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Au lendemain de son indépendance, le Sénégal a choisi sa réforme foncière surtout par l’auto structuration des terroirs pour répondre aux impératifs socio-économiques du développement. Dans sa conception de la réforme foncière et agraire, le législateur sénégalais a commencé par définir ce qu’il entend par aménagement foncier. Il en résulte que la réforme foncière ne peut être valablement entreprise que si le développement juridique est conçu selon les normes de la pensée juridique africaine. 

Tout semble avoir été dit sur la question de la « propriété foncière » au Sénégal, tant sont nombreuses les études publiées et les opinions émises sur ce sujet. Il est d’ailleurs remarquable que les thèses soutenues ont varié considérablement, la plupart du temps selon le but poursuivi par les auteurs et aussi suivant la valeur de leurs travaux préparatoires. La question ne s’en est guère trouvée élucidée, si elle n’a acquis quelques causes nouvelles d’obscurité venant s’ajouter à toutes celles qu’elle présentait déjà, par suite de la diversité des solutions administratives et l’imprécision des décisions judiciaires.

Chez le négro-africain, le patrimoine est divin et l’homme ne peut vendre ce qui est à Dieu. Le sol reste terre et ne s’aliène pas, car il est passé indifférencié. Les rapports de la famille et de la terre laissent paraître certaines constatations et remarques. Comme chez la plupart des populations anciennes, la cellule de la société sénégalaise est formée de la famille. D’après les traditions les mieux conservées, il semble qu’à l’origine la terre fut exploitée par des familles isolées et indépendantes. Celles-ci se multipliant formèrent des familles étendues ou lignages. Chaque membre mâle de la collectivité a le droit de posséder une part du bien commun. A titre exceptionnel, cette part est transmise d’ordinaire aux héritiers ; en l’absence de ceux-ci, elle fait retour au bien commun. Les femmes sans ressources appartenant à la communauté ont également droit à des parcelles. Il faudra insister à ce niveau sur la superposition des droits coutumiers. A savoir le droit magico-religieux du prêtre terrien, le droit de feu, le droit de sabot et le droit du canon né de la colonisation.

La colonisation ne visait qu’un seul but : amorcer le processus de développement économique. Or cette politique suppose que l’Etat, s’appropriant les terres, les redistribuera par voie de concession aux individus qui auraient alors cette liberté dans l’exploitation des terres. Cela ne pouvait aboutir qu’à l’introduction de la notion de propriété individuelle de la terre. Les autochtones firent pièce de cette théorie grâce à une conviction inébranlable d’un droit héréditaire traditionnel et collectif de la famille. Dans l’esprit du réformateur du domaine national de 1964, il n’était question ni d’étatisation ni de socialisation encore moins de nationalisation des terres. Mais, à travers des coopératives, de regrouper les ruraux pour les aider à acquérir de nouveaux moyens de production et de gestion pour aboutir à une agriculture moderne.

Au lendemain de son indépendance, le Sénégal a choisi sa réforme foncière surtout par l’auto structuration des terroirs pour répondre aux impératifs socio-économiques du développement. Dans sa conception de la réforme foncière et agraire, le législateur sénégalais a commencé par définir ce qu’il entend par aménagement foncier. Il en résulte que la réforme foncière ne peut être valablement entreprise que si le développement juridique est conçu selon les normes de la pensée juridique africaine.  

La loi sur le domaine national reste pertinente. Il suffit de la réactualiser pour l’adapter aux mutations contextuelles intervenues depuis 1964, afin de créer de véritables entrepreneurs agricoles ruraux. En définitive, toute la réforme repose sur deux principes : le droit de culture appartient à celui qui cultive la terre, mais la propriété en appartient à l’Etat et non plus aux morts. Le constat de mise en valeur est prononcé par un décret qui précise les limites et la superficie des terrains dont l’immatriculation peut être requise. Il doit être publié au journal officiel et notifié à l’intéressé.

