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C’est un procès attendu par les victimes depuis 25 ans. Hissein Habré est appelé à répondre, devant les Chambres africaines extraordinaires, des nombreux crimes commis sous son règne. Il ne reconnaît pas de légalité aux Chambres, mais les victimes qui le poursuivent ont déjà la satisfaction première de le voir devant un tribunal.

La Salle 4 du Palais de justice de Dakar a retrouvé son calme. La clameur des premiers jours est tombée. Hissein Habré n’invective plus les juges et ses proches ne versent plus dans les troubles d’audience. Les premières heures du procès de l’ancien président tchadien ont été heurtées. Il a fallu le trainer de force à la barre, dans une ambiance surchauffée. Une quinzaine d’interpellations dans les rangs de ses proches plus tard, le calme s’installait. Pour eux comme pour l’ancien président du Tchad, les Chambres africaines extraordinaires qui sont appelées à conduire ce procès pour crimes contre l’humanité, crimes de torture et crimes de guerre sont illégales et relèvent d’une manipulation de l’Occident.

Chaque jour, depuis que son procès a repris le 7 septembre, Habré se fait trainer de force au tribunal. Mais sa résistance est tombée dès le deuxième jour. Aujourd’hui il se laisse porter docilement par les forces de sécurité. Installé sur sa chaise, il passe ses jours d’audience le regard perdu dans le vide, balançant les pieds, impassible par rapport à ce qu’il voit et en entend. La tête enfoncée dans un turban qui ne laisse voir que ses yeux protégés par des lunettes claires, il balance les jambes, l’air indifférent. Les Chambres africaines engagent une deuxième semaine de procès et toute résistance lui paraît sans doute vaine. A moins qu’il ne réserve des coups d’éclat dans ce procès dont la première partie est appelée à durer trois mois.

La justice africaine a rattrapé Hissein Habré vingt-cinq ans après qu’il a fui Ndjaména pour Kousséri, une ville camerounaise à la frontière entre les deux pays. Ce 30 novembre 1990, devant l’avancée des forces rebelles conduites par Idriss Déby, actuel président du Tchad, il lâchait un pouvoir qu’il avait conquis par les armes en juin 1982. Le 1er décembre, le président Paul Biya appelle Abdou Diouf, son homologue sénégalais. Il ne peut garder le colis et lui cherche un refuge. Le même jour, Hissein Habré atterrit à Dakar.

A Ndjaména, dans l’euphorie de la «libération», les prisons se vident, mettant l’horreur en lumière. Ce sont des mourants qui sortent des locaux de la Division de la documentation et de la sécurité, mais aussi des cellules de la «Piscine», la prison de Ndjamena. Les langues se délient et les exactions se racontent. On parle des tortures, des exécutions de masse, des traitements inhumains et dégradants qui avaient cour derrière les murs. Une commission d’enquête mise en place par le nouveau régime aboutit à 40 000 morts comptabilisés sur les huit ans de règne de Habré.

Aujourd’hui l’horreur s’est transportée au tribunal de Dakar. Pour les membres de l’Association des victimes des crimes du régime de Habré (Avcrhh), c’est une victoire. Inculpé le 2 juillet 2013, Habré est muet à la barre, mais il entend. Ouvert le 20 juillet 2015, le procès avait dû être suspendu le lendemain, l’accusé ayant rejeté les avocats qu’il avait chargé de le défendre. Le président Auguste Kam désignera alors d’office trois autres avocats du barreau de Dakar qui, aujourd’hui, contre la volonté de l’accusé, sont appelés à assurer sa défense. Légal ou pas, juste ou pas, la procédure en rajoute à la polémique qui entoure ce procès.

