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Dans leur touchante simplicité, ces lettres échangées entre deux citoyennes d’Afrique sont pleines de gravité. Elles charrient les rêves, les douleurs, les espoirs et engagements citoyens pour que l’Afrique devienne cette terre promise où tout un chacun peut vivre dans la paix et la justice, la solidarité et la prospérité.

Note de l'éditeur:
Les lettres qui suivent font partie d'un échange émouvant et d’une rare perspicacité entre deux femmes qui ont été, pendant des décennies, des leaders respectés de mouvements citoyens en Afrique de l'Ouest. Deux femmes connues pour leur sagesse, leur courage, leur créativité et leur engagement sans faille pour la justice, la paix et le bien-être de leurs pays respectifs, la Guinée-Bissau et le Mali. Cette semaine, Pambazuka est heureux de partager une partie de ces correspondances personnelles, échangées à la suite des coups d'Etat survenus d’abord au Mali en mars, puis en Guinée-Bissau en avril. Les lettres ont été traduites du français et sont signés avec des noms d’emprunt pour la sécurité de ces femmes, de leurs camarades et de leurs familles en ces moments difficiles qu’ils sont en train de vivre.

Bissau, le 5 mai, 2012

Chères amis et amies de Pambazuka,

Merci pour l’invitation de partager une partie des échanges entre mon amie du Mali, Assénatou, et moi. Assénatou et moi nous nous sommes rencontrées autour des causes et des combats communes au Mali et en Guinée-Bissau, en Afrique de l’Ouest. Nous nous sommes connues dans le cadre des mouvements citoyens pour plus de justice sociale dans notre continent, plus de ressources et des moyens de vies stratégiques sauvegardés pour le bien-être de nos populations et des générations futures. C’est à partir de ces combats que nous sommes devenues des grandes amies, des vraies sœurs que nous sommes aujourd’hui.

J’aimerais partager avec vous combien Assénatou, avec sa lucidité, sa sagesse et son grand courage, a réussit à nous insuffler ce même courage et conscience, partageant avec nous son parcours et son combat d’aujourd’hui au Mali et ainsi, elle alimente et inspire aussi notre combat en Guinée-Bissau.

J’aimerais expliquer que cette correspondance ne s’est pas arrêtée là. Elle continue et se poursuivra entre nous, par des e-mails et des appels téléphoniques, au fur et à mesure que les situations dans nos respectifs pays évoluent et que nous sentons le besoin de se renforcer mutuellement, de se partager de l’amitié et de la tendresse. Ainsi, nous nous encourageons mutuellement, nous nous inspirons et nous gardons confiance dans l’avenir même s’il est lointain.

Nous souhaiterions partager ce témoignage, non parce que nous trouvons notre histoire originale ou spéciale. Non, c’est parce que nous savons qu’elle est si banale et se passe généralement dans l’ombre. Avec nos témoignages, nous souhaiterions rendre visibles ces échanges entre deux simples citoyennes de l’Afrique qui se partagent leur rêve, leur souffrance, leurs espoirs et leur action civique pour que notre continent devienne notre terre promise, la terre où nos enfants et nos petits-enfants pourront vivre en paix et justice, solidarité et prospérité. Et nous souhaiterions encourager davantage d’échanges et plus de manifestations de solidarité entre les citoyens de l’Afrique, pour que la chaleur et l’étreinte de l’amitié et de la fraternité des nôtres soient plus intenses, plus proches et plus perceptibles que celles d’autres peuples qui nous témoignent déjà leur sympathie et leur solidarité, un peu partout dans le monde.

Si les chefs d’États de l’Afrique se réunissent en sommet dans le cadre de la CEDEAO et de l’Union Africaine pour chercher des solutions pour nos pays victimes des coups d’États qui ressurgissent en force dans notre continent, alliés à toute sorte de violence, d’affaires sales et, surtout, de privation des droits civiques et politiques de nos populations, les intellectuels, les simples citoyens d’Afrique devraient, à leur tour, trouver des formes plus visibles et tangibles de se témoigner leur solidarité et leur engagement, de prendre le devant et parler d’une seule voix. Pour dire haute et fort que nul n’a le droit, au nom d’aucune justification, sous l’emprise d’aucune idéologie, d’aucune foi, nul n’a le droit de prendre son peuple en otage pour en faire son bouc émissaire, pour se donner la force de négocier et d’imposer des conditions et des solutions qui ne le sont pas du tout et qui ne servent d’aucune façon les besoins, les intérêts et les droits des peuples qu’ils disent représenter et défendre, mais qu’en réalité ils martyrisent, ils sapent l’avenir de leurs enfants, minent leurs espoirs et détruisent leurs rêves les plus chers !

