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L’Ethiopie est le lieu d’un scandaleux trafic d’enfants, note Alemayehu G. Mariam. Une pratique dans laquelle les agences et les autorités éthiopiennes conspirent afin de rassembler des enfants autochtones destinés à l’adoption à l’étranger. Les conditions dans lesquelles ces enfants sont «récoltés» en masse et soumis à la marchandisation font qu’ils sont des millions à travers le monde à pleurer d’avoir été arrachés à leurs familles et à leur pays, dénonce Mariam.

Lorsque j’ai écrit la première partie de « The hand that rocks the brocken cradle», il y a presque une année et 8 mois (1), la poignante et scandaleuse affaire du défectueux système éthiopien d’adoption se manifestait dans un crime brutal commis à l’encontre de deux enfants éthiopiens récemment adoptés par leurs parents français. L’un avait à peine deux ans et l’autre avait 4 ans. Le père a été incarcéré pour viol et violence et la mère pour n’avoir pas dénoncé le crime. L’attitude, dans ce cas, des fonctionnaires éthiopiens responsables de l’adoption qui ont été interrogés a été d’une indifférence à donner la nausée.

J’étais tellement furieux et dégoûté par la réponse de ces bureaucrates de l’adoption que j’ai écrit dans la première partie de l’ouvrage : «L’auditeur distrait pourrait facilement croire que l’entretien de ces bureaucrates ne soit rien d’autre qu’une conversation concernant des transactions de matières premières à la Bourse de Chicago, un mauvais jour, plutôt que les propos tenus par des fonctionnaires qui prennent soin des enfants les plus vulnérables d’un des pays les plus pauvres du monde’’.

Je n’imaginais pas, à l’époque, à quel point j’étais proche de la vérité. J’entendais en effet les bureaucrates impitoyables et au sang froid du Conseil éthiopien d’adoption et du commerce. Dans une vidéo qui montre l’entretien avec un enfant éthiopien adopté, celui-ci a déclaré qu’elle-même et ses deux sœurs ont été vendues pour adoption par le Christian World Adoption (CWA) qui a payé leur père.

Le point de vue officiel de la dictature en Ethiopie est que la plupart des enfants adoptés en Ethiopie par des étrangers sont des orphelins, des enfants abandonnés ou des enfants des rues sans famille et qui, s’ils n’étaient pas adoptés par des étrangers, seraient susceptible de mourir de misère et par manque de soins. Ceci n’est pas vrai. De nombreux enfants ont des parents et une famille dont certains sont même dans une situation confortable en regard du niveau local. La vérité c’est qu’en Ethiopie il y a une industrie du trafic d’enfants sous couvert d’adoption.

Le journaliste d’investigation principal de CBS News, Armen Keteyian, a accusé le système d’adoption éthiopien d’être tellement corrompu et de fonctionner de façon tellement tordue que ‘’l’Ethiopie est devenu le terreau fertile du trafic d’enfants’’ (2)

‘’L’an dernier le nombre d’enfants adoptés aux Etats-Unis en provenance de l’Ethiopie a explosé, avec une croissance plus importante que celui d’enfants provenant d’autres pays. Les chiffres sont passé de 731 en 2006 à plus de 2200 l’an dernier. Ce qui représente presque 6 enfants pas jour. L’investigation montre que la croissance a fait de l’Ethiopie un terreau fertile pour le trafic d’enfants, un pays dans lequel des agences américaines et leur personnel s’engagent dans des conduites hautement discutables. Les allégations des familles d’adoption des enfants amenés aux Etats-Unis montrent que de nombreux enfants ne sont pas des orphelins, que les futurs parents d’adoption sont trompés sur l’état de santé de l’enfant sur son contexte d’origine et que les familles autochtones sont recrutées- et parfois payées- pour abandonner leurs enfants.’’

Les témoignages rassemblés par Armen Keteyian montrent trois sœurs - âgées de 4, 6 et 7 ans - adoptées par une famille américaine sur la base des dires de CWA selon lesquelles ‘’leur mère était morte, leur père mourrant du sida et qu’une vie de prostitution se dessinait devant elles, à moins d’être adoptées - sauvées- par une famille américaine aimante.’’

Katie Bradshaw, la mère adoptive des trois enfants a déclaré à Keteyian que ’’hormis le sexe des enfants, tout le reste est mensonge’’ En réalité les enfants - Journee, Maree et Mey a- étaient bien plus âgés : ils avaient respectivement 13, 11 et 6 ans. Bien que leur mère soit morte, leur père est en parfaite santé et bien vivant. Il vit la vie de la classe moyenne avec une famille étendue parfaitement à même de s’occuper de ces enfants comme l’a expliqué la sœur intermédiaire Meya’’. Le cas des Bradshaw n’est que la pointe de l’iceberg des horreurs des histoires d’adoption en Ethiopie.

