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CN

La crise de la croissance et des finances publiques a placé le Sénégal sous les « fourches caudines » d’un nouvel « ajustement structurel », que le chef de l’Etat peine à reconnaître publiquement. Pour faire passer cette pilule amère à travers la gorge des Sénégalais, le « Programme du Sénégal émergent a été lancé afin de cacher les conditionnalités qui les accompagnent et qui ne sont rien d’autre que les «recettes déjà connues » dans les programmes d’ajustement structurel des institutions de Breton Woods.

Depuis que la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) a déposé le résultat de ses travaux entre les mains du chef de l’Etat du Sénégal, des rumeurs, distillées à partir des cercles tapis à la présidence, prédisent le départ de l’actuel Premier ministre pour cause de suppression de la primature, afin que le chef de l’Etat pilote au premier plan son « programme » sous prétexte qu’il devra, personnellement, rendre compte aux citoyens à l’issu de son mandat encours ! Pourtant, c’est précisément cette raison qui avait été évoquée pour justifier le départ de l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye et la nomination, à sa place, de Mme Touré, chargée « d’accélérer la cadence », pour permettre une meilleure réussite au «programme » du chef de l’Etat.

En fait, le chef de l’Etat avait perçu un début d’essoufflement de l’évolution du Pib, qui est passé de 3,4% au premier trimestre de 2013, à 4,8% au second trimestre, suscitant tous les espoirs vite déçus par les résultats du troisième trimestre qui pointaient à 3,5% de taux de croissance. Pour redresser la barre sans alarmer l’opinion, le chef de l’Etat avait sanctionné son Premier ministre devant ce recul inquiétant du taux de croissance, et dût le remplacer en assignant au nouveau Premier ministre la tâche « d’accélérer la cadence».

Avec cette feuille de route en bandoulière, le nouveau Premier ministre a tellement « accéléré la cadence », que le « moteur de la croissance » s’est brisé, en donnant un taux de croissance du Pib, au quatrième trimestre, de 0,3%, ramenant ainsi le taux de croissance à 2,4% pour toute l’année 2013, alors que l’on tablait sur 4% !
Cette chute du taux de croissance, connue par le chef de l’Etat longtemps avant sa publication, lui a été d’autant plus insupportable, que cette performance économique est en dessous de la pire performance de Wade au cours de son second mandat, qui était de 2,5% en 2011. Un résultat largement dû aux conséquences d’un hivernage moins pluvieux que 2013 !

Cette panne grave de la croissance, ajoutée à un déficit budgétaire excessif et à l’entrée du Sénégal dans le « syndrome de l’endettement » dans lequel un pays emprunte pour payer sa dette, plutôt que pour financer son économie.

Cette grave crise de la croissance et des finances publiques, a placé notre pays sous les « fourches caudines » d’un nouvel « ajustement structurel », que le chef de l’Etat peine à reconnaître publiquement ! Pour faire passer cette pilule amère à travers la gorge des Sénégalais, le « Programme du Sénégal émergent » (Pse) est venu à point nommé pour nous promettre des « financements » à nous tourner la tête, afin de cacher les conditionnalités qui les accompagnent, et qui ne sont rien d’autre que les «recettes déjà connues » dans les programmes d’ajustement structurel des institutions de Breton Woods », que sont : l’accroissement des prélèvements fiscaux et non fiscaux sur la consommation des ménages pour augmenter les recettes de l’Etat de 1 296 milliards de recettes additionnelles, soit 259 milliards par an de 2014 à 2018, une réduction des dépenses publiques de 300 milliards, soit 60 milliards par an durant la période, soit pour porter le déficit budgétaire de 5,1% à 4,8% du Pib, une plus grande flexibilité du marché du travail, et la privatisation du domaine national pour attribuer 2400 hectares aux investisseurs privés !

Nous avons donc affaire à un Pse, qui est un véritable « programme d’ajustement par les coûts » et par la privatisation des terres.

Certains risquent de confondre la Demande économique de réduction du « train de vie de l’Etat » que portent les démocrates sénégalais, avec la réduction des Dépenses publiques portées par les Institutions de Bretton Woods.

La première porte sur les « Dépenses matérielles et d’entretien » de l’Etat qui ont augmenté de 60 milliards entre 2012 et 2013, et sont prévus à augmenter encore de 27,6 milliards en 2014, alors que la seconde porte sur les « subventions à la consommation des ménages et aux intrants agricoles, à sur la baisse des transferts et ou des budgets de l’Education nationale et de la Santé publique». C’est ainsi que rien que pour l’énergie, la baisse de la subvention a été prévue de 20 milliards pour 2014, contre 11 milliards pour le téléphone et 7 milliards pour les logements conventionnés, soit 18 milliards de réduction pour les « Dépenses de train de vie de l’Etat » contre 20 milliards pour la réduction des subventions en faveur du pouvoir d’achat !

A noter aussi que malgré cette baisse de 18 milliards de ces postes de « Dépenses de train de vie de l’Etat », les autres postes vont augmenter de manière à ajouter 27,6 milliards à ces « Dépenses de train de vie » par rapport à 2013 !

Ainsi, les premières visent à augmenter les dépenses sociales réduisant le « train de vie de l’Etat » pour appuyer le pouvoir d’achat, tandis que les secondes laminent le pouvoir d’achat, au profit du remboursement de la dette, tout en épargnant le « train de vie » dispendieux de nos gouvernants.

