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Ne disposant pas au congrès de la Fifa d’un droit de véto, les Etats Unis auraient usé de leur pouvoir de «gendarme du monde» pour créer une situation empêchant le vote d’une résolution contre l’État hébreu que prévoyait la Fédération palestinienne de football.

C’est un fait : un projet de résolution de la Fédération palestinienne de football (Pfa) demandant la suspension d’Israël devait être présentée au vote du congrès de la Fifa de Zurich ce vendredi 29 mai. La fédération palestinienne entendait ainsi faire condamner le «comportement raciste d'Israël à l'encontre des Arabes» et la création de «cinq clubs dans des colonies implantées sur les terres occupées depuis 1967, clubs qui participent aux championnats nationaux israéliens en violation du droit international». Toutes choses qui sont évidemment en violation flagrante des principes fondamentaux de la Fifa qui bannissent le racisme, la ségrégation et la violence.

Le dossier de la Fédération palestinienne de football est donc solide. D’autant plus qu’il a été précédé, depuis 2013, de plusieurs plaintes auprès de l’instance internationale. Celles-ci ont fait état tour à tour de restrictions imposées régulièrement à la construction d’infrastructures sportives, à l’attaque du siège de la Pfa par l’armée israélienne et même aux agressions et meurtres de joueurs au cours de la dernière guerre contre Gaza. L’agression de Jobar Halabiyeh, un joueur de l’équipe Abu Das, qui a reçu 11 balles dans ses jambes en janvier 2014 a été documentée.

Le dossier de la Pfa demandant la suspension d’Israël de la Fifa est donc basé sur des violations systématiques des principes de l’organisation fédératrice du football mondial. Mais, indique Jibreel Rajoub, président de la Pfa, «il ne s’agit pas de suspendre Israël, mais plutôt de faire prévaloir (leurs) droits. Ce n’est que justice».

Le quorum des trois quarts des votes des membres du congrès requis pour l’adoption de la résolution, pouvait être atteint. En effet, les résolutions régulièrement présentées par la Palestine devant les différentes instances de l’Onu sont toujours plébiscitées. Les Etats Unis doivent user de la leur «droit de véto» pour empêcher leur adoption.

La demande d’adhésion de la Palestine à l’Unesco, présentée en novembre dernier, requérant un vote des deux tiers, a obtenu 107 voix contre seulement 14 (52 abstentions). Dés lors, on peut se demander si ce n’est pas cela qui a motivé les Etats Unis à intervenir de la manière spectaculaire et musclée que l’on sait contre des dirigeants de la Fifa. La suspension d’Israël constituerait en effet, après l’admission à l’Unesco, une autre victoire retentissante de la Palestine et un encouragement pour la campagne internationale de boycott des produits israéliens et des entreprises traitant avec l’Etat sioniste, lancée depuis 2012.

En outre, cette suspension survenant pratiquement au 60e anniversaire de la «Nakhda», «la catastrophe» qu’a constitué la proclamation de la souveraineté d’Israël sur la Palestine et l’annexion du territoire par l’Etat sioniste le 15 mai 1948, porterait un message symbolique très fort. Politiquement, l’image d’Israël mis au ban d’une instance sportive mondiale renverrait à celle de l’Afrique du Sud interdite des Jeux Olympiques de Tokyo en 1964.

Le président de la Fifa semble d’ailleurs avoir très tôt mesuré toute la gravité de la situation et pris le parti du statu quo en usant de diplomatie pour empêcher la présentation de la résolution palestinienne. Utilisant la tribune de la 37eme Assemblée générale ordinaire de la Confédération Africaine de Football (Caf) au Caire, en avril, il plaidait déjà pour le retrait de la résolution palestinienne : «Une telle situation (l’adoption de la résolution) ne devrait pas arriver au congrès de la Fifa, parce que la suspension d'une fédération, quelle que soit la raison, est toujours nuisible à l'organisation dans son ensemble». Et de se rendre en Israël demander au Premier ministre Benjamin Nétanyahou de faire des «concessions» pour «trouver une solution».