Il faut exiger la participation des populations au capital social de l’entreprise bénéficiant d’affectations pour exploitation à grande échelle. La collectivité locale (personne de droit public) peut porter ces parts au nom de la population. Cette participation ne sera pas gratuite, parce que c’est la collectivité locale qui apporte le capital foncier. Cette technique d’implication des acteurs locaux dans le capital favorisera une cohabitation harmonieuse entre agrobusiness et exploitations familiales. Il faut renforcer le pouvoir des conseils ruraux avant le lancement par l’Etat de certaines opérations sur la zone de terroirs. L’une des revendications les plus persistantes des paysans est l’institution d’une transmissibilité automatique au profit des héritiers du de cujus. Les terrains du domaine national sis dans les communes peuvent être immatriculés au nom de l’Etat et affectés aux communes en tant que de besoin, notamment pour servir d’assiette à des projets d’équipements collectifs.

L’objectif général, visé par la réforme baptisée « l’Acte III de la Décentralisation », est d’organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable. La Constitution du 22 mars 2001 consacre le libéralisme foncier. Elle perpétue et renforce la pratique foncière coloniale avec le droit de propriété érigé en rang constitutionnel, contrairement au droit d’usage octroyé par la loi sur le domaine national. La gouvernance libérale pour résoudre ses propres « affaires » a tenté un passage en force en spoliant les ruraux par l’introduction de l’immatriculation de l’acte Torrens, mais devant la levée de boucliers l’Etat a jeté l’éponge.

Le foncier intéresse de  plus en plus la communauté internationale. De nombreuses orientations et règles sont édictées par les organisations internationales (Fao), africaines (Union Africaine) ou sous régionale (Uemoa) pour améliorer la façon dont les Etats gèrent leurs ressources foncières. Cette nouvelle vision est une grande avancée dans le processus d’amélioration de la gouvernance foncière, avec une attention toute particulière pour la protection des droits fonciers légitimes des populations rurales. Il s’agit essentiellement de veiller à la mise en place de processus inclusifs et participatifs  et de mise en œuvre des politiques foncières  et d’assurer la pleine participation des femmes considérées comme les principales utilisatrices de la terre en Afrique. Certains projets et programmes qui sont actuellement mis en œuvre dans la vallée du fleuve Sénégal comportent des ajustements fonciers qui ouvrent l’accès aux terres aménagées à des investisseurs privés nationaux et étrangers.

Une politique foncière efficiente

Les droits fonciers coutumiers sont supprimés depuis 1964 (loi 64-46), mais dans la pratique, ils continuent à régir le foncier dans l’espace rural. Les autorités coutumières (juridiquement incompétentes) demeurent encore incontournables dans la gestion des terres  rurales. Dans ce contexte, une politique foncière efficiente ne peut être formulée qu’à partir d’une symbiose des systèmes moderne et coutumier. L’Etat et la population doivent veiller à la réduction de la pauvreté, à la sécurité alimentaire, à la modernisation de l’agriculture, à la transparence foncière, etc.

Ce bref survole de la tenure foncière au Sénégal laisse perplexe. Nous pourrons reprendre la question soulevée au départ : le système foncier et agraire sénégalais peut-il déboucher sur un contenu objectif précis de progrès économique ? Mieux, quels sont les résultats en fonction de considérations techniques (production, rendement), économiques (revenus, investissements) et sociales (bien-être dans les campagnes) de ce système.

Nous pensons que nous pouvons arriver à une parfaite harmonie entre l’exploitation agricole familiale, la petite et la moyenne exploitation agricole, la grande exploitation agricole. Dans l’exploitation familiale nous inclurons toutes les exploitations de 10 ares à 100 ares. Selon que la surface est cultivée par la famille pour subvenir à ses besoins, où pour la mise en œuvre de la surface. C’est à travers ce paysage agraire des Niayes verdoyantes à l’aspect bocager contrastant avec les dunes nues de Cambérène à Malika, qu’on voit surgir le cultivateur. Ce groupe représente plus de 78% des cultivateurs. Il émerge pour 6,5% seulement dans les colonats.

