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De façon générale, la problématique des entreprises et des Droits de l’homme n’est pas d’actualité, malgré l’existence de faits compromettants qui devraient pousser les autorités et l’ensemble des acteurs de tous bords à réagir.

Bientôt trois ans que les Nations Unies (Nu) ont adopté les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme : Cadre de référence ‘Protéger, respecter et réparer’. Sur le continent africain, sa mise en œuvre ne semble guère être à l’ordre du jour. En effet, il n’y a aucun signe qui laisse apparaître une quelconque volonté de nos dirigeants. Ni les discours officiels, ni la presse, ne font référence à cet instrument international, fruit d’un long processus de consultations et de négociations.

Notre continent serait-il entrain de dormir encore ? Aujourd’hui encore, aucune décision politique n’a encore vu le jour en Afrique en général et au Sénégal en particulier. Par contre, dans les pays du Nord, le Cadre est entrain d’être agréé et/ou utilisé par diverses administrations publiques, entreprises commerciales et associations professionnelles, organisations de la société civile, syndicats de travailleurs, institutions nationales de défense des droits de l’homme et investisseurs.

En outre, plusieurs organisations internationales et multilatérales comme l’Association internationale de normalisation (Iso), les Principes directeurs de l’Ocde, le Code de conduite internationale sur les entreprises de sécurité privées, etc., se sont inspirées des Principes de l’Onu pour améliorer ou élaborer leurs propres standards Rse (1). Enfin, quelques gouvernements ont même commencé à élaborer des plans d’actions [2] pour sa mise en œuvre, même si cela reste encore timide.

De quoi s’agit-il ? Il aura fallu 18 ans pour arriver à ce consensus international, relatif à la Responsabilité sociétale des entreprises en matière de Droits de l’homme ! En effet, dès 1993, l’idée avait été lancée à la conférence mondiale des Droits de l’homme de Vienne où la communauté internationale pensait que les entreprises, acteurs majeurs de l’économie et du social devraient effectivement s’engager au service du respect des Droits de l’homme. Ainsi, il y a eu plusieurs tentatives confiées à des rapporteurs et comités ad hoc par la Sous-commission des Droits de l’homme de l’Onu.

En 1999, le secrétaire général des Nations Unies a lancé le Pacte mondial, dont 4 des 10 Principes sont relatifs aux Droits de l’homme. Puis en 2004, la sous-commission des Droits de l’homme a tenté encore d’élaborer une proposition de traité sur la question, mais les États avaient refusé de l’examiner. En juillet 2005 Kofi Annan, alors secrétaire général des Nu nomma le professeur John Ruggie (connu pour avoir participé à l’élaboration du Pacte mondial) Représentant spécial du secrétaire général des Nu (Rssg) chargé de la question des Droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises.

Spécialiste en Droits de l’homme et relations internationales à la Kennedy School of Government de l’Université Harvard, sa mission première consistait d’abord à clarifier les rôles et les responsabilités des États, des entreprises et autres acteurs sociaux dans le domaine controversé des entreprises et des Droits de l’homme. Au terme d’un premier mandat de 3 ans, Ruggie fera adopter en juin 2008, par le Conseil, un « Cadre conceptuel et des principes d’action afin d’ancrer le débat sur les entreprises et les droits de l’homme.» Il s’articule autour de trois principes fondamentaux :

- L’obligation de protéger incombant à l’État lorsque des tiers, y compris des sociétés, portent atteinte aux droits de l’homme ;

- La responsabilité des entreprises de respecter les droits de l’homme ;

- La nécessité d’un accès plus effectif à des mesures de réparation pour les victimes.

Son mandat a été renouvelé pour 3 ans encore, pour lui permettre de finaliser le cadre de référence. Après plusieurs consultations [3] organisées avec des institutions internationales engagées dans l’élaboration d’autres normes (Iso, Ocde, Banque mondiale, Union européenne, etc.), Ruggie arriva enfin à un consensus, associant organisations d’employeurs, d’employés et de défense des Droits de l’homme (Ong entre autres). En juin 2011, le Conseil des Droits de l’homme adopta à l’unanimité les Principes directeurs sur les entreprises et les Droits de l’homme - Cadre de référence « Protéger, respecter, réparer ».

Enfin, la résolution 8/7 qui consacra ce document mémorable déclina un 3e mandat qui consistait à «exploiter ce cadre de référence, c’est-à-dire formuler des recommandations concrètes et pratiques pour sa mise en œuvre. » Ainsi, un Groupe de travail sur les entreprises et les Droits de l’homme, composé de 5 experts indépendants, est actuellement chargé par les Nu de :

- promouvoir les Principes directeurs ;
- assurer sur une base volontaire, le suivi de la mise en œuvre des Principes directeurs ;
- formuler des recommandations sur le renforcement de l’accès à la réparation effective pour les victimes.