Donc, dans ce contexte du retour à « l’ajustement structurel » imputé à l’échec de « l’accélération de cadence » qui est son « programme d’actions », le départ du Premier ministre, via la suppression de la Primature, ne devient plus une hypothèse d’école, mais découle plutôt de la nécessité d’ un « virage autoritariste du régime » que portent les « programmes d’ajustement structurel par les coûts», que de la sanction politique d’un échec.

En effet, notre propre histoire politique a montré, que les « programmes d’ajustement structurel par les coûts», nécessitent l’existence d’un président de la République « en première ligne », qui « mouille directement le maillot », comme interlocuteur direct des Institutions de Breton Woods. C’est pour cela, que pour les besoins de pilotage de la « Nouvelle politique agricole » de 1984, de la « Nouvelle politique industrielle » de 1987, dans le cadre du « Programme d’ajustement moyen/long terme du Sénégal » (Pamlt : 1985/92), le chef de l’Etat de l’époque avait supprimé la primature, pour restaurer le régime présidentiel, en 1984.

Tout le monde se souvient, que la vive résistance menée par notre peuple contre cette politique de misère et de recul démocratique, nous a valu ce qui a été convenu d’appeler les « années de braise », qui avaient atteint le sommet des confrontations lors des élections de 1988 et des évènements qui ont suivi, jusqu’au retour de la primature en 1991, et l’arrêt des « programmes d’ajustement » qui avait amené Eliot Berg, économiste de la Banque mondiale de l’époque, à sortir un livre, intitulé « Sénégal, ajustement ajourné », dont le titre était révélateur de la nature du tournant de 1991.

Aujourd‘hui, avec le Pse, c’est le retour à « l’ajustement par les coûts » qui porte le tournant vers un « régime présidentiel autoritariste », comme la nuée porte la pluie. Mais, dans le contexte actuel où la Cnri a déposé ses conclusions, et où les résultats catastrophiques en terme de croissance économique en 2013 sont connus, un tel scénario de désaveu politique du Premier ministre ne pourra être perçue par l’opinion que comme un échec de la politique définie par le chef de l’Etat et que son parti a portée ouvertement.

C’est pour cela que certains caciques de la présidence ont eu recours à un nouvel artifice, qui consiste à faire croire, que le chef de l’Etat devrait s’inspirer de la Constitution des Etats Unis, et non des propositions de la Cnri, pour proposer l’instauration d’un régime présidentiel doté d’un président et d’un vice-président élu sur un même ticket, qu’ils présentent comme modèle de la démocratie en Occident ! Mais ces gens semblent ne pas savoir, que le régime présidentiel américain ne fonctionne que si le chef de l’Etat dispose d’une majorité dans les deux Chambres du parlement. Sinon, le système est bloqué au point que, comme cette année, l’Administration américaine s’est trouvée dans l’incapacité de fournir nombre de services de base aux Américains, faute de budget suffisant que le Congrès, entre les mains de l’opposition majoritaire, lui refuse. C’est donc un régime de « blocage du fonctionnement de l’Etat », sur lequel le peuple n’a aucune influence, tandis que, dans les mêmes conditions, le régime parlementaire devient un « régime d’instabilité institutionnelle », qui remet la parole au peuple pour débloquer la situation.

C’est pour éviter ce « blocage » ou cette « instabilité » que la Cnri a proposé un « régime de stabilité » en prévoyant dans la Constitution, en cas de non concordance entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, que le chef de l’Etat nomme un Premier ministre sur proposition de l’Assemblée nationale, qui définit la politique de la nation.

La Cnri propose donc un « régime démocratique dans la stabilité », alors que le régime américain est un « régime démocratique de blocage » ! Recourir au modèle américain, qui rend le président « impuissant » en cas de perte de la majorité au Congrès, ne saurait se justifier, du moment que nous disposons d’un projet de Constitution qui donne à l’Exécutif, tous les moyens de gouverner démocratiquement, quelque soient les circonstances.

Le président Macky Sall devrait donc éviter d’être poussé, par ses conseils et les exigences des institutions de Breton Woods, à entraîner notre pays en arrière vers les « années de braise ». Il a à sa disposition un financement alternatif offert par la Chine de 2500 milliards pour ses grands chantiers, avec des prêts sans conditionnalités d’ordre budgétaire ou de privatisation de la terre, à des taux d’intérêt très bas et des durées de remboursement plus longues, qu’il vient de reconnaître publiquement en Allemagne.

Il a aussi une alternative coopérative de modernisation de l’exploitation agricole familiale pour l’auto suffisance alimentaire et l’emploi, portée par l’Union nationale des coopératives agricoles du Sénégal (Uncas) qui a obtenu un financement de 300 milliards à cet effet, auprès d’une grande coopérative agricole Suédoise, alors que le Pse attend des investisseurs privés dans l’Agriculture, un financement de 396,6 milliards en contrepartie des 240. 000 hectares qui devront leur être attribués !

Donc, la voie de « l’ajustement par les coûts et par la privatisation des terres » au profit de l’agro business, n’est plus, aujourd’hui, une fatalité. Notre pays a de réelles perspectives pour sortir de sa situation économique et sociale difficile, pour peu que le chef de l’Etat, accepte de trouver avec ses concitoyens, des alternatives aux Programmes d’ajustement Structurel.

C’est la seule voie qui permette de répondre à la Demande démocratique des citoyens, et à leurs demandes économique et sociale, pour lesquelles ils ont porté massivement leurs choix sur Macky Sall, le 25 mars 2012.

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** Ibrahima Sène est membre du Parti pour l’indépendance et le ttavail

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