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Au début de cette semaine, le gouvernernent nigérian s’est engagé dans un assouplissement de sa position à l’endroit de la rébellion dans le delta du Niger, ouvrant ainsi des phases de négociation qu’il a toujours refusées. En 50 ans, la répression a été féroce dans cette région où les communautés locales ont subi un contexte de violations systématiques des Droits de l’Homme, dans une dévastation environnementale radicale. Mais les combats menés par le MEND coûtent trop cher au gouvernement et aux multinationales qui exploitent un pétrole dont les Etats Unis ont grandement besoin et qui va passer de 14% à 25 % du marché américain d’ici à 2015. Que les coûts humains et environnementaux ont cependant été lourds avant d’en arriver là.

Catastrophe écologique

Avec ses 150 millions d’habitants, le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique. Il est le 7ème plus important producteur de pétrole de la planète. La presque totalité du pétrole nigérian provient du delta.

Depuis 1970, 350 milliards de dollars de revenus pétroliers ont afflué au Nigeria, néanmoins 75% des Nigérians vivent avec moins d’un dollar par jour. Les communautés du delta du Niger continuent d’évoluer dans une pauvreté abjecte, privées d’école, d’hôpitaux et d’infrastructures élémentaires cependant que la manne pétrolière alimente les comptes bancaires des multinationales et de l’élite nigériane. Les gouvernements nigérians successifs ont en effet négocié des relations avec les multinationales pour développer une exploitation pétrolière non réglementée depuis 1958. Ainsi 50 ans d’exploitation dans le delta du Niger ont été menées dans un contexte de violations systématiques des Droits de l’Homme et dans une dévastation environnementale.

Selon un rapport indépendant paru en 2006, des experts de l’environnement britanniques, américains et nigérians, conviés par la Nigerian Conservation Foundation, le delta du Niger est ’’est une des régions du monde où les écosystèmes sont le plus sévèrement touchés par la pollution pétrolière et figure parmi les cinq endroits les plus pollués au monde’’. Plus de 1,5 millions de tonnes de pétrole, soit l’équivalent d’un Exxon Valdez (Ndlr : un pétrolier qui avait coulé au large de l’Alaska, en 1884) chaque année pendant 50 ans, se sont déversés dans le delta, empoisonnant les délicats palétuviers et les écosystèmes des forêts pluviales, détruisant la pêche et les moyens de subsistance agricoles. Les gaz qui brûlent constamment émettent des toxiques chimiques dans l’atmosphère, générant des cancers, des malformations congénitales, des maladies respiratoires et des pluies acides qui corrodent les toits métalliques.

Les abus des compagnies pétrolières

Les témoignages, lors d’un récent procès aux Etats-Unis, révèlent la complicité des gouvernements nigérians successifs avec la Royal Dutch Shell et Chevron qui sont entre des mains américaines, dans la violation des Droits de l’Homme à l’encontre de civils. Dès le début des années 1990, ces compagnies ont financé, armé et transporté les militaires afin d’écraser l’opposition des communautés à leur exploitation pétrolière.

Shell et Chevron ont toutes deux requis l’intervention directe des forces de sécurité nigériane sur leurs sites. Le premier incident connu a eu lieu à Umechem en 1990, suite à une lettre que Shell a envoyée au commissaire de police et qui disait : «Nous vous prions instamment d’accorder à notre site la protection indispensable à notre sécurité (de préférence des forces de police mobiles)’’. La requête a été entendue et les forces de sécurité ont tué 80 personnes et ont détruit 495 foyers. Le colonel Paul Okuntimo, chef du détachement des forces militaires et policières combinées en 1990, qui fait partie des forces nigérianes de sécurité dont la réputation pour corruption et graves violations des Droits de l’homme n’est plus à prouver, a déclaré qu’il était payé et dirigé par Shell.

