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"Les solutions de rafistolage aux problèmes raciaux profondément enracinés de l’Afrique du Sud sont tout simplement ridicules", écrit William Gumede. Pour lui, "il est naïf de penser qu’avec plus de 300 ans de colonialisme et d’apartheid, les attitudes racistes vont disparaître par magie en moins de deux décennies. En attendant que nous reconnaissions que le racisme est profondément ancré dans la société sud-africaine, plutôt que de vivre dans le déni et de prétendre que les incidents raciaux sont des cas isolés, les solutions ne vont faire que dissimuler les problèmes et, la réconciliation, d’un côté et de l’autre des fossés raciaux, restera difficile à atteindre".

Au regard de l’histoire longue et âpre de la discrimination raciale en Afrique du Sud et son héritage persistant, il est étonnant que le pays n’ait pas encore eu de débat public ouvert et transparent sur la question raciale.

En réalité, les extrémistes de chaque côté de la ligne des couleurs sont les seules personnes qui parlent publiquement de la question raciale. Ce qui, en fin de compte, ne crée pas de débat rationnel possible sans lequel nous ne pouvons concocter ensemble des solutions durables. Nous ne serons pas non plus capables de nous mettre d’accord sur les bases pour mettre en oeuvre des politiques visant à redresser la situation, que ce soit dans le domaine du sport ou sur le lieu de travail.

Bien sûr, nous ne devrions pas être prisonniers du passé, mais nous ne pouvons pas simplement l’oublier ou dire que « l’apartheid ne m’a pas touché(e) », ou que « je ne savais pas », comme si l’année 1994 marquait l’Année Zéro à partir de laquelle nous sommes tous partis du même niveau en termes d’éducation, de propriété et de capital social.

Les Sud-Africains ne parlent pas du passé, c’est pourquoi les Blancs resteront bloqués par la peur du futur et se sentiront coupables du passé et les Noirs continueront d’être pleins de ressentiments et de colère.

Les anciens leaders de l’apartheid, comme l’ex-président FW de Klerk, n’ont fourni aucune excuse sans équivoque. L’Afrique du Sud a eu une Commission Vérité et Réconciliation, en charge des abus de racisme durant les trois dernières décennies de l’apartheid, mais le processus, destiné à enrayer les atrocités de la séparation raciale, fut finalement limité. Par exemple, les violations graves des Droits de l’homme durant l’apartheid n’ont attiré l’attention de la Commission que sur une période très courte.

Le fait que la pauvreté soit toujours liée aux questions raciales - avec des Noirs, pauvres pour la plupart, et des blancs, riches pour la plupart - est un réel obstacle à la réconciliation raciale. Il est improbable que celle-ci ait lieu, à moins qu’elle ne soit accompagnée d’une justice sociale. Bien que l’ancien président Nelson Mandela ait initié une politique de réconciliation à large portée - l’ancien président Thabo Mbeki l’a aussi fait, mais à une plus petite échelle -, celle-ci n’a pas été accompagnée de mesures économiques en faveur de ceux qui souffrent toujours le plus du legs de l’apartheid : éducation limitée, reprise de possession des terres et de la propriété, familles brisées. Le parallèle permanent entre les inégalités économiques et les questions raciales contribue à perpétuer le racisme.

La récession économique de l’Afrique du Sud augmentera les tensions raciales. Naturellement, les Blancs qui connaîtront des difficultés économiques seront tentés d’accuser un gouvernement de l’ANC majoritairement noir d’être "contre" eux. Les Sud-africains noirs plus pauvres pourraient aussi être séduits par l’idée de retourner leur colère contre les Blancs en général, plutôt que voir le problème comme une combinaison de l’héritage des injustices de l’apartheid et des politiques erronées des gouvernements démocratiques majoritairement noirs. La Promotion Economique des Noirs (Black Economic Empowerment, BEE)) est susceptible, comme c’est le cas actuellement, de ne faire qu’augmenter le fossé économique entre un petit groupe de noirs aisés et la majorité, et d’augmenter le ressentiment de cette dernière.

L’impact que des siècles de racisme ont également sur les destinataires du BEE est souvent sous-estimé. Certains noirs surcompensent le préjudice blanc. Mbeki a souvent réagi de façon exagérée au racisme blanc, perçu comme tel par certains. Par exemple, en partie parce que les Sud-Africains blancs comparaient arbitrairement le règne écœurant du Zanu-PF du Zimbabwe avec ce qui pourrait leur arriver avec l’ANC, Mbeki a usé de son inefficace "diplomatie tranquille" auprès du pays voisin et s’est principalement penché sur la situation critique des Zimbabwéens blancs. Résultat, les personnes souffrant du poids de la domination autocratique de Mugabe – à savoir les Zimbabwéens noirs - ont fini par souffrir encore plus de la tyrannie continue de Mugabe, que la diplomatie tranquille de Mbeki a ironiquement aidé à prolonger.

