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Mes compatriotes africains, nous devons nous demander quel prix additionnel nous sommes prêts à payer pour courir derrière le mythe du développement ou si nous allons redéfinir le développement et la croissance afin d’inclure des bénéfices plus généraux et plus inclusifs. En cela, l’Afrique du Sud fournit des enseignements importants au reste de l’Afrique. Pour éviter de parvenir aux mêmes résultats dommageables et inéquitables, nous devons redéfinir le paradigme de notre développement afin de nous concentrer sur un développement plus localisé et qui provient de la base.

En décembre 2012, à Doha au Qatar, il s’est passé quelque chose de significatif dans la politique du monde du changement climatique : une assemblée de gouvernements nationaux, sous les auspices des la Convention Cadre sur le Changement Climatique des Nations Unies, l’organe responsable de la gouvernance global du climat, a officiellement reconnu l’échec collectif pour protéger le climat et a introduit une ère nouvelle du changement climatique, celle de "pertes et dommages". Ainsi, que vous soyez ou non une personne préoccupée par cela, vous êtes quelqu’un qui vit dans un climat qui change de plus en plus dangereusement. La question à laquelle nous sommes maintenant tous confrontés collectivement n’est pas de savoir si nous pouvons l’empêcher, mais plutôt à quel niveau de gravité nous le laisserons parvenir et, la réponse que nous y apporterons, pourrait bien définir notre génération.

ACCEPTER L’ECHEC

Dans l’espace de ma courte vie, et probablement de la vôtre, nous avons vu l’émergence de trois ères de changement climatique. La première était dans les années 1990, lorsque nos gouvernements ont commencé à accepter que, pendant que nos sociétés industrielles crachaient plus de gaz à effets de serre dans l’atmosphère, nous amenions potentiellement sur nos têtes un changement climatique qui s’emballait dangereusement et que par conséquent nous devions réduire nos émissions de gaz à effets de serre afin d’éviter de créer un monde défini par le chaos climatique. Puis vint l`ère de l’atténuation

Environs dix ans plus tard, nous avons réalisé (c'est-à-dire le monde développé et des riches globaux) que nous n’avons pas fait assez pour atténuer (c’est dire ralentir) les émissions et que notre climat allait commencer à changer en raison de nos actions et inactions, ce qui nous obligeait à nous adapter aux changement climatiques tout en atténuant afin d’en diminuer l’impact. Puis vint l’ère du changement climatique, l’adaptation

Hélas, dix ans plus tard, les Nations Unies reconnaissaient une fois de plus l’échec pendant que nous prenions conscience que nos mesures aussi bien d’atténuation que d’adaptation étaient insuffisantes et que nous allions être confrontés à des pertes substantielles comme conséquence des changements climatiques induits par les hommes ou réchauffement global. Ainsi, face à la déception humaine collective, nous avons annoncé une troisième ère de changement climatique : pertes et dommages

Comme le montre la science précise du climat, les impacts de nos contributions négatives sont déjà perceptibles dans le monde sous formes de sécheresse plus intenses et plus nombreuses, d’inondations, d’ouragans et de nombreuses autres manifestations météorologiques extrêmes qui vont de pair avec l’apparition de problèmes à la manifestation plus lente comme la montée des niveaux des mers, la désertification et l’intrusion de l’eau salée. Ces manifestations sont celles d’un monde qui change et va vers un réchauffement global et servent à prédire des évènements pires, plus intenses et extrêmes à venir

Aussi désagréable et frustrant que cela puisse être de voir rater bon an, mal an, les opportunités pour changer, c’est la réalité à laquelle cette génération sera confrontée et dont les générations futures hériteront. Toutefois nous avons les moyens de limiter les effets négatifs du changement climatique, mais seulement si nous agissons, seulement si nous sommes critiques et revisitons et redéfinissons ce qui nous anime, reconsidérons les idées qui sous-tendent notre paradigme de développement, les objectifs qui nous motivent et influencent nos relations aussi bien entre nous, qu’entre nous et notre environnement. Il n’y a pas de doute que ceci requiert une réflexion approfondie et c’est dans cette réflexion que réside un monde de possibilités aussi bien négatives que positives

En assistant jour après jour aux frustrantes conférences des Nations Unies sur le changement climatique, j’ai appris que nous ne pouvons pas compter sur la gouvernance globale pour nous sauver, nous et le climat. C’est ce que nous avons fait pendant plus de vingt ans et voyez où cela nous a mené (Cf 400 ppm). Prenant conscience des limitates de la gouvernance globale, nous devons prendre une part plus active pour aborder le problème nous-mêmes afin d’éviter de regarder en arrière et de blâmer un système de gouvernance international défectueux, alors que le vrai pouvoir de changement est dans nos propres mains.

