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Dans la première partie de cet article en deux parties, Helmi Sharawy a revisité Le Caire des années 1950, se souvenant de la multitude de mouvements africains de libération qui avaient leur bureau dans la capitale égyptienne. Dans ce second jet, il relate la désillusion qui a suivi la série de coups d’Etat après l’indépendance et les implications des guerres avec Israël de 1967 et de 1973 jusqu’à la mort de Nasser

L’année 1960 a eu une importance cruciale pour les mouvements nationaux de libération de l’Afrique. Non seulement en raison de la Déclaration pour l’indépendance de tous les peuples colonisés, adoptée par les Nations Unies le 14 décembre, mais aussi parce que de grands progrès ont été réalisés dans la clarification quant à la différence entre les concepts d’indépendance formelle et la véritable libération nationale.

En 1960, la révolution algérienne progressait en dépit de la répression féroce exercée par les Français suite à leur récente défaite au Vietnam. Les Algériens avaient formé un gouvernement en exil et ce gouvernement avait une importante représentation au Caire, reconnue par Nasser comme étant le gouvernement légitime d’un pays indépendant. Auparavant, la France avait maintenu que l’Algérie n’était rien de plus qu’un département français et s’était efforcée de gagner autant de voix que possible aux Nations Unies qui corroborent leur déclaration.

Puis soudainement, la France a accordé l’indépendance à dix colonies françaises en Afrique, espérant ainsi obtenir les voix nécessaires à l’Assemblée Générale des Nations Unies, en y ajoutant les voix de colonie britanniques qui avaient obtenu l’indépendance cette année-là. Tous ces pays africains, nouvellement indépendants, devaient décider de leur position par rapport aux revendications françaises concernant l’Algérie, mais seuls quelques uns se sont ralliés à la prise de position de l’Egypte. Et ce, malgré le fait que l’opinion mondiale acceptait graduellement le principe de l’indépendance de l’Algérie.

La France avait adopté une attitude violente à l’égard de la Guinée deux ans auparavant, lorsque Sékou Touré avait refusé la Constitution proposée par la France et avait unilatéralement déclaré l’indépendance de sin pays. Je me souviens maintenant du grand impact des articles publiés par l’intellectuel Ahmed Baha ed Din, lors de son retour des célébrations d’indépendance en Guinée cette année-là. Sekou Touré était un dirigeant syndical et sa compréhension claire de l’exploitation coloniale et de la lutte des classes a ouvert les yeux de notre génération sur l’essence de la libération des colonies. Celle-ci différait grandement de notre attitude à l’égard de la résistance des Mau Mau au Kenya, sous Kenyatta, qui avait un aspect nettement folklorique.

Les pays libérés étaient peu nombreux : le Ghana, la Guinée et le Mali pour l’Afrique subsaharienne et l’Egypte et le Maghreb pour l’Afrique du Nord, sans oublier le gouvernement algérien en exil. Ce petit groupe a pris une attitude distincte en soutenant le régime populaire de Patrice Lumumba au Congo contre les impérialistes soutenus par Kasavubu et Moïse Tchombé. Je me souviens des travailleurs et des étudiants qui, au Caire manifestaient devant l’ambassade belge. Le nom de Tchombé était considéré comme une insulte au Caire à cette époque.

Je dois souligner ici que le rôle de l’Egypte dans la lutte pour la libération n’a pas été juste quelques discours incendiaires coutumiers du monde arabe, mais a signifié un véritable sens de responsabilité nationale qui a mobilisé nos forces militaires durant la crise congolaise et l’implication de notre personnel diplomatique. Je me souviens de comment Mohammad Abdel Aziz Ishak a accompagné la veuve et les enfants de Lumumba que notre personnel diplomatique au Congo avait fait sortir clandestinement après l’assassinat de Lumumba. Ils ont reçu l’entier soutien du président et j’ai été dépêché pour leur trouver un logement et des écoles pour les enfants. Nasser a toujours cité l’exemple du Congo afin de souligner l’engagement de l’Egypte pour aider les mouvements de lutte pour la libération et faire les sacrifices requis, si nécessaire, et le groupe de Casablanca a soutenu cette position. Ceci était un sujet principal de discussion lors de réunions publiques où l’on se moquait en outre de Tshombé pour avoir été ‘séquestré’ au Palais de la République lorsqu’il est venu participer au sommet de l’Union africaine en 1964

Ici je dois tirer un parallèle entre la lutte de Lumumba et ses camarades qui défendaient les richesses minières de leur pays convoitées par l’impérialisme et le peuple égyptien qui défendait le Canal de Suez contre ces mêmes impérialistes. En effet, l’image de Lumumba assassiné et de sa famille réfugiée en Egypte ont eu un impact sur l’opinion publique bien au-delà des discours les plus enthousiastes.

