dangereux lorsqu’on a affaire avec la Commission puisque ses recommandations et décisions ne sont pas obligatoires, ainsi, elles dépendent lourdement de la volonté politique pour ce qui est de la mise en application. Pourtant, la détermination des Etats à mettre en oeuvre les recommandations de la Commission continuera de manquer aussi longtemps qu’il n’ y a pas de pression interne pour la concrétisation. Pour que les Africains tiennent leurs Chefs d’Etats et de Gouvernements responsables de leurs obligations sous la Charte et des décisions de la Commission, il faut qu’il y ait une grande vulgarisation et une promotion de ces droits et recommandations. La Commission, les Etats eux-mêmes et la société civile devraient prendre le devant dans cette sensibilisation nationale et dans la campagne d’institutionnalisation. De même, la presse devrait jouer un rôle essentiel. Des suggestions ont été en outre faites que le système africain des droits humains doit être intégré dans la culture juridique en Afrique en faisant une partie inhérente du curriculum au sein des universités et des écoles de droit à travers le Continent. Cette institutionnalisation juridique au niveau national assurerait que le système de la Charte est cité dans la jurisprudence nationale et utilisé par les juristes qui vont, à leur tour, le rendre accessible à leurs clients[6].

L’obstacle actuel à la large publicité de la Charte et des décisions de la Commission a été largement le manque d’un effort multi-actionnaire concerté à travers le Continent. Cependant, la Charte elle-même contient une disposition, dont on n’a pas entendu parler dans d’autres systèmes de droits humains, ce qui exige que l’Assemblée des Chefs d’Etats et de Gouvernements approuve les rapports de la Commission avant qu’ils deviennent publics[7]. A ce sujet, l’Assemblée a approuvé la publication des rapports de la Commission. Pourtant, en 2004, cette procédure, qui auparavant avait été prise pour un acquis, fut soumise à l’examen minutieux au moment où la publication du rapport d’activités de la Commission sur la mission de constatation des faits au Zimbabwe était reportée par l’Assemblée en se basant sur la prétention par le gouvernement du Zimbabwe qu’on ne lui avait pas donné l’opportunité de répondre. Cet antécédent unique souligne le danger, spécialement dans des situations politiques aussi conflictuelles que la crise au Zimbabwe, que les décisions de la Commission ont la potentialité d’être rendues vieillies si les Chefs d’Etats et de Gouvernements africains les réduisent au silence.

De plus, pour que les mécanismes, les institutions et les opportunités de plaidoyer en Afrique soient efficaces, le système doit être utilisé dans sa portée maximale. L’usage des lois crée des antécédents, l’usage du forum de plaidoyer fait naître la responsabilité et l’usage durable des mécanismes augmente leurs pouvoirs d’applicabilité. Cependant, l’impact potentiel du plaidoyer direct au sein de l’Afrique a été très peu accentué par les ONGs internationales et les ressources soumettent à des contraintes les défenseurs nationaux ou locaux des droits humains. Ce système est défavorablement sous-utilisé, la plupart de solutions aux violations de droits humains en Afrique étant cherchées en dehors du Continent. Alors qu’une stratégie mondiale est nécessaire, ce dont on a besoin, en complément à l’insistance actuelle sur la protection internationale, est une nouvelle approche qui tire ses origines du Continent, qui embrasse le système de protection et de promotion existant en Afrique, et offre une réponse panafricaine proactive aux violations. Alors que l’une des forces de la Commission Africaine est la collaboration distinctive avec la société civile, c’est un nombre d’organisations africaines de droits humains sélectionnées qui ne se lassent pas qui ont créé l’espace de leur collaboration dans le système à travers le forum des ONGs et d’autres plateformes. Alors qu’au niveau de l’Union Africaine les efforts ont été faits par les Etats pour bloquer l’accès et la collaboration significative avec la société civile en créant des critères pour le statut d’observateur qui favorisent les ONGs Gouvernementales plutôt que les organisations indépendantes de la société civile[8], les critères pour le statut d’observateur à la Commission elle-même permettent à une vaste gamme d’organisations de la société civile et aux individus de lui apporter des plaintes. Cependant, l’accès à la Commission et la collaboration avec elle, comme c’est le cas avec les autres institutions panafricaines, favorisent les ONGs internationales à cause du manque de ressources, la compréhension de l’impact potentiel, et l’accès à l’information disponible aux défenseurs de droits humains aux niveaux national et local. Pourtant ce sont ces organisations de la société civile locales et nationales et ces activistes qui sont critiques pour assurer la mise en oeuvre nationale des droits inclus dans la Charte et la mise en application des recommandations de la Commission. Malgré ceci, le Forum des ONG est parvenu à amplifier et tente d’amplifier de manière critique la voix des défenseurs africains de droits humains au cours des débats. De tels efforts doivent être soutenus et répandus pour que la Commission soit renforcée.

