Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF
Nurax

Le 19 mars 2000 est devenue une date historique pour le Sénégal. L’ensemble du pays a été gagné cette année par des manifestations. D’aucuns ont politisé le non politiquement sensé et n’ont pas évité de verser dans l’absurde. D’autres, pour sauvegarder des intérêts économiques au terme d’une âpre bataille contre le régime, ont convergé vers le centre ville et rallié des voix autour de leur personne. Le hip hop, avec le mouvement « y’en a marre ! » n’a pas été en reste dans la course à la visibilité populaire. Mais ce que le 19 mars n’a pas réussi, c’est qu’il n’a pas redonné espoir au peuple en quête de justice sociale.

Prendre l’initiative d’une marche de revendication le jour du 19 mars (1) est légitime dés lors qu’il y a des choses qui ne marchent pas dans le pays. Le fêter en grandes pompes est également admis, surtout pour les gouvernants. C’est une occasion pour eux de revivre, de manière joyeuse avec tous les honneurs et décorations que cela peut impliquer, les moments de leur accession au pouvoir.

Le 19 mars est devenu et restera probablement le prolongement de la bataille entre une opposition qui cherche à battre un pouvoir qui se pérennise, surtout lorsque celui-ci a la prétention de s’y fixer au moins pour 50 ans. Voilà deux factions qui se disputent le monopole de la légitimité populaire. Si l’on s’interroge sur la date du 19 mars 2011, pour savoir la place qu’a détenu le peuple dans les manifestations, on retiendra que tout le monde a eu droit à la parole. Une chose dont on doit se féliciter pour le Sénégal et saluer la clairvoyance du régime en place à ce propos.

Mais les causes de la grogne populaire ne sont pas résolues. A ce niveau de l’évolution socio-économique du pays, un bilan des onze années d’exercice étatique du régime de l’alternance démocratique est nécessaire. Mais le 19 mars 2011 n’a pas eu cette intelligence.

Le peuple est cité souvent de part et d’autre des fronts politiques opportunistes pour se revêtir d’une certaine autorité, sans lui allouer une contre partie sociale. La justice sociale dont on parle et qui revient de droit au peuple sénégalais est loin d’être atteinte. Il est regrettable de constater que dans ce pays on lutte plus contre cette dite justice qu’on ne cherche en réalité à la réaliser.

La gouvernance étatique procède par affinités en fonction de ses propres intérêts politiciens en lieu et place du formalisme qui lui est sien dans l’exécution de son devoir. Dès lors, les chances d’accès à un bien être social deviennent sérieusement entamées.

Il faut reconnaitre au régime libéral des réalisations importantes dans beaucoup de secteurs. Mais les politiques et les planifications économiques ont mal tourné. Le contexte de la crise mondiale y a contribué certes. Toutefois, l’incompétence dans la gouvernance détient une grande part dans l’explication de l’échec économique et social de l’alternance. Il n’est plus besoin de revenir entre autres sur la flambée des prix des denrées de première nécessité, du loyer, les perturbations dans l’enseignement, le manque d’emploi pour la jeunesse, les difficultés de l’armée et des populations en Casamance, l’environnement dans la banlieue et encore moins sur la gestion de la production énergétique dans le pays, richesse dont la pénurie manifestée par les délestages permanentes et longues exaspèrent et indisposent la vie des citoyens.

L’alternance parait pour être un cadeau empoisonné. Elle a réussi à offrir au peuple les moyens du suicide, jusqu’à « l’immolation par le feu » et cela devant les grilles du palais de la république. Des actes significatifs et pleins de message pour les gouvernants. Si des croyants en arrivent à recourir au suicide peu importe les formes qu’il prend, c’est parce que certaines de nos institutions socioculturelles ne fonctionnent plus devant les impératifs végétatifs des citoyens ou devant l’échec de la poursuite du consentement social qui leur est cher au sein de leur famille ou de leur communauté. A qui la faute ? L’alternance du 19 mars 2011 n’a pas proposé au peuple suicidaire de par son incompétence l’antidote du poison de l’alternance du 19 mars 2000.

Le pouvoir certainement aimerait nous voir citer l’ensemble de ses réalisations ou du moins les plus importantes de même que toutes les critiques positives qu’il a eu à capitaliser. Nous ne nous écartons pas de ce souhait. Mais, tout ce qu’un peuple peut attendre d’un pouvoir qui lui a requis une légitimité pour le représenter c’est que celui ci fasse quelque chose. Il peut naturellement s‘étonner des insuffisances relevées. C’est présentement le cas au Sénégal. Pourquoi donc se servir du peuple pour se légitimer ou pour avoir une certaine représentativité alors que l’on a du mal à le satisfaire ou à le respecter.