CWA a été prompt à rejeter toute la faute sur le régime éthiopien, ses fonctionnaires et son système judiciaire. Dans une déclaration sur son site web, CWA décline toute responsabilité pour de fausses données et a mis toute la responsabilité sur le dos du régime. (3)

‘’Une enquête est menée par la police, le Kebele (un fonctionnaire local élu) et le ministère du travail et des affaires sociales. La police et le Kebele sont responsables de l’enquête auprès des parents… La décision de savoir si un enfant est adoptable appartient exclusivement au tribunal suite à un processus légal formel et détaillé. Ce n’est pas une décision qui appartient à une agence humanitaire, une agence d’adoption ou la communauté de l’enfant. Seul le système judiciaire éthiopien est habilité à prendre une telle décision’’.

CWA, une organisation à but non lucratif établie en 1991,’’ a encaissé 6 millions de dollars en demandant environs 15 000 dollars par enfant en 2008’’, le tarif en vigueur en Ethiopie selon l’enquête de CBS. Mais les Bradshaw et leurs trois enfants n’ont récolté rien d’autre que des pleurs et des larmes : ’’Nous avons regardé nos trois enfants crier et pleurer et s’étioler, en grand deuil pour la perte de leur famille et de leur pays’’, a déclaré Katie Bradshaw désespérée.

L’enquête de CBS n’est pas la première à révéler un trafic d’enfants par le biais du système d’adoption éthiopien corrompu. En septembre 2009, Mary Ann Jolley de l’Australian Broadcasting Corporation (Aunty ABC) avait révélé que les agences d’adoption ne vont pas dans les orphelinats afin de trouver des enfants pour l’adoption mais vont les ‘’cueillir’’ à la campagne. (4) :

‘’Il y avait quelque chose d’extrêmement perturbant dans ces adoptions internationales de masse. Tous ces enfants éthiopiens sur le point de quitter leur pays pour commencer une nouvelle vie dans des endroits lointains, sont en rupture avec leur culture et leur héritage… Les étrangers préfèrent des enfants plus jeunes, des bébés ou des enfants jusqu’à cinq ans. Des enfants plus âgés ou des enfants avec des problèmes de santé sont plus difficiles à placer. Alors que des enfants croupissent dans des orphelinats surpeuplés et sous financés, des agences internationales prospectent dans les villages et demandent aux familles de donner leurs enfants pour adoption. C’est un phénomène connu sous le non de ‘’récolte’’ et c’est choquant à voir… Il y a plus de 70 agences d’adoption privées qui opèrent en Ethiopie. Près de la moitié des agences en Ethiopie ne sont pas enregistrées, certaines faisant tout ce qu’elles peuvent pour trouver des enfants pour alimenter le marché étranger… Personne ne met en doute le besoin réel pour une adoption internationale, mais par égard pour les enfants et les parents adoptifs, il doit y avoir une protection contre les agences sans scrupule qui prétendent obéir à des impératifs humanitaires mais qui, en réalité, se remplissent les poches avec de l’argent sale.’’

En novembre 2009, en partie comme conséquence de l’enquête d’ABC, le procureur général d’Australie (5) ‘’a décidé que le programme Ethiopie-Australie devait être suspendu en raison du souci de l’Australie de ne pas pouvoir poursuivre les adoptions internationales en adéquation avec ses obligations découlant de Convention de La Haye sur la Protection de l’Enfant et de Coopération en ce qui concerne l’adoption entre pays’’. Dans une déclaration curieusement formulée, le procureur général explique : ‘’Une raison principale de la suspension est la requête du gouvernement éthiopien pour que le programme d’adoption entre pays entre dans un accord formel d’assistance au développement communautaire’’. En d’autres termes, un accord pour un racket d’extorsion qui alimente le trafic d’enfants dans lequel les bébés éthiopiens sont échangés contre du développement.

Les faits documentés montrent qu’il y a une industrie, qui n’est pas si cachée, de commerce et de trafic d’enfants sous le couvert d’adoption charitable. La dictature au pouvoir est consciente du problème depuis plusieurs années, mais n’a pas jugé utile de prendre la moindre mesure pour enquêter et faire la lumière sur les allégations relatées dans la presse ou les plaintes individuelles des parents adoptifs, ou d’identifier et de poursuivre en justice ceux impliqués dans la ‘’récolte’’ d’enfants, le trafic et la vente.

Il est inexplicable que cette affaire n’ait pas réussi à attirer la moindre attention officielle. Serait-ce là une manifestation de l’indifférence criminelle et dépravée aux Droits de ces enfants ? Serait-ce que le gouvernement ne pense pas avoir de responsabilité morale quant au bien-être de ces enfants ? Ou bien se pourrait-il que quelque individu puissant soit impliqué dans la ‘’récolte’’ et la marchandisation de ces enfants ?

Le fait est que la dictature éthiopienne a une obligation légale contraignante, du fait de son adhésion (14 mai 1991) à la Convention sur les Droits de l’Enfant (CDE), pour assurer leur bien-être. Au regard de l’article 21 (d) de la CDE, la dictature éthiopienne a le devoir légal de ‘’prendre toutes les mesures appropriées pour garantir que lors d’adoption entre pays, le placement n’assure pas de gain financier à ceux impliqués’’. A l’article 11 (1) le régime est requis de ‘’prendre toutes les mesures pour combattre le transfert illicite et le non retour des enfants partis à l’étranger’’ (voir aussi l’article 19) (1) (2).