La crise congolaise a généré une situation où les nouveaux Etats indépendants se sont scindés en deux groupes distincts : le groupe de Casablanca et le groupe de Monrovia. Le premier tient son nom d’une réunion qui s’est tenue dans cette ville en janvier 1961, lors de laquelle il a été décidé de soutenir le gouvernement légitime de Lumumba par une intervention militaire si nécessaire. Le groupe de Casablanca a revêtu une importance particulière pour notre génération, du fait qu’il incluait le nord arabe et des pays progressistes aussi bien francophones qu’anglophones. Il a aussi rassemblé des révolutionnaires comme Nasser et Ben Bella, le roi nationaliste Mohammad V qui favorisaient les politiques révolutionnaires défendues par Fanon.

On m’a raconté que lorsque Fanon a participé à la première Afro-Asian Peoples Solidarity Conference (AAPSO) à Accra en 1958 , il a été offensé lorsqu’il a vu les slogans contenant des citations de Nkrumah qui vantait les vertus de l’action et de la non-violence et a exigé qu’on les enlève. A cette époque, nous étions impressionnés en lisant les livres de Fanon traduit en arabe et nous exultions à la nouvelle de la révolte de prisonniers politiques angolais sur un bateau portugais. Nous étions consternés par l’enlèvement, par les Français, des dirigeants algériens mais heureux de la libération de Kenyatta, le dirigeant kényan. J’ai eu le privilège de participer aux célébrations Uhuru lors de l’indépendance du Tanganyika, le 9 décembre 1961, avant que de participer à celles du Kenya et de Zanzibar en janvier 1963. A ces occasions, je me suis demandé ce que l’indépendance signifiait pour l’un ou l’autre pays du continent, pour sa population comme je m’interrogeais sur le rôle de l’un ou l’autre dirigeant.

A l’époque, Julius Nyerere était déterminé à créer l’Union de l’Afrique de l’Est, pendant que Nkrumah menait campagne en faveur des Etats-Unis d’Afrique. Nkrumah inquiétait le Tanganyika par son soutien à certains des mouvements de libération voisin de Dar es Salam. Nyerere était aussi préoccupé par l’influence de Nasser au Zanzibar et auprès des Arabes en Afrique de l’Est. Il s’en suit qu’au Caire nous n’étions pas très heureux de cette politique jusqu’aux changements sociaux survenus en Tanzanie, suite à la déclaration d’Arusha en 1966.

Les représentants de la plupart des mouvements de libération n’étaient pas satisfaits de la politique menée par Nyerere, la jugeant trop peu révolutionnaire et en contradiction avec les appels de Nkrumah en faveur d’une unité africaine. Je connaissais Abdul Rahman Babu, le progressiste de Zanzibar qui a défendu la nécessité du changement. J’ai aussi connu Ali Mohsen qui était accusé de favoriser les Arabes. Je n’ai pas été surpris lorsque Babu et Salem Ahmed Salem ont créé un clivage dans le parti nationaliste qui a conduit aux évènements sanglants dans l’île. J’ai été consterné par ces évènements, surtout parce que je connaissais les familles de la quarantaine d’étudiants du Zanzibar qui vivaient dans l’East Africa House. Je me souviens d’avoir rencontré Babu dans un café de Dar es Salam en 1964 et il était frustré d’avoir été destitué par le nouveau régime du Zanzibar et n’attendait rien de bon de Dar es Salam. Il a donc choisi l’exil en Grande Bretagne, comme internationaliste qui écrit sur le socialisme en Afrique.