Nous ne devrions pas nous cacher derrière la solidarité raciale pour soutenir des pratiques très anti-démocratiques. La désignation d’un juge noir doit-elle être, par exemple, applaudie simplement parce qu’il/elle est noir(e), bien qu’il n’agisse pas différemment ? Pour exemple, dans de nombreux jugements pour viol, l’appréciation des juges noirs s’est révélée aussi conservatrice que celle de leurs confrères blancs de la vieille école. Nombreux sont les juges et magistrats, noirs et blancs, qui, de façon surprenante, tiennent toujours les victimes pour responsables du viol. Dans de tels cas, un magistrat et juge noir ne peut bien sûr pas être soutenu simplement du fait de sa couleur de peau, même si ses jugements sont manifestement contraires à l’esprit de la constitution.

En outre, pour traiter la question du racisme, nous devons aussi être capables de signaler - au lieu de nous taire – les cas où une personne noire, incompétente ou inexpérimentée, est accusée de ne pas travailler parce que de toute façon « il/elle est noir(e) ». La compétence n’est bien sûr pas la chasse gardée des Blancs. L’excellence noire doit être reconnue. Les cas de compétence noire ne devraient pas être rejetés du fait de leurs affinités, politiques ou autre, et les cas d’incompétence blanche ne peuvent pas non plus être ignorés. En fin de compte, les pauvres sont ceux qui paient les conséquences de l’incompétence, qu’elle soit blanche ou noire.

Le spécialiste américain de la question raciale, Cornel West, met en garde contre les pièges de ce qu’il appelle un recours aux politiques "d’authenticité" noire, au moyen desquelles chaque question est réduite à une dialectique raciale. Il défend justement le remplacement du raisonnement racial par le le raisonnement moral, pour comprendre la lutte pour la liberté des Noirs non pas comme une affaire de pigmentation de la peau et de phénotype racial, mais plutôt comme une question de principes éthiques et de politiques sensées.

Utiliser le mot « racisme » pour écarter les opposants, dans le but d’un épanouissement personnel au détriment du bien public, ou pour détourner l’attention de nos propres erreurs, est tout simplement une mauvaise méthode et ne fera qu’accroître la tension raciale. De fait, il semble y avoir de plus en plus d’incidents de racisme à la « Crying Wolf », commis clairement pour des raisons purement opportunistes. Les Sud-Africains blancs – ceux qui appellent à la défense de l’afrikaans par exemple - vont devoir, non pas sur la base de l’exclusivité raciale mais sur celle de la globalité, inclure dans leur lutte les Noirs parlant l’afrikaans et se battre pour la défense des autres langues indigènes également, comme le Zulu, le Venda ou le Shangan.

Les Sud-africains noirs plus pauvres sont les principales victimes du racisme, mais n’ont pas le pouvoir de s’en défendre. Il est peu probable qu’une personne noire et pauvre sache accéder aux institutions qui peuvent l’aider à demander réparation pour des actes de racisme - elle n’aura même pas l’argent pour y accéder. Pourtant, une des façons de lutter contre le racisme pour les victimes est de demander réparation pour discrimination raciale auprès des tribunaux, des institutions de surveillance et autres institutions officielles. Ceci sous-entend que de telles institutions deviennent plus accessibles et soutiennent les plus pauvres - ceux qui souffrent le plus du racisme -, ce qui n’est pas le cas pour le moment.

Pour rompre les stéréotypes raciaux, il doit y avoir une meilleure intégration passant par les clubs, les événements sociaux ou les organisations communautaires. L’action commune à tous les niveaux, aussi bien au niveau du gouvernement que des comités scolaires, peut faire beaucoup pour briser les malentendus raciaux. A l’école, on doit enseigner aux enfants les effets négatifs de la discrimination raciale. Mais les adultes, spécialement sur leur lieu de travail, doivent aussi être éduqués sur le sujet. Les blancs devront montrer qu’ils comprennent mieux l’héritage toujours profond de la discrimination raciale, et les noirs devront comprendre que les blancs ont des peurs légitimes.

A long terme, élever le niveau économique et le niveau de compétences des plus pauvres sera l’un des moyens les plus sûrs pour renforcer la confiance noire et la réconciliation. A court terme, le gouvernement doit baser le critère des mesures de réduction de la pauvreté sur l’ampleur de la pauvreté des destinataires de ces mesures, plutôt que sur la race. Les noirs, qui pour la majorité vivent dans une pauvreté absolue, devraient naturellement être les principaux destinataires de ces politiques. En tant que mesure de justice sociale, nous devons introduire un revenu de base alloué à toutes les familles, blanches ou noires, qui sont extrêmement pauvres.

* William Gumede est co-editeur (aec Leslie Dikeni) de la récente publication « The Poverty of Ideas » (La pauvreté des idées), éditée par Jacana Media (ISBN 978-1-77009-775-9).

* Ce texte, publié originellement en anglais par Pambazuka (www.pambazuka.org/en/category/features/64228 - French☺, a été traduit par Virginie Fricaudet Borrero, traductrice bénévole pour rinoceros.