Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF
VOA

Pour la première fois dans l’histoire de l’organisation régionale ou de son prédécesseur, l’Organisation de l’unité africaine, le Conseil de paix et de sécurité a créé une commission d’enquête. Elle est en charge d’enquêter sur les violations des Droits de l’homme et autres exactions commises pendant le conflit armé au Soudan du Sud.

Les images de Charles Taylor, lors de son arrestation et de son inculpation en 2006 pour les crimes commis durant la guerre civile de Sierra Leone, ont fait la Une de tous les sites d’informations. Lorsqu’il a été condamné en 2012, le spectacle a été largement diffusé à travers le monde. Ailleurs, les rouages de la justice au Tribunal pénal international pour le Rwanda ont fonctionné sans relâche depuis 1995. Avec 95 actes d’accusation, et après 49 condamnations, on continue de déplorer les génocidaires qui sont toujours en liberté.

Alors que la Cour pénale internationale continue d’engager des poursuites contre plusieurs dirigeants africains, la tentative remarquable d’une institution africaine pour colmater la brèche passe largement inaperçue. Récemment, certaines régions de l’Afrique ont été témoins de violences à une échelle qui a choqué ses habitants, suscité une condamnation internationale et, dans certains cas, donné lieu à un appel pour une intervention de la communauté internationale.

Les récentes atrocités commises en République Centrafricaine et au Soudan du Sud ont fait les grands titres, mais il y a eu d’autres explosions de violence en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, au Kenya, en Libye et au Mali. L’Union africaine (Ua) est constamment critiquée pour ne pas en faire assez pour lutter contre l’impunité sur le continent et pour ne pas avoir condamné et rejeté expressément l’impunité.


Le 30 décembre 2013, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a pris une mesure sans précédent. Pour la première fois dans l’histoire de l’organisation régionale ou de son prédécesseur, l’Organisation de l’unité africaine, le Conseil de paix et de sécurité a créé une commission d’enquête. Elle est en charge d’enquêter sur les violations des Droits de l’homme et autres exactions commises pendant le conflit armé au Soudan du Sud, le plus récent membre de l’Union africaine et la plus jeune Nation du monde.


Dans un contexte où des critiques sont formulées par certains dirigeants africains au sujet de l’attention particulière portée aux affaires africaines par la Cour pénale internationale et où des appels sont lancés pour que l’Union africaine prenne les devants en matière de poursuites, il s’agit d’un développement sans précédent et d’un tournant politique.

La Commission a un mandat important qui inclut les enquêtes sur les violations et atteintes aux droits humains par toutes les parties au conflit et l’identification des personnes responsables afin qu’elles puissent rendre des comptes devant la justice. La Commission fera également des recommandations sur les moyens de promouvoir la réconciliation et l’apaisement entre toutes les communautés du Soudan du Sud.

Le conflit du Soudan du Sud, qui a commencé par une lutte de pouvoir au sein du parti dirigeant, le Mouvement populaire de libération du Soudan (Spml), a désormais une connotation ethnique, opposant les deux principaux groupes ethniques l’un contre l’autre, les Dinka du président Salva Kiir et les Nuer de son ancien adjoint, Riek Machar. Les deux factions ont supposément commis des atrocités, y compris des actes de nettoyage ethnique et d’exécutions ciblées.

De nombreux Soudanais du Sud, qui avaient déjà enduré des décennies de guerre civile brutale entre le sud et le nord, se trouvent à nouveau dans une situation similaire. Des milliers d’entre eux ont fui vers les pays voisins ou se sont déplacés à l’intérieur du pays. La situation humanitaire est catastrophique. La Commission d’enquête devra procéder à ses travaux dans un contexte de crise persistante des droits humains. Etablir la vérité sur ce qu’il s’est passé et traduire en justice ceux qui ont commis des atrocités seront des étapes importantes pour réunir à nouveau cette jeune Nation divisée.

Le rejet de l’impunité n’est pas un simple slogan ; la justice doit être rendue aux yeux de tous. La création de cette Commission est engagée dans une évolution importante pour la lutte pour la responsabilisation en Afrique. En 2013, l’ancien président tchadien en exil, Hissein Habré, a été assigné à comparaître devant les Chambres africaines extraordinaires, un Tribunal hybride mis en place au sein des juridictions sénégalaises pour la poursuite des crimes contre l’humanité supposément commis durant sa présidence. De nombreux acteurs, et parmi eux, l’Union africaine, avaient recommandé son procès par le Sénégal en 2006, démontrant que l’Union africaine peut être innovante et efficace dans le processus de responsabilisation des coupables.

Une faible importance est attribuée aux efforts comme ceux-là alors qu’ils sont essentiels pour atteindre les objectifs de la recherche de justice et de responsabilisation d’une part, et de paix et de stabilité d’autre part ; ces deux objectifs se renforçant mutuellement. Il n’existe pas de tribunaux régionaux ayant pour mandat de juger des affaires pénales - la Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples n’est pas mandatée pour le faire. Peu de juridictions nationales ont actuellement la compétence ou la capacité de juger de tels cas, y compris les tribunaux du Soudan du Sud. Pour surmonter les défis qui pourraient survenir avec les recommandations de la Commission, les Soudanais du Sud, l’Union africaine et leurs partenaires doivent faire preuve de créativité et être engagés à réaliser la justice pour les victimes.

Un Soudan du Sud pacifique et unifié doit avoir la confiance nécessaire pour affronter ce moment sombre de son histoire et garantir la justice pour les victimes. 
Mwalimu Julius Nyerere disait : «Nous devons être les gardiens de nos frères et de nos sœurs.» C’est le moment de prendre le taureau par les cornes et de montrer que l’Union africaine est réellement déterminée à en finir avec l’impunité sur le continent, en particulier pour les crimes atroces.

L’Onu appuie les efforts déployés en faveur de la justice au niveau régional. Les auteurs de crimes atroces doivent en être avertis. Nous savons qu’ils vont surveiller de près les travaux de cette première Commission d’enquête. S’il n’y a pas de justice, vous pouvez être sûrs que les atrocités vont continuer et ce sera le retour à «la routine». Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser la «Re­nais­sance africaine» être ternie par les actes de criminels. La Commission d’enquête doit bien faire ; le monde entier est en train de l’observer.



CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



* Ne vous faites pas seulement offrir Pambazuka ! Devenez un Ami de Pambazuka et faites un don MAINTENANT pour aider à maintenir Pambazuka LIBRE et INDEPENDANT ! 
http://www.pambazuka.org/fr/friends.php



** Adama Dieng est secrétaire général adjoint - Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide

*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News

**** Les opinions exprimées dans les textes reflètent les points de vue des auteurs et ne sont pas nécessairement celles de la rédaction de Pambazuka News