Je dois maintenant admettre que j’étais heureux de voir le drapeau britannique ramené, pour être remplacé par celui du Kenya et du Tanganyika respectivement et je pensais que c’était là un immense pas en avant qui serait certainement suivi de progrès sociaux. Toutefois j’ai bien découvert que la politiques de Nyerere n’était pas si progressiste et en conflit avec les ambitions de Nkrumah pour une Afrique unie.

Les dirigeants du groupe de Casablanca étaient aussi frustrés en raison de leur échec lors des évènements du Congo et de la victoire de Tshombé et de Mobutu, ainsi que la fuite de Gizinga et de ses collègues vers le Congo de l’Est. Finalement Nkrumah a accepté un compromis politique et a réussi à rassembler autant les dirigeants progressistes que les modérés. Ensemble, avec Nasser, ils ont appelé à un sommet à Addis Ababa où ils ont déclaré l’avènement de l’Organisation de Union africaine (OUA). Ainsi le 25 mai 1963 a été célébré comme le jour de la naissance de l’unité africaine qui concentrait ses efforts à la résistance contre l’impérialisme, en remettant à plus tard les progrès sociaux.

En Egypte, nous étions confrontés au rôle d Israël comme agent impérialiste en Afrique, soutenu par les anciennes puissances coloniales. En particulier, nous étions affligés par les relations qu’Israël entretenait avec le Ghana de Nkrumah, et qui se vantait de celles entretenues avec la Tanzanie et l’Ethiopie. A cette époque, Israël essayait de se présenter comme un pays en voie de développement, alors que les déclarations de l’Afro-Asian Conference (AASPO) ainsi que du groupe de Casablanca l’ont dénoncé comme la tête de pont du nouveau colonialisme.

Lors de la conférence de l’OUA, Nasser a déclaré qu’il ne demanderait pas aux dirigeants africains présents de prendre position à propos d’Israël, mais de découvrir par eux-mêmes sa réalité d’agent de l’impérialisme. Il a réussi à maintenir la conférence dans les eaux de la modération et de trouver un équilibre entre Nkrumah, Nyerere et la Côte d’Ivoire qui représentaient trois tendances distinctes de la réunion. Ainsi, Nasser et l’empereur Haile Selassie ont pris le rôle de grand frère de tous leurs collègues. Nombreux sont ceux qui sont venus au Caire suite à la conférence pour demander du soutien, en particulier de l’Egypte qui avait été choisi pour la prochaine conférence qui devait se ternir en mai 1964 et qui devait être la première conférence de l’OUA. Comme symbole de la liquidation du colonialisme, un comité de coordination de la libération des colonies a été créé. Ainsi le Caire a occupé une position entre les dirigeants du Ghana et de la Tanzanie ainsi qu’entre le Sénégal et la Côte d’Ivoire.

C’était là des journées glorieuses pour l’activité africaine au Caire. Les médias égyptiens ont témoigné de beaucoup d’intérêts pour les bureaux des mouvements de libération de Zamalek. Les activités de libération, y compris la lutte armée, étaient acclamées par tout un chacun sans crainte d’intervention. Un des éléments positifs a été l’anecdote de la séquestration de Tshombé dans un des Palais présidentiels du Caire avec un groupe de belles belges qui l’ont accompagné afin de l’empêcher d’assister à la conférence de l’OUA de 1964, ce qui a provoqué beaucoup de rires dans le public du Caire et a mis un grain de sable dans les manœuvres françaises qui avaient arrangé la venue de ce personnage qui n’avait pas été invité.

Les nouveaux mouvements de libération continuaient d’affluer au Caire, en particulier des colonies portugaises, espérant du soutien qu’ils obtenaient facilement de Nasser et je pouvais voir leur joie après ces audiences. Fayek et notre groupe avons réalisé un bon travail en fournissant des bureaux pour quelque 20 de ces délégations. Le grand nombre résultait en partie du fait que certains pays avaient plus d’une délégation et c’était mon problème personnel de coordonner leurs demandes de sorte à les rendre acceptables au bureau présidentiel de Fayek. Ces requêtes pouvaient être des bourses pour des étudiants, de la formation militaire, du temps à l’antenne, etc.