Le cri du ras-le-bol c’est pour tous ces attentats contre les droits des générations présentes et future à une patrie en paix, en sécurité où on puisse bâtir notre future et notre bien-être, avec nos mains, nos têtes et nos cœurs.

Maria

COUP D’ETAT AU MALI LE 21 MARS, 2012

BISSAU, LE 22 MARS 2012

Ma très chère copine Assénatou,

J’ai essayé à plusieurs reprises de t’appeler au téléphone, mais tu étais successivement en communication.

Depuis hier soir qu’on est inquiet avec les nouvelles de ton pays, le Mali, une référence ouest-africaine en démocratie, prise, à son tour par un coup d’État. Ce n’est jamais gagné pour toujours, malheureusement. Mais cela nous étonne toujours, car notre mémoire est si courte.

Maman demande de tes nouvelles, car elle aussi a appris par la radio ce qui est en train d’arriver au Mali. Ma famille me demande tes coordonnées pour t’envoyer un mot. Après des essais successives pour te rejoindre par téléphone sans réussite, je me suis décidée à te faire ce message pour te souhaiter du courage, beaucoup de courage et de la patience. Il y a un dicton créole qui dit : « Tous ce qui commence, se terminera un jour ». Le Mali va retrouver à nouveau les voies pacifiques et démocratiques pour résoudre les différends parmi les siens. Que Dieu souffle de la tolérance, de la générosité et de la sagesse dans les cœurs de touts les leaders et de toutes les forces vives du Mali, pour ouvrir les voies au dialogue démocratique et inclusif, pour refonder les piliers de la démocratie au Mali en tenant compte des aspirations légitimes de progrès des Maliens, des plus jeunes en particulier. On prie et on va continuer à prier pour le Mali, pour l’Afrique. Pour toi et ta famille, pour tous les Africains et Africaines qui embrassent leurs pays avec cœur.

Tout le monde chez nous t’embrasse et te souhaite bon courage et paix à ton pays. De ma part, je t’embrasse avec toute mon amitié et ma plus profonde solidarité,

Maria

v

MALI, LE 5 AVRIL 2012

Chère Maria,

Merci pour ton amitié et ta solidarité. Comme on dit, c'est dans les moments difficiles qu'on connait véritablement ses vrais amis. Je savais la sincérité de nos liens, mais ces temps ci m'ont donné assurément confiance en nos liens.

Ma soeur, les Maliens ont mal dans leur coeur et dans leur chair. Mais nous n'avons pas droit au découragement et à la lamentation.

Mes journées commencent très tôt et finissent très tard entre les réunions, les concertations pour que, ensemble, nous puissions lever la tête. C'est dur, très dur quand, au nord du Mali qui est entre les mains des Touaregs et des islamistes, les femmes sont violées et brulées vives pour n'avoir pas couvert leur visage.

L'embargo de la CEDEAO n'arrange rien. Au contraire, il complique davantage la situation. Les Maliens deviennent du coup un peuple martyr qui subit une rébellion, une invasion islamiste et un embargo.

Je pense que d'ici le weekend un consensus serait fait entre la junte militaire, la société civile et les politiques.

Merci pour vos prières, votre élan de solidarité grâce auxquels notre pays se relèvera.

Merci pour tout ma sœur

Je vous embrasse tous.

Assénatou

v


BISSAU, LE 9 AVRIL 2012

Bonjour ma très chère amie Assénatou,

Merci pour ta réponse que je viens de recevoir, car j’ai voyagée ce weekend pour passer 2 jours avec la famille dans la campagne. Cela nous a fait du bien à tous, pour nous ressaisir de la situation de tension que nous vivons ces jours ci à Bissau. Nous sommes rentrés le samedi soir pour passer le dimanche de Pâques avec maman.

