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Beaucoup de personnes ne comprennent pas encore que les problèmes que l’on rencontrait et que l’on rencontre à Madagascar, dans différents domaines, résultent de l'absence de vision globale, de continuité dans les actions et de l'inexistence de stratégies appropriées intégrant les horizons du court, moyen et long termes

Le 11 Octobre 2012, j’ai fait une communication à l’Académie Nationale Malgache sur le thème « Pourquoi Madagascar a-t-il raté la voie du développement rapide, harmonieux et durable ? » Cette initiative avait pour objectif de contribuer à l’accélération du renforcement des actions lancées voilà une vingtaine d’années pour promouvoir l’adoption d’une démarche basée sur l’application des techniques prospectives dans la gestion des politiques publiques visant l’atteinte des objectifs de développement rapide, harmonieux et durable.

Madagascar, en effet, a perdu beaucoup de temps et d’occasions pour assurer son développement rapide et durable et c’est ainsi qu’il est classé actuellement parmi les pays les plus pauvres du monde et ce, du fait de la récurrence des crises qui l’ont conduit dans une situation dramatique, caractérisée par la paupérisation d’une grande partie de la population, la persistance d’un climat social délétère miné par les privations de toute sorte, la corruption et l’insécurité aussi bien dans les villes que dans les campagnes. Cette situation risque de déboucher à tout moment sur une dangereuse explosion sociale qui plongera le pays dans un gouffre de dénuement massif, sans espoir de s’en sortir.

Le déficit flagrant en matière de bonne gouvernance et de culture prospective dont sont responsables les différentes autorités qui ont dirigé ce pays est à l’origine de cette situation.

Les politiques économiques et sociales qui avaient été, en effet, mises en œuvre jusqu’à présent, brillaient souvent par l’absence de rigueur et de rationalité et ne s’inscrivaient pas dans la durée qui devait leur conférer la pertinence et l’efficience nécessaires. C’est avec beaucoup d’experts en Economie de développement que j’ai toujours affirmé et qui me pousse encore à poursuivre mes efforts de sensibilisation quand bien même, certains responsables jugent ma démarche d’inopportune et de non pertinente.

Beaucoup de personnes ne comprennent pas encore que les problèmes que l’on rencontrait et que l’on rencontre encore actuellement à Madagascar, dans différents domaines, résultent de l'absence de vision globale, de continuité dans les actions et de l'inexistence de stratégies appropriées intégrant les horizons du court, moyen et long termes.

Cette absence de vision globale, systémique et à long terme des problèmes du développement et de la non inscription des bonnes politiques dans la durée, expliquent la récurrence des crises, car une telle attitude annihile toute possibilité de répondre de manière satisfaisante aux attentes légitimes des larges couches de la population pour une amélioration conséquente et durable de leurs conditions de vie

Comme j’ai souligné dans les livres que j’ai écrits ainsi que dans les articles que j’ai publiés, une bonne gouvernance démocratique et efficiente axée sur l’atteinte de résultats positifs concrets et durables, implique :

- une parfaite synergie entre les jeux de tous les acteurs de la vie nationale, laquelle se traduit par : l’effectivité de la démocratie, la valorisation de certains aspects de la culture malgache, la capacité des dirigeants à assurer, de manière efficiente, la fourniture des services sociaux de base, et de manière générale de service public et en particulier de sécurité ;

- le fonctionnement rationnel et efficace des mécanismes et procédures appropriés basés sur le culte du savoir faire, du vouloir bien faire et réussir et vouloir vivre ensemble de façon harmonieuse ainsi que surtout l’opérationnalité des mesures favorisant la dynamisation d’une administration de développement astreinte aux obligations de résultats ;

- l’existence d’un système juridique, juste, transparent, fiable et crédible, assurant un respect plus strict des Droits humains et engageant une lutte sans merci contre la corruption ;

- l’existence d’un processus participatif de dialogue, de concertation et de propositions d’amélioration des performances, garantissant la stabilité politique et sociale et partant, l’inscription des actions dans la durée.

Ce qui précède est facilité, comme l’ont déjà souligné à plusieurs reprises, différents experts, par la promotion de la culture prospective, laquelle s’identifie à travers un processus de réflexion stratégique visant à améliorer le présent à partir des leçons du passé et à rendre possible la construction d’un futur désiré par tous, à partir de la mise en place des soubassements d’une gouvernance démocratique et efficiente permettant d’assurer l’effectivité d’un développement harmonieux et durable pour Madagascar.