J’étais souvent déchiré entre mon bonheur à l’idée que le Caire était utile à tous ces jeunes révolutionnaires et la nécessité de faire le tri entre ceux qui méritaient d’être aidés et ceux qui ne méritent pas, entre les authentiques et les fraudeurs. La légitimité à différents niveaux de la lutte pour la libération était l’une des raisons de cette affluence au Caire qui était une des rares capitales à accepter la diversité. Je comprendrais plus tard les raisons profondes d’une telle attitude.

A certaine période, il y a eu trois mouvements pour un même pays comme ce fût le cas de l’Afrique du Sud et de l’Angola. Parfois nous acceptions des mouvements qui étaient un fragment d’un autre qui avait fait sécession, comme dans le cas de la ZANU et de la ZAPU ou encore la SWAPO et la SWANU, ou même des mouvements qui n’avaient aucun poids comme le COREMU au Mozambique. Ainsi certains de ces mouvements se sont regroupés et ont été reconnus comme authentiques comme la ZAPU, le PAIGC, le FRELIMO, le MPLA et l’ANC. Les autres n’ont pas eu cette reconnaissance et ont reçu l’étiquette de pro-chinois. Une véritable Guerre Froide faisait rage à l’intérieur de l’Association africaine où les pays socialistes étaient en compétition pour obtenir l’adhésion de différents mouvements de façon plus déclarée que leurs ambassades.

La Guerre Froide devenait torride lors des conférences de l’AASPO, avec les Soviétiques qui fournissaient des billets d’avions, des logements dès lors que la conférence avait lieu dans une ville amie. Dans ces situations-là, leurs amis se retrouvaient dans une position forte et se considéraient comme les seuls ‘authentiques’. De telles situations étaient assez embarrassantes de mon point de vue. J’étais un lecteur de Fanon, de Mao Ze Dung et des articles de Lin Piao sur les questions du centre et de la périphérie, où la campagne refuse l’influence des villes. Dans ce contexte, la campagne représente la Chine et le Tiers Monde et les villes la bourgeoisie occidentale et les impérialistes socialistes qui les imitent.

Pour un adepte de Fanon c’était là une présentation attractive, mais les groupes pro-chinois du Caire n’avaient guère de pensées dignes d’intérêt pas plus qu’ils n’avaient de quoi se vanter en matière de lutte active chez eux. D’autre part, les discussions avec les groupes authentiques étaient toujours plus profondes et reflétaient des concepts clairs et des actions politiques et diplomatiques concrètes. Et les mouvements gauchistes égyptiens n’ont pas prêté une attention particulière à la Révolution chinoise et à ses voisins asiatiques ou la Révolution culturelle et le Petit Livre Rouge étaient ignorés. Le régime de Nasser ainsi que la plupart des intellectuels égyptiens acceptaient les concepts des Soviétiques y compris la voie non capitaliste vers le développement, les révolutionnaires démocratiques et les pays en voie de libération. Tous ces concepts étaient bien accueillis par le régime de Nasser et d’autres dirigeants du Tiers Monde, mais plutôt frustrants pour les radicaux, en particulier pour la jeunesse radicale, y compris moi-même.

Le conflit sino-soviétique n’était pas notre seule cause de préoccupation au cours des années 1960, alors que les Maoïstes commençaient à perdre du terrain, faute d’avoir consolidé leurs organisations. Ils ressemblaient à un groupe de gens indisciplinés dont l’objectif principal était de clouer au pilori leurs opposants lors de réunions publiques, sans pour autant apporter la moindre preuve de progrès dans leur domaine respectif de lutte. D’autre part, l’influence des ‘authentiques’ allait croissant, ce qui a renforcé leur position vis-à-vis des Maoïstes.