Merci pour nous avoir envoyé de vos nouvelles malgré le malheur d’une situation telle que celle que les Maliens et le Mali sont en train de vivre. C’est incroyable, troublant, qu’un pays comme le Mali connaisse une détérioration si rapide et si violente de la situation des droits de l’Homme. C’est révoltant, ahurissant que ce soit toujours les femmes qui subissent les pires violences et les outrages faites aux populations sans défenses. Je n’en reviens pas ! Des femmes violées et brulées vivantes pour n’avoir pas porté le voile au Mali ! Nous sommes en train de connaitre encore des régressions irréparables en matière de droits de l’Homme et des Peuples qui ont couté beaucoup de sang, de sueur et des siècles à construire…

Que pouvons-nous faire pour stopper tous cela?

Comme tu dois le savoir, par ici aussi les choses ne se passent guère bien. Nous sommes bloqués avec une élection que tous les politiciens ont voulu rapide pour respecter les délais prévues dans la Constitution et que maintenant presque tous remettent en cause, soi-disant pour fraude électorale. J’en ai mare des politiciens qui se mettent toujours d’accord pour ne pas être d’accord, mais qui jamais ne se mettent d’accord pour nous proposer une sortie, une solution.

Tous les candidats se disent candidats pour la paix et la stabilité du pays, mais tous sont d’accord pour bloquer le résultat du 1er tour de ces élections, alors que tout le monde sait que même s’il y a eu des fraudes on aurait toujours les 2 candidats (Cadogo et Kumba Yalá) pour le deuxième tour !

Mais à force de s’y opposer farouchement, on donnera aux militaires ce qu’ils ont toujours voulu, c’est-à-dire une attestation de droit d’intervention parce que les politiciens n’ont pas été capables de se mettre d’accord sur une sortie politique de la crise et le pays s’en trouve paralysé… Après, ce sera trop tard pour faire quelque chose afin d’éviter des dérapages majeurs… Et de dérapage et dérapage, on risque d’aller dans la même direction du chaos que le Mali connaît à présent et qui ne sert qu’aux hommes aux cœurs durs, otages de la haine et de la violence…

Quand les hommes ne se montrent pas à l’hauteur pour trouver des solutions aux problèmes qu’ils ont créés, on se tourne vers Dieu… C’est pour cela que nous prions sans cesse que Dieu Tout puissant souffle de la compassion et de la sagesse dans les cœurs de nos dirigeants et de nos leaders, ainsi que des hommes et des femmes capables d’influer sur le cours de l’histoire en faveur de nos peuples les plus diminués, de ceux qui souffrent avec cette course chaque fois plus insupportable vers plus d’intolérance et plus de violence.

Bon courage pour nous tous, pour vivre ces temps difficiles avec sérénité en jouant le rôle qui est à notre portée, pour semer la paix et l’espoir.

Je t’embrasse avec toute ma solidarité.

Maria

COUP D’ETAT EN GUINEE BISSAU, LE 12 AVRIL 2012

MALI, LE 23 AVRIL 2012

Bonsoir ma sœur Maria,

Je n'ai pas pu t'appeler ces derniers temps à cause des réunions interminables.

Notre situation évolue très lentement au plan politique, mais aux plans humanitaire et sécuritaire c'est vraiment la catastrophe surtout pour les régions du nord, où les viols et les attaques armées continuent. Nous espérons d'ici demain avoir un gouvernement pour prendre en charge ces questions brulantes.

Je suis aussi inquiète pour ma seconde patrie la Guinée Bissau et prie fortement pour tous les hommes et femmes de là-bas.

Maria, je t'en prie, prends cette situation avec beaucoup de recul. Je suis persuadée que c'est un passage obligé pour nos pays qui n'ont jamais eu leur indépendance et par conséquent pas de souveraineté. Dans ces conditions, la démocratie, qui veut dire la participation responsable et citoyenne à la gestion de nos pays est une pure fiction. Car les conditions de la participation et la responsabilisation sont l'éducation et l'information. Il y a bien longtemps que l'éducation, l'information, la réflexion critique sont devenues des denrées rares dans nos pays. Dans ces conditions, les coups d'Etat et autres formes de violence sont possibles.

Au Mali ce n'était pas la démocratie qui faisait marcher les choses. Ce sont plutôt les valeurs culturelles et l'action des hommes et des femmes courageuses proches des plus vulnérables qui soutenaient le Mali. Les responsables politiques pouvaient continuer leur comédie démocratique tant que la drogue, les armes et la corruption n'avaient pas eu raison de ce rempart culturel. Malheureusement ils ont eu raison de ce rempart et ce sont les femmes et les enfants qui sont les premières victimes. Les Maliens simples et tous ceux qui sont loin de cette réalité macabre, cachée par le voile démocratique, sont pris de court par ces évènements.

