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Robin

Depuis un an que Jean-Claude Duvalier est rentré en Haïti, après 25 ans d’exil, tout est fait pour que le sombre et sanglant passé de la dictature duvaliériste relève d’un passé à oublier. En se mobilisant contre la manipulation des consciences et le déni des crimes de ce régime, le Collectif Contre l’Impunité est parvenu à établir que J-C Duvalier pouvait être poursuivi pour crimes contre l’humanité.

Un an après le retour de l’ex président à vie Jean-Claude Duvalier en Haïti, le pouvoir en place manœuvre pour que le vieux Baby Doc ne soit pas jugé et soit même restauré dans des droits usurpés. Il est mollement assigné à résidence, mais n’arrête pas de se déplacer sans être le moins du monde inquiété. Il bénéficie au contraire des services de sécurité institutionnels (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti-MINUSTAH et Police nationale). Il a même reçu la visite du président de la République, Michel Martelly, et a été invité par ce dernier à la cérémonie officielle commémorant le séisme du 12 janvier 2010, en présence de toute la diplomatie étrangère qui ne s’est pas privée de saluer l’ex dictateur.

Face à cette collusion complice, des Haïtiennes et Haïtiens se souviennent et ne baissent pas les bras. Une mobilisation s’est développée tout au long de l’année écoulée pour que justice soit faite. Un Collectif Contre l’Impunité s’est immédiatement constitué et, dès le lendemain de l’arrivée de Duvalier en janvier 2011, il a fait appel à témoignages et a établi des plaintes en vue d’entamer une procédure judiciaire.

Des hommes et des femmes de toutes conditions sociales qui ont connu les enlèvements, les arrestations arbitraires, l’emprisonnement, la mise au secret, la torture, l’exil, la disparition forcée de leurs proches, ont été entendus par des juristes bénévoles auxquels ils ont rappelé comment ils avaient été atteints dans leur chair, au mépris de tout respect du droit et des libertés. Certains d’entre eux ont beaucoup hésité à revivre en paroles l’horreur d’il y a trente ans. Néanmoins, ils se sont présentés, venant parfois de l’étranger, pour témoigner dans l’espoir que justice soit faite. Vingt deux plaintes ont été introduites, au prix d’un travail considérable des membres du Collectif contre l’impunité. C’est important, même si le nombre est faible en comparaison des milliers de victimes de la dictature qui a sévi en Haïti avec Duvalier père de 1957 à 1971 et Duvalier fils de 1971 à 1986, le second étant chassé par la mobilisation populaire.

Le Collectif contre l’impunité, qui regroupe des organisations de droits humains (1) et des plaignants et bénéficie du soutien de plusieurs organisations de droits humains de l’étranger, n’a cessé depuis lors de travailler sur ce dossier, parvenant ainsi à établir que JC Duvalier pouvait être poursuivi pour crimes contre l’humanité. Ce parcours a été marqué par la diffusion de dossiers, la tenue de plusieurs conférences de presse, dont une d’Amnesty International troublée par des partisans de Duvalier. Le 14 décembre, choisissant la période anniversaire de la Déclaration universelle des droits humains, le Collectif contre l’impunité a publié un communiqué expliquant n’être animé par aucun désir de vengeance mais plutôt par la volonté de « contribuer à ce que la nation confronte son histoire plutôt que de la subir ou de feindre de l’ignorer. Réclamer que la justice se prononce sur des crimes qui ont si douloureusement marqué notre vie de peuple, inviter nos compatriotes à réfléchir sur les mécanismes de la dictature des Duvalier ».
Le juge Carvès Jean, chargé de l’instruction, a rejeté l’accusation de crimes contre l’humanité, se bornant à renvoyer Duvalier en correctionnelle pour détournements de fonds.

C’est une insulte au peuple haïtien dans son ensemble, qui a souffert pendant de longues années de l’arbitraire et de la violence d’Etat, sombre période où chacun vivait dans la peur d’être arrêté, enlevé et où tant de gens ont croupi et péri dans les geôles de Fort Dimanche de sinistre mémoire.