L’article 13 (2) de la Constitution de la République Fédérale d’Ethiopie oblige la dictature à honorer ses obligations résultant de traités internationaux et de protéger les droits de l’enfant)

Que doit-on faire pour sauver les enfants des ‘’récoltes’’ et de la marchandisation ?

Trois choses doivent être faites immédiatement. La première est que la loi doit être appliquée. La dictature doit honorer les obligations qui découlent de la Constitution, des traités internationaux et de son propre code pénal. La dictature a, à sa disposition, tous les outils légaux nécessaires pour investiguer et poursuivre en justice les individus et organisations impliqués ou soupçonnés de trafic d’enfants. L’article 597 (1) (2) du code pénal de la dictature prévoit l’emprisonnement entre 5 et 20 ans ‘’à l’encontre de quiconque est impliqué dans le trafic de femmes ou d’enfants… par la violence, la menace, la tromperie, la fraude, l’enlèvement ou en donnant de l’argent ou autre avantage à une personne ayant le contrôle sur une femme ou un enfant’’. Des suites pénales sévères sont également prévues à l’encontre de ceux qui collaborent au trafic de femmes et d’enfants.

Il y a des preuves substantielles d’activités criminelles dans le processus d’adoption. Les parents adoptifs étrangers sont prêts à se manifester et à venir témoigner contre les pratiques frauduleuses qui consistent à leur vendre des enfants au nom de l’adoption. Les agences de presse indépendantes ont aussi accumulé des preuves d’activités criminelles par ceux impliqués dans le processus d’adoption. La dictature a l’obligation légale et morale de suspendre immédiatement toutes les adoptions et de mener une investigation afin de déterminer l’étendue et la gravité du problème du trafic d’enfants, de prendre les mesures appropriées afin de poursuivre en justice les coupables et d’établir des procédures rigoureuses qui préviennent une récurrence future.

Deuxièmement, une action doit être entreprise afin de remédier aux défauts structurels du système d’adoption en accédant (ratifier) la Convention pour la Protection des Enfants et la Coopération de la Hayes, ayant trait à l’adoption entre pays (entrée en vigueur en 1995). L’Australie a suspendu son programme d’adoption entre pays avec l’Ethiopie, parce qu’elle a conclu que le système d’adoption éthiopien n’était pas conforme avec la Convention de La Haye ou même était en violation de celle-ci.

Le but de la Convention est ‘’d’établir des sauvegardes qui garantissent que les adoptions entre pays ont lieu dans le meilleur intérêt de l’enfant et en respectant ses droits fondamentaux selon les dispositions du droit international’’ (Art 1 (A) et ‘’de prévenir les enlèvements, la vente ou le trafic d’enfants ‘’ (Préambule). La Convention a été adoptée par l’Afrique du Sud, le Kenya, le Mali, le Togo, la Guinée, le Burkina Faso, l’île Maurice et Madagascar, parmi des douzaines d’autres pays.

Troisièmement, le régime éthiopien doit aussi signer le Protocole des Nations Unies pour la Prévention, la Suppression et la Punition du trafic de personne en particulier les Femmes et les Enfants qui est le complément de la Convention des Nations Unies contre le crime organisé transnational (Palermo trafficking protocol, entré en vigueur en 2003) : Le protocole, entre autre chose, exige des signataires de criminaliser le trafic d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle, de faciliter leur retour et d’accepter ceux qui ont été victimes du trafic transfrontalier ; et la confiscation des instruments et profits du trafic et les crimes y relatifs, afin de les utiliser en faveur des victimes du trafic. Quelque 118 pays ont adopté ce protocole, parmi lesquels le Kenya, l’Ouganda, Djibouti, le Niger, la Sierra Leone, le Cameroun, le Rwanda, le Burundi, le Congo et des douzaines d’autres.

Si cela peut réconforter Katie et Calvin Bradshaw, il faut qu’ils sachent qu’il n’y a pas que leur trois enfants ‘’qui ont crié et pleuré et se sont étiolés, en grand deuil pour la perte de leur famille et de leur pays’’. Il y a 80 millions d’autres enfants qui, avec eux, qui sont en grand deuil pour la perte de leur pays et qui pleurent et qui crient du tréfonds de leur âme.

Sauvez le futur de l’Ethiopie ! Arrêtez les ‘’récoltes’’ d’enfants éthiopiens!

NOTES
[1] La première partie de cet article a été publiée sur http://www.ethiomedia.com/all/6144.html
[2] http://www.cwa.org/ethiopia-statement.htm
[4] http://www.abc.net.au/news/stories/2009/09/15/2685853.htm
[5]http://www.ag.gov.au/www/agd/agd.nsf/Page/IntercountryAdoption_WhatsNew_...

* Alemayehu G. Mariam est professeur de sciences politiques à la California State University, San Bernardino et avocat à Los Angeles - Cet article est d’abord paru dans le Huffington Post, il a été traduit par Elisabeth Nyffeneger

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