L’an dernier, Nnimmo Bassey, directeur exécutif de Environmental Rights Action, a cité les dépositions des plaignants dans son témoignage devant un sous-comité américain chargé des Droits de l’Homme et du droit. ‘’Chevron héberge et nourrit régulièrement les forces de sécurité qui comprennent des élément de l’armée, des forces navales et de la police et les payent à des tarifs au-dessus de ceux du gouvernement’’, a-t-il déclaré. ‘’ Du personnel de Chevron a rapporté avoir ‘’conduit’’ ou ‘’supervisé’’ les forces de sécurité nigérianes dans l’exercice de leurs fonctions. Chevron met à disposition des militaires et de la police ses hélicoptères et ses bateaux’’.

Selon le militant nigérian, il y a là une population menacée de génocide par le règne de terreur instaurée par le gouvernement et les multinationales. En 2007, le directeur de Niger Delta Professionnals for Development, Joel Bisin, déclarait que ‘’depuis 1999 plus de 20 communautés ont disparu et plus de 50 000 personnes ont été tuées par des balles des militaires, et ce dans l’indifférence générale’’

L’histoire d’un militant

Alors qu’il était à la tête d’un mouvement estudiantin, Suanu Kingston Bere a protesté contre l’extension des oléoducs de Shell de l’Ogoniland vers le nord du Nigeria, lorsque Shell a payé les militaires nigérians pour faire taire les protestations dans l’Ogoniland. Il a fui le Nigeria en 1995, après avoir été arrêté deux fois, avoir passé 3 mois en détention et subi la torture. Ensuite, il a vécu 5 ans dans un camps de réfugiés au Bénin avant d’obtenir le droit d’asile aux Etats-Unis en septembre 2000

Actif dans l’Union Nationale des Etudiants de l’Ogoni, Bere a été directement inspiré par le militant non-violent Ken Saro Wiwa et The Movement for the Survival of Ogoni People ( le mouvement pour la survie du peuple ogoni, MOSOP) qu’il avait fondé en 1990. Après avoir entendu le discours de Ken Saro Wiwa lors d’un rassemblement en 1993, Bere a rejoint le MOSOP et a commencé à mener campagne dans les villes et les villages éloignés

Il était présent lors d’évènements cruciaux dans l’histoire du delta du Niger, témoin de la collusion des militaires nigérians avec Shell dont le but était de supprimer la résistance pacifique à leurs pratiques dans l’Ogoniland. Il vit actuellement à Oakland en Californie et a accepté pour la première fois de relater ce dont il a été témoin et son vécu au Nigeria.

Bere a participé à une manifestation rassemblant 10 000 Ogoni dans le village de Biara, le 30 avril 1994, le jour où le constructeur américain Willbros est venu poser le nouvel oléoduc de Shell. Ils étaient escortés par du personnel militaire qui a crié aux villageois : ‘’Ceci n’est pas votre terre. Elle appartient au gouvernement et nous avons été envoyé par le gouvernement et Shell pour protéger les travailleurs dans l’accomplissement de leurs tâches. Si quelqu’un interfère, il sera arrêté, et tué’’. Bere rapporte que les protestataires étaient alignés, chantaient et protestaient pacifiquement. Alors les militaires se sont mis à tirer sur la foule et à leur jeter de la dynamite. Après ce jour, le colonel Okuntimo a envoyé ses soldats dans l’Ogoniland avec des instructions de ‘’ tirer pour tuer’’.

Bere a été arrêté pour la première fois le 22 mai 1994 et torturé par les militaires nigérians, lors de sa détention de deux mois.’’ Ils ont usé de bâtons pour me taper sur le dos et me faire dire que je ne rejoindrais pas à nouveau le MOSOP’’ a-t-il dit ‘’ Ils ont utilisé les crosses de leur fusil pour me battre encore jusqu’à ce que je m’évanouisse. Ils m’ont brûlé dans le dos avec des fers rougis dans le feu.’’. Selon Bassey, l’ancien président Olesegun Obasanjo a admis, en 2005, que les forces de sécurité nigérianes ont régulièrement torturé et tué des prisonniers dont ils avaient la charge, confirmant ainsi le rapport de Human Rights Watch et d’autres, disant que les forces de sécurité sont coupables d’abus systématiques.

