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Premier ministre guinéen durant la période transition, Kabiné Komara a été remplacé le 26 janvier 2010 par Jean-Marie Doré. Aujourd’hui que la Guinée vit une période critique, dans l’attente des résultats du second tour de la présidentielle, il revient sur le processus de la transition sous le président Dadis Camara, explique les errements qui marquent les élections et affiche ses espoirs pour le futur de son pays.

(…) Il y a eu un engouement populaire lorsque l’armée est arrivée au pouvoir après le décès du président Conté. Tout le monde espérait un changement radical, profond, de façon à se départir des anciennes pratiques de mauvaise gouvernance du pays. La classe politique, la société civile, tout le monde a salué l’arrivée des militaires, d’autant plus que l’objectif affiché était l’organisation d’élections transparentes dans les meilleurs délais, pour que le pays sorte de la léthargie… j’allais dire de la récession à la fois morale, économique, financière et sociale dans laquelle il se trouvait. Tout Guinéen auquel on aurait fait appel à l’époque aurait accepté. J’avais accepté cette position avec la conviction, à l’époque, que nous nous engagions à la fois dans un travail profond et historique. Mais également avec la conviction que les délais et les engagements seraient tenus.

(…) Contrairement à ce que beaucoup disent, la Guinée a encore certains atouts, mais aussi des handicaps importants qu’il faut franchir. Parmi ceux-ci, la déstructuration de l’administration, le fait que le favoritisme et le non-respect de la chose publique étaient devenus monnaie courante et enfin qu’à tous les niveaux, il manquait des systèmes de procédure. En outre, beaucoup de responsables croient que la loi est faite pour les autres et ne doit pas s’appliquer à eux. Les atouts, c’est qu’on a d’énormes richesses qui ne sont pas gaspillées, que ce soit dans les domaines agricoles, miniers, hydrauliques. Le pays est encore vierge sur beaucoup de plans et il faudrait rapidement tourner ces potentialités en richesses réelles pour pouvoir élever le niveau de vie de toute la population.

(…) Il y a actuellement quatre mines de fer de classe mondiale que la Guinée va pouvoir mettre en valeur dans les trois prochaines années. Et chacune des mines va générer en termes de revenus et taxes pour l’Etat 1 milliard de dollars. En moyenne, cela fera au moins quatre milliards de dollars. Je ne vois pas de pays en dehors du Niger capable d’avoir dans une échéance de quatre à cinq ans cette manne de ressources financières assez rapidement. Et ça je vous parle uniquement de ces quatre mines pour lesquelles vont se développer un réseau d’infrastructures dont nous manquons cruellement. Si la mise en valeur est faite intelligemment, cela va avoir un effet d’entraînement sur le reste de l’économie, que ce soit en termes de routes, d’hôtellerie, de télécommunications, de services. Donc les richesses, le potentiel minier guinéen sont un formidable levier de développement

(…) J’ai toujours souhaité que la Guinée ne soit plus le pays des occasions manquées. L’arrivée du capitaine Dadis, du Cndd (ndlr : Conseil national pour la démocratie et le développement) - je le dis comme ça, puisque ce n’est pas lui qui a fait un coup d’Etat, c’est la disparition du président Conté qui a laissé la voie à un vacuum que les militaires ont facilement rempli avec la bénédiction de la classe politique, de la société civile et de toute la population - avait créé un formidable espoir, une adhésion populaire.

Au fur et à mesure que les choses évoluaient, l’inexpérience des jeunes militaires couplée avec l’influence des courtisans qui conseillaient nuitamment, des attitudes qui déviaient de l’objectif initial ont commencé à créer des inquiétudes à tous les niveaux. Mon rôle était, autant que je pouvais, de manière ferme et intelligente, de voir comment faire pour orienter, sauver l’essentiel de façon à ce que dès que possible, le pays puisse se mettre sur les rails dans le sens des promesses qui avaient été faites lorsque le Cndd arrivait au pouvoir.