Il faut reconnaitre que le peuple est un condensé ignorant, naïf et mécanique qui se fonde sur une agrégation d’individus d’origine diverse et qui, à un certain niveau se confond à une abstraction. La foule qui en est une expression matérielle est en réalité une masse folle et susceptible, que l’on manipule à souhait si l’on sait s’y prendre. D’aucuns convoquent la foule sous le prétexte de la légitimité du peuple c'est-à-dire la justice sociale souvent sous le coup de la démagogie. Prendre parti pour le peuple ne doit point être une stratégie lorsque par exemple des intérêts économiques y contraignent. Même en situation d’affaire, il est convenable de satisfaire à ses devoirs citoyens. Cela participe du respect du peuple. Assumer la transparence de la gouvernance pour la mouvance majoritaire y souscrit également.

Ce que nous devons retenir de ce 19 mars démocratique de l’an 2000, c’est que le grand perdant de cette alternance c’est effectivement le peuple qui à joué sa carte et ses espoirs sans y gagner grand chose. Il souffre de son élite. Par contre, les grands gagnants de ce jeu concours qu’il a lui-même financé et qui s’est soldé par une alternance le 19 mars 2000, ce sont les « alternoceurs » (2) de cette ère transitionnelle et les frustrés économiques de ces noces. Dans tout jeu social, il y a un gagnant et un perdant. Il faut tout faire pour décourager tout grand écart entre les deux parties. Malheureusement, c’est le contraire qui est arrivé.

L’alternance n’a fait que la promotion économique et sociale des acteurs politiques ou des hommes d’affaire qui y ont contribué. Cela s’arrête là. Aujourd’hui, ce sont eux qui se retrouvent en première ligne sur l’espace public et se tirent dessus à vue d’œil. Mais aux hommes honnêtes et travailleurs on en fait des diplômés de service ou des vaches maigres mal nourrit dont il faut traire la sueur et le sang et taire la mauvaise humeur. Les producteurs et commerçant du secteur informel au formel, les étudiants et les chômeurs souffrent de ce système.

Le 19 mars appartient désormais à l’histoire. Mais il faut garder à l’esprit que le recours à l’histoire n’a de sens que lorsqu’il permet aux hommes de ne plus reproduire leurs erreurs du passé. Les Assises (2), peu importe si elles ont été « nationales » ou pas, ont déjà défriché une belle partie des moyens à mobiliser pour porter le pays en avant en proposant entre autre un régime parlementaire à partir des errements du chef de l’Etat actuel. Celui-ci a marqué de son empreinte la vie public du pays. Mais le Sénégal ne se limite pas à lui. Il faut par conséquent allez bien au-delà de cette personnalité politique pour la sécurité du peuple sénégalais. Le piège dans lequel risqueny de se prendre les Assises, c’est de se borner à reconstruire le pays en fonction de Me Wade Abdoulaye.

Après tout, pour un 19 mars, il faut se garder de se faire inviter à des noces où l’on se sert du peuple comme prétexte, l’équivalent du plat d’entrée et on agite la folie de la foule comme résistance avant d’afficher service complet.

Le 19 mars 2011 était un test à la démocratie comme l’a dit le chef de l’Etat dans son intervention du jour depuis la tribune fixée devant le palais présidentiel. Un test qui a bien marché et on s’en félicite. Mais il faut reconnaitre qu’il s’est agi d’une démocratie centrée pour ne pas dire une démocratie d’élite en rupture d’avec la base dont on se joue par la ruse et l’opportunisme.

Le regret pour le 19 mars c’est l’absence de la réception officielle des griefs des nombreuses associations et groupements de quartiers qui s’organisent à travers tout le pays. Cela aurait aidé à rebondir sur les insuffisances constatées en termes de justice sociale. Une initiative qui, si elle était faite en ce jour d’anniversaire, aurait pu contribuer à crédibiliser la volonté politique du pouvoir à soulager la vie des ménages et des petites entreprises et industries. La seule chose de positive pouvant être retenue est la énième invite au dialogue relancée par le chef de l’Etat. Mais cela reste encore une reproduction de cette démocratie d’élite encore mieux de luxe où l’on bouffe du peuple.

NOTES
(1) Le président Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir en gagnant le second tour de l’élection présidentielle le 19 mars 2000. C’était la première alternance politique du Sénégal indépendant.
(2) Néologisme venant d’alternance pour désigner les nouveaux riches entretenus par le régime.

* Pascal Oudiane est doctorant en Sociologie à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org