Mais avec son intransigeance habituelle, M. Nétanyahou se refusa à toute concession, s’engageant vaguement à «l'organisation dans le futur proche, demain, après-demain, dans plusieurs mois, dans un an, d'un match pour la paix entre les deux équipes…». Aussi Mahmoud Abbas ne pouvait faire moins que de maintenir la présentation de la proposition de résolution devant le congrès de la Fifa. On peut penser que dés lors, les Etats Unis ont cru devoir s’impliquer pour sauver la mise du «porte avion de l’Amérique au Moyen Orient». Mais ne disposant pas au congrès de la Fifa d’un droit de véto, comme au Conseil de sécurité des Nations-Unies (utilisé 42 fois pour bloquer des résolutions contre Israël sur 83 fois qu’il a été mis en œuvre), les USA auraient tout simplement usé de leur pouvoir de «gendarme du monde libre» pour créer une situation empêchant le vote ou en bouleversant les termes. D’où l’arrestation spectaculaire, médiatisée à l’échelle planétaire, des six hauts dirigeants de l’organisation mondiale du football à Zurich, à la veille du congrès de la Fifa.

Les pratiques de corruption, de prise de pots de vins et rétro commissions autour de droits de diffusion télévisuels et d’attribution de droits d’organisation d’événements footballistiques dont le ministère de la Justice américain accuse ces barons de la Fifa, sont pourtant connus de longue date, même des opinions publiques. On sait par exemple, comme le rappelle le journal Le Monde après le New York Daily News, que le Fbi dispose depuis au moins un an d’enregistrements clandestins de conversations entre les 44 membres dirigeants de la Fifa, conversations édifiantes sur ces pratiques.

Madame Loretta Lynch, en sa qualité de procureure de l’Etat de New York, avant sa nomination comme ministre de la Justice, avait déjà mené une enquête sur la Fifa et disposait d’informations documentées sur ses pratiques.
M. Michael Garcia ancien procureur fédéral américain a livré en 2014 un rapport d’enquête sur les conditions d’attribution des Coupes du monde 2018 à la Russie et de 2020 au Qatar. La Fifa n’a toujours pas publié intégralement le document, mais on ne peut pas douter que les autorités américaines en ont reçu copie.

M. Pape Diouf, ancien président de l’Olympique de Marseille, indiquait récemment à la Bbc qu’il était «étonné» que l’on découvre seulement maintenant les pratiques en cours à la Fifa autour des milliards de dollars de revenus générés chaque année par le football. Il est effectivement connu dans les milieux du football et de la presse qui couvre le football que la fédération internationale a toujours été gérée, depuis au moins l’ère Havelange, précédant celle de Sepp Blatter, de manière opaque pour couvrir toutes sortes de pratiques frauduleuses. Alors pourquoi ne scandale n’éclate-t-il que maintenant ?

Le Jerusalem Post, dans sa livraison du 27 mai, indique que les «accusations… n’auraient pas pu tomber à un meilleur moment» pour Israël. Et d’ajouter : «Jusqu’à ce mercredi, toute la couverture sur le congrès de la Fifa concernait le vote pour la suspension d’Israël… Si on pouvait se demander alors si les trois quart des votes pouvaient être atteints, cela est maintenant beaucoup moins évident.»

Le journaliste israélien d’ajouter encore ceci : «Israël peut se rassurer : il y a un précédent historique. En janvier 1998, Netanyahou devait rencontrer le président Clinton à la Maison Blanche pour une réunion sur le processus de paix qui devait être particulièrement tendue. Mais le scandale Monica Lewinsky éclata le même jour, créant un autre sujet de préoccupation pour Clinton.» Et de conclure sarcastiquement : «Aujourd’hui que le monde du football est préoccupé et que l’attention du monde entier est tourné ailleurs, on pourrait dire que pour la Fifa et Israël, c’est un autre effet Monica…».

Ps : Au moment de boucler cet article, nous apprenons du Jerusalem Post que «Rajoub (Jibreel, président de la Fédération palestinienne de football) déclare qu’il a décidé de retirer la résolution de suspension (d’Israël de la Fifa) à la suite des nombreuses demandes dans ce sens qu’il a reçues de différents délégués et qu’il demande plutôt la mise en place d’un comité de suivi de la question».

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** Alymana Bathily est éditorialiste de SenePlus

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