(…) J’étais convaincu que tôt ou tard la Guinée s’en sortirait et lorsque certains m’ont demandé à un moment donné pourquoi je n’ai pas démissionné depuis le 28 septembre, je leur ai dit : «écoutez, ma situation est similaire à celle d’une personne qui se trouve dans un bateau qui a pris feu avec les membres de sa famille qui sont en train de se disputer. J’avais deux possibilités : ou me jeter à l’eau en tentant de sauver ma propre tête et laisser le bateau brûler avec ma famille ; ou alors avoir le courage de rester contribuer à éteindre le feu, réconcilier ma famille et après se consacrer à autre chose». J’ai fait ce deuxième choix malgré toutes les pressions que j’ai subies.

(…) C’est là qu’il faut être patient. Quand vous avez quelqu’un en face qui est inexpérimenté (Ndlr : le capitaine Dadis), qui vient de prendre le pouvoir, qui croit qu’il peut tout, il ne faut pas nécessairement lui jeter l’anathème. J’étais convaincu que tôt ou tard il se rendrait compte que la gouvernance ne va pas comme ça. Et d’ailleurs, quand il s’est rendu compte – je dois lui reconnaître cette grandeur – de son erreur, il m’a publiquement fait des excuses.

(…) Ce jour-là, je partais à Bissau pour assister aux obsèques du président Nino quand, le matin, le Secrétaire général du ministère des Mines est venu me voir pour me dire que la Direction de la société minière de Dinguiraye était venue se plaindre du fait que des militaires étaient allés les arraisonner pour leur imposer d’aller construire des pistes rurales, de faire des puits dans leurs villages sinon ils allaient fermer l’usine. Il voulait que j’intervienne. Il était avec ses deux directeurs. Je le prends dans mon bureau, seul, et je lui dis : «Ecoute, je m’en vais à l’aéroport, voilà ce que tu vas faire. Je ne peux pas régler ce problème puisque c’est des militaires, vois tel monsieur et explique lui pour qu’il voie le Président. Si tu ne peux pas, va voir le président le soir et dis lui qu’il faut qu’il intervienne».

Alors, le soir, il est allé voir le président en lui disant : «Monsieur le président, il y a tel et tel autre problème, j’ai vu le Premier ministre ce matin avec les messieurs…». Immédiatement, avant qu’il ne finisse, le président s’est énervé : «il a osé vous recevoir. Il ne doit recevoir personne sans mon autorisation». Donc il a tenu les propos que vous connaissez et quelqu’un a enregistré ces propos dans son bureau. Trois mois plus tard, ces propos se sont retrouvés dans le public. Et donc tout le monde était au courant sauf moi.

Un de mes ministres est venu me voir un soir au bureau, m’a fait écouter en me demandant de démissionner. J’ai souri. Il m’a demandé pourquoi je riais. J’ai dit parce que c’était très amusant : pourquoi la personne qui les a enregistrés ne les a pas balancés en ce moment là et attend maintenant ? J’ai dit qu’il a un agenda, soit parce qu’il s’attendait à ce que je sois viré à l’époque. Maintenant que ça ne marchait pas, il voulait me pousser à démissionner. J’ai appelé le Président le soir en lui disant que je voulais lui faire écouter ses propos. Entre-temps, ma fille m’a téléphoné, pleurant, du Canada, en disant qu’elle était scandalisée par ces propos. Et puis elle me dit une phrase particulière : «Le président t’accuse de venir chercher de l’argent. Ça, nous ne pouvons pas l’accepter, nous savons quel régime de vie tu nous as imposé depuis très longtemps».

Je suis allé voir Dadis. Il était avec le colonel Korka Diallo. Je lui ai dit : «Monsieur le président, j’ai écouté tel enregistrement, ça ne m’a rien fait, mais c’est pour vous que j’ai pitié parce que ça veut dire que vous n’êtes pas en sécurité dans votre bureau, si les gens peuvent enregistrer ou faire ce qu’ils veulent. En plus, j’ai mes enfants qui sont très choqués». Il a demandé à parler à ma fille et s’est excusé auprès de ma fille et a promis de s’amender ; voilà ce qui s’est passé.