Comment expliquer ce déni ? Plusieurs éléments façonnent un contexte dans lequel, aussi ahurissant que cela paraisse, Duvalier serait « pardonné ».

L’euphorie démocratique qui a suivi le départ de Duvalier en février 1986 n’a peut-être pas été consolidée par un travail en profondeur sur tous les plans de la vie en société et de la construction nationale. Les tenants du duvaliérisme sont restés dans la vie économique et politique, même s’ils ont fait profil bas pendant un temps. Aujourd’hui ils ressortent du bois, accueillant Duvalier à bras ouverts, l’entourant, s’affichant avec lui. Ils font tagger les murs de slogans tels que « Bon retour Jean Claude Duvalier ». Autre élément qui fait réfléchir : la jeunesse haïtienne n’a pas été véritablement éduquée sur la nature de la dictature et n’en a pas une conscience claire, quoique depuis le retour de Duvalier un important travail pédagogique ait été fait. Des propos tenus par des gens qui n’ont pas directement souffert des exactions des Tontons Macoutes, la milice aux ordres des Duvalier, laissent entendre qu’après si longtemps, il ne faut pas s’acharner…

On remarque aussi que le président actuel, mis en place grâce aux Américains au terme d’une cuisine post-électorale peu reluisante, a choisi de ramener au pouvoir des duvaliéristes notoires ou encore leurs enfants. Le pouvoir actuel surfe ainsi sur une tendance à l’oubli, sur un désir de paix, avec la menace rampante d’une reprise en mains fascisante d’une démocratie jamais vraiment installée.

La démocratie en Haïti est minée par l’occupation militaire de la MINUSTAH dont la mission de stabiliser le pays via le renforcement des institutions étatiques n’a pas été accomplie, pas plus que n’a été formée la police pour garantir le maintien continu de la sécurité. En revanche, la MINUSTAH a importé le choléra et ses soldats sont régulièrement reconnus coupables de viols, notamment à l’endroit de mineurs. La démocratie haïtienne est minée aussi, de façon tout à fait endogène, par une perversion de la politique qui se résume soit à une vassalisation du Parlement à l’Exécutif, soit à des attaques systématiques du gouvernement par le Parlement, ou encore par l’envahissement de l’espace législatif par des malfrats qui ne soucient guère de l’intérêt de la collectivité. Le spectacle est permanent de députés et de sénateurs qui enfourchent des chevaux de bataille complètement secondaires au lieu de travailler à développer des politiques publiques, et qui, ce faisant, bloquent tout développement.

Et pendant ce temps, un régime présidentiel s’installe, qui fonctionne sur le mode populiste à grand renfort d’affiches géantes glorifiant le président en chemise rose pour le bien qu’il fait au peuple haïtien. Pendant ce temps aussi, le gouvernement est englué dans la complaisance vis-à-vis des bailleurs de fonds internationaux qui se perdent en conjectures sur la taille et le coût des maisons qu’il faudrait construire pour loger les milliers d’Haïtiens qui campent depuis deux ans dans des conditions tout à fait indignes.

Voilà donc la toile de fond de compromissions et d’immobilisme sur laquelle des pressions s’exercent sur la justice pour exonérer Duvalier d’un procès pour crimes contre l’humanité. Mais les Haïtiens n’accepteront pas cela. La réprobation s’exprime fortement. La décision du juge ne restera pas sans appel.

Le 7 février, jour anniversaire de la chute du régime de Jean-Claude Duvalier, des bougies seront allumées à la mémoire des victimes de la dictature des Duvalier.

Et de partout soyons solidaires pour que justice soir faite.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS

NOTE
1) CEDH (Centre œcuménique des droits humains), Kay Fanm (Maison des femmes), MOUFHED (Mouvement des femmes haïtiennes pour l’éducation et le développement), RNDDH (Réseau national de défense des droits humains).

* Sonia Fayman est sociologue

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