Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF
Interview avec Beth Burrows

Immunodépresseurs, traitements contre le diabète, antibiotiques, antifongiques, traitements contre les infections, vaccins - tout ceci est disponible de façon naturelle en Afrique et a été utilisé depuis des siècles par les autochtones. Mais ces pratiques sont de nos jours menacées alors que les laboratoires Occidentaux pillent ces connaissances et ces ressources naturelles.

La publication de « Out of Africa: Mysteries of Access and Benefit Sharing » (Hors d’Afrique: Les Mystères de l’Accessibilité et de son Partage Bénéfique) a éclairci quelque peu cette tendance croissante au bio-piratage qui se répand à travers le continent Africain. Beth Burrows, de l’Institut Edmonds, un organisme à but non lucratif spécialisé dans l’éducation environnementale, a répondu à quelques questions posée par Pambazuka au sujet de son rapport.

PAMBAZUKA NEWS: Comment définissez-vous la bio-piraterie ?

BETH BURROWS: Comme précisé dans l’introduction d’Hors d’Afrique, la définition retenue dans le contexte de cette œuvre était comme suit: « lorsqu’il y a un accès ou une acquisition concernant la biodiversité (s’accompagnant ou non des savoirs traditionnels s’y rattachant), ne comprenant pas au préalable un consentement éclairé y compris sur les bienfaits d’un tel partage de ces informations de la part de ceux dont les connaissances sur la biodiversité (ou les savoirs traditionnels) ont été «obtenus » ou «acquis », il y a bio-piraterie, c’est-à-dire, du vol. »

PAMBAZUKA NEWS: Quelle est la relation entre le développement de l’Afrique et la bio-piraterie ? Quel est le rapport entre un développement durable et la protection de la biodiversité ?

BETH BURROWS: L’Afrique jouit d’une biodiversité très riche. Elle devrait être en mesure de contrôler la manière dont cette «richesse» est utilisée et de s’assurer qu’elle sera toujours exploitée pour le plus grand bien (au présent comme au futur) de son peuple et d’autres biodiversités du continent. Il est au delà de ma compétence (ou de mon audace) de prétendre dire comment chaque pays et chaque groupe d’habitants envisage exactement son propre développement. Il faudrait poser cette question à tous ces différents groupes.

Si la biodiversité ne peut être maintenue, de toute évidence elle ne sera pas « protégée» ou accessible aux générations futures. Très vraisemblablement, ce sont ceux qui ont su gérer la biodiversité des siècles durant -les personnes qui vivent au seun de cette dernière- qui sont les mieux à même de juger comment entretenir et protéger leur propre biodiversité.

Se contenter de consommer la biodiversité dans le but de rendre plus aisée des projets de développement à court terme ne semble pas raisonnable en termes de conservation (et d’utilisation future). C’est ce qu’avaient compris ceux qui créèrent la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Ce traité était censé reposer sur trois piliers - conservation, usage durable et partage équitable des retombées positives provenant d’une utilisation durable.

Comme l’avait écrit Hamdallah Zedan, ancien Secrétaire du CDB, au sujet d’un partage équitable de ces bienfaits: « Ce dernier objectif est d’une importance toute particulière pour les pays en voie de développement, car ils disposent de la plus grande partie de la diversité biologique mondiale mais perçoivent que, en règle générale, ils ne reçoivent pas une part équitable des avantages dérivés de l’emploi de leurs ressources utilisées pour le développement d’innovations telles que des cultures à haut rendement, des produits pharmaceutiques ou cosmétiques.

Un tel système diminue la motivation que pourraient éprouver les pays nantis d’un point de vue biologique mais plus dépourvus économiquement à conserver et à utiliser de façon durable leurs ressources pour le bénéfice ultime de tous les habitants de notre Monde.

PAMBAZUKA NEWS: Quelles sont les considérations éthiques sous-tendant la bio-piraterie, et quelles protections sont actuellement en place pour protéger la biodiversité en Afrique ?

BETH BURROWS: Les considérations éthiques concernant la bio-piraterie, ou, de façon plus appropriée, concernant les objections à cette pratique, sont identiques à celles concernant le vol, le manque de respect et le colonialisme.
Toute « protection » contre la bio-piraterie qui se pratique en Afrique devrait être établie au niveau national (bien que en quelques lieus ailleurs dans le monde, certaines communautés locales ont élaboré leurs propres règles et refusé l’accès à leur biodiversité à tout individu refusant de s’y conformer).

Cette protection nationale devrait être reflétée dans des lois sur l’Accès et le Partage des bienfaits (APA) découlant de la biodiversité de chaque pays. Il serait également nécessaire d’avoir une réglementation gouvernant la reconnaissance des droits des communauté autochtones et locales à leur propre biodiversité.

