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NOTE DE LECTURE
Autopsie de la Crise Ivoirienne- La Nation au Cœur du Conflit - Par Théo Doh-Djanhoundy, L’Harmattan 2006- 112 pages

Depuis le 24 septembre 2004, la stabilité légendaire de la Côte d’Ivoire a volé en éclats. Un coup d’Etat a renversé le Président Henri Konan Bédié au pouvoir depuis 1993, après la mort du père de la nation, Félix Houphouet Boigny. Quant au chef de la junte militaire, le général à la retraite Robert Gueï, il conduira une courte transition de dix mois. Après les élections présidentielles, organisées en octobre 2000 contre Laurent Gbagbo le chef du Front Populaire Ivoirien (FPI), le principal parti d’opposition, le général Gueï quittera le pouvoir dans des circonstances troubles. Après avoir revendiqué la victoire aux élections présidentielles, le Fpi accède au pouvoir.

Des sources du conflit au pays de Houphouet Boigny

Pour beaucoup de personnes, la cause du conflit actuel est le concept de l’ivoirité, divulgué par le Président Bédié. La victime serait alors l’ex-Premier ministre Alassane Ouattara. Ce qu’on ne dit pas, c’est que Bédié n’est pas le père de l’ivoirité et qu’Alassane Ouattara avait également mis en place une politique similaire à l’égard des étrangers.

Le conflit puise ses sources dans l’échec des modèles économiques et politiques ivoiriens tels que voulus par Houphouet et ses successeurs. Le Miracle ivoirien a été combiné à une politique de construction nationale fortement tributaire d’une vision personnalisée du pouvoir. La crise ivoirienne actuelle transcende l’ivoirité. Telle est la conclusion de l’Ivoirien Doh Djanhoundy Bah Théo, juriste et politologue de formation qui termine une thèse à l’Université de Versailles sur la politique de puissance des Etats-Unis suite aux attentats du 11 Septembre 2001.

Le terme ivoirité est attribué à tort aux Présidents Houphouet, Bédié ou encore Gbagbo. Selon l’historien et ancien ministre de l’Education Nationale, Pierre Kipré, la paternité reviendrait au Président Léopold Sédar Senghor, qui l’utilisera pour la première fois en 1971 à l’Université d’Abidjan dans le but d’identifier la spécifité de la culture ivoirienne. En 1974, la formule est reprise par d’autres intellectuels ivoiriens, Pierre Niava et Niangoran Porquet, toujours dans une perspective culturelle. D’ailleurs, Niangoran Porquet se caractérisait par son inséparable Kita, tenue traditionnelle symbolisant la sagesse dans certaines régions africaines.

L’ivoirité était alors une certaine identité culturelle ivoirienne comme on parle aujourd’hui d’américanité, de francité ou africanité. On se focalise trop sur les causes politiques du conflit armé qui divise aujourd’hui la Côte d’Ivore. On en oublie les causes économiques. La crise ivoirienne ne date pas du coup de force de 1999 ni de l’insurrection armée de Septembre 2002. Elle trouve ses sources dans la Côte d’Ivoire prospère du Miracle ivoirien, de la décennie soixante-dix.

Ici l’auteur a raison d’insister sur les causes économiques de la crise ivoirienne. Il aurait dû tirer des leçons de l’exemple du Sénégal, première colonie française mis en valeur au 19e siècle avec la traite des esclaves et de la gomme arabique d’abord, la traite de l’arachide ensuite. C’était la période du miracle sénégalais qui s’est effondré au XXe siècle. La Côte d’Ivoire colonie en friche jusque dans la deuxième moitié du XXe siècle sera mise en valeur par la France. Les facteurs qui ont contribué au Miracle ivoirien sont : La hausse des cours des matières premières à la suite de la guerre de Corée (1950 - 1953), ouverture du canal de Vridi permettant d’avoir un port en eau profonde à Abidjan en 1950 et le revirement politique de Houphouet dans le sens de la collaboration avec les autorités coloniales.

Dans la recherche des causes économiques, l’auteur a été descriptif. Il n’a pas été analytique. Ce qui est la première qualité d’un chercheur. Son statut de juriste constitue un réel handicap. Il n’a pas bien appréhendé l’histoire économique et sociale de la Côte d’Ivoire. Il est étrange de voir qu’il n’a pas lu un auteur très important comme Samir Amin qui a publié un ouvrage fondamental sur son pays : Le développement du capitalisme en Côte d’Ivoire (Edition de Minuit 196).

La crise actuelle de l’ivoirité trouve ses sources dans la politique du premier Président de la Côte d’Ivoire, F. Houphouet. Dès l’indépendance, il entreprit une politique de développement du pays. Pour cela, il décida de lui fournir des cadres, une élite autochtone et une main d’œuvre abondante. Une politique d’incitation à l’immigration fournira au pays les bras supplémentaires necessaires au développement de l’agriculture. Le succès de sa politique migratoire va contraindre le Président à reviser le code de la nationalité de 1961 ? En 1970, les autochtones commencent à se plaindre de l’occupation de leurs terres par des allochtones. Cependant, Houphouet déclarera que «la terre appartient à celui qui la cultuve».