Je me souviens que Neto avait refusé mon invitation à se rendre sur les lieux de l’Africa Association parce que l’UNITA et le GRAI y avaient des bureaux, alors que lui-même et ses hommes se sont établis à l’extérieur de ce bâtiment. Cette position a paru plus significative encore lorsqu’il a refusé de signer un cessez le feu avec le Portugal à Lisbonne. Le président Sam Njoma était plus tolérant, compte tenu qu’il était soutenu par une résolution des Nations Unies en faveur de la SWAPO et le UN Namibia Institute à Lusaka l’a soutenu moralement, de telle sorte que la SWANU rivale a vite été liquidée, compte tenu que ses dirigeants n’étaient guère respectés

Il semble qu’il y ait eu une certaine compétition entre le Caire et Alger quant à nos relations avec les mouvements de libération. Le Caire semblait plus enclin à soutenir des politiques nationales de libération en général et à fournir des contacts diplomatiques et une couverture médiatique. Alger, par contre, était plus enclin à fournir de l’entraînement militaire et des armes pour la lutte armée au travers du Comité de libération des colonies.

J’ai interrogé Ben Bella lors du Forum Social Mondial à Bamako, en 2003, et il a confirmé qu’il y avait une sorte d’accord tacite avec Nasser sur le rôle respectif de chaque pays.

J’ai eu le sentiment que la création de l’OUA a mis les activités de libération sur la touche au profit des bureaucraties régnantes, dont certaines étaient despotiques. Ceci a été remarqué à plusieurs reprises, notamment dans le cas de l’Ethiopie contre l’Erythrée ou dans les conflits en Somalie et aux Comores. En ce qui concerne le traitement par la France de ses anciennes colonies, nous avons mis la sourdine à nos critiques pour manifester notre estime à la France gaulliste. Nous avons en effet accueilli chaleureusement Senghor en 1966 et nous avons négligé le progressiste Cheikh Anta Diop qui faisait l’apologie de la civilisation de l’Egypte ancienne dans son livre. La Zambie oscillait entre le rôle d’un Etat combatif et une certaine acceptation du régime raciste d’Afrique du Sud. L’Egypte respectait le nationalisme de Kaunda. Le Caire estimait que son dilemme par rapport au racisme d’Afrique du Sud ressemblait à celui que nous avions avec Israël. Ainsi Le Caire a accueilli Kaunda chaleureusement en omettant de le prendre à partie comme l’a fait le Ghana, en dépit de sa perte d’influence au sein de l’OUA, appuyé qu’il était par Haile Selassie cependant que Nyerere se faisait le champion du comité de libération des colonies.

En réaction à la modération du Caire les mouvements de libération ont resserré leurs liens directs avec l’Union soviétique et les Etats scandinaves. La politique de modération a été renforcée suite à une série de coups d’Etat qui ont eu lieu au Congo, au Ghana et dans certains pays d’Afrique francophone.

Les régimes nationaux modérés ont été affaiblis par ces revers des années 1960, pendant que la lutte armée dans les colonies portugaises devenait plus dure sous la direction de dirigeants comme Cabral, Neto et Mondlane, qui recevaient un soutien actif des pays socialistes. Je me souviens que feu le grand dirigeant Cabral m’a dit à Accra, en janvier 1973, seulement deux semaines avant qu’il ne soit assassiné, qu’ils étaient sur le point d’obtenir des canons anti-aériens des Soviétiques. Ce qui devrait envoyer aux puissances de l’Atlantique le message que la Guinée Bissau deviendrait ainsi un autre Vietnam. Je me suis souvenu de cela peu de temps plus tard, lorsque ces puissances ont décidé de se débarrasser du régime de Salazar, lorsque Spinola a pris le pouvoir par un coup d’Etat et a décidé de commencer les négociations avec les colonies au milieu des années 1970.

Nujoma a profité de ces changements et a pris une position plus dure à l’égard des agences des Nations Unies, de même qu’il a consolidé ses liens avec l’Angola en fournissant des armes à la guerrilla. Sa position a aussi été renforcée par la présence de troupes cubaines dans la région. Comme j’avais des relations chaleureuses avec Nujoma, je pouvais comprendre ses préoccupations par rapport aux relations avec le MPLA qui devait se renforcer après l’indépendance de l’Angola. Lorsque j’ai rencontré Neto au cours des cérémonies marquant l’anniversaire de l’indépendance en 1976, il m’a expliqué les machinations du régime raciste d’Afrique du Sud dans la région. Pretoria s’efforçait de semer la dissension entre les diverses forces de libération de la région qui obtenaient la majeure part de leur soutien des pays socialistes. Les Soviétiques n’étaient pas particulièrement pressés d’accourir avec de l’assistance, à moins d’être mis sous pression par la menace de se tourner vers la Chine pour compenser leur inertie.

