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Après le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar, en 2007, qui plaçait l’Africain en dehors de l’histoire, son successeur François Hollande est venu dans la capitale sénégalaise porter une parole qui se veut de rupture par rapport à ce qui avait été entendu. Sur plusieurs points elle est jugée positive.

Le discours du président Hollande (prononcé à Dakar le 13 octobre) a été pour moi, par sa tonalité, son contenu et sa vision stratégique, un discours fort, puissant, d’une haute portée politique, philosophique, morale, économique, sociale et culturelle. Un discours humaniste qu’on peut même qualifier d’historique. Il a clarifié beaucoup de questions importantes, défini de nouvelles perspectives pour le présent et pour l’avenir, et va, sans nul doute, consolider les relations existant entre la France et le Sénégal, d’une part, entre la France et l’Afrique d’autre part.

Il est, à la fois, d’abord un discours d’hommage au Sénégal, à son régime démocratique exemplaire, à sa classe politique, à sa jeunesse et à ses femmes. Il est, ensuite, un discours qui témoigne d’un grand respect et d’un intérêt sincère et réel pour l’Afrique. Il est surtout la manifestation d’une grande confiance en notre continent, au regard des progrès qu’il est en train de réaliser, gages, pour lui, d’un avenir certain ; confiance en ses potentialités, en ses capacités, en ses ressources de toutes natures, en son avenir et en son aptitude à occuper la place qui lui incombe dans la mondialisation et dans le devenir de la planète.

Il est en plus, un discours de clarification, d’humilité, de vérité et de solidarité qui rompt avec le paternalisme préexistant, pose les véritables questionnements et indique les axes et linéaments d’un partenariat d’un type nouveau «gagnant-gagnant», d’un contrat de développement solidaire, fondé sur l’intérêt mutuel, l’égale dignité des peuples et des cultures, la reconnaissance réciproque. Il est enfin, au regard de tout ce qui précède, un discours de rectification, même si tel n’était pas son objectif et, sous ce rapport, il est un discours de rupture, de renouveau, et peut être même de refondation.

Tout cela a d’autant plus de prix que le président Hollande a, dès l’entame, signifié qu’il ne voulait point s’ériger en donneur de leçons. Il est venu en ami rendre visite à un peuple ami. Mais l’amitié, pour lui, impose des devoirs tout comme la démocratie a des contraintes. L’hommage au Sénégal apparaît dans ses premiers propos, puisque le président Hollande place son voyage dans notre pays sous le signe de la vitalité qu’incarne le Sénégal, symbole de démocratie, pratiquant le respect des droits humains, l’égalité devant la loi, l’alternance démocratique, la liberté religieuse, valeurs auxquelles le président de la République et le peuple de France croient et comme telles souhaitent magnifier.

L’hommage est, également, illustré par ce qu’il appelle «la singularité» des liens existant entre nos deux pays. Ce terme prend, pour moi, ici, le sens que lui donne Aimé Césaire, dans sa lettre de démission adressée à Maurice Thorez, en 1956, en parlant des peuples de couleur. Oui, les liens entre le Sénégal et la France sont, à tous égards, singuliers. On ne trouve l’équivalent dans aucune autre ex-colonie française en Afrique, encore moins des pays de colonisation lusophone, des pays de colonisation anglaise, des pays de colonisation espagnole.

Entre 1659 et 1960, nous avons, ensemble, construit une saga historique unique et incomparable, dont les étapes principales ont été 1677, 1790, 1830, 1833, 1840, 1848, 1872, 1884, 1891, 1895, 1914-1918, 1939-1945. A chacune de ces étapes, le destin du Sénégal et de la France se sont confondus dans des enjeux de pouvoir, de coexistence et de combats politiques, qui ont construit une histoire commune, que le président Hollande a qualifiée, à juste raison, de «belle, rebelle, cruelle», autour d’une culture commune et de valeurs partagées.

L’hommage transparaît, également, à travers la référence faite à l’action de Blaise Diagne de son vrai nom Galaye Mbaye Diagne (député de 1914 à 1934) et de ses successeurs directs, que M. Hollande a mentionnés, sans les citer. Il s’agit, comme on le sait, de Galandou Diouf (député de 1934 à 1941), père, depuis 1912, de la Francophonie non pas géographique et descriptive, qui n’a rien à voir avec le travail d’identification et de localisation géographique effectué par les géographes et géologues du XIXe siècle, mais, organisée en projet et en schémas d’organisation à caractère culturel et politique pour la défense de la langue française, avec des statuts et un bureau de 12 membres ; le même Galandou qui n’a pas hésité, à la veille du discours du 18 juin 1940 du Général De Gaulle, à contacter le président de la République française, en compagnie de Gratien Candace et de Maurice Satineau, députés de Guadeloupe, pour refuser l’abdication et proposer de faire appel à l’Afrique, à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis à l’Empire et de continuer la guerre. De Gaulle, inspiré par cette démarche, dira dans son appel : «La France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste empire derrière elle !». Il pensait aussi certainement à Lamine Guèye, qui a développé la Sfio, ancêtre du Ps français dans notre pays, depuis les années 20.