En 2005, la Commission Africaine a publié en moyenne 10 décisions par an, comparativement à la Commission Inter-Américaine des Droits de l’Homme, qui a pris des décisions dans approximativement 100 dossiers par an. Il y a plusieurs raisons à cette énorme différence, cependant, l’aspect budgétaire est considérable: la Commission Africaine a un budget de 200.000 dollars pour chaque session, tandis que la Commission Inter-Américaine a un budget annuel de 2,78 millions de dollars et 1,28 million de dollars en contributions extérieures et, comme pour la Commission Africaine, tient deux sessions par an[9].

En plus des considérations budgétaires pour renforcer le système des droits humains, les traités complémentaires à la Charte Africaine ont la potentialité de renforcer le respect des droits humains et des peuples en Afrique. Actuellement, la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant, qui est entrée en vigueur en 1999, a été ratifiée par trente-sept Etats et créé le Comité sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant en vue de promouvoir et de protéger les droits de l’enfant. Cependant, si la Commission reste obscure à beaucoup de gens sur le Continent, le Comité reste largement inconnu. Pourtant, d’autres efforts de compléter le système ont été plus une réussite. En novembre 2005 le Protocole à la Charte Africaine des Droits De l’Homme et des Peuples relatif aux Droits de la Femme en Afrique est entré en vigueur. Ayant été adopté par l’Union Africaine en 2003, le Protocole est le traité africain qui est entré en vigueur le plus rapidement. Ce succès est dû en premier lieu aux efforts inlassables des activistes des droits de la femme et des défenseurs des droits humains à travers le continent qui ont formé des coalitions, tel que le mouvement de Solidarité pour les Droits de la Femme en Afrique (SOAWR), pour plaider régionalement et nationalement en faveur de la ratification immédiate du Protocole sans réserve. Prouvant que la protection et la promotion des droits humains sont tout simplement aussi fortes que le mouvement de leurs défenseurs, comme le suggère Dr. Issa Shivji[10], le Protocole pose les jalons pour une plus grande protection des droits humains de la femme sur le Continent.

Alors que la Charte Africaine, sous l’article 18 (3) aborde les droits de la femme, il est faible par son manque de définition de la discrimination, de l’étendue des droits énumérés et sa mise d’accent sur la tradition qui a été utilisée, dans certains cas, pour justifier la violation des droits de la femme. Le Protocole, cependant, est perçu comme ouvrant la voie dans son ampleur de droits. Bien que les Etats semblent avoir volontairement adopté le Protocole, beaucoup l’ont fait avec des réserves qui sont opposées aux principes mêmes du Protocole. Il reste également à voir comment ces Etats mettent en oeuvre les droits incorporés dans le traité au niveau national Ce qui semble certain, cependant, est que les Etats seront tenus responsables des engagements qu’ils ont pris sous le Protocole si le mouvement féministe africain applique à la phase d’appropriation et de mise en application la même détermination et la même coordination qu’il a utilisées pendant la phase de l’entrée en vigueur du Protocole.

En plus du système de traité spécialisé qui complète la Charte Africaine des Droits De l’Homme et des Peuples, l’Union Africaine a finalement créé la Cour Africaine des Droits De l’Homme et des Peuples pour compléter la protection de la Commission. Le Protocole portant création de la Cour Africaine est entré en vigueur en 2004, après six ans d’attente des quinze ratifications réglementaires par les Etats, mais il lui reste à devenir totalement fonctionnel. Alors que la société civile espère que la Cour peut incorporer les leçons tirées par la Commission de vingt ans d’expérience, la volonté politique qui manque tant pour pousser le travail de la Commission vers les priorités de l’Union Africaine semble toujours manquante en ce qui concerne la Cour. A une étape controversée, l’UA a décidé en juillet 2004 de fusionner la Cour avec la Cour Africaine de Justice. Ce qui reste imprécis est de savoir si cette fusion, telle qu’elle est toujours totalement définie, va faire que l’adjudication des affaires de droits humains soit retardée à cause des différences en juridiction, règlements et procédures des deux cours.