C’est pourquoi il importe de :

− Créer au sein du gouvernement, du parlement, de l'Université, de l’Académie, du Ceds, du secteur privé et des organisations de la société civile, des capacités en matière de prospective et de planification stratégique à long terme ;

− Mettre en place une cellule technique composée d’experts rompus aux techniques prospectives chargées de :

• Elaborer des programmes de formation en vue de renforcer les capacités d'anticipation de l'Etat, du secteur privé et des organisations de la société civile pour les aider à maîtriser les changements et les ruptures, voire pour leur permettre de provoquer les changements souhaités ;

• Définir un cadre facilitant, pour les décideurs, l'articulation des différentes politiques conçues pour le court, le moyen et le long terme ;

• Renforcer la cohésion sociale grâce à la réalisation d'un consensus social sur le futur désiré par la société, ainsi que sur la nécessité d'engager, dès à présent, les actions en vue de sa réalisation ;

• Faciliter la compréhension du caractère multidimensionnel et interactif des facteurs du développement (vision globale et systémique) afin de faciliter la rationalisation des décisions et une meilleure mise en œuvre des actions ;

• Faire des propositions en vue du renforcement de la capacité de leadership de l'Etat en l'aidant à mieux adapter sa mission ;

• Rédiger les termes de références des études prospectives sur des thèmes stratégiques prioritaires ;

• Les faire faire par des Cabinets de Consultation nationaux et/ou internationaux ayant les compétences requises en la matière et assurer leur suivi, leur contrôle et la mise en œuvre des conclusions qui en découlent ;

• Cristalliser toutes les énergies autour de la réalisation du futur désiré en relation avec les objectifs du Développement Humain Durable.

Hélas, les actions qui ont été préconisées dans ce sens n’ont pas encore reçu un écho favorable de la part des différents responsables, car si un certain nombre de principes semblent avoir été acquis en termes de nécessité de la démocratie, de vision à long terme et plus globalement de gouvernance, leur mise en application a été toujours loin d’être évidente faute de l’existence d’une réelle volonté politique y afférente.

Certes, il est plus que pertinent de s’évertuer à sortir de la situation dramatique actuelle, mais il ne faut pas accepter de subir la dictature du court terme et cela, en assurant de manière efficiente la liaison entre l’urgence et le développement et en prenant à bras le corps les mesures qui s’imposent pour faire face aux multiples grands défis qui nous interpellent.
L’histoire nous jugera sévèrement, en effet, si nous ne sommes pas capables de faire face à ces multiples défis.

Citons, à titre d’exemple, trois défis qui devraient attirer particulièrement notre attention :

- L’IMPORTANT DESEQUILIBRE EN MATIERE DE REPARTITION SPATIALE DE LA POPULATION ET D’EXPLOITATION DE NOS RESSOURCES NATURELLES : Les différentes enquêtes et études démographiques entreprises jusqu’à présent, montrent que plus de la moitié des habitants de notre pays sont concentrés sur 13% du territoire, constitués par les Hautes Terres et la façade orientale. Les moins de 50% de la population habitent donc dans les 87% du territoire qui sont des zones, en grande partie, moins favorables ou plus difficiles à mettre en valeur. Ceci constitue un important déséquilibre qui mérite dès maintenant d’être corrigé par des mesures et des actions de grande ampleur si on veut faire face efficacement à l’autosuffisance alimentaire, à l’implantation rationnelle de la population et à assurer harmonieusement notre développement économique et social.

L’accélération de la croissance démographique, en effet, risque de se traduire par la surpopulation de certaines zones ainsi que leur surexploitation qui rendront impossible toute action d’augmentation de la production et d’aménagement rationnel du territoire.

Les déséquilibres qui en résulteront constituent un défi majeur pour l’Aménagement du Territoire, qu’il faut relever de toute urgence et cela, par la mise en œuvre des mesures et des réformes de politique pour que de telles implantations inadéquates des populations soient progressivement corrigées.