Les exploitations familiales (3 à 5 personnes) se répartissent  sur 24% à 27% de surfaces disponibles. Dans ce groupe, les bénéficiaires entretiennent des exploitations de 1ha à 4ha 99, qui leur procurent de substantiels revenus externes. On évalue de 70 à 80ha de superficies exploitées, la dimension de cette catégorie qui évolue parfaitement bien dans l’élevage de la volaille. On a découvert que dans la région de Sangalkam, les petits exploitants sont de sérieux concurrents pour les exploitants moyens. Ces derniers représentent 45% contre 42% de petits exploitants. L’exploitation moyenne  comprend les exploitants dont la surface s’étend entre 15 à 50ha. Compte tenu d’un niveau de la technique agricole, elles ne peuvent être travaillées sans l’apport de main d’œuvre extérieure à la famille. Les plus grandes sont obligées d’employer des salariés. Théoriquement à l’origine des colonats, l’attribution d’une parcelle de colonat est accordée aux cultivateurs sous certaines conditions. Ils doivent cultiver le terrain dans l’année qui suit leur installation sur la concession. Enfin, outre qu’ils participent à l’entretien de chemins traversant le colonat, ils ne sont pas autorisés de céder leur droit de bail et en particulier de sous-louer tout ou partie de la concession. Habituellement, la moyenne exploitation trouve terrain d’élection dans les colonats actuellement confisqués par l’exploitation moderne. Ces anciens périmètres s’étendent sur une superficie de 15 338ha. Ils permettent la distribution suivante :

- Le colonat du Km9 créé en 1944 avait primitivement une superficie de 142 ha mais fut amputé dès 1952 d’une partie de sa surface, avec la création de Pikine et de l’autoroute.

- Le colonat de Sangalkam, était le plus ancien, sa création remonte de 1939. Il couvrait 56,78ha.

- Le colonat de Bambylor qui existait depuis 1941 couvrait une superficie de 75,5ha.

- Le secteur de Sébikotane-thiès que nous évaluons grossièrement à 45,7ha.

- Le périmètre de colonisation de Mboro créé en 1941, fut repris en 1948, il avait une superficie de 2400ha bornée.

Avec la structuration des colonats, des permis d’occuper étaient délivrés aux colons. Le permis pouvait être transformé en bail amphithéotique, valable 25 ans et renouvelable jusqu’à 99 ans, à condition que l’occupation du sol soit jugée suffisante.  Ainsi, le colon ne devait aucune redevance à l’Etat pour l’occupation de la concession. Mieux, le bail lui permettait d’avoir recours au crédit. Il serait souhaitable, avec le concours de la Direction des impôts et domaines (Service des domaines, service du cadastre), de réactualiser la situation du fichier des colonats.

Les grandes exploitations agricoles sont celles qui s’étendent sur plus de deux cents hectares de terres. Elles ont leur source dans une fraction restreinte du secteur privé. Les plus importantes furent Filfili et surtout Bud Sénégal. Bud Sénégal fut une Société anonyme, ayant le caractère de société d’économie mixte. Elle regroupa le groupe Bud (International Finance Corporation), des banques sénégalaises, des hommes d’affaires et l’Etat. Au départ, le projet portait sur 200ha pour atteindre au stade final du projet  3 600 hectares de cultures avec une double récolte permettant l’exportation de 100 000 tonnes de produits maraîchers. De même, il est permis de dire que Bud-Sénégal fut placé dans des conditions optimales de conditionnement des produits (entrepôts frigorifiques), de transport (utilisation de cargo “charters“) et elle possédait une grande organisation de ventes (en Europe, aux Etats-Unis et au Canada).