La création de la Cour est bien reçue parce qu’elle fournit un recours juridiquement obligeant pour les rescapés et les victimes des violations de droits humains contrairement aux recommandations de la Commission qui dépend si gravement de la volonté politique pour ce qui est de l’application. Cependant, sa potentialité de jouer un rôle clé dans le processus d’offrir aux victimes le remède est handicapée par le fait que, contrairement à la Commission, les individus et les ONGs sont incapables de saisir la Cour directement à moins que l’Etat concerné n’ait fait une déclaration sous l’article 34 (6) du Protocole portant création de la Cour. Etant donné les données des plaintes inter-Etats à la Commission Africaine[11], cette disposition a la potentialité de rendre la Cour insensible, mettre fin aux affaires qui sont transférées de la Commission. La complémentarité entre la Cour et la Commission reste également imprécise. Par exemple, Christof Heyns suggère que si effectivement les Etats faisaient la déclaration permettant l’accès à la Cour par les individus et les ONG, la stipulation qu’un tel accès soit direct pourrait gêner la Commission puisque les rescapés et les victimes seraient forcés de choisir, dès le départ, entre la décision potentielle juridiquement obligeante de la Cour et l’annulation de l’opportunité de saisir la Cour en portant une communication à la Commission, le meilleur résultat étant une recommandation non-obligeante[12]. Il faut certainement résoudre cette question et d’autres semblables si la Cour doit renforcer le système africain des droits humains.

En plus du supplément des Protocoles additionnels et des mécanismes de protection, d’autres organes de l’Union Africaine qui s’occupent de la bonne gouvernance, du développement, de l’Etat de droit et des droits humains, servent de supplément au travail de la Commission. Parmi les plus remarquables figurent le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) et son mécanisme associé, le Mécanisme Africain d’Evaluation par les Pairs (MAEP), qui fait le suivi de la manière dont les Etats respectent leurs obligations sous les traités régionaux. Il est vital que ces processus soient harmonisés avec le travail de la Commission pour assurer la plus haute protection des droits humains et des peuples. Les objectifs du MAEP sont basés sur les quatre domaines prioritaires de la Déclaration sur la Gouvernance Démocratique, Politique, Economique et des Entreprises[13]. Moins largement accepté que la Charte Africaine, le MAEP a obtenu l’accès de quelque 23 Etats Africains. Comme la Commission, le MAEP n’a pas de mécanisme de mise en application mais il a été un processus important nationalement dans les quelques pays où le processus a été mené puisqu’il a inclus beaucoup d’intervenants, y compris la société civile, et il reçu l’attention régionale. Les décisions de la Commission, ses recommandations et conclusions peuvent et devraient fournir une référence à la revue du MAEP. Bien plus, la Commission devrait participer à la préparation du rapport de fonds et des visites de revue du MAEP dans les pays où les communications ont été entendues et où on a trouvé que des violations de droits humains et des peuples se sont produites, permettant ainsi le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre des décisions de la Commission via des revues consistantes du MAEP[14]. Ce respect par les Etats des conclusions et recommandations de la Commission devrait être explicitement révisé à travers le MAEP en tant que moyen de renforcer la mise application et la protection des droits humains et des peuples.

En conclusion, comme la ‘Renaissance Africaine’ du nouveau millénaire est formée avec le précepte auto-déterminé des solutions africaines à des problèmes africains, il est crucial que la protection régionale des droits humains et des peuples soit renforcée. En effet, la Charte et la Commission Africaine donnent une bonne fondation, malgré que cela ne manque pas de faiblesses inhérentes, pour garantir la protection de ces droits. Comme la Commission progresse vers sa troisième décennie d’existence, les défis, les échecs et les succès de son travail doivent être évalués de façon critique et des leçons en être tirées. Afin de renforcer la protection dont la Commission est chargée, les Chefs d’Etats et de Gouvernements Africains, à travers l’Union Africaine, doivent cesser de délégitimer la Commission, que ce soit à travers le manque de financement ou le report de ses rapports; prendre toutes les mesures appropriées pour faciliter une campagne coordonnée de vulgarisation du rôle et des recommandations de la Commission; assurer que la plus haute protection des droits humains et des peuples est garantie à travers des mécanismes et des normes supplémentaires; et renforce davantage la collaboration de la société civile avec la Commission. La Commission s’est avérée être un organe de l’Union Africaine qui souligne l’importance du citoyen africain et la collaboration de la société civile africaine avec les institutions panafricaines en illustrant la protection des droits humains n’est pas aussi effective que le mouvement des gens qui le promeuvent. Sans la participation constamment active de la société civile africaine, la ‘ghettoisation’ de la Commission au sein de l’UA aurait été absolue. Pourtant à travers les efforts des peuples de l’Afrique qui réclament leurs droits, la Commission a fait de grands pas dans le passage de la culture de déni et d’impunité parmi les chefs d’Etats et des autres auteurs de violations de droits humains, du moins au niveau des discours, à celle de la reconnaissance des droits incorporés dans la Charte. Il est grand temps que ces efforts soient pris en compte pour que les Africains puissent voir un véritable changement dans leurs vies et jouir des droits et de la protection qui leur sont dus depuis trop longtemps. Ce n’est qu’à ce moment-là que les tragédies de l’Afrique vont cesser et que le Continent peut, fin des fins, progresser sur le chemin du développement.

