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Seneweb

Porteur d’espoirs en 2000 quand les Sénégalais l’ont porté au pouvoir, Abdoulaye Wade s’est enfermé dans une dérive qui a atteint un point de non retour. Et même un point de non retour. Pour les Sénégalais qui se soulèvent contre sa gouvernance, ses stratégies d’accaparement du pouvoir et de dévolution de ce pouvoir à son fils, l’heure de la révolte a sonné.

Monsieur le président de la République,

L’urgence et l’exigence de l’heure commandent à toutes les forces vives de la Nation de se lever pour endiguer les flots de violence qui tentent de dévaster le pays. En ces moments, se taire revient à apposer sa signature sur l’entreprise de destruction du pays. C’est pour cette raison, Excellence que je vous demande de me permettre de vous dire qu’il ne se trouve pas un seul Sénégalais qui éprouve un sentiment de fierté en abordant l’état de délabrement avancé de la démocratie, de l’économie, de la culture, de la santé et de l’agriculture de son pays. Et pourtant, il y a peu de temps, ce pays était réputé pour l’excellence de sa démocratie, la solidité de ses institutions, l’assainissement de son économie, la clarté de sa culture et la grandeur de sa classe politique, républicaine jusqu’au bout des doigts.

Autant dire que les citoyens vous ont donné, en 2000, un pays en bon état, aujourd’hui vous en avez fait une « démocratie bananière ». Il est certes vrai que ce pays a traversé des crises politiques profondes, mais à chaque fois, les acteurs politiques et les intermédiations sociales se sont levés, en un élan solidaire et patriotique, pour apporter une solution à la pathologie sociale. En 1962, en 1963, en 1968, en 1972, en 1980, en 1988 et en 1993, des hommes et des femmes se sont donnés le mot d’ordre de préserver leur pays du chaos, et ils ont réussi. C’est pour vous dire, Excellence, qu’à chaque fois qu’une crise s’est installée dans ce pays, le chef de l’Etat de l’époque adoptait la posture du berger de la paix et de la sécurité.

Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf ont traversé l’histoire politique de ce pays en veillant sur la paix et sur la sécurité des biens et des personnes, même s’il y a beaucoup de choses à dire quant à la façon dont la démocratie était gérée en ces temps-là, je vous le concède, vous qui avez fréquenté les prisons pour avoir manifesté un désir ardent de promouvoir une politique respectueuse des droits humains. Mais les citoyens veulent que l’histoire soit un fleuve qui charrie le bien et qui se déleste de ses éléments négatifs. Voilà, Monsieur le président de la République, toute la philosophie de votre élection en 2000 et de votre réélection, contestée à juste raison, en 2007. Les citoyens voulaient un coup de force progressif sur la démocratie, sur les institutions et sur la fracture sociale ponctuée par un fort taux de chômage des jeunes et des femmes, une paupérisation dramatique des couches intermédiaires, une difficulté d’accès aux soins de santé de base, un système éducatif délabré, une agriculture et un élevage plongés dans les limbes de l’amateurisme, une politique énergétique inefficace et une inondation chronique des zones peuplées.

Vous aviez donné l’assurance et la garantie, en 2000, de vous pencher prioritairement sur ces fléaux qui déstructuraient le tissu socio-politique. Mais, une fois élu à la tête de ce pays, vous avez rangé dans les oubliettes les aspirations du peuple pour dérouler votre propre scénario, qui ne flatte que votre ego démesuré. Vous avez privilégié les dépenses de prestige (FESMAN, Monument de la renaissance africaine, avion de commandement, musées, etc.) et la construction de routes, de ponts et de « tunnels », qui aurait pu attendre que les citoyens mangent à leur faim, que les élèves aillent à l’école, que les jeunes travaillent et que les citoyens se soignent. Les routes, ponts et tunnels ont enrichi honteusement tout un clan niché autour de vous.

Au Maroc et en Tunisie, le kilomètre de bitume coûte entre un milliard deux cents millions et un milliard cinq cents millions francs CFA. Dans ce pays, le coût est plus élevé si l’on en croit aux experts. Monsieur le président de la République, le prix de l’essence et du gasoil connaissent des hausses vertigineuses que rien ne justifie. Le Mali voisin, qui s’approvisionne chez vous, vend moins cher le litre d’essence et celui du gasoil. Malgré les six cents milliards de francs CFA que vous avez alloués au « plan takkal » (NLDR : Plan pour améliorer la distribution de l’électricité), les populations sont constamment dans le noir. Malgré le budget de deux cents milliards de F CFA du super-ministère de votre fils (NDLR : Karim Wade dirige le ministère chargé de l’Energie), rien ne marche dans ce pays. Les prix des denrées de première nécessité sont devenues la hantise des pères de familles dont le salaire ne couvre plus une semaine de vie normale. Hélas, Monsieur le président de la République, vous n’en avez cure et continuez allégrement dans votre entreprise malheureuse de destruction de ce pays qui vous a tout donné.