Les années 1970 ont été très frustrantes, tant du point de vue de mes devoirs personnels que de mes sentiments à l’égard de la position de Sadate en ce qui concerne les mouvements de libération. A cette époque, ce dernier marchait main dans la main avec les Américains, dans le but de contrer ce qu’il appelait l’influence communiste en Afrique. Il a vilipendé la présence cubaine dans des pays comme l’Ethiopie, l’Angola et le Mozambique.

Toutes les forces progressistes égyptiennes se sont trouvées dans l’impasse dans les 1960, de même que les mouvements de libération nationale et je me souviens de l’atmosphère que nous critiquions, parce modérée. A cette époque, les mouvements de libération dans les pays progressistes étaient soutenus par l’opinion publique, mais la succession de coups d’Etat militaires a changé la situation. La base populaire incluait les mouvements syndicalistes en Egypte, au Maghreb, au Ghana, en Tanzanie, au Soudan et au Kenya. Occasionnellement, il y a eu de la compétition entre Ahmed Fahim en Egypte, Ali Sediky au Maghreb, Tettiga à Accra, Kambona à Dar es Salam et Shafei au Soudan contre les modérés comme Mboya au Kenya, Ashour en Tunisie et ailleurs. Le premier groupe demandait que les dirigeants aident les mouvements de libération et parfois d’autres mouvements, comme celui des étudiants de l’université de Dar es Salam ou des intellectuels de la Révolution d’octobre, mais c’était toujours les dirigeants qui prenaient la décision. Suite à plusieurs coups d’Etat et des transformations survenues dans les années 1970, ces forces populaires ont perdu de leur influence.

Pour illustrer le contraste entre deux situations, considérons les réactions à l’action coloniale en Rhodésie en 1965 et les positions à l’égard du régime raciste d’Afrique du Sud à la fin des années 1970. Je me souviens que lorsque nous avons appris la Déclaration Unilatérale d’Indépendance en Rhodésie (DUI), en 1965, l’Egypte voulait la transformation socialiste, le Ghana développait activement le barrage de la Volta et la Tanzanie vivait dans l’euphorie du Comité de Libération coloniale et nous considérions que la DUI était un sérieux défi à la libération des colonies.

Je me souviens que dans ma capacité de chercheur pour une importante institution, j’ai reçu des instructions urgentes de rassembler toutes les informations pertinentes concernant l’évènement et en particulier de découvrir le rôle de la Grande Bretagne comme protectrice et instigatrice.

Ce même jour, j’ai eu le sentiment que la même ferveur régnait dans le bureau présidentiel et aux ministères des Affaires étrangères. Le jour suivant, un mémorandum préparé par Fayek, et selon les instructions du président, était envoyé au Ghana, en Algérie, au groupe de Casablanca et à d’autres, afin d’explorer l’opportunité de rompre les relations diplomatiques avec la Grande Bretagne, compte tenu du fait qu’elle était jugée responsable des actes de sa colonie rhodésienne. On pensait que le nouvel Etat indépendant stimulerait des colons étrangers à mener des entreprises similaires de colonisation, notamment en Palestine et ce, au moment où la résistance palestinienne prenait son essor aux mains du PLO et avec le soutien des pays de libération arabes (Egypte, Syrie Algérie). Nous pensions que des actions fortes et efficaces auraient lieu dans les jours qui ont suivi.

Un accord a été trouvé et dans les quinze jours, onze pays africains ont rompu leurs relations diplomatiques avec la Grande Bretagne. Cette action a été l’objet de grande célébration pour toutes les représentations des mouvements de libération de l’African Association.

J’ai ressenti un énorme contraste entre cette réaction et celle très limitée des pays africains à l’Assemblée Générale des Nations Unies, lorsqu’il a été question de faire adopter une résolution exigeant le retrait israélien d’Egypte et des Territoires Occupés, suite à l’agression de 1967. La Guinée a été le seul pays à rompre ses relations avec Israël. Evidemment, les Etats-Unis exerçaient une forte pression sur les pays africains, mais il n’y a pas de doute que la raison principale se trouvait dans l’attitude des nouveaux régimes à l’égard des mouvements de libération. Ceci nous a mortifié, nous tous aux Affaires africaines, compte tenu de tout le soutien accordé aux mouvements de libération.

