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Le 29 mai 2007, le Nigeria est revenu le règne de la démocratie après plus de deux décennies de dictature politique dans notre histoire politique. Le 29 mai 2009, en ayant à l’esprit les soubresauts de l’histoire politique du pays, les Nigérians ont raison de célébrer, avec tambours et trompette, les 10 ans de démocratie ininterrompue et de transition réussie entre un gouvernement démocratique et un autre. On est heureux et satisfait de savoir que les activités et les luttes de Nigérians courageux, provenant de la société civile, des médias, qui ont engagé le cheminement vers la démocratie, ainsi que les engagements pris par les membres du G8 (devenu entre-temps le G 28), dénonçant la situation alors dangereuse, produisent maintenant des dividendes.

Les années passant, il est attendu du Nigeria de faire croître et mûrir l’expérience démocratique. Les Nigérians se réjouissent du jour où ils auront derrière eux cent ans de démocratie, comme les Etats-Unis et l’Europe.

Le Civil Society Legislative Advocacy Centre (CISLAC) se saisit de cette heureuse occasion pour féliciter tous les Nigérians. Nous nous souvenons particulièrement et nous rendons hommage à ceux qui ont luttés pour la démocratie dont nous bénéficions aujourd’hui. Nous saluons le courage de ceux qui ont donné leur vie pour cette lutte, de ceux qui ont résisté, qui ont mis leur tête sur le billot lorsque le danger était permanent et de tous ceux qui ont contribué, d’une façon ou d’une autre, depuis les tranchées, la détention, l’exil, etc. Nous saluons votre courage, votre résilience et votre persévérance. Nous avons gagné 10 ans de cheminement dans la liberté et l’autodétermination.

Nombre de choses doivent néanmoins alimenter notre réflexion. Au cours des 8 premières années de notre démocratie, nous avons dit être en phase d’apprentissage. Est-ce qu’après dix ans nous sommes toujours en phase d’apprentissage ? La maturité n’est pas juste une question de nombre d’années, même si c’est le critère le plus usuel. Lorsque nous considérons les dix années passées, pouvons-nous véritablement être fiers de ces 10 années ? Pouvons-nous dire que nos expériences, attentes et notre développement physique et mental au cours de ces 10 dernières années justifient de sortir les tambours ?

En tant qu’organisation de la société civile engagée dans la défense de la législation, pouvons- nous dire que le corps législatif a produit des institutions à même de nous rendre fiers en tant que bastion de la démocratie ? Pouvons-nous dire que les institutions ont mûri suffisamment pour rendre des comptes au peuple ? Vos réponses valent les nôtres

Malgré ces défis, le CISLAC, comme organisation de la société civile et qui a pris la tête du processus de démocratisation, affirme haut et fort que la pire démocratie vaut mieux qu’une dictature éclairée ou un régime militaire même bienveillant. En conséquence de quoi, nous n’avons de choix que de continuer de promouvoir l’avancement de la démocratie en dépit des obstacles évidents, tout en espérant qu’au cours de notre cheminement nous pourrons élaborer des normes acceptables.

Lorsque nous examinons nos dix ans de fonctionnement démocratique, nous entendons des critiques et des experts dire que le corps législatif ou le Parlement coûte trop cher. Où y a–t-il une démocratie sans Parlement ? C’est vrai que c’est coûteux, mais comme le dit le dicton « si vous trouver la scolarisation onéreuse, essayez donc l’ignorance ». Ce sont des économies de bout de chandelles. Le corps législatif est la marque même de la démocratie et en mûrissant nous ne pouvons que l’améliorer et le rendre moins onéreux.