Enfin, depuis décembre 2012, un forum annuel international est spécialement dédié à la question des entreprises et des Droits de l’homme par les Nu à Genève. Cet instrument inaugure un progrès important dans la protection des droits humains contre des violations commises directement ou indirectement par des entreprises. Les principaux apports de ces Principes directeurs sont :

- L’affirmation du rôle central de l’Etat dans la protection et la promotion des droits de l’Homme vis-à-vis des entreprises ;

- La priorité donnée à l’approche par les risques (Diligence raisonnable);

- La responsabilité étendue à la chaîne d’approvisionnement ;

- La référence aux instruments internationaux sur les droits de l’Homme et au droit fondamental au travail (Principe 12);

- L’accès à des voies de recours pour les victimes, à la fois judiciaire et non judiciaire.

IMPLICATIONS POUR LES ETATS ET LES ENTREPRISES

Cependant, ces Principes directeurs ne constituent pas une nouveauté au sens premier du terme (voir Paragraphe 14 du rapport du Rssg des NU présenté à la 17ième session du Conseil des Droits de l’homme le 21 mars 2011). En effet, ils ne font que rappeler aux Etats leurs obligations de respecter, protéger et mettre en œuvre les droits humains d’une part, et de reconnaître la responsabilité qui incombe aux entreprises de les respecter, à travers le principe de « due diligence » ou « diligence raisonnable». Pour les entreprises, leur responsabilité à respecter les Droits de l’homme doit être consacrée par un engagement politique au plus haut niveau de la direction de l’entreprise et accessible au public (Principe 15). Selon les Principes 11,13, 15 elles devraient mettre en place une procédure de ‘’diligence raisonnable’’ c’est-à-dire qu’elles doivent identifier et prévenir les éventuelles violations en matière de Droits de l’homme, les atténuer, et rendre compte de la façon dont elles remédient aux incidences négatives. Enfin, le cas échéant, les entreprises doivent fournir des réparations aux victimes de ces violations, ou contribuer aux mécanismes de réparation. Ces obligations en matière de droits humains concernent l’entreprise, pour son activité propre, mais également celle de ses filiales ou de l’ensemble de sa sphère d’influence, comme par exemple ses fournisseurs ou sous-traitants, partout où elle opère (Principe 14).

CAS DU SENEGAL- OU EN EST-ON ?

De façon générale, la problématique des entreprises et des Droits de l’homme n’est pas d’actualité, malgré l’existence de faits compromettants qui devraient pousser les autorités et l’ensemble des acteurs de tous bords à réagir.

ABSENCE DE REGLEMENTATION SPECIFIQUE

J’ai eu des discussions récemment avec un responsable d’organisme national de droits humains à Dakar qui n’a pas connaissance de ces Principes de l’Onu ! Cela veut dire simplement que l’Etat n’a pas encore intégré les Principes de l’Onu dans son dispositif juridique et institutionnel.

Donc à l’instar de la plupart des gouvernements africains, le Sénégal est loin de passer à l’action. Donc sur le plan juridique, je n’ai pas connaissance d’une quelconque initiative allant dans le sens d’intégrer ces normes dans notre législation, encore moins d’élaborer un Plan d’action national.

QUAND L’ETAT PROTEGE LES ENTREPRISES ?

A Diogo dans la région de Thiès, des paysans victimes de perte de terres et de moyens de subsistances ont été arrêtées et envoyés en prison pour avoir juste opposé un niet catégorique à ‘’l’accaparement’’ de leurs champs par une entreprise minière.

A Sendou où je viens de rencontrer le Collectif des associations de défense de l’environnement et des personnes impactées de Bargny, deux entreprises multinationales sont en conflit avec cette communauté pour la construction de deux centrales électriques à charbon. Le site objet de controverse a été cédé aux entreprises pour ‘’cause d’utilité publique’’, par l’Etat du Sénégal. C’est donc en toute légalité qu’elles entendent opérer pour la mise en œuvre de leurs projets.

Cependant, est ce que les droits des communautés ont été effectivement évalués et pris en compte par les autorités et les entreprises concernées ? En effet, une partie de la communauté de Bargny Guej craint pour sa santé et sa sécurité (menacée par l’érosion côtière et les risques de pollution à la houille), une autre s’inquiète pour la perte de son lieu de travail et de ses moyens de subsistance (plus de 1000 femmes de ‘’Khelcom ‘’ actives dans le séchage des produits de la mer) et enfin la municipalité n’est pas favorable aux projets, toute cette communauté lutte pour la protection de leurs droits !

Malheureusement sur le terrain, on a l’impression d’assister à un dialogue de sourds. Malgré toutes sortes d’initiatives de part et d’autres, chaque partie campe sur sa position.

A quand donc le dénouement ?

NOTES
[1] Exemples : Coca-Cola, BP, General Electric etc.
[2] La Grande Bretagne, la Suède, l’Irlande, l’Italie, les Pays Bas, La Suisse.
[3] 47 consultations internationales avaient eu lieu sur tous les continents dans le cadre du mandat, et le Représentant spécial et son équipe s’étaient rendus dans des entreprises et avaient rencontré leurs intervenants locaux dans plus de 20 pays.

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** Ay Sagne est président de l’Ong Lumière Synergie Développement - Sénégal

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