Quoique beaucoup de pays ont signé la Convention de la Diversité Biologique, beaucoup d’entre elles n’ont toujours pas mis en place de réglementations sur l’Accès et le Partage des Avantages (APA) , ou ne les ont pas mis en application. Qui plus est, le CDB n’a toujours pas accepté de se voir lié par des accords internationaux concernant l’accessibilité et le partage de ces bienfaits (les organisations du CDB s’affairent actuellement à négocier de tels accords).

Malheureusement, un grand nombres de signataires n’ont toujours pas passé de lois à portée nationale visant à gouverner l’accès et le partage des bienfaits en ce qui concerne les ressources génétiques de leur pays (ainsi que celles d’une variété de peuples autochtones vivant à l’intérieur de leurs frontières).

PAMBAZUKA NEWS: Quelles sont les répercussions, à la fois sur l’environnement et pour la société, qui résultent de la bio-piraterie ? Comment sont, en ce cas, lésées les cultures indigènes et leurs communautés ?

BETH BURROWS: Il faudrait poser cette question à chaque groupe à qui on a enlevé des substances ou des connaissances traditionnelles (avec leur accord, l’attribution de leur contribution et / ou une rémunération). Chaque groupe n’a pas nécessairement ressenti ou pensé de la même façon cette situation. Toute privation (ou dégradation, ou encore sur-consommation de biodiversité) n’aurait pas le même effet dans chaque lieu.

En règle générale, les répercussions humaines peuvent aller d’une impression d’avoir été dépouillé, ou d’avoir été victimes d‘un manque de respect, jusqu’à un sentiment d’avoir été complètement délaissé. Chaque peuple doit décider pour lui-même quelles ont été les répercussions. Ce n’est pas à un étranger au groupe de prendre cette décision.

En ce qui concerne l’environnement, il est également difficile de donner une réponse générale à une question sur les conséquences de la bio-piraterie. C’est un thème demandant une enquête au niveau national (et local). Dans le pire des cas, il se peut que la bio-piraterie exerce une telle pression sur une ressource génétique que cette dernière puisse disparaître entièrement du lieu dont elle est originaire. La biodiversité pourrait devenir rare et chère et, finalement, entièrement inaccessible à ceux pour qui elle était autrefois abondante et utilisée librement.

PAMBAZUKA NEWS: Pourriez-vous estimer, en termes financiers, les profits qui ont été réalisés grâce à la bio-piraterie en Afrique ?

BETH BURROWS: Non. Il faudrait procéder à une telle enquête exaction par exaction. Alors que certains de ces « vols » n’ont pas donné lieu au moindre profit, d’autres se seraient soldés par des bénéfices de plusieurs milliards. Et, bien sûr, il y a toute la question de déterminer qu’est-ce qui constitue un « profit » et qui tient les comptes.

PAMBAZUKA NEWS: Que faudrait-il faire, à un niveau tant international que local, pour se préminir contre la bio-piraterie ? Quelles politiques devraient être mises en place, et que doivent mettre en œuvre les communautés afin de protéger la biodiversité de leur territoire ?

BETH BURROWS: Les communautés doivent, à tous les niveaux, décider sous quelles conditions elles donneront accès à leur biodiversité et à leurs connaissances traditionnelles. Il leur faut mettre en place un système leur permettant de traiter avec ceux qui viendraient accèder à leur biodiversité. Ce système devrait être connu de tous.

Au niveau national, ce système doit être inscrit dans la loi, et également au niveau international, où, il nous faut l’espèrer, un niveau minimal d’APA (Accès et Partage des Avantages (APA) sera rendu obligatoire, niveau au dessous duquel il serait inacceptable d’obtemperer. Il faudra peut-être construire une armature juridique en certains endroits pour s’assurer que de telles lois soient établies et appliquées. Dans certaines parties du monde, il s’agirait d’une armature légale. Dans d’autres endroits, une armature éthique.
Pour que ce système fonctionne, il faudrait que les chercheurs universitaires comprennent que les temps ont changé et que les conditions leur permettant d’accéder à la biodiversité ont changé également.

Qui plus est, il faudrait également des changements parallèles dans les lois régissant les brevets, au niveau national comme international, pour s’assurer que nul ne puisse breveter aucune trouvaille quel qu’elle soit sans révéler la source de tout matériel biologique utilisé dans son « invention », et sans annexer une copie de l’accord correspondant à l’accès et au partage des avantages afférents à la demande de brevet.

Il me faut noter à ce sujet que ceci serait encore plus compliqué que je l’ai décrit. Par exemple, beaucoup de personnes estiment qu’un brevet portant sur des substances biologiques serait ni éthique ni désirable. En ce qui les concernent, tout accord CAPA devrait inclure une clause interdisant de breveter le matériel, la connaissance et tout ce qui en dériverait.

La nécessité de résoudre ces questions nombreuses et épineuses explique pourquoi les nations du monde, à part quelques exceptions; comprennent l’intérêt de négocier un traité APA dans le contexte du CDB.

*Veuillez envoyer vos commentaires à :

*Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News numéro 244. Voir :