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On a souvent reproché à Mandela d’avoir accordé beaucoup trop d’assurances aux milieux financiers (blancs) aux lendemains du démantèlement de l’Apartheid afin éviter leur exode massif comme ce fut le cas au Zimbabwe voisin après 1980. Erreur ou sens de l’Histoire ?

« C’est dans le courage d’affronter le tragique de l’existence que se révèle le surhomme. Sa force se montre dans le calme et la maîtrise de soi » Patrick Wotling- La Vérité sur le surhomme in Nietzsche, Le Point Hors- Série. Juin-juillet 2013 p.68.

Figure emblématique de la résistance à l’Apartheid et de son démantèlement, Nelson Mandela est né le 18 juillet 1918 à Mwezo dans le Transkei, aujourd’hui dans le Cap Oriental, une des neuf provinces de la nouvelle Afrique du Sud. Avec ce parcours qui est le sien, il incarne toutes les qualités du héros nietzschéen : celle du dépassement de soi et de volonté de vie entre autres. Aujourd’hui disparu, tout le monde se réclame de son héritage. En Afrique du Sud certainement ; autant par l’African National Congress –Anc - le parti au pouvoir que par l’Alliance Démocratique – Da - l’opposition blanche ; même si, du reste, cela fait au moins dix ans qu’il ne joue plus un rôle important dans la politique sud-africaine. Qu’en est-il de son parcours ? Quel pays laisse t-il derrière lui ? Quels héritages nous a-t-il légués ?

• L’HOMME ET SON PARCOURS

Très jeune (il a 20 ans), Mandela s’engage dans l’activisme politique à l’Université de Fort Hare dans le Transkei, la seule ouverte à l’époque aux non-blancs où il étudie le Droit. C’est là aussi qu’il rencontrera d’autres activistes et futurs dirigeants de l’Anc comme Olivier Tambo ou Robert Sobukwe, une organisation créée en 1912 et qu’il intégrera en 1943.

A l’issue des célèbres procès de Rivonia (1963-64) où il se défendra tout seul, il est condamné pour haute trahison et emprisonné par le pouvoir blanc qui, depuis 1948, a instauré le développement séparé entre les races comme système politique. Il restera vingt-sept années en prison : au bagne de Robben Island, une ancienne léproserie jusqu’en 1982 et ensuite à Pollsmoor avec les Walter Sisulu, Gowan Mbeki (père de Thabo), Ahmed Kathrada et autres militants anti-apartheid. Libéré en 1991 sous le gouvernement de Frédérick de Klerk, avec qui il partagera le Nobel de la paix en 1993, Mandela deviendra en 1994 le premier président noir de l’Afrique du Sud jusqu’en 1999 quand il sera remplacé par Thabo Mbeki .

LE PAYS QU’IL LAISSE

UNE HISTOIRE DOULOUREUSE
Selon les historiens, les premières populations connues de l’Afrique du Sud sont des populations Khoisan (Khoikoi et Bochimans), il y a de cela plusieurs milliers d’années, suivies beaucoup plus tard par des populations bantoues originaires de la boucle du Niger.

L’expérience européenne elle, va commencer dans cette partie du continent quand des navigateurs portugais (Dias en 1488 et De Goma en 1497) atteignent les côtes sud-africaines. Le fondement de ce qui va être plus tard la colonie sud-africaine ne se situe cependant qu’en 1652, lorsque le Hollandais Jan Van Riebeckétablit au Cap un poste de ravitaillement pour la Compagnie Hollandaises des Indes Orientales sur sa route vers l’Asie. L’histoire parle d’une centaine d’hommes.

Ce sont cependant les fermiers néerlandophones (Boers) qui vont constituer les premiers pionniers à s’y installer par la suite, renforcés en cela par l’arrivée, en 1688, d’huguenots Français que la révocation de l’Édit de Nantes, en 1685, par Louis XIV, qui mettait ainsi fin à la tolérance vis-à-vis des protestants en France sous Henri IV depuis 1598, a fait exiler vers des villes comme Londres, Genève et surtout Amsterdam. La puissance britannique va débarquer au début du 19e siècle (1806) pour en faire une colonie et s’y affirmer surtout après les découvertes de mines d’or et de diamants (1866) dans le Transvaal. La deuxième guerre des Boers ou du Transvaal (1899-1902) va parachever la conquête britannique.

Va alors naître et s’affirmer, de plus en plus, un nationalisme afrikaner, avec comme ancrages idéologiques des liens fusionnels avec la terre (ce sont des fermiers), la lecture de l’ancien testament (ils sont protestants) et le sentiment d’être persécutés autant par les premiers habitants (les Noirs) que par les nouveaux conquérants (les Britanniques). Avec la création du dominion britannique Union d’Afrique du Sud en 1910, la République Boer va se mettre en place petit à petit, avec des lois comme le Native Land Act (1913) qui octroie 87 % du territoire à la minorité blanche et 13% aux Noirs. Il sera suivi de plusieurs autres lois ségrégationnistes jetant ainsi les fondements de la future politique de l’Apartheid ; un système qui sera définitivement et officiellement mis en place en 1948 à l’issue d’élections où le Parti National (afrikaan) a fait campagne sur son programme de séparation des races.