Bere s’est caché dans la brousse après une autre manifestation en novembre 1996, après avoir dû courir comme le vent pour sauver sa vie. ‘’ J’ai vu des gens brûlés vif, tués par balles, d’autres ont eu des membres amputés. Il y eu une tuerie brutale’’. Lui et 500 autres personnes ont été arrêtées et emmenées au camps de prisonniers de Bori. ‘’J’ai de nouveau été torturé. Ils ont usé des mêmes méthodes. J’ai vu des centaines de personnes torturées, sans eau et sans nourriture pendant des jours. Des centaines qui mourraient d’avoir été battu, de blessures d’armes à feu. J’ai vu toutes ces choses. J’étais là-bas’’

Un tournant

La résistance pacifique des groupes ethniques minoritaires de tout le delta du Niger n’a rencontré, en 50 ans, que répression militaire brutale et des promesses creuses de la part des compagnies pétrolières, sans aucune possibilité de dialogue ou de négociation. C’est dans ce contexte qu’à émergé, en 2006, le Movement for the Emancipation of Niger Delta Peoples (MEND). Le groupe a ciblé les installations pétrolières et a causé une chute de 40 % dans la production, de 2,4 millions de barils à 1,3 millions de barils par jour, selon le professeur de géographie de l’Université de California-Berkeley, Michael Watts. MEND affirme pouvoir interrompre totalement la production en quatre jours.

Watts pense que la situation dans le delta du Niger va maintenant atteindre un tournant. De puissants groupes du nord et du sud ouest font pression sur le gouvernement pour mettre un terme aux agissements des groupes armés et restaurer la stabilité afin que les compagnies pétrolières ne prennent pas la fuite et que la manne pétrolière continue d’affluer.

La crise dans le delta du Niger survient à un moment de l’histoire où les questions des réserves pétrolières et de la crise énergétique mondiale dominent le paysage. Le ravitaillement en pétrole est un grand sujet de préoccupation pour tous ceux concernés et le coût tragique de la protection de ces réserves au Nigeria est la guerre et la crise humanitaire.

Le pivot de la politique américaine est d’assurer le ravitaillement pétrolier en provenance du Golfe de Guinée et la situation actuelle touche directement les intérêts américains dans la région. La haute qualité du brut nigérian en fait un produit très prisé aux Etats-Unis et représente une part importante de sa consommation. Il est prévu que la part du pétrole nigérian passe de 14% à 25 % du marché américain d’ici à 2015, il s’en suit que Washington devrait jouer un rôle prépondérant dans l’élaboration d’un accord de paix

MEND a indiqué qu’il était prêt à ouvrir le dialogue et à négocier. Il a fait des ouvertures aux deux gouvernements nigérians au cours de ces dernières années. Laissée à elle-même la région va s’embraser en une guerre qui deviendra un désastre humanitaire. Un effort international multipartite est requis pour démilitariser le delta du Niger et de la diplomatie pour élaborer un accord de paix. Les Etats-Unis et la Communauté européenne devraient ensemble initier le processus par une mission d’évaluation qui devrait aboutir à des négociations, dans le genre des accords de paix du Vendredi Saint dans le cas de l’Irlande.

« Nous voulons que le monde sache ce qui nous arrive’’, déclare Suanu Kingston Bere. ‘’Nous voulons qu’on respecte nos droits et la liberté de dire ce qui nous appartient. Celles-ci sont nos terres ancestrales. Nous voulons que notre environnement soit décontaminé et que le gouvernement nigérian et les compagnies pétrolières nous paient des redevances pour tout ce qu’ils nous ont pris. Nous voulons profiter de ce que Dieu nous a donné. Nous ne voulons pas mourir pour cela’’.

* Kia Mistilis est une journaliste et photographe indépendante basée à San Francisco. Elle contribue au Foreign Policy in Focus et a travaillé sur des endroits aussi divers que New York et les village de Timor Leste

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