(…) C’est là que je dis qu’il faut être patient. Quelque temps après, il s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas recevoir tout le monde, matin et soir. Il s’est rendu compte que c’était invivable, il a fini par laisser les gens recevoir. Par la suite, tout ce qui était gestion financière, budgétaire, il l’a rattaché à sa personne. C’est un choix qu’il a fait que je n’ai pas partagé, mais quelque part, cela m’a aidé parce que ça m’a

(…) Si j’avais démissionné, à l’époque, il y a beaucoup de choses qui auraient pu se passer. Et tout le monde l’a reconnu, j’ai eu des lettres de la communauté internationale, des Nations-Unies, de la Cedeao qui ont solennellement reconnu ce rôle. Il y a beaucoup de choses qu’on a faites en douce pour sauver la situation, même quand les opposants étaient interdits de ceci ou cela. Comment j’ai fait en relation avec les chefs d’Etat voisins de manière très intelligente pour faire revenir Dadis sur certaines décisions ? Si j’étais quelqu’un d’orgueilleux qui devait le braver à tout bout de champ, on n’aurait rien réussi. Des éclats auraient pu créer des situations catastrophiques pour le pays

(…) Konaté (l’actuel président) a une aversion du pouvoir, ce qui est dans l’intérêt de la Guinée dans la situation actuelle. Il n’a jamais voulu, il ne s’est jamais accroché au pouvoir, quel que soit ce que les gens ont pu lui faire miroiter, et je salue ce courage et cette attitude. Et il a vite compris que les régimes militaires n’étaient plus ce qui peut faire le bonheur d’un pays et que tant que le régime militaire resterait en Guinée, le pays serait bloqué. Donc il a compris qu’il faut que les militaires s’effacent intelligemment au profit d’un régime civil, seul à mesure de bénéficier du soutien de la communauté internationale. C’est de la lucidité.

Dadis avait ça au début. Mais Dadis est tombé… (il ne poursuit pas). La faiblesse humaine est ce qu’elle est. Konaté en a tiré les leçons, Dadis de même.

Je voudrais que les gens soient tolérants par rapport à ce qui se passe en Guinée. C’est un pays où il n’y a jamais eu la possibilité d’organiser des élections de cette nature. Et je crois que dans la sous-région, c’est la première fois que des élections de cette nature se tiennent. C'est-à-dire un régime au pouvoir qui n’est pas intéressé et qui n’a pas de candidat. Peut-être avec ATT (ndlr : Amadou Toumani Touré, président malien), il y a de cela vingt ans, sinon il n’y en a pas dans les pays voisins. Tous ceux qui organisaient des élections étaient intéressés. Donc organiser dans ces conditions avec un régime qui dit qu’il n’est pas intéressé et qui veut que les structures soient indépendantes, voyez que c’est une expérience difficile, j’allais dire spéciale. Et qu’il y ait quelques imperfections techniques par-ci, par-là, c’est tout à fait normal.

Mais le plus important est l’opportunité qui est donnée aux Guinéens de manière massive de pouvoir s’exprimer. Je voudrais que les Guinéens soient indulgents par rapport aux imperfections par-ci, par-là et qu’ils mettent les intérêts supérieurs du pays au-dessus de tout. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas flétrir les actes malveillants et tout ce qui peut amener le peuple à regretter l’opportunité qui lui est donnée de s’exprimer et de choisir ses dirigeants. (…)

* Kabiné Komara, ancien Premier ministre de la Guinée – ce texte extrait d’un entretien accordé au journal sénégal Le Populaire (http://www.popxibaar.com/KABINE-KOMARA-ANCIEN-PREMIER-MINISTRE-DE-GUINEE...)

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