L’Apartheid comme système politique sera démantelé en 1991 sous les effets conjugués de la résistance historique menée par l’Anc, de l’essoufflement de la machine de l’apartheid, d’une internationalisation de la lutte (régime de sanctions internationales) et du contexte politique international moins polarisé de la fin de la guerre froide.

DES ATOUTS MAJEURS MAIS UNE CERTAINE FRAGILITÉ.
L’Afrique du Sud, classée au 28e rang mondial est sans conteste, une des économies parmi les plus fortes du continent avec notamment ses richesses minières (or, diamants, chrome, vanadium etc.) et une agriculture assez performante (10% du Pib) pour lui permettre de satisfaire ses besoins nationaux et de notables exportations surtout dans la sous-région. Mais cette économie connaît aussi une certaine fragilité.

Le taux officiel de 25% de chômage ne semble pas assez refléter la réalité et serait plutôt de l’ordre de 39% et touche en majorité les Noirs. Car, malgré l’émergence d’une bourgeoisie noire postapartheid, beaucoup de Noirs sont encore dépourvus de soins de santé, d’eau courante et d’électricité, alors que, de son côté, la situation économique de la minorité blanche semble beaucoup trop disproportionnée par rapport à leur nombre. Aujourd’hui encore, la majorité des chefs d’entreprises sont toujours des Blancs et selon Sean Jacobs, « ces derniers n’ont jamais été aussi prospères et aussi libres » (Afrique du Sud – Mandela, un héritage en question. Courrier International- 26 juin 2013).

Ce qui ne manque pas de rappeler certains disfonctionnements de l’ancien système qu’il a passé sa vie à combattre.. On a d’ailleurs souvent reproché à Mandela d’avoir accordé beaucoup trop d’assurances aux milieux financiers (blancs) aux lendemains du démantèlement de l’Apartheid afin éviter leur exode massif comme ce fut le cas au Zimbabwe voisin après 1980. Erreur ou sens de l’Histoire ?

Au niveau politique, l’Afrique du Sud peut-être qualifiée de démocratie élective multiraciale où des élections périodiques ont depuis 1994 porté l’Anc au pouvoir : Mandela, 1994-1999 ; Mbeki, 1999-2008 ; Motlanthe - transitoire - 2008-2009 ; Jacob Zuma (2009-) et l’Alliance Démocratique à l’opposition ; malgré des soupçons de scandales politiques à répétitions au sein du pouvoir en place.

LES DÉFIS DE l’APRÈS-MANDELA
Un des premiers défis que connaît ce pays reste la consolidation de la démocratie dans cette nation arc-en-ciel. Et cela autant au niveau politique qu’économique et social. Il faut, en effet, transformer la démocratie procédurale (élections démocratiques) en une démocratie plus substantielle (moins d’inégalités sociales). Pour ce faire, résorber le chômage, surtout des jeunes Noirs dans les townships, est une priorité et aura une incidence positive sur la violence qui connaît encore un niveau inquiétant dans les townships.

Pour d’autres, ce ne sont là du reste que les conséquences sociales de la politique économique libérale que Mandela a adoptée en 1994 et que l’Anc continue d’appliquer. Une libéralisation de l’économie d’ailleurs très critiquée parmi les franges les plus radicales des partenaires historiques de l’Anc, notamment dans la puissance centrale syndicale – Cosatu- ou du Parti communiste.

Les évènements de Marikana en août 2012, où 34 mineurs en grève pour de meilleures conditions salariales avaient été abattus par la police d’État, ont été une occasion pour eux de le rappeler.

Au niveau social, la lutte contre le Vih/sida mais aussi la question du logement restent des enjeux de taille.

Ce pays devra enfin mieux assumer le statut de leadership africain que son économie forte, même fragile, lui confère et servir de moteur pour une vraie Renaissance du continent.

Pour conclure, disons que l’héritage que laisse Mandela à l’Humanité est immense. Il aura contribué par son parcours à nous inculquer cette conscience aigüe que nous pouvons maîtriser notre destin et influer sur le cours de l’histoire ; particulièrement en Afrique. A force de courage et d’abnégation. Dans ce sens, il faut refuser de le déifier pour ne pas faire de son exemple quelque chose d’inatteignable mais plutôt un modèle à imiter.

Merci Madiba ! Repose en paix et que la terre sud-africaine te soit légère.

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** Cheikh Tidiane Ndiaye est professeur de sciences politiques et membre du comité Mois de l’Histoire des Noirs au Cegep Garneau, Québec- Canada.

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