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Que disait le Président de la République à Dakar au mois de juillet 2007 ? Je cite le fameux « discours de Dakar » pour bien montrer la faute politique qui a été commise à l’époque : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. Il ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles (...) Tel était le discours du Président de la République française. Comment voulez-vous que les Africains n’aient pas été profondément meurtris, qu’ils n’aient pas été blessés par ce discours ?

Que disait le Président de la République à Dakar au mois de juillet 2007 ? Je cite le fameux « discours de Dakar » pour bien montrer la faute politique qui a été commise à l’époque : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire. Il ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme reste immobile au milieu d’un ordre où tout semble écrit d’avance. Jamais l’Homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. »

Tel était le discours du Président de la République française. Comment voulez-vous que les Africains n’aient pas été profondément meurtris, qu’ils n’aient pas été blessés par ce discours ?

Depuis deux mois, c’est le chef de la diplomatie française qui est resté immobile quand les peuples arabes, de la Tunisie à la Libye, étaient en train de bousculer l’Histoire. Dans cent ans, les historiens écriront peut-être que le monde arabe est entré dans le XXIe siècle au mois de janvier 2011 et que le président français a pris acte tardivement de ce printemps arabe, pour modérer aussitôt son audace en agitant la peur de vagues déferlantes charriant de nouveaux migrants vers nos frontières.

La vision stratégique que nous attendons d’un président de la République, d’un gouvernement, c’est pourtant de saisir avec enthousiasme cette occasion unique, c’est de se réjouir de partager ce moment où la liberté gagne de nouveaux territoires.

La vision stratégique, c’est d’aider le monde arabe à s’approprier des principes que nous croyons universels.

La vision stratégique, c’est de conforter ces révolutions en aidant ces peuples à consolider la démocratie, en favorisant leur développement économique, en assurant une coopération avec des partenaires qui ne veulent plus être traités comme de simples obligés.

La vision stratégique, c’est de soutenir un processus qui peut permettre tout à la fois l’émergence d’un islam modéré et la constitution d’États qui, tout en préservant la liberté de conscience, séparent le temporel du spirituel.

La vision stratégique, c’est d’imaginer que la démocratie et la liberté sont les meilleurs remparts contre le fanatisme et le terrorisme.

La vision stratégique, enfin, c’est d’imaginer des citoyens heureux qui n’auront plus jamais envie de fuir leur pays pour gonfler les rangs des clandestins pour lesquels la vie est une succession d’humiliations et de frustrations.

Pour que la France se montre à la hauteur de ces enjeux, il faut d’abord redonner confiance à un appareil diplomatique qui, justement, a perdu confiance.

M. Alain Juppé, nouveau ministre des Affaires étrangères, avait d’ailleurs signé en juillet dernier avec l’un de ses prédécesseurs, Hubert Védrine, une tribune qui exhortait le gouvernement à « cesser d’affaiblir le Quai d’Orsay », devenu en quelque sorte un réseau exsangue « du fait d’une revue générale des finances publiques aveugle », « incapable d’ici à quelques années de remplir ses missions pourtant essentielles ».

Nous partageons l’idée d’un effort budgétaire nécessaire mais, au delà de ces considérations, l’échec diplomatique tient aussi à la nomination des ambassadeurs. Sans revenir sur la forme des interventions et le comportement de M. Boillon en Tunisie, il est consternant d’entendre un diplomate français – je dis bien : français – expliquer que « l’Irak est le vrai laboratoire de la démocratie dans le monde arabe » et que « c’est là que se joue l’avenir de la démocratie dans la région et qu’on le veuille ou non, tout cela a été obtenu grâce à l’intervention américaine de 2003 ».

Alors quelle est donc l’inspiration de M. Boillon ? Qui fixe son cap, monsieur le ministre ? Au nom de quel pays parle-t-il ?

Certainement pas au nom de ce vieux pays, le nôtre, qui s’est rassemblé il y a huit ans, pratiquement jour pour jour, pour revendiquer son désaccord avec le président Bush et dire non à la guerre en Irak ! Nous étions fiers, alors, d’être rassemblés pour le faire.

Comment redonner force à notre réseau diplomatique quand se développe le sentiment que le critère du professionnalisme est progressivement remplacé par celui de l’allégeance ? Notre appareil diplomatique est déconsidéré par ces prises de positions inopportunes alors même que sa capacité d’analyse reste intacte. La machine tourne sur elle-même sans rencontrer l’oreille du pouvoir, lequel lui a substitué la nébuleuse des courtisans, des réseaux parallèles, des intermédiaires discrets et des officines opaques.