Je me souviens que la défaite de l’Egypte en 1967, lors de la guerre avec Israël, au moment où les coups d’Etat militaires se succédaient au Ghana, au Mali, en Ouganda, au Congo et dans le reste des pays francophones, semblait sonner le glas des mouvements de libération nationale et du Comité de libération coloniale. Je me sentais misérable lorsque je rencontrais nos forces nationales égyptiennes qui insistaient pour combattre dans cette guerre soutenue par le peuple, jusqu’à la libération totale de la terre d’Egypte. Notre seul réconfort était de répéter le slogan lancé par des dirigeants des colonies portugaises : ’Luta continua, Victoria certe’ (La lutte continue et la victoire est certaine)

Néanmoins la lutte armée progressait, en particulier dans les colonies portugaises, de même que le mouvement du Polisario a commencé dans la colonie espagnole de Rio de Oro dans le Sahara occidental. Au même moment, les Palestiniens ont entrepris de lutter pour la libération, y compris par la lutte armée. Ces progrès nous ont donné un nouvel espoir. Je me souviens que les discours concernant la démocratie et la transformation sociale dans ces colonies en lutte me rappelait nos discours concernant la démocratisation du régime de Nasser. Je discutais avec des amis gauchistes et, avec fierté, comme un protagoniste des mouvements de libération africains, de la continuation de la lutte nationale ou de la défense de la coopération égypto-soviétique.

Certains de ces amis arguaient que Nasser n’était pas réaliste en proposant de retourner à la guerre avec une armée défaite. Mais c’était ces mêmes efforts qui ont résulté dans une guerre victorieuse en 1973. Il me semble que Nasser a finalement compris la nécessité des libertés démocratiques comme base d’une défense effective de la patrie et il s’est efforcé de remédier à certaines des défaillances de son régime, notamment en nommant des cadres gauchistes à la tête des institutions médiatiques et en accordant plus de latitude aux tendances démocratiques et de gauche au cinéma, au théâtre et dans certaines publications.

Ceci signifie une position plus équilibrée aussi bien au niveau interne et que du point de vue militaire. Bientôt la lutte armée dans les colonies a commencé à apporter des résultats, avec le soutien actif du Comité pour la libération des colonies et nous avons commencé à entendre parler de territoires libérés. J’ai été très heureux de rencontrer de certains de ces dirigeants qui avaient visité ces territoires libérés. J’étais heureux d’avoir été nommé au Comité de libération comme représentant de l’Egypte. Mais quelqu’un a bloqué ma nomination. J’avais espéré que ma participation au Comité me permettrait de visiter quelques uns de ces territoires libérés, espoir qui a finalement été réalisé lorsque j’ai visité une partie en Erythrée en compagnie de révolutionnaires érythréens à la fin des années 1970.

Je me souviens que nous, la jeunesse nationaliste, nous étions frustrés par notre défaite dans la guerre de 1967 contre Israël, en même temps que nous trouvions une consolation dans la présence des nombreuses délégations venues au Caire et appartenant à des mouvements de libération de la Palestine, de l’Angola, de la Guinée Bissau, du Mozambique et même du Vietnam. Le slogan de Nasser était : ’Ce qui a été pris par la force ne peut être récupéré que par la force’ avait une signification encourageante et signifiait le renforcement des liens avec l’Union soviétique cependant que la Chine était occupée avec les conséquences de la Révolution culturelle.

Je dois dire ici que nous avons parfois surestimé les progrès sociaux dans les territoires libérés et la possibilité que ces transformations feraient une base solide pour le régime suite à l’indépendance. A cette époque, je n’avais que peu de connaissances théoriques hormis mes lectures de Cabral et de la libération culturelle. Toutefois j’ai aussi entendu des choses négatives concernant le Mozambique et l’Afrique du Sud, où pourtant les révolutionnaires avaient un niveau théorique élevé.