Mais depuis 2000 qu’ils ont porté plainte et éprouvé les lenteurs et les obstacles du système judiciaire, les victimes n’attendaient «que ça». La délivrance est tombée en juillet 2006, quand l’Union africaine imposa au Sénégal de juger Habré «au nom de l’Afrique». C’était l’acte décisif. Les lenteurs judiciaires et les tergiversations de l’ancien président Abdoulaye Wade constitueront cependant des facteurs de blocage. Jusqu’à ce que la justice belge, devant laquelle des victimes avaient porté plainte, demande l’extradition de Habré. La quatrième requête est tombée en janvier 2012. Deux mois après, Abdoulaye Wade perdait le pouvoir au terme du second tour de l’élection présidentielle et Macky Sall s’installa avec la ferme détermination de fermer ce dossier. «Vous nous voyez laisser des policiers occidentaux venir à Dakar pour cueillir quelqu’un et aller le juger chez eux ? A quoi ressemblerions-nous ?», lance un juge sénégalais.

SYSTEME DE TORTURES

«Au nom de l’Afrique» donc, Dakar est en train de poser un acte déterminant. De la transparence, de la justesse et du caractère équitable de ce procès dépendra une bonne part de la lutte contre l’impunité et pour la redevabilité des comptes sur le continent. L’espoir est que les «prédudices humains» ne soient plus des actes qui passent impunément au passif des régimes oppresseurs qui passent.

Président de l’Avcrh, Clément Abaifouta lance : «Nous ne cherchons pas la vengeance. Nous ne cherchons pas que Habré vive une infime partie de ce que nous avons vécu. Ce que nous demandons, c’est la justice. Je veux qu’il m’explique pourquoi j’ai été jeté en prison, pourquoi j’ai été torturé». Ils sont 4 445 victimes à avoir porté plainte contre Habré et ses complices dans le système de répression mis en place sous son règne au Tchad. Mais seul l’ancien président répond devant les Chambres africaines extraordinaires. Deux autres tortionnaires de la Dds ont été déjà condamnés par le Tribunal de Ndjamena. Les juges des Chambres demandaient leur extradition, le pouvoir de Ndjaména ne s’y est jamais résolu. Trois autres sont en fuite et font l’objet d’un mandat d’arrêt international. De toutes leurs victimes, cent ont été choisies par les Chambres pour venir témoigner à la barre.

Depuis le mercredi 9 septembre, après deux jours de lecture de l’acte d’accusation, le système de tortures de l’ère Habré se raconte. D’anciens rebelles arrêtés lors des combats, des citoyens anonymes, des responsables politiques se succèdent à la barre pour rappeler un environnement de suspicion, de répression, de tortures et de crimes de masse. Avec «l’arbatachar», on attachait les mains et les pieds dans le dos du prisonnier, de manière à bomber le torse. Certains se faisaient mettre un pot d’échappement de voiture en marche dans la bouche. «Vos poumons brulaient», témoigne Ousmane Abakar, ancien prisonnier. Deux bouts de bois étaient aussi attaché autour du crane et on serrait. «Quand on tapait sur le bois, c’est comme si on recevait une décharge électrique». Des femmes ont été violées, torturées à l’électricité. Dans les cellules bondées, on se couchait sur les morts le temps qu’on les évacue. «On ne mangeait pas tous les jours et ce qu’on nous donnait était pourri». Rachel raconte que son père, un ancien lieutenant qui avait démissionné de l’armée, a été torturé sous ses yeux, fusillé et leur maison pillée.

Clément Abaifouta a été arrêté en 1985. Attributaire d’une bourse, il se préparait à se rendre en Allemagne pour poursuivre ses études. En prison, il avait fini par être choisi pour devenir fossoyeur. «De nuit comme de jour, on sortait les cadavres des cellules pour aller les enterrer dans des fosses communes aux alentours de Ndjaména. Il y en avait pas dizaines. Quand il faisait chaud, le nombre était encore plus important… Les gens mouraient de maladie, de tortures. Il y avait des exécutions…» Ce lieu, c’est Hamral Gozh. La Commission d’enquête tchadienne mise en place en 2000, après la chute de Habré y a découvert nombre de charniers. Mouhamat Assane Abakar qui la dirigeait parle de 40 000 morts à travers le Tchad. Lundi 14 septembre, film à l’appui, il a revisité le passé devant le tribunal.