L’hommage du président Hollande fait, aussi, référence à Léopold Sédar Senghor, dont l’action parlementaire, gouvernementale et constitutionnelle (en 1958, notamment) mérite le respect. L’hommage se trouve, encore, dans l’évocation qui a été faite, sans les citer, des trois présidents de la République qui ont transmis le flambeau sans à-coups, de 1960 à nos jours (Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade). Le président Hollande n’hésite pas, en se fondant sur tout ce qui précède, à dire que notre «pays est un exemple». L’hommage du président français s’adresse, par ailleurs, à notre auguste Assemblée nationale, qui a pu fonctionner, sans interruption (mise à part la courte parenthèse de la journée de décembre 1962), de 1960 à nos jours, mais aussi, à la place que les femmes occupent, actuellement, dans cette institution, où elles sont 65 sur 150, performance que la France, bien que pays proclamé des droits humains, n’a pas encore réalisée.

L’hommage du président Hollande s’adresse, aussi, à notre armée nationale, restée une armée républicaine, une armée de référence par son professionnalisme, une armée composée de soldats et de chefs compétents, engagés dans différentes missions des Nations Unies, à travers le monde, depuis plus de cinquante ans, au service de la paix et de la sécurité de la planète. Au vu de tout cela, le président Hollande conclut son hommage par ces mots : «Vous êtes une grande nation. Vous devez être fiers de vous-mêmes, fiers de votre avenir, conscients de votre présent. Vous êtes sur le bon chemin». L’intérêt sincère, le respect profond et la confiance que le président Hollande porte à l’Afrique se fonde, d’abord, sur le rappel qu’il fait d’une vérité scientifique aujourd’hui établie, selon laquelle, l’Afrique est le berceau de l’Humanité.

Le président Hollande ajoute que si l’Afrique s’appuie sur ce paradigme et parvient à faire vivre la démocratie dans son continent, elle sera le continent de l’avenir. Cela est très important. Selon lui, elle en a les moyens, parce que sa population sera de 2 milliards d’habitants en 2050. Sa croissance actuelle est supérieure à celle de beaucoup de pays en développement et demeure constante. Ses ressources sont immenses. D’ailleurs, tous «les grands pays du monde se tournent vers l’Afrique», preuve, assurément, de l’intérêt qu’on lui porte. Au demeurant, aucun enjeu planétaire ne peut se régler sans l’Afrique, qu’il s’agisse de l’économie, de l’énergie, de l’environnement et du commerce. «L’Afrique est, donc, le continent de la croissance, du développement et de l’avenir».

Mais le futur de l’Afrique se bâtira, également, par sa capacité à gérer les crises africaines, comme la Cedeao et l’Union africaine, par exemple, en donnent l’exemple, au regard de la situation prévalant au Nord Mali. Le Mali ne sera pas seul. Il sera aidé pour recouvrer son intégrité territoriale. (…) Voilà pourquoi, notre défi, à nous, Sénégal et France, «c’est de renforcer la place de l’Afrique dans la mondialisation».

Pour le président Hollande, «l’Afrique est en marche». En partant de ce constat, la France doit définir avec elle, un nouveau partenariat. Il propose de le fonder sur le principe de la transparence, de la fin de la complaisance, de la bonne gouvernance, de la protection des médiats, de l’indépendance de la justice, de la probité et de l’équité, de l’Etat de droit, de la protection des minorités, de la lutte contre la corruption, de la lutte pour la récupération des biens mal acquis, de la lutte pour la correction des inégalités, notamment, celles touchant les femmes et les jeunes et celle contre les différentes formes de violence, de la lutte contre le terrorisme.

Ce discours est, aussi, un discours de vérité et de clarté, dans lequel, le président Hollande magnifie, à juste raison, la fraternité d’armes entre la France et le Sénégal. Il en profite pour évoquer les zones «d’ombre» qui existent dans notre histoire et reconnaît que deux fois dans notre passé commun, le sang africain a été versé pour la liberté du monde. Cette reconnaissance est essentielle. Il n’a pas occulté, comme l’auraient fait certains, au nom du refus de la repentance, la question des 35 victimes des massacres de Thiaroye 44 (mises sous embargo depuis décembre 1944, c’est-à-dire, depuis 68 ans) et annonce même - cerise sur le gâteau - que toutes les archives concernant cet épisode douloureux vont être transmises au Sénégal pour meubler le Mémorial construit par notre glorieuse armée.