Comme l’ont rappelé les diplomates regroupés sous le pseudonyme de Marly, « la politique suivie à l’égard de la Tunisie et de l’Égypte a été définie à la présidence de la République sans tenir compte des analyses de nos ambassades. C’est elle qui a choisi MM Ben Ali et Moubarak comme “piliers sud” de la Méditerranée [...] à l’écoute des diplomates bien des erreurs auraient pu être évitées, imputables à l’amateurisme, à l’impulsivité, et aux préoccupations médiatiques à court terme [...] Les diplomates français n’ont qu’un souhait : être au service d’une politique réfléchie et stable ».
Comment mieux dire que, depuis trois ans, le président de la République a toujours fait prévaloir ses intérêts électoraux sur les enjeux de politique étrangère, à faire prévaloir ses intérêts de politique intérieure sur les intérêts supérieurs de la France. Nous pourrions d’ailleurs ajouter à la tribune de ces diplomates que les débats intérieurs n’ont pas non plus été sans conséquences non plus sur notre rapport au monde.

L’étranger – souvenez-vous du discours de Grenoble – est présenté comme indésirable. L’immigré est assimilé à un délinquant. Tous sont vus comme une menace pour notre identité, et l’on ne trouve rien de mieux que d’organiser le mois prochain un nouveau débat non pas sur l’identité nationale mais sur l’islam, avec le sous-entendu transparent qu’il constitue un risque voire un danger.

Nos rapports avec la Turquie n’ont cessé de se dégrader. Le « Non à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ! » est devenu un leitmotiv, encore une fois, pour des raisons de politique intérieure. C’est oublier que c’était une grande nation, un grand pays, et une porte ouverte sur la Méditerranée.

S’agissant justement de la Méditerranée, le beau projet de nouer des liens avec les pays de la rive sud aurait pu être couronné de succès, s’il avait été porté autrement, en concertation avec nos partenaires de l’Union européenne, en particulier l’Allemagne. Les dirigeants allemands, y compris les dirigeants conservateurs, ont regretté la manière dont a été lancée l’idée, qui a d’ailleurs conduit à un échec. Je l’ai dit tout à l’heure : on s’appuyait sur Ben Ali et Moubarak.

Il faut que cette idée soit reprise, et je me réjouis qu’elle le soit effectivement. Il aura cependant fallu attendre deux mois et demi après le début du soulèvement populaire en Tunisie pour que le Président de la République dise –dimanche soir seulement – qu’il fallait une initiative européenne en direction de la Méditerranée.

Oui, il faut une grande politique des deux rives de la Méditerranée. On a perdu beaucoup trop de temps.

Une diplomatie respectée, c’est aussi une diplomatie qui s’appuie sur des valeurs.
C’est pourtant au colonel Kadhafi que l’on déroule le tapis rouge en 2007. Vous vous en souvenez sans doute, nous avons échappé à un discours de M. Kadhafi dans cet hémicycle. Le président de l’Assemblée nationale s’est contenté de le recevoir tout seul à l’hôtel de Lassay.

Cela étant – honte aux dirigeants français ! –, on lui avait tout de même laissé installer sa tente à l’hôtel Marigny, à côté de l’Élysée, où il pouvait recevoir qui il voulait. Depuis, on a supprimé le secrétariat d’État aux Droits de l’homme.

C’est M. Bockel que l’on évince de son secrétariat d’État à la Coopération en 2008 pour avoir naïvement cru qu’il était mandaté par Nicolas Sarkozy pour mettre fin à la « Françafrique » et c’est son remplaçant M. Joyandet qui justifie ainsi sa nomination : « On veut aider les Africains, mais il faut que ça nous rapporte »…Telle est la parole officielle du successeur de celui qui voulait faire reculer la Françafrique !

(…) Malheureusement, le résultat de tout ce qui précède, c’est une certaine mise hors jeu diplomatique de la France dans une région du monde, l’Afrique, où notre histoire et notre savoir-faire – je ne parle pas ici de maintien de l’ordre – devraient au contraire nous donner un rôle majeur. Je regrette que ce soit l’Espagne et pas la France qui ait pris l’initiative d’une concertation internationale et proposé un plan Marshall pour les pays libérés d’Afrique du Nord. J’ai eu honte que la France limite son offre d’aide d’urgence à la Tunisie à 350 000 euros quand l’Italie, spontanément, donnait dans le même temps 5 millions et prévoyait d’ouvrir une ligne de crédit de 100 millions d’euros.