Durant le règne de Habré, Amnesty International a multiplié les alertes et les condamnations. Vers la fin de son régime, la Croix rouge international a pu se faire ouvrir les portes des prisons et le sort de nombre de détenus a connu une amélioration. La terreur n’a pas pour autant cessé. Ce fut donc comme un miracle quand, après la fuite de Habré, des représentants de Human Rights Watch, dont Reed Brody, ont visité la Dds pour tomber sur des documents perdus dans la poussière. Une mine d’horreur.

PLAINTE CONTRE DEBY

«Tout était là, écrit. On avait des rapports d’interrogatoire, des listes de personnes qui avaient été tuées ou emprisonnées. C’est un régime qui notait tout ce qui se passait», confie Reed Brody. La relation avec Habré se trouve dans les témoignages. Elle est aussi dans certains procès verbaux d’interrogatoire. Des documents font un lien avec sa présence sur les lieux de torture. Des témoins soulignent qu’il se faisait rendre compte et s’enquerrait de ce que les prisonniers ont pu dire ou non. C’est une responsabilité sur laquelle les Chambres auront à se prononcer. Mais pour les avocats des victimes, dont le collectif est coordonné par l’avocate tchadienne Jacqueline Moudeïna, «la responsabilité de Habré, en tant que chef et donneur d’ordre est pleinement engagée».

Le cheval de bataille de la défense de Habré se situe à ce niveau. Pour ses avocats, on ne peut juger Habré à l’exclusion d’Idriss Déby, actuel président et ancien chef d’Etat major des armées au temps forts de la répression au Tchad. En 1984, il était à la tête des troupes qui ont procédé au massacre des «codos», des rebelles et des membres de l’élite du sud du pays qui avaient été rassemblés dans l’optique d’une négociation avec Ndjaména. A plusieurs reprises son nom est revenu dans ce procès. Le 2 septembre dernier, un avocat sénégalais a porté plainte contre lui, au nom d’un collectif de victimes. Mais l’instruction était close et les Chambres africaines ont rejeté la requête.

Pour la défense de Habré, la négation des Chambres africaines et le rejet de ce procès s’appuie en partie sur les responsabilités de «l’absent le plus présent» de ce dossier. A son sujet, l’article 10 du Statut des Chambres dispose que «la qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’État ou de gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère en aucun cas de sa responsabilité pénale […]». Des poursuites auraient donc pu être engagées contre lui, mais la seule tentative de le faire est tombée «hors délai».

Il se trouve aussi que le Tchad d’Idriss Déby participe au financement des Chambres pour 3 743 000 dollars, aux cotés de l’Union européenne (2 millions d’euros), des Pays-Bas (1 million d’euros), de l’Union africaine (1 million de dollars), des Etats-Unis (1 million de dollars), de la Belgique (500 000 euros), de l’Allemagne ( 500 000 euros), de la France (300 000 euros) et du Luxembourg (100 000 euros). Le prix de son impunité, clament les avocats de Habré. La théorie de la machination a ainsi de beaux jours devant elle. Habré n’est pas seulement présenté comme «l’ennemi à abattre» pour le régime de Ndjamena. Dans la thèse du «complot international», l’Occident est également ciblé, qui chercherait à régler de vieux comptes avec un «digne fils de l’Afrique», avec un «nationaliste résistant à l’expansionnisme de la Libye», avec celui qui avait su dire «non à la Françafrique». Mais l’argumentaire de la défense des victime est toujours là pour rappeler les accointances qui ont existé entre Habré, la France et les Etats Unis, voire avec Israël.

Le procès est appelé à durer sept mois, le jugement compris. Il sera sans doute plus court devant un accusé muré dans le silence. Le budget des Chambres n’est que 8,6 millions d’euros. Devant la Cour pénale internationale, il aurait fallu dix fois plus selon les données actuelles. Le pari de la Justice africaine, sera de faire bien avec si peu.

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** Tidiane Kassé est rédacteur en chef de Pambazuka News

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