Répétant une citation de Théodore Roszak, toute notre économie mondiale n’est pas faite par les Nations Unies mais est plutôt "construite par des millions (maintenant par des milliards) de petits actes privés de soumissions psychologiques et d’acquiescement de ceux qui jouent le rôle qui leur est alloué de rouage dans la grande machine sociale (et dans notre cas destructeur)"

Oui, le défi est le nôtre comme individu, comme citoyen, comme dirigeant pour créer le monde que nous voulons, ou du moins le meilleur des mondes possibles compte tenu des cartes que nous avons en main.

APPRENDRE DES ECHECS

Quelque 60% des terres arables non utilisées, une bonne part des ressources non exploitées et sept des pays à la croissance des plus rapide sont sur le continent africain, et l’Afrique, à beaucoup d’égards, aspire au développement, à dépasser les contraintes de la pauvreté pour entrer dans les possibilités du monde. Cette aspiration aux changements en Afrique nous fournit une occasion unique de redéfinir la croissance comme n’étant pas quelque chose qui se mesure par un Pib abstrait, qui nous pousse célébrer comme succès la croissance extractive inéquitable et rapace, mais plutôt de définir la croissance comme étant le développement du bien-être humain et du bonheur conjointement avec l’intégrité écologique, croissance qui est inclusive, significative et durable plutôt que marginalisante, superficielle et fugace.

En Afrique du Sud, comme en de nombreux endroit sur le continent africain, nous sommes confrontés à un dilemme apparent : nous avons une économie industrielle en expansion que nous alimentons avec des énergies fossiles bien que les dites "résolutions vertes" nous dictent de procéder autrement. Ceci étant, il semble que sommes pris entre le marteau et l’enclume. Toutefois, maintenant, plus que jamais, nous devons regarder au-delà de ce faux dilemme.

Il est vrai que l’Afrique du Sud ne peut pas continuer à alimenter l’économie industrielle actuelle sans des méga projets énergétiques. Mais quels sont les produits de notre propre économie qui ont une telle valeur que nous soyons contraints de le faire ? Le développement, décidé en haut de l’échelle, de l’extraction inéquitable qui souvent ne profite qu’à quelques uns au détriment du plus grand nombre. Obtenons-nous les résultats économiques et sociaux que nous souhaitons ? Je n’en suis pas sûr pour la majorité des Sud Africains.

Nous, en Afrique du Sud, devons remettre en question et repenser le paradigme de développement qui a fait de nous l’une des économies qui émet le plus de gaz à effets de serre et les plus intensives en matières de consommation de ressources au monde, tout en permettant encore un si grande pauvreté et une si grande inégalité. Ceci se manifeste par la croissance urbaine incontrôlée, avec des îlots de richesse aux mains de l’élite au milieu de l’éclosion de bidonvilles, couplé avec un développement dépourvu de sensibilité et souvent dégradant. L’Afrique du Sud occupe maintenant le 128ème rang (sur 132 pays) à l’index de la prestation environnementale et est l’un des pays des plus inéquitables au monde. Bien sûr, nous ne devons pas jeter le bébé avec l’eau du bain et renoncer aux bénéfices qu’un tel développement a apportés. Mais nous devons nous demander combien nous sommes prêts à payer plus pour poursuivre une idée aussi destructive du "développement" ?

Le paradigme de développement industriel, que nous semblons vouloir poursuivre à n’importe quel prix en Afrique du Sud, est entrain d’échouer dans le monde occidental. Dans une mesure significative, la raison pour laquelle le système a commencé par fonctionner, a été l’exploitation des autres par l’Occident et l’exportation des impacts négatifs à l’extérieur de leurs frontières. Nous n’avons pas tout à fait accès à ce même privilège (pervers). Donc, pourquoi émuler quelque chose qui n’est pas "durable" quel que soit la façon dont vous choisissez d’interpréter ce terme fameusement ambigu ?

Selon les propos de John Perkins : "[Souvent] nous préférons croire aux mythes selon lesquels des milliers d’années d’évolution ont fini par perfectionner un système économique idéal plus que de nous confronter au fait que nous avons acheté un concept fallacieux et l’avons accepté comme parole d’Evangile. Nous nous sommes persuadés que toute croissance économique bénéfice à toute l’humanité et que plus la croissance est importante plus les bénéfices seront généralisés. Finalement nous nous sommes persuadés les uns les autres que ce corollaire est vrai : que les ceux qui excellent à alimenter le feu de la croissance économique devraient être portés aux nues et récompensés…."

Alors que les dirigeants dans toute l’Afrique tentent d’alimenter le feu de la croissance économique, nous devons continuellement nous demander si les produits qu’ils vendent ressemblent au mythe décrit par Perkins : un mythe qui jette notre futur aux orties au nom d’une croissance économique bancale. Mes compatriotes africains, nous devons nous demander quel prix additionnel nous sommes prêts à payer pour courir derrière ce possible mythe ou si nous allons redéfinir le développement et la croissance afin d’inclure des bénéfices plus généraux et plus inclusifs.