En outre, la nécessité d’accorder plus d’importance au secteur rural car le ratio de pauvreté y est plus élevé que dans le secteur urbain ainsi que l’importance de son rôle dans la réalisation de l’objectif d’autosuffisance alimentaire de la population, implique également que des stratégies plus conséquentes avec des actions et des mesures plus percutantes soient élaborées pour en tenir compte.

Certes, le Schéma national d’aménagement du territoire (Snat) ainsi que les différents Schémas régionaux d’aménagement du territoire (Srat) qui ont été élaborés, en parlent, mais il conviendrait, peut-être, de les enrichir, pour plus d’efficacité, à travers l’utilisation plus systématique des techniques prospectives qui favorisent l’initiation d’un processus de réflexion stratégique en vue de l’identification des actions pertinentes dédiées à la construction d’un futur meilleur et ce, à partir des points suivants :

− La collecte des informations en appliquant les techniques du groupe nominal (Tgm) qui favorisent la génération des idées, leur regroupement et leur hiérarchisation et ce, afin de mieux cerner les aspirations de la grande majorité des habitants ;

− L’analyse de ces informations dans le cadre de la matrice de diagnostic stratégique (Mds) portant sur les faits porteurs d'avenir ; les acteurs ; les incertitudes critiques ; les tendances majeures ; les stratégies passées et présentes avec leurs résultats, les forces, les faiblesses, les opportunités et les menaces et ce, afin d’en dégager les questions stratégiques essentielles ;

− L’élaboration de scenarii à partir de ces questions stratégiques essentielles dégagées à partir de cette analyse ;

− L’identification de la vision de la grande majorité des habitants de ce pays en ce qui concerne le futur désiré et l'élaboration de la stratégie nationale de développement permettant de réaliser cette vision.

L’utilisation judicieuse des techniques prospectives permet de corriger les lacunes, carences et déséquilibres évoquées supra, afin que ne se perpétue la situation de crise actuelle, caractérisée par la persistance d’une gouvernance défaillante, incapable de favoriser l’atteinte des objectifs en matière de développement harmonieux et durable.

LA VITESSE NON MAITRISEE DE L’URBANISATION : La vitesse non maîtrisée de l’urbanisation est également un défi important à prendre en considération, eu égard au fait que - l’organisation rationnelle de l’espace géographique national avec ce que cela comporte, comme la protection et la préservation des spécificités naturelles, la localisation appropriée des espaces de production et d’habitation - implique la planification et la réalisation efficientes des infrastructures de base indispensables y afférentes.

Ainsi, d’après des enquêtes démographiques et certains calculs qui ont été faits par une équipe de Consultants en aménagement du territoire dont je faisais partie en 2006-2008, il ressort que le taux d’urbanisation se situe actuellement aux environs de 27% avec comme croissance de la population urbaine de l’ordre de 3,6% par an. Il apparaît alors, en première approximation qu’à la date de 2035, la population urbaine sera à peu près égale à la population rurale aux environs de 17-18 millions d’habitants. Cela implique la mise en œuvre de politiques et de mesures drastiques dédiées à la réalisation des infrastructures de base aussi bien milieu urbain qu’en milieu rural pour éviter que ne se désorganisent, les activités de production aussi bien dans les villes qu’en milieu rural ainsi et surtout que l’approvisionnement de la population en produits alimentaires et, d’une façon générale, l’atteinte des objectifs de développement harmonieux, rapide et durable.

La situation actuelle de la ville d’Antananarivo est un exemple patent en matière de déficience chronique relative à la non maîtrise de la vitesse de l’urbanisation. On constate, en effet, que la gestion de la ville d’Antananarivo, au cours de ces cinq dernières décennies après l’indépendance, a engendré l'apparition de situations contraignantes qui auraient pu être évitées si on avait analysé de façon systémique les tendances qui s'étaient manifestées au cours des précédentes décades et anticipé les changements.

Le paradigme de la pauvreté qui sévit actuellement à Madagascar et, en particulier dans la capitale, montre qu'une des causes principales de la paupérisation de larges couches de la population, réside dans l'exode rural. Selon les chiffres disponibles, la population d'Antananarivo a plus que doublé au cours de ces trente dernières années, entraînant le déclenchement de mécanismes d'exclusion d'une grande partie de ces migrants, de sorte que de nombreuses familles ont été astreintes à une situation de non-avoir et de non-accès aux services de base ainsi que de non-possibilité à l'exercice d'un emploi suffisamment rémunérateur pour les faire sortir de la situation de précarité dans laquelle elles se trouvent. On entend souvent certains responsables affirmer ainsi, que l'habitat à Antananarivo a fait un bond de 50 ans en arrière, et que son aspect actuel fait mal et fait honte.