C’est, là, un acte de haute portée politique, après la décristallisation des pensions, l’érection du Mémorial du Tirailleur sénégalais et l’inscription de la Journée du Tirailleur dans le calendrier républicain. Un discours de vérité et de clarté, aussi, parce qu’il n’occulte pas la question de l’esclavage. On doit, dit-il, «le connaître, l’enseigner» et en tirer les conséquences pour l’avenir. Il s’incline devant cette tragédie et en tire un engagement renouvelé, pour préserver, partout et toujours, la dignité humaine. C’est cela que la loi Taubira Delanon a déjà posé.

La vérité et la clarté s’illustrent, également, à travers les nouveaux accords de défense qui ne renfermeront, révèle-t-il, aucune clause secrète. Dans le même esprit, la zone Franc devrait, selon lui, chercher comment assurer la gestion des réserves accumulées pour les mettre au service de la croissance. C’est une vision neuve, riche de promesses. Les Accords de partenariat économique, n’ayant pas suffisamment pris en compte les intérêts de l’Afrique, devraient être eux aussi «relancés», a-t-il, également, dit. Les contrats miniers devraient, de même, être revisités, pour que l’Afrique tire le juste profit qu’elle mérite de ses richesses.

La confiance et le respect se manifestent, à travers la simplification annoncée des formalités administratives concernant les visas au profit des étudiants, artistes, créateurs, opérateurs économiques, pour permettre un échange des hommes et des femmes. Il s’agit, là, de bonnes nouvelles, expression d’un partenariat de type nouveau et de relations d’un autre genre fondées sur l’égalité, le respect mutuel, la considération réciproque. En annonçant que 10 % de la taxe sur les transactions financières seront affectés en France à la lutte contre le paludisme, la tuberculose et le sida et en ajoutant que la solidarité, c’est le développement, le président Hollande en profite pour faire un distinguo entre le ministère du Développement et celui de la Coopération.

Le nouveau partenariat, outre le thème déjà indiqué, se propose d’intégrer dans sa problématique, la dimension de la solidarité sur laquelle, le président Hollande s’est longuement appesanti. La solidarité, c’est la recherche en commun de financements innovants ; c’est le partenariat avec les collectivités locales, les Ong, les entrepreneurs, les sociétés civiles ; c’est le développement des Ntic, la lutte contre les narcotrafiquants, le terrorisme, la sécurité alimentaire, car «l’Afrique a besoin de se nourrir par elle-même», la gestion des crises en aidant l’Afrique à gérer, elle-même, ses problèmes ; c’est le combat pour la modernisation des campagnes ; c’est l’appartenance commune à une francophonie porteuse des valeurs de démocratie, de liberté, d’égalité, de diversité culturelle, à travers l’usage d’une langue commune, qui n’écrase rien ni personne. Le président français a solennellement décrété à Dakar, le vendredi 12 octobre 2012, la fin de la Françafrique, en tournant le dos aux officines et autres réseaux au profit d’une nouvelle politique fondée sur la clarté, sur la transparence, sur le développement solidaire, le respect mutuel, l’égalité entre partenaires, la fin de toutes formes de complaisance, la justice pour tous, la fin de l’impunité. Il s’agit là d’un vaste programme de rupture, de renouveau, de refondation même qui augure de relations meilleures entre la France et l’Afrique. De telles options mettent à l’aise nombre d’intellectuels et du baume au cœur de millions d’Africains.

Le président Hollande conclut son discours, en revenant sur le thème du partenariat et de la solidarité, trouvant, selon lui, leurs sources dans l’histoire commune et la langue commune, pour écrire, ensemble, de nouvelles pages, «épaule contre épaule», entre peuples égaux en droits et en devoirs, comme l’indique notre hymne national. Le président français prouve, ainsi, je le répète, tout le respect, la confiance et la considération qu’il porte à notre peuple, à notre pays, à toute sa classe politique. Au vu de tout ce qui précède, ce discours fera date indubitablement et marquera favorablement les esprits, si on le compare à ceux tenus par le Général De Gaulle, chef de la France Libre devant Félix Gouin, président de l’Assemblée consultative d’Alger, le 30 janvier 1944, en présence de 17 gouverneurs des colonies, 9 membres de l’Assemblée consultative et 6 observateurs du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie, au moment où le continent africain s’interrogeait sur son avenir après les sacrifices qu’elle venait de consentir depuis 1939 - 1940 ; ou bien par le même Général De Gaulle, président de la Communauté, en décembre 1959, lors de la 6e session du Conseil exécutif de la Communauté tenu à Saint-Louis, au moment où la loi-cadre interpellait chaque Africain sur l’avenir de son pays ; ou par le président Nicolas Sarkozy en juillet 2007 à Dakar, au début d’un nouveau siècle qui commence au milieu d’innombrables incertitudes.

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** Iba Der THIAM est Professeur agrégé de l’Université, docteur d’Etat, ancien ministre et ancien député à l’Assemblée nationale du Sénégal

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