En Egypte, nous étions consternés par le refus de Nasser de considérer l’idée d’une résistance populaire au profit d’une armée régulière dans le combat pour notre intégrité territoriale. Ceci signifiait se reposer sur les Soviétiques pour qu’ils nous livrent de l’armement élaboré tout en conservant à la bureaucratie bourgeoise sa suprématie, au lieu de développer une action sociale pour les masses populaires. Toutefois, le leadership de Nasser a compensé nombre de défaillances qui résultaient de ses compromis avec les tendances religieuses d’une part, et d’autre part la hiérarchie militaire.

Nos débats dans les cercles culturels et démocratiques ont connu une fin soudaine lorsque Nasser est subitement décédé le 28 septembre 1970. Son successeur, Anwar Sadate, a chamboulé la politique de Nasser arguant que les 99% des cartes du jeu étaient entre les mains américaines. Après que les Soviétiques aient ravitaillé l’Egypte en armement moderne, qui nous a finalement aidé à accéder à la victoire de 1973 contre Israël, Sadate a renvoyé la mission militaire soviétique qui formait nos soldats au maniement de ces armes. Il a utilisé ce succès limité de la guerre pour préparer le terrain pour un accord de paix avec Israël. Il a même menacé de mener la guerre contre l’Ethiopie sous le prétexte qu’elle menaçait les eaux du Nil. Il a soutenu Mobutu contre les révolutionnaires de l’est et du sud du Congo. Il a soutenu l’UNITA et Savimbi en Angola. Il a importé du tabac du régime DUI en Rhodésie du Sud et finalement il a remplacé la politique de développement par une politique ouverte de capitalisme libéral. Toutes ces politiques étaient le contraire de celle menée par le précédent régime de Nasser.

Le bureau des Affaires africaines de la présidence a été dissout après que Mohammad Fayek ait été arrêté et condamné à dix ans de prisons pour avoir, soi-disant, comploté contre Sadate. Tous les membres du bureau ont été éparpillés dans différents ministères. Après la guerre de 1973, j’ai été mis à la retraite (après seulement 15 ans de service) dans le but de se débarrasser de tous les nasséristes et les marxistes dans l’administration.

Après 1975, j’ai entrepris une tournée personnelle qui m’a amené au Comité de la défense de la culture nationale, à l’African Association of political sciences, the Council of Social research (CODESREA), à enseigner à l’université de Juba au Sud Soudan, à l’Arab League Educational, Cultural and Scientific Organisation (ALESCO) à Tunis et finalement à fonder l’Arab African Research Centre (AARC) au Caire en 1987

Mouvements de libération africains au Caire

- African National Congress (ANC), South Africa
- Basoto People’s Congress (BPC), Lesotho
- Djibouti Liberation Movement (DLM), Djibouti
- Eritrean Liberation Front (ELF), Eritrea
- Eritrean People’s Liberation Front (EPLF), Eritrea
- Etudiants de Tchad (ET) Tchad

- Front do Liberacion do Mozambique (FRELIMO), Mozambique

- Governamento do Angola Independente (GRAI), Angola

- Kenya African National Union (KANU), Kenya
L
- League for Liberation of Somalia (LIGA), Somalia

- Mouvement de Libération du Congo (MLC), Congo

- Movimento Popular do Liberacion do Angola (MPLA), Angola

- Parti Africaine do Independence do Guinee, Capo Verde (PAIGC), Guinee and Cape Verde

- Swaziland Peoples Party (SPP), Swaziland

- South West Africa National Union (SWANU), Namibia

- South West Africa People’s Organization (SWAPO), Namibia

- Uganda National Congress (UNC), Uganda

- Union do Independente Angola (UNITA), Angola

- United Northern Rhodesia Independence Party (UNRIP), Zambia

- Zanzibar National Union (ZNU), Zanzibar

- Zimbabwe African People’s Organization (ZAPO), Zimbabwe

- Zimbabwe African National Union (ZANU), Zimbabwe

- Arab Maghreb Office, Maghreb
- Provisional Algerian Government, Algeria


( Ces deux derniers mouvements n’étaient pas affiliés à l’African Association)

* Helmi Sharawy est le vice-président de l’Arab African Research Center, au Caire - Contact : [email][email protected], [email][email protected] Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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