* Hakima Abbas est Analyste Politique de l’UA pour le Fahamu

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Références

“A Schematic Comparison of Regional Human Rights Systems: An Update”, (en français, Comparaison Schématique des Systèmes Régionaux de Droits Humains : Une Mise à Jour), Christof Heyns, David Padilla et Leo Zwaak, African Human Rights Law Journal , Volume 5, pp. 308-320, 2005
“The African Charter on Human and Peoples’ Rights: A Comprehensive Agenda for Human Rights”, (en français, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples: Un Agenda Compréhensif de Droits Humains), F. Ouguergouz, Kluwer Law International, 2003
“The African Charter on Human and Peoples’ Rights”, (en français, La Charte Africaine des Droits De l’Homme et des Peuples) U. Oji Umozurike, American Journal of International Law, Volume 77, pp. 902-912
“The African Regional Human Rights System”, (en français, Système Régional des Droits Humains), International Service for Human Rights

Notes

1 “The African Charter on Human and Peoples’ Rights” (en français « La Charte Africaine de Droits de l’Homme et des Peuples »), U. Oji Umozurike, American, Journal of International Law, Vol. 77, pp. 902-912
2 L’Organisation de l’Unité Africaine fut remplacée en 2001 par l’Union Africaine
3 Le système africain des droits humains comprend cinq traités: la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Convention de l’OUA Régissant les Aspects propres aux problèmes de réfugiés en Afrique, la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant, le Protocole Relatif a la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples Portant Création d’une Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et le Protocole relatif à la Charte Africaine relatif aux Droits de la Femme en Afrique. Accompagnés de trios mécanismes de mise en oeuvre: la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et le Comité Africain d’Experts sur les Droits et le Bien-Etre de l’Enfant
4 “A Schematic Comparison of Regional Human Rights Systems: An Update” (en français : Une Comparaison Schématique des Systèmes Régionaux des Droits Humains: Une Mise à Jour), Christof Heyns, David Padilla and Leo Zwaak, African Human Rights Law Journal, Vol. 5, pp. 308-320, 2005
5 Le Protocole portant création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples est entré en vigueur en janvier 2004
6 “African Regional Human Rights System: In Need of Reform?” (en français, Système Régional African des Droits Humains: Besoin de Réforme?), Christof Heyns, African Human Rights Law Journal, Vol. 1, Number 2, 2001
7 L’article 59 (1) de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples indique que « toutes les mesures prises dans le cadre du présent chapitre resteront confidentielles jusqu’au moment où la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement en décidera autrement. »
8 Les critères relatifs au statut d’observateur à l’Union Africaine s’appliquent aux ONG enregistrées dans les Etats membres de l’UA si la majorité de la gestion des ONG est composée de citoyens africains et si l’ONG s’occupe des activités régionales ou continentales. Les “ressources de base d’une telle ONG proviendront significativement, du moins en raison de deux tiers, des contributions de ses membres”, pourtant, les réalités budgétaires de la plupart d’ONG africaines indépendantes, qui reçoivent souvent un financement par des tiers parmi les fondations privées, l’Etat ou des institutions gouvernementales, contredisent cette disposition.
9 “A Schematic Comparison of Regional Human Rights Systems: An Update”, (en français, Une Comparaison Schématique des Systènmes Régionaux des Droits Humains: Une Mise à Jour), Christof Heyns, David Padilla et Leo Zwaak, African Human Rights Law Journal, Volume 5, pp. 308-320, 2005
10 “The Concept of Human Rights in Africa” (Le Concept des Droits Humains en Afrique), Dr. Issa Shivji
11 Jusqu’à date, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples n’a entendu qu’une seule plainte inter-Etats.
12 “African Regional Human Rights System: In Need of Reform?”(en français, Système Régional des Droits Humains en Afrique), Christof Heyns, African Human Rights Law Journal, Vol. 1, Number 2, 2001
13 Ces domaines prioritaires sont: la Démocratie et la Gouvernance Politique, la Gouvernance et la Gestion Economiques, la Gouvernance des Entreprises et le Développement Socio-économique
14 “Une Approche de Droits Humains au Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) et le Mécanisme Africain de l’Evaluation par les Pairs (MAEP)” Fédération Internationale des Droits de l’Homme