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Abdoulaye Wade, le président sénégalais, n’est jamais à court d’idées. Il ne se passe pas un seul jour où il ne nous gratifie d’une nouvelle idée. Sont-elles toujours bonnes ? Je n’en sais rien. Mais originales, ça, elles le sont assurément. Prenez la dernière. Pendant que les Occidentaux et tout le reste du monde se mobilise pour venir en aide aux Haïtiens frappés par un terrible séisme, il leur propose tout simplement de quitter leur île pour venir s’installer en Afrique. N’est-ce pas généreux, ça ? Réfléchissez.

Si vous êtes malade, blessé, affamé, dans la rue parce que votre maison s’est effondrée, et que quelqu’un vient vous soigner et donner à manger, puis rentre chez lui après, en vous laissant là où il vous a trouvé, alors qu’un autre vous propose tout simplement de venir vous installer chez lui, lequel des deux est le plus généreux ? Eh bien c’est Abdoulaye Wade, le président du Sénégal ! Les Occidentaux et les autres, c’est de l’aide ponctuelle qu’ils donnent aux Haïtiens. Avec Wade, c’est une aide pour la vie. C’est comme cela, chez nous en Afrique. C’est comme cela, notre solidarité. Au fait, « Papy », il faudrait qu’on songe à leur envoyer les billets d’avion ou de bateau pour que les millions d’Haïtiens encore vivants puissent venir s’installer chez nous. Parce que tu sais, s’il est vrai que les Sénégalais peuvent aller aux Iles Canaries en pirogue, ce n’est pas évident d’utiliser le même moyen pour venir de Port-au-Prince à Dakar.

Même si les Haïtiens sont allés dans leur île il y a quelques siècles, dans des sortes de pirogues, celles-ci étaient quand même beaucoup plus costauds que celles qu’utilisent les passeurs sénégalais aujourd’hui. On ne va quand même pas demander aux Américains, Français, Brésiliens et autres de nous ramener les Haïtiens dans les avions qui ont servi à leur apporter de quoi ne pas mourir. Nous n’avons même pas fini de nettoyer les cases où ils devraient vivre. D’ailleurs nous n’avons pas encore choisi ces cases.

Mais connaissant Wade, je suis sûr qu’il a déjà une idée sur la question. Il pourrait par exemple payer ces billets avec ce que lui rapporteront les droits d’auteur de son monument de la Renaissance africaine. Il a déjà annoncé qu’il a droit à 30%, si ma mémoire est bonne, sur tout ce que ce monument rapportera. Comme ce monument est là pour la vie et qu’il attirera à coup sûr plus de visiteurs que la Tour Eiffel, je pense que la Banque Mondiale ou n’importe quelle autre banque ne verrait aucun inconvénient à lui avancer dès maintenant l’argent qu’il faut pour faire venir les Haïtiens.

Cependant, il me semble que, tout occupé à être généreux envers ses frères Haïtiens, le vieux Wade n’a pas remarqué une chose. C’est que tous les Sénégalais, Maliens, Ivoiriens, Burkinabé, Congolais, Camerounais, Togolais, Béninois, Nigériens, Tchadiens, Nigérians, Libériens, Guinéens, n’ont qu’une seule idée en tête : se tirer le plus loin possible de ce continent. Ils sont prêts à aller n’importe où, en Europe, en Amérique, même latine, en Israël, en Chine, au Japon, en Inde, partout. Et je suis sûr qu’avant ce terrible tremblement de terre, il y en avait qui auraient bien voulu aller en Haïti. Sais-tu pourquoi grand père Wade ? C’est que si Haïti souffre des cyclones et autres tremblements de terre, notre continent à nous subit lui aussi de sacrés calamités qui valent bien celles de Haïti.

Il est vrai que nous n’avons pas de cyclones, mais nous avons nos sécheresses, nos famines, nos criquets pèlerins, nos inondations, nos glissements de terrains, nos volcans et aussi parfois des tremblements de terre. Et comme nos pays sont développés et gérés à peu près de la même façon qu’Haïti, le jour où nous en aurons un de sérieux, ça risque d’être tout aussi désastreux. Et dans ce cas, ce seront peut être les Haïtiens qui nous demanderont de les rejoindre. Mais à côté des calamités naturelles, nous en avons d’autres de notre propre invention.

Prenons le Sénégal. Un opposant a rappelé il y a quelques jours sur Radio France International que depuis de longues années des quartiers de Dakar sont toujours inondés, faute de travaux d’assainissement. En Casamance, il y a des rebelles et des mines partout, si bien que de nombreux paysans ont abandonné leurs villages. En Guinée Bissau, on découpe le président de la République à la machette. Le Togo et le Kenya ? On s’y découpe à la machette après les élections. L’Afrique du sud ? On y découpe les étrangers à la machette. En Gambie, le président dit qu’il soigne le sida par des impositions de mains.

En Guinée, il y avait Dadis Camara et des militaires qui tirent sur la foule dans un stade. Maintenant il y a Sékouba Konaté. Je ne sais pas encore si c’est mieux, mais je ne suis pas sûr que la vie en Guinée soit meilleure qu’en Haïti. En Côte d’Ivoire aussi, on tire sur des manifestants, et il y a des miliciens au sud et des rebelles au nord. Le Liberia et la Sierra Leone ? Ils sont sous perfusion. Le Niger, il est le dernier pays au monde sur l’indice de développement du PNUD. C’est-à-dire qu’Haïti fait mieux. Et Tandja ne veut pas décoller du pouvoir. Au Soudan, il y a un génocide. La RDC où l’espace ne manque pas ? Elle est en guerre permanente.

Le Zimbabwe ? Il y a Mugabe. Mais sais-tu, grand père, la plus grande calamité de notre continent qui fait que tous ses bras valides veulent le fuir, ce sont ses dirigeants. Franchement, dis moi Papy, lequel de nos chefs d’Etat donnerait envie à un Haïtien, même très fauché, mais lucide, de venir vivre dans son pays ? Surtout que, tout comme nous allons en Europe en pirogue, lui aussi peut aller aux Etats-Unis en pirogue. Le problème d’Haïti, tu le sais, au-delà des calamités naturelles qui frappent à peu près toutes les régions du monde, et même des pays aussi puissants que les Etats-Unis, avec autant de dégâts (souviens du cyclone Katrina), c’est qu’il a été très mal géré depuis de trop longues décennies. Et c’est malheureusement le cas de la quasi-totalité de nos pays. Alors, tu veux que les Haïtiens viennent vivre sur un continent que ses habitants sont en train de fuir ? Ils sont sinistrés mais pas encore fous.

* Venance Konan est journaliste et écrivain ivoirien

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