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Dans un entretien accordé à Nawal el Saadwady du journal égyptien « El Mussawar », et publié le 19 octobre 1984, Mwalimu Nyerere discute de la Palestine, des relations de la Tanzanie avec la Libye et des problèmes économiques de l’Afrique.

Le nom de Nyerere évoque pour moi le nom des dirigeants des années 1960 : Nkrumah, Lumumba, Nehru, Tito, etc. Des dirigeants qui, avec Gamal Abdel Nasser ont conduit deux immenses continents vers l’unité à l’intérieur du Mouvement des Non Alignés et de l’Organisation pour l’Unité Africaine. Ces années-là étaient remplies d’espoir ; puis sont venues les années 1970 qui ont fait avorter ces espoirs. Et en ces années 1980 (Ndlr : l’entretien a eu lieu en 1984), l’Afrique est bousculée par des crises de plus en plus nombreuses, aussi lourdes que les vagues de la mer en furie. Ce continent riches en ressources minérales souffre de problèmes alimentaires. Nyerere gouverne son pays, la Tanzanie, comme le capitaine d’un bateau, évitant les courants profonds et les tourbillons. Il en a ainsi fait une île de stabilité tout en continuant d’être un dirigeant africain qui n’a jamais abandonné la lutte.

Lorsque vous le rencontrez, il est aussi calme que les eaux de la baie de Msasani où il vit à Dar es Salam, et aussi délicat qu’un poète. Il écrit aussi des poèmes. Simple comme un enfant quand il rit, il a cette modestie qui habite les grands hommes. Lorsque vous êtes avec lui, c’est vers cette grandir qu’il vous tire ; il ne cherche jamais à vous dominer, mais vous donne tout l’espace pour être vous-même.

Il admirait grandement Nasser ; Ils travaillaient ensemble pour la libération du continent africain du colonialisme. De nombreuses fois, au cours des 20 dernières années, il a joué un rôle historique en empêchant la division de l’OUA.

Bien que son pays soit pauvre en terme de ressource financière, il a systématiquement refusé l’aide étrangère lorsque les conditions étaient inacceptables ou lorsqu’elle mettait en péril l’indépendance de son pays. Il a rejeté l’aide de l’Allemagne de l’Ouest par souci de l’indépendance du Zanzibar ; il a renoncé à l’aide britannique par souci de l’indépendance de la Rhodésie ; il continue de résister à Reagan par souci de la Namibie et de l’indépendance de l’Afrique du Sud. ; et pour soutenir les Palestiniens, il s’est beaucoup sacrifié. Durant le conflit israélo-arabe d’octobre 1973, il a critiqué Israël et a fermé l’ambassade israélienne à Dar es Salam. En 1974, il a ouvert une ambassade palestinienne dans son pays, dont le drapeau flotte toujours sur la capitale.

Je me suis assise à côté de Julius Nyerere à l’heure du coucher du soleil, sur la terrasse de sa maison au bord de la mer, dans une profusion de manguiers, de papayers et de fleurs tropicales. Il a vécu dans sa propre maison à Dar es Salam, durant ces 20 dernières années, presque depuis l’indépendance. Derrière moi il y avait un tableau noir sur lequel ses enfants avait coutume d’écrire et, dans le coin, un énorme récepteur qui lui permettait de suivre les débats au parlement. Il n’y avait pas de tapis par terre et les chaises recouvertes de cuir étaient vielles. Je l’appelais « Mwalimu Nyerere » comme son propre peuple. Il était bienveillant et avait le sens de l’humour. Il riait fréquemment en commentant les contradictions de notre monde. J’oubliais que j’étais avec un chef d’Etat. L’heure et demie a passé très rapidement et j’ai commencé avec mes questions.

Nawal el Saadawy : Nous avons suivi de près le soutien que vous avez toujours donné aux Arabes. Vous n’avez jamais arrêté de soutenir l’Egypte quand bien même vous n’aimiez pas Camp David. Vous avez aussi toujours soutenu la cause palestinienne. Comment voyez-vous leur combat ?