Puisque le littoral Nord s’offre comme un don de la nature, il faut aller vers un développement intégré avec l’agriculture comme socle (horticulture, arboriculture, arachide de bouche, culture vivrière, riz, maïs, mil, sorgho), impliquant l’aviculture, la richesse halieutique et l’élevage (cheptel, bétail). Le tout s’étendrait sur une zone géographique du Cap-Vert à Kayar, Mboro, Saint-Louis, les terres du Walo, du Delta à la lisière du Ferlo et du Bassin arachidier. Le problème technique essentiel, est d’assurer une maîtrise permanente de l’eau, supprimant la dépendance du paysan vis-à-vis des aléas climatiques. Il faut arriver à une politique rationnelle des cultures dans les Niayes et amener les cultivateurs à ne cultiver que des terrains parfaitement irrigués et non les terrains inondés qui ne produisent que des tubercules gorgés d’eau, très rapidement périssables.

Il serait nécessaire, dans l’optique d’une application de la loi sur le domaine national, de favoriser les investissements des paysans en maraîchage et en arboriculture. Cette mesure éviterait de les réduire au chômage en leur donnant la chance de rentabiliser leurs exploitations, face à la mise en valeur rapide et rationnelle de l’agriculture moderne. Il faudrait aussi, lancer une vaste campagne d’éducation des cultivateurs pour les inciter à investir, les sensibiliser à la réforme qui les empêcherait pas de “brader“ de vastes terrains à bas prix, moyennant un système d’endettement que les citadins entretiennent.

Sur le plan local une réorganisation des circuits commerciaux est nécessaire dans le cadre du mouvement coopératif et du syndicat unifié. Cette voie communautaire de commercialisation des légumes, serait la meilleure pour les cultivateurs. Il faudrait pour ce faire qu’ils choisissent librement, c’est-à-dire, qu’ils commencent par prendre réellement conscience de leurs intérêts. Ils pourraient, à partir de ce moment seulement, profiter de leurs efforts. Ils pourront écouler leurs récoltes dans de bonnes conditions. Les consommateurs locaux payeraient les légumes à un prix raisonnable. Les producteurs exerceraient un contrôle étroit des intermédiaires par une taxation à l’achat et à la vente, grâce à leur union de coopératives. Ces organismes regroupés trouveraient plus facilement des installations modernes pour le stockage et l’entreposage des produits maraîchers.

Nous devons reconnaître les exigences des marchés extérieurs, donc prendre en considérations les problèmes d’organisation et de débouchés. Le Sénégal peut être présent sur le marché européen à condition de respecter les calendriers des saisons propices et de sélectionner ses meilleures variétés (haricots verts, fraises, asperges).

L’avenir dira si la réforme entreprise débouchera sur une modification des structures interfamiliales et villageoises ou sur une mise en question de l’ensemble du système économico-social de la société rurale.

Ce développement intégré s’appuiera tout le long de l’aire géographique du littoral Nord sur l’énergie solaire, éolienne. Le Sénégal compte atteindre l’objectif de 20% des énergies renouvelables d’ici à 20 ans. La République du Cap-Vert fonctionne avec 70% des énergies renouvelables et  15 ou 20% des fossiles. Ce voisin qui n’est pas plus riche que le Sénégal mais qui a une parfaite expertise et expérience des énergies renouvelables pourrait servir d’exemple pour notre pays qui n’a rien à gagner en allant chercher des technologies de pointes difficiles à gérer (pièces détachées) en Chine ou dans les pays de l’Ue avec les conséquences d’alourdissement de la dette et donc la dépendance accrue.

Quant au pétrole et au gaz, il faut éviter qu’ils ne constituent une bombe à retardement sociologique et écologique (juste ce qu’il faut pour alimenter la Senelec, les infrastructures de l’Etat et la consommation locale). C’est pourquoi notre préférence va plutôt vers l’exploitation des ressources humaines avec leur génie et leur générosité pour un développement endogène.

 

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** Amadou Tidiane DIA,  est économiste

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