Monsieur le président de la République, les citoyens s’attendaient, depuis mars 2000, à la grande bataille contre la paupérisation des couches démunies et au combat titanesque pour l’éclosion d’Institutions républicaines dignes de ce nom. Vous avez laissé cette couche sociale orpheline et affaibli les Institutions de la République en les travestissant. Aujourd’hui, les Sénégalais sont fatigués, les écoles sont paralysées par des grèves cycliques, les hôpitaux sont désertés à cause d’un manque criard de moyens curatifs, les judiciables se sont détournés du pouvoir judiciaire vassalisé par l’Exécutif, les citoyens, désillusionnés, vivent en direct l’avachissement du service public, transformé par vos sbires en un quartier général du PDS. Les morts hantent le sommeil des citoyens. Les « calots bleus » (NDLR : membres d’une sorte de milice organisée au sein du PDS au temps ce parti était dans l’opposition) intégrés dans le corps de la police nationale, ont eu la vie d’un jeune étudiant répondant au nom de Mamadou Diop. Il avait trente-deux ans, était marié et père de deux enfants. Ses parents et sa femme pleurent devant ses enfants qui constatent que Papa ne rentrera plus jamais à la maison pour leur raconter des histoires joyeuses. Les balles réelles tirées par les « calots bleus » ont blessé un petit-fils de Mame Maodo Sy et de Seydina Aboubacar Sy, les vénérables de Tivaoune. Une cinquantaine de blessés peuplent les salles des hôpitaux de Dakar. A Podor, trois personnes, qui vaquaient à leurs occupations, sont fauchées par des balles perdues. Une bavure, dit-on encore. Excellence, permettez-moi, par décence, d’arrêter la longue liste macabre qui jonche votre parcours depuis un certain 20 mars 2000.

Excellence, votre choix délibéré de conserver une fonction managériale dans votre formation politique et l’irruption de votre fils dans l’espace étatique ont administré un singulier camouflet à la République. La chose publique devient familiale. La généalogie remplace la citoyenneté. Il est difficile, voire impossible, d’être juge et partie. Et pourtant, tout au long de votre parcours politique, en tant qu’opposant, vous n’aviez cessé de dénoncer cette clause de la Constitution de 1963 et vos prédécesseurs n’ont jamais osé hisser leurs fils à des niveaux de responsabilité étatique. Mais coup de tonnerre dans le ciel de la démocratie sénégalaise, la Constitution de janvier 2001 reconduit la même clause.

Dubitatifs et désorientés, les citoyens se posent des questions tout en espérant que le Rubicon ne sera jamais franchi. Autre point nodal, vous passez outre les points centraux contenus dans le document de la CA 2000 et fustigez le régime parlementaire qualifié, par vos soins, de facteur d’instabilité. Vous préférez l’hyper-présidentialisme qui répond plus à votre tempérament. Il vous faut tout contrôler et tout régenter. Les citoyens l’apprennent à leurs frais. Votre fils, qui est votre conseiller spécial, trône à la tête d’une agence dotée d’un budget faramineux. Et personne n’a le droit de fouiller dans les affaires financières de votre fils. Macky Sall l’apprendra à ses dépens. Il est déchu de la Primature et du perchoir et intègre l’opposition. Idrissa Seck, un de vos fils « putatifs », parle alors de « maturation du fils biologique ». Vous le limogez de son poste de Premier ministre et l’envoyez en prison. Désormais la vie politique s’articule autour de votre fils et sa volonté de devenir président de la République après vous ne souffre d’aucune ambigüité. Le pays retient son souffre car il pensait être dans la démocratie et voilà qu’on lui sert une monarchie.

Comme vous, votre fils s’accapare de tous les leviers de l’Etat et du gouvernement. Jamais un fils de président de la République n’a eu autant de pouvoirs entre ses mains. Conséquence de ce fait, le peu de crédibilité qui vous restait s’est évaporé. Seize fois de suite vous tripatouillez la Constitution pour régler un problème politique anodin. Le peuple se cristallise et la société civile entre dans la danse pour sonner la fin des impunités. Aujourd’hui le pays est aux bords du chaos et vous seul détenez la clef de la résolution. Il suffit tout simplement que vous vous retiriez de la course électorale pour que ce pays respire la joie.

La Constitution de 2001 n’offre que deux mandats. Vous l’avez conçue et vous en êtes le gardien. L’exercice herméneutique, à coût de milliards de F CFA, ne peut vous donner raison. La raison judiciaire est à chercher dans l’article 108 et permettez-moi Excellence de le citer : « La Constitution adoptée entre en vigueur à compter du jour de sa promulgation par le Président de la République. Cette promulgation doit intervenir dans les huit jours suivants la proclamation du résultat du référendum par le Conseil Constitutionnel. » De cette clause a résulté, dans un premier temps, la suppression du Sénat et du Conseil Economique et Social, la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation d’élections législatives en 2001. La dernière étant faite en 1998 pour un mandat de cinq ans, faites le calcul. Excellence, selon vos exégètes, l’article 108 a une application discriminatoire. Quel dommage pour un juriste de votre tempe.

Excellence, permettez-moi de mettre un terme momentané à cette lettre tout en vous souhaitant une bonne compréhension de ce qui fait le bonheur d’un peuple qui vous a tout donné. Merci d’avance.

* Abdoulaye Sèye est journaliste

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