(…) Il faut aider la Tunisie et l’Égypte, car ces pays ne pourront pas faire face seuls et les personnes qui sont en train de fuir ne resteront ni en Tunisie ni en Égypte. C’est à la fois l’intérêt de ces personnes et de ces pays, mais c’est aussi le nôtre. Alors, soyons audacieux et courageux !

Comment reprendre un contact sincère avec l’Afrique ? C’est la question qui nous est posée cet après-midi. Comment rétablir l’image de la France ? Comment concevoir une nouvelle politique alors que nous ne sommes plus ni le partenaire exclusif ni la figure tutélaire vers laquelle se tournent tous les espoirs ?

Je voudrais suggérer modestement quelques pistes. Il n’existe pas de baguette magique, mais il y a parfois de mauvais magiciens. Il faut donc revenir à quelques principes inspirés par une certaine morale internationale, ce qui n’est pas contradictoire avec la défense des intérêts de notre pays. Au contraire !

Nous devons d’abord baser notre diplomatie sur le socle de nos valeurs républicaines. La France doit certes parler avec tout le monde, mais pas de la même façon. Le réalisme n’implique pas automatiquement le cynisme. Le dialogue avec chacun ne suppose pas la complaisance avec tous. La non-ingérence n’est pas une invitation à l’indifférence. La France doit renoncer à un double langage qui consiste à insister sur la bonne gouvernance tout en soutenant les régimes les plus antidémocratiques. Elle doit se rendre disponible aux demandes des pays qui souhaitent construire un État de droit.

Ensuite, nous devons rétablir la clarté dans notre fonctionnement diplomatique en réhabilitant une chaîne de décision claire dont le centre névralgique doit être le Quai d’Orsay.

S’agissant plus spécifiquement de l’Afrique, la France doit apporter son concours actif aux efforts de démocratisation en mobilisant son ingénierie, en multipliant les jumelages, les contacts entre élus du Nord et du Sud.

L’aide au développement doit devenir un véritable projet politique avec pour ambition assumée de favoriser le passage d’une économie de captation, de prédation, de rente – minière, pétrolière ou agricole – excessivement dépendante des marchés, à une économie de production. Certains grands groupes français bien connus – qui possèdent des yachts – se félicitent d’avoir une présence forte en Afrique. Mais où est le vrai développement de l’Afrique ? La question nous est posée à nous, représentants du peuple français.

Il revient à la France de soumettre des programmes d’aides spécifiques, destinés à stimuler la productivité agricole africaine, à en moderniser les installations, à promouvoir des cultures favorisant à la fois l’autosuffisance alimentaire et les exportations. La France doit avoir le courage de proposer un moratoire des subventions européennes aux produits agricoles exportés vers l’Afrique afin de rendre compétitives les denrées africaines.

Oui, il faut avoir ce courage. Certes, il peut déplaire à court terme pour des raisons purement électorales. Mais on ne peut pas tenir deux discours aux Français. Parler sans cesse de l’immigration, sans avoir la lucidité d’expliquer que la meilleure manière de lutter contre, c’est d’aider au développement des pays les plus pauvres.

Nous devons faire un effort sur nous-mêmes et prendre des mesures qui, même si elles peuvent gêner à court terme électoralement, permettront de proposer un avenir aux peuples de ces pays, qui pourront vivre chez eux dans la dignité et l’autosuffisance.

Voilà une proposition concrète qui devrait faire débat dans l’opinion publique, y compris à l’occasion de l’élection présidentielle.
Les objectifs du Millénaire, comme l’engagement de porter à 0,7 % du PIB l’aide au développement, doivent être tenus.

Dans le domaine sanitaire et médical, il est notamment impératif d’apporter un soutien actif au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Les médicaments génériques doivent être produits sur place.

Nous devons concevoir une politique migratoire équilibrée et, de ce point de vue, il est indispensable de traiter la question de la fuite des cerveaux.

Nous pouvons aussi concevoir une politique qui s’inspire de ce qu’a fait la Grande-Bretagne avec le Malawi : la première assure la formation d’infirmières et de médecins du second ; en contrepartie ceux-ci ne peuvent pas être recrutés en Angleterre, afin d’être utiles dans leur pays d’origine. Ce sont des mesures extrêmement pragmatiques. Je pourrais prolonger encore par la nécessité d’intensifier nos échanges culturels, éducatifs, linguistiques…

* Jean-Marc Ayrault est député-maire socialiste de Nantes, en France

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