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Dans mon esprit d’enfant, je trouvais toutes ces histoires confuses. Pourquoi une armée de libération attaquerait-elle des civils ? Et pourquoi ces gens saliraient-ils une si noble mission en faisant la terreur?

En me levant le matin du 7 avril 1994 d’un sommeil tourmenté, je suis allée doucement jusqu’à l’entrée de la clôture de notre maison. Il me fallait savoir s’il restait encore une maison debout. Que signifiaient tous ces cris entendus toute la nuit? Qu’allait-il se passer maintenant que le Président était mort ? J’étais engourdie par la peur, mais j’ai pu atteindre l’entrée de la clôture. Il me fallait savoir ce qui restait encore dans notre voisinage.

Cachée par l’obscurité, j’entendais des explosions, des maisons s’écrouler, des coups de feu ; mon corps tremblait de frayeur à chaque bruit. Encore des explosions, d’autres cris et même des hurlements. Dehors, la mort faisait rage et des gémissements étranges étaient entendus à distance. Ma famille se blottissait ensemble dans l’espoir de réunir tout le courage nécessaire en vue d’avoir la force et la protection pour tenir dans l’obscurité. Par miracle, nous avons pu le faire. Je ne me rappelle plus le premier d’entre nous à avoir aperçu la lueur du matin, ou à s’être levé et marcher sans trébucher sur les genoux.

J’ai atteint l’entrée de la clôture et j’ai regardé dehors sans un mot. La rue d’habitude animée était morte de silence. Il n’y avait personne dehors ; c’était étrange et inquiétant.

Dans les jours qui ont suivi, j’ai vécu la même chose, chaque nuit plus macabre que la précédente, et chaque matin plus effrayant que le précédent. Je priais pour survivre la nuit. Chaque matin, j’étais surprise de voir que j’étais encore e en vie. J’avais peur de ce qui m’attendait: Qui est-ce qui n’avait pas réussi à se sauver ? Qui s’était activé contre qui? Qui avait péri? Et de quelle manière? Chaque journée me paraissait plus longue que la précédente. Si ce n’était pas les bombes et les coups de feu de la guerre qui faisaient rage, c’étaient les armes maniées par les milices extrémistes Hutu en état d’ébriété et assoiffés de sang. Je n’oublierai jamais ces milices sanguinaires, ni les hurlements de leurs victimes innocentes. Chaque jour, ma famille et moi déplorions des voisins et des amis. Dans notre esprit, ce n’était qu’une question de temps avant que les milices ne viennent chez nous et que la guerre arrive au seuil de notre maison.

C’est assez ironique d’entendre que le génocide rwandais est arrivé dans la foulée d’un accord de paix signé par l’ancien président du Rwanda, Juvénal Habyarimana et le Front Patriotique Rwandais dirigé par l’actuel président du Rwanda Paul Kagame. L’objectif de l’accord de paix était d’arrêter la guerre qui ravageait le Rwanda depuis quatre ans.

En 1990, Paul Kagame l’actuel président du Rwanda, a conduit un groupe de rebelles avec comme objectif affirmé la libération du précédent dictateur, lequel a été finalement assassiné quand son avion fut abattu. Les buts de la rébellion étaient multiples, mais on y trouvait la recherche de la liberté et de la démocratie pour les Rwandais. Les rebelles ont combattu le gouvernement pendant quatre ans. Malgré les objectifs nobles et ambitieux annoncés, les rebelles se sont livrés à des massacres contre les civils. Des centaines de milliers de gens paniqués ont fui leurs habitations, tentant d’échapper aux rebelles, et ont raconté des histoires horrifiantes qui leur étaient arrivées. Des villages entiers étaient rasés, des communautés étaient invitées dans des réunions où elles étaient ensuite fusillées. Des individus étaient torturés, et quelquefois pendus à des arbres par leurs entrailles. Et on entendait beaucoup d’autres histoires d’exactions semblables commises par les rebelles. C’est pour cela qu’un accord de paix avait été signé avant le génocide.

Dans mon esprit d’enfant, je trouvais toutes ces histoires confuses. Pourquoi une armée de libération attaquerait-elle des civils ? Et pourquoi ces gens saliraient-ils une si noble mission en faisant la terreur?

Quand le génocide a commencé, la guerre a repris de plus belle. Alors que les miliciens étaient aux trousses de victimes innocentes, les militaires, eux, menaient leurs combats avec des armements lourds, et utilisaient nos corps comme bouclier et garantie. Ils ont transformé nos terres en champs de terreur. Au moins 1 million de gens ont perdu la vie dans la violence la plus confuse et la plus horrifiante que j’aie jamais vue.

Voilà 20 ans que le génocide a eu lieu. Les anciens « rebelles » dirigent actuellement le Rwanda ; et la liberté pour laquelle ils combattaient en tant que rebelles reste hors de portée pour la population en général. Quant à leur gouvernement, il ne se prive pas de pratiques exclusionistes ni de législation discriminatoire ; des journalistes indépendants sont emprisonnés, exilés, et si étrangers, ils sont interdits d’entrée dans le pays. Les critiques et les membres des partis d’opposition s’exposent aux mêmes restrictions, et quelquefois même perdent la vie s’ils expriment leurs idées. Les activistes des droits de l’homme vivent dans la peur constante d’attaques ciblées. On fait taire les survivants du génocide en leur faisant miroiter des avantages pour reconnaitre leur détresse. Tout ceci se passe en sus de l’actuelle politique des Affaires étrangères du Rwanda, qui se définit comme l’invasion et le règne de terreur interposé en République Démocratique du Congo (Rdc). L’invasion du Rwanda en Rdc de 1996 et en 1998 a fait un gigantesque nombre de morts, s’élevant à 6 millions dans la population civile.

Même 20 ans plus tard, l’horreur et la terreur liés au génocide restent indéniables. Le travail visant la paix et la réconciliation doivent continuer. Et la lutte pour un Rwanda juste et égalitaire est plus urgente que jamais.

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** Alice Gatebuke a survécu à la guerre et au génocide rwandais. Il est iplômée de Cornell University, elle milite pour les droits de l’homme. Son adresse est la suivante: [email][email protected] .

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