Cette situation risque de s'aggraver car les projections qui ont été faites, montrent qu'en l'absence de toute action correctrice, et à moins que des cataclysmes naturels ou des épidémies ne surviennent, la population d'Antananarivo atteindrait dans moins de 10 ans, les 7 millions d'habitants. Cela créerait ainsi, énormément de difficultés en matière de disponibilité d’infrastructures appropriées et la persistance d’une paupérisation grandissante.

Comme explicité précédemment, il est urgent de définir les axes stratégiques des actions d’envergure à entreprendre ainsi que les priorités et, en conséquence, de planifier les résultats attendus à court, moyen et long termes et ce, à partir de l’utilisation de la Matrice de diagnostic stratégique (Mds) résultant de l’analyse « Swot» c’est – à – dire, de l’identification des Forces (Strengts) ; des Faiblesses (Weaknesses) ; des Opportunités (Opportunities) et des Menaces (Threats). Ces termes qui ont dans le langage « Prospective » des significations bien précises impliquent la disponibilité de données y relatives provenant des enquêtes, réalisées de façon scientifique ainsi que d’un processus de réflexion stratégique. Il est vraiment urgent de s’y atteler.

LE TROISIEME DEFI, CITE A TITRE D’EXEMPLES, CONCERNE LA JEUNESSE : Selon les projections qui ont été faites en Novembre 1995 - par une équipe d’Experts pluridisciplinaires, dont je faisais partie lors de l’élaboration du document : Madagascar, Vision 2030 - la population malgache avoisinera en 2030, selon les hypothèses les plus favorables, les 40 millions d'habitants. Plus du tiers de ces 40 millions sont déjà nés à la date où cette projection a été faite. Cela veut dire qu’en 2030, ils seront âgés, la plupart, aux environs de 35 ans. Ils constitueront donc, à cette époque, la classe des dirigeants au niveau du secteur public, celle des chefs d’entreprises et des opérateurs socio- économiques, celle des chefs de famille, ou encore, une grande partie des chômeurs.

Le grand défi qu’il ya lieu de relever de façon très urgente est de permettre en sorte, qu’ils auront les capacités d’assurer, pour le pays, l’effectivité d’une bonne gouvernance démocratique et efficiente susceptible d’atteindre les objectifs d’un Futur meilleur pour Madagscar.

Nous en sommes tous interpellés, d’autant plus que selon les études et enquêtes qui ont été réalisées au cours de ces dernières années, les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd), définis pour la période de 1990 à 2015, qui touchent essentiellement l’évolution de l’état de la population et le développement n’ont pas été atteints à l’horizon 2015.

Il nous revient donc de manière très urgente, en se basant sur les techniques prospectives, de définir des stratégies plus agressives avec des programmes chronologiques précis d’actions prioritaires dédiées à la Santé et à l’Education et visant la réduction de la pauvreté et l’avènement d’un Futur meilleur pour Madagascar.

Rien n’est encore perdu et il est permis d’être optimiste quand on voit des jeunes, âgés de 25 à 35 ans, affirmer qu’ils se préparent, dès maintenant, à prendre les Hautes Responsabilités pour le pays en 2030, car, disent-ils, il faut espérer, qu’à cette date la génération des politiciens actuels auront disparu de la scène politique. Il faut vraiment aider ces jeunes à aller dans ce sens.

Un autre motif d’être optimiste est aussi d’avoir entendu un haut responsable privé de l’éducation, affirmer lors d’une réunion du Conseil national de l’éducation, qu’il est vraiment utile d’engager maintenant un processus de réflexion prospective stratégique sur l’Education.
Pour conclure, il faut espérer que ce pacte national de responsabilité dont on parle actuellement se concrétise rapidement et qu’il aboutisse même à faire émerger un élan de sursaut national pour sauver ce pays.
Vive Madagascar, prospère et fier, futur phare de l’Océan Indien.

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** Raymond Razafindrakoto est ancien Economiste principal du Pnud, Doyen des Ingénieurs Statisticiens Economistes Malagasy

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