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Le cas du Rwanda est quoi qu’il en soit dramatique. Il n'y a aucun signe montrant que l'ensemble de la région puisse un jour sortir des guerres et du chaos, ce qui autorise l'ingérence impérialiste permanente et le pillage des ressources, notamment congolaises. La seule solution admissible serait de diluer l'héritage de violence du Rwanda à travers la construction d'une sorte de vaste « confédération » de la région des Grands lacs.

Vingt ans après, la lumière n’est toujours pas entièrement faite sur l'attentat contre l'avion de l'ancien président du Rwanda, Juvénal Habyarimana. Cet événement a été immédiatement suivi par le génocide des Tutsis par les milices hutues. Deux hypothèses restent à ce jour possibles :

1) l'avion a été abattu par des extrémistes hutus, prétexte à la fois pour lancer le nettoyage ethnique planifié et se débarrasser du président rwandais qui, après les accords d'Arusha (qui avaient donné vie à un gouvernement de transition, Ndlr), devait, logiquement s'y opposer ;

2) l'avion a été abattu par des membres du Front populaire du Rwanda de Paul Kagamé, désireux d'éliminer Habyarimana, un des acteurs clefs de la montée du racisme anti-Tutsi et de la guerre contre le Fpr - et qui aurait de surcroit pu bénéficier de la réconciliation promue à Arusha et espérer voir son parti ou ses alliés Hutus se maintenir au pouvoir après des élections multipartites. Quitte à prendre le risque de déclencher des représailles contre les civils tutsis, dont le Fpr aurait sous-estimé l'ampleur, mais justifiant une éventuelle rupture des accords de paix et l'offensive contre le pouvoir de Kigali depuis le territoire ougandais.

Cette tragédie n'est pas une guerre ethnique, comme on le dit habituellement. Hutus et Tutsis appartiennent à la même nation, parlent la même langue, ont la même religion. Hutu est le nom donné à la majorité (85 %) des paysans soumis à l'aristocratie Tutsi, que les colonisateurs allemands puis belges ont cru bon devoir consolider en tant que groupe dominant, selon la règle consacrée du « divide » et « impera ». Déchargés des travaux agricoles, ils étaient propriétaires du bétail et consacraient leur temps à administrer le pays. Un système similaire aux castes hindoues, sans être aussi extrême : les mariages mixtes étaient autorisés.

Les Allemands ont gouverné la colonie jusqu'en 1919 au moyen d’un compromis, maintenu par les Belges jusqu'à l'indépendance, qui reconnaissait les privilèges économiques des éléments dominants du clan des Tutsis, une stratégie fondée sur la prétention qu'il s'agissait là d'une « race supérieure ». Le mouvement de libération nationale a été, pour cette raison, quelque peu désorienté. Comme partout ailleurs, les classes privilégiées locales (ici les Tutsis) ont épousé les revendications d’indépendance dans l'espoir de préserver leur position dominante, tandis que de nombreux dirigeants hutus conjuguaient leur exigence d’indépendance avec des revendications sociales ayant pour objectif la suppression des privilèges des Tutsis.

Au Burundi, un compromis a été (momentanément) trouvé entre les deux points de vue, mais pas au Rwanda, où, peu avant l'indépendance, les Hutus s’emparèrent du pouvoir avec l'appui de dernière minute de la puissance coloniale qui espérait ainsi favoriser la stabilité future du pays, désormais entre les mains de la majorité de ses citoyens. Suivirent des pogroms anti-tutsi et l'exil, par vagues successives, de milliers de tutsis dans les pays voisins, notamment en Ouganda, où, trente ans plus tard, fut formée une « armée » pour la libération du Rwanda, avec le soutien de leur pays d’accueil et des États-Unis.

La France, la Belgique et États-Unis étaient présents dans la région et partagent donc la responsabilité de cette tragédie. En particulier la France et la Belgique, qui soutenaient le régime hutu de Kigali et ne pouvaient certainement pas ignorer que les extrémistes planifiaient un génocide, dont des nombreux signes étaient déjà réels. Les accords d'Arusha, signés en aout 1993, prévoyaient certes le partage du pouvoir dans toutes les institutions publiques, y compris l'intégration de l'armée du Fpr à presque égalité avec l'armée rwandaise de Habyarimana, mais il aurait cependant abouti en un processus électoral inclusif d'où le Fpr n'aurait pu sortir vainqueur. Or, sous différents prétextes, Kagame n'accepte toujours pas de procédés démocratiques et gère son pouvoir d'une main de fer.

Les puissances occidentales ne convoitent pas les modestes richesses du Rwanda, mais bien celles immenses de la Rdc qui recèle nombre de minerais rares. Efficace et aguerrie, l'armée rwandaise, qui a longtemps exercé un contrôle direct ou indirect sur l'Est de la Rdc, peut de ce fait être un atout pour ceux ayant des visées sur ces riches régions. Il y a eu des tensions entre les Etats-Unis, la France et la Belgique jusqu'à ce que les Européens paraissent accepter un commandement américain de la région. Mais cette sujétion pourrait être remise en question. Les pays africains sont eux-mêmes divisés au sujet du rôle du Rwanda. Soutenu surtout par l'Ouganda, le principal allié de Washington dans la région, le Rwanda est en train de perdre l'appui de pays comme l'Afrique du Sud, à présent aligné avec le Zimbabwe ou l'Angola, qui penchent ouvertement du coté de Kinshasa.

Le cas du Rwanda est quoi qu’il en soit dramatique. Il n'y a aucun signe montrant que l'ensemble de la région puisse un jour sortir des guerres et du chaos, ce qui autorise l'ingérence impérialiste permanente et le pillage des ressources, notamment congolaises. La seule solution admissible serait de diluer l'héritage de violence du Rwanda à travers la construction d'une sorte de vaste « confédération » de la région des Grands lacs, intégrant le Rwanda, le Burundi, la Tanzanie, l'Ouganda et la République démocratique du Congo (il y a des minorités Hutus / Tutsis dans tous ces pays), avec un projet souverain commun aussi éloigné que possible des puissances occidentales. Une tâche immense pour les forces populaires et démocratiques dans la région.

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