Pendant que nous célébrons…

Il n’y a pas de doute que la démocratie à amené au Nigeria des choses à chérir. Les bénéfices de la démocratie sont là avec nous, mais nous sentons qu’on peut les améliorer et qu’il est des domaines qui doivent être ajustés afin de la renforcer et de l’amener à maturité selon des normes internationalement reconnues. La question des réformes électorales est connue de tous les Nigérians. La démocratie ne peut être réelle que si les représentants du peuple ainsi que le gouvernement reçoivent leur mandat du peuple, comme c’est le cas à travers les élections. La transparence du processus qui produit des dirigeants politiques n’est pas négociable.

Ceci nous amène au rapport de la commission du juge Mohammed Uwais. Le CISLAC prie instamment le gouvernement et l’Assemblée nationale d’accepter ce rapport, en particulier la partie traitant de la direction de la Commission Electorale Nationale Indépendante (INEC). On doit accorder foi à l’arbitre en chef si l’on veut que le système soit crédible. Nous exhortons le Président de la République d’enterrer son ego et d’entendre les organisations de la société civile et les Travaillistes à cet égard.

Corruption dans les hautes sphères

Alors que nous célébrons les dix ans de gouvernance démocratique, il est pertinent d’examiner les allégations de corruption dans les hautes sphères. Récemment, le CISLAC a créé un mémorandum des pratiques corruptrices de l’Assemblée nationale de 1999 à nos jours. Nous n’avons enregistré que les actes rendus publics ; ce qui n’est, nous le savons tous, que la pointe de l’iceberg.

Les Nigérians attendent de leurs représentants, c'est-à-dire les membres de l’Assemblée Nationale, qu’ils les protègent, raison pour laquelle ils sont déçus lorsque ces scandales les impliquent. Nos recherches montrent que la corruption dans l’Exécutif fédéral est colossale. En comparaison, ce qui se passe au niveau Parlement est dérisoire. Les membres des ministères sont connus pour être des promoteurs officiels de la corruption. Dans ces cercles, le monstre se promène sur ses deux pieds en plein jour. Même des membres hauts placés du gouvernement exigent des pots de vin et sont protégés par le devoir de confidentialité.

La plus grande partie de la corruption qui gangrène le corps législatif n’est rendue possible et facilitée que par le bras exécutif. Une de ses manifestations réside dans le mauvais usage du budget. C’est dans les ministères que les enveloppes budgétaires votées sont gardées afin d’être partagées à la fin de l’année fiscale, compte tenu du fait que le report du budget sur l’année suivante a été banni. Dans certains cas, les entrepreneurs, de connivence avec les ministères responsables, effectuent un travail de mauvaise qualité, à moindre coût, et se partagent les montants restants, à moins qu’ils n’aient carrément partagé l’argent sans exécuter le contrat.

Cette procédure prévaut dans les contrats concernant les domaines routiers, l’hydraulique et l’électrification. Ce serait mieux si le ministère des Travaux publics et le ‘’ Due Process Office’’ se réincarnait sous un autre nom. Au cours de ces dix ans, le Nigeria aurait pu devenir un grand pays, où il fait bon vivre pour ses bons citoyens. C’est seulement par la connivence qu’il peut être fait un mauvais usage du budget, comme nous l’avons vu dans le scandale du ministère de la Santé qui impliquait le sénateur Lyabo Abasanjo Bello et des ministères, ainsi que les instances de supervision qui sont devenus des instruments d’extorsion.

Participation populaire

Lorsque nous parlons de démocratie, il n’est pas possible d’ignorer la participation du peuple en qui réside l’essence de la démocratie. Au cours de ces dix dernières années, avec un système électoral tordu, quelle a été l’ouverture du gouvernement à son peuple et dans quelle mesure a-t-il accepté la participation citoyenne dans la gouvernance ? Certains diront qu’il y avait des réelles avancées, en comparaison avec la dictature militaire et relèveront le fait que des groupes intéressés ont pu assister à des audiences publiques avant que certains décrets ne soient passés.