L’Afrique du Sud fournit des enseignements importants au reste de l’Afrique. Parce que, pour éviter de parvenir aux mêmes résultats dommageables et inéquitables, nous devons redéfinir le paradigme de notre développement afin de nous concentrer sur un développement plus localisé et qui provient de la base. Ceci inclut des considérations écologiques, de justice et de santé comme indicateurs vitaux de développement moins gourmand en ressources pour lesquels des énergies renouvelables sont souvent plus appropriées. De plus. Il y a urgence à procéder ainsi parce que, comme l’a dit Faith Briol, chef économiste à l’Agence Internationale pour l’Energie, "surseoir à l’action est une fausse économie : pour chaque dollar qui n’aura pas été investi dans des technologie propres dans le domaine de l’énergie avant 2020, 4.30 dollrs additionnels devront être dépensés pour compenser l’augmentation des émissions [et l’impact climatique associé] "

L’AFRIQUE DOIT REPRENDRE LA MAIN

Pas d’erreur possible ! L’Afrique sera durement frappée par les ravages du changement climatique, lequel a un grand potentiel pour encore exacerber davantage les problèmes sociaux et environnementaux. Raison pour laquelle nous devons apprendre à être unis, à nous aider les uns les autres lorsque nous sommes dans le besoin, à travailler ensemble pour créer la prospérité face à une adversité qui va s’empirant, et à nous adapter

Oui, c’est une grave injustice que nous en Afrique soyons le plus durement touché par un problème que nous avons le moins contribué à créer et nous devons lutter pour la justice climatique et nous assurer que ceux qui sont le plus coupables soient confrontés à leurs responsabilités. Toutefois, mes frères africains, nous devons être prudents en jouant au jeu de la culpabilité. Parce que, nous et nos politiciens, sommes souvent trop pressés de blâmer les autres (Occidentaux) pour nos problèmes afin de nous excuser nous-mêmes pour nos inactions et nos échecs. Selon la formule hyperbolique de Fayiso Stevens, "si les Africains passaient la moitié du temps pour résoudre leurs problèmes qu’ils mettent à chercher des coupables, ils n’en auraient plus…"

Accuser des agents ou des forces extérieurs pour des problèmes, quelque soit la légitimité des accusations, peut mener à une grave diminution de la perception la nécessité de l’action et de la capacité d’agir pour résoudre ses propres problèmes. En effet, l’émergence d’un sens de l’action sur tout le continent africain qui combat le discours d’impuissance, sera nécessaire pour faire face à la crise. L’adversité requiert une action avancée et ainsi notre tâche consiste à donner le pouvoir à l’Afrique. Cet appel sonne avec une urgence croissante face au changement climatique

VERS LE SUCCES

Bien que nous vivions à une époque définie par nos échecs passés, j’ai bon espoir pour notre climat et notre futur (bien que parfois je sombre dans un profond désespoir face à ce qui semble être un problème insurmontable). Ma raison d’espérer réside en nous. J’ai vu des jeunes, des adultes et des vieillards affronter bravement des institutions des plus puissantes et les plus prédatrices au monde, afin de lutter pour leur futur. J’ai vu le mouvement pour le climat croître et rejoindre les autres mouvements sociaux alors que nous réalisons de plus en plus que les questions environnementales et sociales sont profondément enchevêtrées.

En effet, il y a de nombreuses preuves que nous sommes à la veille d’une véritable transformation sociétale internationale historique. Que nous saisissions cette occasion de changement et entrions dans un nouveau paradigme de croissance et de développement n’est pas une question à laquelle on peut répondre depuis les salles de conférences climatisées des Nations Unies. Cela dépend plutôt de chacun d’entre nous. Le problème de notre futur trouvera sa réponse dans un mouvement global croissant, prêt à dire la vérité aux puissants et à changer le cours désastreux que nous suivons actuellement. La révolution ne sera pas télévisée, bureaucratisée ou résolue à coup de pétitions, la révolution doit être popularisée

J’ai déjà rencontré et lu les réflexions des grands penseurs et vu et entendu parler de nombreuses actions puissantes qui contribuent au nouveau paradigme. Ayant eu un aperçu de la signification possible de ce nouveau paradigme, je veux continuer à faire ma part dans la lutte pour la justice sociale et environnementale afin d’aider à créer un futur meilleur pour l’Afrique et pour les peuples du monde entier.

Entendrez-vous l’appel pour une justice environnementale, sociale globale et ferez-vous de même ? Parce que nous les Africains avons besoin de vous, les populations du monde, les riches et spécialement les pauvres, les vulnérables et les assurés, le présent et le futur, parce que, un futur juste a besoin de vous et de tous les autres aussi. J’espère que vous le ferez.

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** * Alex Lenferna est doctorant dans la South African Mandela Rhodes & Fulbright. Son domaine d’étude est la philosophie à l’université de Washington focalisée sur le changement climatique, la pauvreté, l’inégalité et la justice – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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