Cette politique va accroître les tensions. Pourtant en 1972 le Président fait adopter un nouveau Code la nationalité. Il va remplacer le droit du sol par le droit du sang. Il lanca une politique d’ivoirisation des cadres. La Côte d’Ivoire sera le pays de prédilection de la majorité des migrants en Afrique de l’Ouest. Etre Ivoirien de naissance pour avoir un poste de commandement n’était pas le principe fondamental chez Houphouet qui privilégiait surtout la loyauté de ses collaborateurs.

En 1994, il nommera au poste de Premier ministre, Alassane Dramane Ouattara, gouverneur de la Bceao et ex-directeur adjoint du FMI. Si Houphouet Boigny se voulait moderne et libéral en recrutant des personnes de toutes nationalités pour le développement de la Côte d’Ivoire, il n’a pas préservé le pays d’une politique tribaliste qui a vu, tout au long de son règne, la domination de son groupe ethnique, le groupe akan. Cette politique s’est manifestée par un élétisme ethnique et un grand écart de développement régional. Cela va créer deux crises majeures dans le pays.

En 1996, éclate la crise dite du Sanni qui verra, s’affronter, à l’intérieur du groupe ethnique du Président, les deux principaux sous-groupes, les Agni et les Baoulés. Les Agnis reprochaient à Houphouet de favoriser les Baoulés, dont il est issu. Ils vont contester l’hégémonie politique de ceux-ci dans l’appareil de commandement de l’Etat au point d’évoquer l’idée de se rattacher au Ghana. Houphouet ne s’est pas contenté de favoriser une partie de la population, il va étendre cette politique par le développement inégal du pays. Les zones akan, notamment au Sud, à l’Est et au Centre connaîtront un développement certain en comparaison à celles du Nord et de l’Ouest. Les hauts postes de direction de l’Etat iront aux ressortissants de son groupe ethnique.

En 1983, Houphouet va même jusqu’à faire de son village natal, Yamoussoukro, la capitale politique du pays. C’est la conceptualisation de l’ivoirité par le Président Bédié qui sera le véritable déclencheur des attaques contre une politique fort décriée au 10e congrès du PDCI, tenu le 26 Août 1995, Bédié définira le terme comme étant «un concept fédérateur, socle sur lequel repose la nation ivoirienne». Il instrumentalise le concept d’ivoirité pour asseoir son pouvoir, c’est pourquoi le coup d’Etat militaire du 24 Décembre 1999 sera accueilli favorablement par la majorité de l’opinion ivoirienne. Lorsqu’il prit le contrôle du pays, le Comité National de Salut Public, organe de transition formé par le général Gueï, donne espoir. Beaucoup de partisans du Rdr d’Alassane Ouattara y participent.

La contribution de Gueï à l’ivoirité réside principalement dans la Constitution de la IIe République ivoirienne. L’article 35 de cette Constitution va reprendre le Code électoral de 1994. Ce texte est celui qui écart Alassane Dramane Ouattara de la course à la présidence du fait de sa nationalité à polémique. L’auteur considère qu’Alassane Dramane Ouattara est bel est bien ivoirien, selon le code de la nationalité de la Code d’Ivoire. Il retrace l’évolution politique du pays jusqu’à la nomination de Charles Konan Banny comme Premier ministre.

Dans la deuxième partie, l’auteur traite de la position de France sur la crise ivoirienne et la perte de repère de la France. Il écrit «la politique africaine de la France conçue dans une optique à la fois clientéliste et paternaliste est aujourd’hui désuète mais Paris tarde à le comprendre» (p 78). La troisième partie du livre est consacrée à l’examen des relations entre la crise ivoirienne et la construction de la nation. Elle est la partie la plus faible de l’ouvrage qui contient surtout des constations.

Mais un chercheur doit aller au-delà. Cultiver le sentiment national comme l’auteur le préconise ne suffit pas à créer une nation. La formation de la nation ne comporte pas seulement des éléments objectifs (territoire, espace économique constituant un marché national, existence de classes sociales favorables à l’existence d’une nation, l’existence d’une langue de communication unique ou langue nationale, existence d’une infrastructure routière et ferroviaire favorisant des échanges internes). Au lieu d’examiner systématiquement et frontalement la question nationale en Côte d’Ivoire, l’auteur se contente de faire du volontarisme politique en préconisant des mesures qui n’ont guère réussi sous Houphouet à construire la nation comme rendre obligatoire le salut au drapeau et l’apprentissage de l’hymne national (l’Abijianaise).

L’auteur est favorable à l’instauration d’un pouvoir fort pour résoudre la crise. C’est là une position antidémocratiqe. Un régime sans soutien populaire ne peut qu’être dictatorial. Le régime qui semblait fort sous le règne de Houphouet n’a pas échappé à la crise dont les Ivoiriens sont en train de souffrir. Ce livre mérite d’être lu et discuté sérieusement, parce qu’il contient des idées très contestables.

* Amady Aly DIENG est historien sénégalais. Il enseigne à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.