De l’avis du CISLAC, les choses pourraient être meilleures. C’est sur cette note que nous en appelons au Parlement afin qu’il passe sans délai la loi qui permet la transparence et oblige le gouvernement à rendre des comptes. Comme nous attendons que le rapport du juge Uwais devienne loi, les Nigérians pouvant maintenant véritablement choisir leurs dirigeants puisque leur vote étant dorénavant compté. Avec, en toile de fond, le brigandage et les fraudes électorales violentes qui caractérisaient la politique par le passé.

Energie

Notre lente croissance économique est le fléau de notre démocratie. Notre croissance économique est liée à la question de l’énergie et de l’électricité. Le président Umaru Musa Yar’Adua a promis de décréter l’état d’urgence dans ce secteur. Deux ans après, son investiture, les Nigérians attendent toujours et voudraient bien comprendre les tergiversations du président dans ce secteur.

Pauvreté

L’éradication et la réduction de la pauvreté et l’industrialisation sont directement liées à la question de l’énergie. Et plutôt que de s’améliorer, nos industries ferment leurs portes. On ne peut pas dire que la démocratie s’épanouit dans une économie défaillante avec des gens appauvris. Même les petites entreprises naissantes ne parviennent pas à faire du profit, en raison de l’absence d’énergie et la pénurie de carburants qui rend impossible la mise en marche des petits générateur appelés « Chinese toys » (les jouets chinois). La vérité c’est qu’au cours des 10 dernières années la pauvreté a augmenté en même temps que les revenus pétroliers se sont accrus au Nigeria.

Economie

La diversification de l’économie est un autre domaine auquel les autorités doivent s’intéresser. L’économie du Nigeria dépend presque entièrement de l’exportation du brut. C’est un fait bien connu que le monde se détourne du pétrole. Dans les huit premières années de cette démocratie, les revenus pétroliers se sont envolés. Il reste à la nation à découvrir où ces revenus ont été investis, tout comme il lui reste à faire l’expérience d’un grand pas vers la diversification. La crise du delta du Niger est un signe que nous ne pouvons dépendre trop longtemps de cette matière première pour obtenir des devises et nous attendons toujours de voir un changement majeur de politique.

Il est dit que la Constitution de 1999 est un document établi à la hâte par des militaires fatigués de la guerre et retournant avec empressement dans les casernes. Au cours de ces dix années d’expérimentation, nous n’avons pas été capables d’établir pour nous-mêmes des normes ou même d’amender ce mauvais document. L’expérience récente entre la Chambre des Représentants et le Sénat n’a été rien d’autre qu’une manœuvre de digression. Les vrais débats sont enterrés. En dix ans, nos acteurs politiques devraient avoir mûri suffisamment pour agur dans l’intérêt public.

Conclusion

En règle générale, la gestion des affaires de l’Etat a été mauvaise et le gouvernement ne s’est pas senti obligé de rendre des comptes à la population. La démocratie se portera mieux lorsque ces domaines flous seront mieux définis. Le président n’a pas à craindre, mais doit déclarer l’Etat d’urgence promis. Oubliez la politique partisane et mettez-vous au service de l’intérêt national sur la question des réformes électorales et combattez sérieusement la corruption. Par ailleurs le corps législatif doit se réveiller et demander des comptes à l’Exécutif, exercer sa surveillance des ministères. A défaut, dans 20 ans, la situation sera la même qu’aujourd’hui. Les Etats et gouvernements locaux ne doivent pas non plus être ignorés. Si les citoyens à la base avaient reçu les dividendes d’une véritable démocratie, les Nigérians auraient mieux fêté ces dix ans de démocratie retrouvée.

Notre cher et regretté Dr Tajudeen Abdul Raheem avait coutume de dire : « En avant toujours, en arrière jamais et qu’on ne se tourmente pas, mais qu’on commence à s’organiser ».
Puisse-t-il reposer en paix !

* Auwal Ibrahim Musa (Rafsanjani) est directeur exécutif du Civil Society Legislative Advocacy Centre

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