Aujourd'hui nous devons avec lucidité comprendre tout cela, non pas à partir des coups d'Etat mais en allant plus en profondeur afin de se mettre au dessus de la mêlée, pour donner un autre sens à ce moment crucial de notre histoire.

Je suis optimiste pour nos pays. Nous devons comprendre que c'est dans les grandes épreuves que la cohésion nationale se fortifie de façon durable.
Je sais que tu vis ton pays comme tu vis ta propre famille. Je t'en prie, relativise tout cela ; prends les bonnes décisions par rapport à Maman, tes enfants et tes petits enfants.

Restons calme dans nos réflexions, dans nos actions. Evitons les informations négatives qui encombrent nos têtes et nous empêchent de réfléchir par nous mêmes.

Ma sœur, dépense toi moins. Restons positives dans nos pensées, nous survivrons.

Que Dieu nous garde ensemble.

Je t'embrasse fort.

En toute fraternité.

Assénatou

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BISSAU, LE 23 AVRIL 2012

Ma très chère copine Assénatou,

Merci pour tes conseils sages, ma sœur. Je m’occupe de ma famille tant que je peux. Mais mon cœur est dans une tristesse profonde, à cause de ce qui se passe dans mon pays.

Mes enfants sont bien, se sont engagés en plusieurs combats, avec les armes à leur portée (beaucoup d’Internet et de Facebook avec des amis un peu partout dans ce monde) pour leur pays. Ils disent qu’ils ne veulent pas se laisser voler leurs rêves avec leur pays…

Nous vivons des temps difficiles où touts les rats d’égouts ont quitté leur trous pour s’acharner sur leur part du gâteau. Certains habillées en tenue militaire, d’autres en costume et cravate, ou encore en costume traditionnel, mais tous puant à la cupidité et tous avec le nom du peuple dans leurs discours plus ou moins patriotiques…

Ah ! Je me donnerai du temps, un de ces jours, quand les urgences seront moins urgentes et me demanderont moins de mon temps, pour faire sortir la douleur et la révolte que mon âme cache sous forme d’écriture, en guise de testament d’une femme comme mille autres de mon pays qui ont enfanté, porté et allaité leurs bébés en rêvent d’un avenir dans le pays de leurs ancêtres, dans la paix, la dignité et la prospérité. Ces jours sont encore bien lointains, malheureusement.

Je vois les mêmes histoires se répéter de génération en génération, car ce que j’ai vécu avec mes enfants suite au conflit du 7 juin 1998, de peur, de révolte dans l’impuissance presque totale, ma fille est en train de le revivre avec ma petite fille… Et cela me fait trop de mal, trop de peine. Et c’est pour cela que je crie au plus profond de moi-même, ça suffit ! ça suffit ! Et je ferai entendre ma voie partout, en criant que ça suffit, ensemble avec d’autres femmes, hommes et jeunes qui manifestent ainsi publiquement leur ras le bol !

Je t’embrasse avec toute mon amitié

Maria
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BISSAU, LE 7 MAI 2012

Ma très chère sœur Assénatou,

Hier soir, avant de me coucher j’ai écouté les nouvelles sur RFI à propos des crimes historiques, culturelles et religieux qui sont en train d’être commis à Tombouctou, la cité sainte. Quelle tristesse ! Quel désarroi ! Je sais que tout cela te cause, à toi et à tous les Maliens de la souffrance et de la révolte la plus profonde…

Quoi te dire, comment te dire un mot qui puisse vous apporter un peu de réconfort ? Ah ! Que des temps difficiles un peu partout dans le monde, en Afrique Occidentale et dans nos pays en particulier. Mais t’es si brave, si courageuse, si engagée, que je suis sûre qu’en cet instant tu n’es pas en train de te plaindre de ton sort, mais plutôt sur le vif du combat, avec d’autres Maliens engagés et déterminés autant que toi, dans la plus grande discrétion et dans l’intimité de vos concitoyens !

Bon courage et bonne chance, ma sœur ! Nous restons avec vous dans la pensée, avec toute notre tendresse.

Je vous embrasse avec toute mon amitié,

Maria

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** Assénatou et Maria sont des noms d’emprunt pour des leaders des sociétés civiles maliennes et bissau-guinéennes ?

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