Julius Nyerere : Nous n’avons jamais hésité à soutenir le droit des Palestiniens à avoir leur propre pays. Notre génération a été la génération des luttes nationalistes pour l’indépendance de nos propres pays : c’était notre raison d’être. Mais la situation des Palestiniens est très différente et infiniment pire. Alors que nous luttions pour notre indépendance, j’étais EN Tanzanie, Kenyatta était AU Kenya. Même aujourd’hui, les Namibiens et les Sud africains sont dans leur propre pays. Mais la situation des Palestiniens est plus terrible et plus injuste ; ils ont été privés de leur propre pays, ils sont une nation sans terre. Par conséquent, ils méritent le soutien de la Tanzanie et du monde entier. Le monde entier doit entendre leur voix et leur donner soutien et compréhension.

En ce qui concerne le monde arabe, vous devez vous souvenir que je crois fermement en l’unité. Parois je suis accusé de défendre l’unité comme une fin en soi, mais je crois fermement que l’unité est un instrument de libération. Et les opprimés ne doivent pas facilement abandonner leur unité parce qu’il n’y a que l’ennemi pour s’en réjouir. Une de mes principales déclarations sur l’unité, je l’ai faite dans un discours à l’université du Caire, en 1964. A ce moment autant Nasser que Nkrumah devenaient impatients avec les réactionnaires de notre continent. Mais j’ai pensé que nous ne devions pas avoir de confrontation avec d’autres Etats africains ; ils font tous partie de nous et nous devons tous vivre ensemble.

De nombreuses années plus tard, lorsque certains pays arabes ont voulu expulser l’Egypte de l’OUA, j’ai défendu l’unité de l’OUA. Nous pouvons critiquer l’Egypte, avais-je dit, mais nous ne pouvons pas exclure un pays africain de l’OUA. Où cela finirait-il ? De même, au cours du Sommet du Mouvement des Non Alignés en 1979, à La Havane, il y a eu une tentative émanant de certains pays arabes d’exclure l’Egypte du Mouvement des Pays Non Alignés. On m’a demandé de soutenir cette tentative, mais j’ai refusé expliquant que l’Egypte est un pays de l’OUA et donc ne peut être exclue du Mouvement des Non Alignés.

Nous détruirions l’OUA et, ce faisant, notre unité, si nous commençons à nous exclure les uns les autres. L ‘Egypte est un membre vital du monde arabe et de l’Afrique. Sa’adat est allé trop loin vers les Israéliens ; il était tout seul à cause de cela ; les pays arabes se sont sentis trahis. Mais l’Afrique a aussi perdu l’Egypte ; ce qui pour nous a fait une énorme différence, cette absence de l’Egypte. Qu’est-ce que l’OUA sans l’Egypte ? L’Egypte était un pilier de l’OUA et du Mouvement des Non Alignés. Au début de cette année, le président Moubarak est venu en visite en Tanzanie et sa visite était réussie et je crois que maintenant il joue un rôle important dans le monde arabe et l’Afrique.

Nawal el Saadawy : Qu’en est-il de vos relations avec la Libye ?

Julius Nyerere : Nous n’avons jamais vraiment coupé les relations avec la Libye ; Kadhafi s’est empêtré dans la guerre de l’Ouganda contre nous sans vraiment le vouloir. Idi Amin était un bon acteur et prétendait que l’Ouganda est un pays musulman ; curieusement il a réussi à séduire d’autres pays. L’Ouganda n’est pas un pays musulman mais un pays chrétien, presque aussi chrétien que le Sud Soudan, J’ai essayé d’expliquer tout cela à Kadhafi lors que je l’ai rencontré pour la première fois en 1973, à Alger, lors d’un Sommet du Mouvement des Non Alignés. A l’époque, il avait les idées vagues à propos de la Tanzanie. Il croyait que lors de la révolution au Zanzibar, en 1964, les chrétiens avaient combattu les musulmans. Je lui ai dit que Zanzibar est à 99% musulman et que les Zanzibarites au cours de leur révolution se sont défaits du féodalisme, tout comme lui s’est défait du féodalisme à Tripoli en 1969. Je voulais expliquer cela et le sortir de cette ornière. Il croyait aussi que la Tanzanie est un pays chrétien parce que moi je suis chrétien. Mais nous sommes très mélangés en Tanzanie et nous avons trois fois plus de Musulmans qu’il y en a en Libye. Mais nous sommes aussi un état laïc parce que nous ne croyons pas que la religion et la politique vont ensemble. Pendant la guerre avec l’Ouganda, je ne voulais pas attacher trop d’importance à l’implication libyenne. Depuis lors, j’ai essayé d’amener notre ami Kadhafi à une certaine compréhension et je crois qu’il a une meilleure appréciation de ce qui se passe dans cette partie du monde.

Nawal el Saadawy : il n’y a pas de doute que l’unité africaine doit maintenant faire face à une nouvelle crise, en particulier suite à la signature du pacte de non agression de Nkomati, entre le Mozambique et l’Afrique du Sud. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Julius Nyerere : Jusque dans les années 1980, la lutte pour la libération avançait très bien et nous avons obtenu l’indépendance du Zimbabwe. Nous sommes très optimiste pour l’indépendance de la Namibie. Et dans un certain sens nous avions mis l’Afrique du Sud sur la défensive. Maintenant la situation a changé. L’Afrique du Sud est passée à l’attaque. C’est assez consternant que ce pays ait repris l’offensive contre sa propre population à l’intérieur de l’Afrique du Sud et de la Namibie ; mais elle attaque aussi les Etats de la première ligne avec l’entier soutien des Etats-Unis. Les Américains soutiennent l’agression sud-africaine contre nous - ils approuvent sa politique. Donc la déstabilisation réussit. Nous n’aimons pas ce qui se passe au Mozambique, mais les Sud-Africains et les Américains jubilent. Nous comprenons comment le FRELIMO a été forcé de trouver des accords avec l’Afrique du Sud, mais cela ne nous réjouit pas plus que les accords de camp David n’ont réjoui les Arabes. Les Américains soutiennent l’Afrique du Sud et maintenant ils disent que l’accord entre le Mozambique et l’Afrique du Sud est merveilleux ! C’est une source d’humiliation pour nous, mais de jubilation pour eux. Ceci définit leur attitude à notre égard en tant qu’êtres humains.

Pour le Mozambique, les choses ont empiré depuis Nkomati et les Angolais en ont tiré la leçon : pour les Angolais, laisser partir les Cubains maintenant serait du suicide. Et donc il n’y aura pas d’indépendance pour la Namibie en raison du lien voulu par l’Amérique (lien fait par le gouvernement de Reagan entre le départ des troupes cubaines de l’Angola et l’accès à l’indépendance de la Namibie, selon la Résolution 435 des Nations Unies). L’Afrique du Sud veut se débarrasser du MPLA et installer l’UNITA à sa place, une ambition partagée avec les Américains. Mais nous allons continuer la lutte et éviter la division des pays frontaliers de l’Afrique du Sud. Nous ne voulons pas que l’offensive soutenue par les Etats-Unis nous divise comme Camp David a divisé les Arabes. Nous croyons en l’unité et nous allons rester ensemble.

Nawal el Saadawy : Les problèmes économiques auxquels l’Afrique et les pays du Tiers Monde sont confrontés empirent. L’Amérique entraîne les pays du Nord pour semer des obstacles sur le chemin du progrès des pays du Sud. Comment percevez-vous cela ?

Julius Nyerere : ces problèmes sont immenses et je ne suis pas optimiste. Nous n’allons pas voir beaucoup de mouvements ou même de sympathie de la part des pays du Nord par rapport à nos problèmes dans les années à venir. Les arguments pour le changement sont là et sont bien connus, mais nous ne verrons pas de changement parce que les Américains (ou l’administration Reagan) ne veulent pas de changement. Et ceci convient aux autres pays du Nord. Ils n’aiment pas l’attitude des Américains à l’égard de leur propre problème. Cependant, ils ne sont pas désireux d’avancer sans eux et adopter des politiques qui profiteraient au Sud mais auxquels les Américains opposent.

Ceci était clair pour moi lors du Sommet Nord-Sud de Cancun (Mexico 1981). Là-bas, 22 pays du Nord et du Sud se sont réunis pour examiner si les principaux dirigeants des pays industrialisés comprenaient nos problèmes et entreprendraient quelque chose à leurs sujets. Avant Cancun, il y a eu deux réunions, le Sommet du Commonwealth à Melbourne, à l’invitation du Premier ministre Malcolm Fraser et la réunion des 7 pays industrialisés à Ottawa, à l’invitation du Premier ministre Pierre Trudeau, où des idées fondamentales ont été formulées.

A Cancun, il était clair pour moi que les acteurs principaux du Nord, le Canada, la France, le Royaume Uni, le Japon ont parfaitement compris la situation et accepté la nécessité d’agir sur des problèmes spécifiques de négociations globales et un affilié pour l’énergie pour la Banque Mondiale. Il y avait un consensus général sur ces points, mais Reagan, tout seul, s’est opposé et tout a foiré. Il est devenu clair pour moi que les autres pays du Nord ne bougeraient pas sans les Américains ; les Américains ont le pouvoir du veto et donc rien ne bougera.

Mais je suis aussi pessimiste à propos du Sud. Tout comme le Nord, le Tiers Monde a peur de bouger malgré le fait que nous avons tant de ressources. Ce n’est pas une question d’argent- le Tiers Monde en a aussi. A un moment il y a eu une suggestion d’une forme de co-opération tripartite pour aider le Tiers Monde sous forme d’une combinaison de technologies européennes, d’argent arabe et de matières premières africaines. Mais nous ne pouvons que nous en prendre à nous-même ; il nous manque la volonté d’utiliser nos ressources pour notre propre libération.

Nawal el Saadawy Il est clair que votre concept du socialisme et de la démocratie vous sont propres et est basé sur la croyance que le socialisme peut être réalisé sans lutte des classes et la démocratie sans système multipartiste. Est-ce que vos idées sont toujours les mêmes ou ont-elles changés au cours de vos trente années d’expérience ?

Julius Nyerere : Mon éducation politique était du genre libéral occidental jusqu’au moment de l’indépendance et ainsi je croyais au modèle multipartiste. Mais au cours de la lutte pour l’indépendance nous avons bien organisé notre parti. Nous nous sommes alors trouvé dans la situation ridicule où nous nous comportions comme dans un système pluraliste avec un seul parti.

Ainsi nous avons décidé, par nécessité, de légaliser le fait que nous étions un parti unique. Bizarrement il était nécessaire de faire cela afin d’introduire un certain élément de démocratie dans le pays, parce qu’autrement notre propre parti, la TANU aurait continué de gagner tous les sièges - aucun autre parti n’a gagné un seul membre et nous avons été réélu sans opposition.

Au parlement aussi nous nous sommes comportés comme s’il y avait un autre parti dans la maison, mais il n’y avait pas de débat parce qu’il n’y avait pas d’opposition. C’était une situation ridicule, mais nous devions légaliser le système à parti unique et avoir une opposition à l’intérieur afin de générer des débats et d’avoir une vraie démocratie. Ceci a donné de bons résultats. Ceci a donné à ce pays une de ces forces principales : l’unité.

Naturellement, l’unité est basée sur de nombreux éléments différents mais l’unité que nous avons créée au travers de ce parti unique a été puissante aussi parce que ceci a permis au parti d’articuler les aspirations de la majorité de notre population. D’un point de vue philosophique, je ne crois pas à un système à parti unique exclusivement ; ma propre inclination me porte vers un système pluripartiste bien que je ne considère pas ce système comme étant le seul moyen vers la démocratie. Nous avons d’énormes débats et beaucoup d’opposition dans notre parti ; nous sommes un parti de masse et non un parti d’avant-garde et nous avons un spectre complet d’opinions dans notre parti qui compte deux millions de membres. Cet élément a aussi contribué à notre lutte pour l’indépendance, notre parti de masse nous a donné l’unité nécessaire pour cela.

En ce qui concerne le socialisme, mon premier contact a été avec le mouvement européen, principalement britannique, et non avec le socialisme de Marx et Lénine. Lorsque j’ai commencé le mouvement pour l’indépendance, nous avons parlé d’indépendance et non de socialisme à propos duquel nous n’avions que de vagues idées. Je ne crois pas que c’était une mauvaise démarche dans la mesure où ceci nous a permis de nous forger nos propres idées, après l’indépendance, pour résoudre nos réels problèmes, plutôt qu’au travers d’une théorie particulière. Raison pour laquelle il y a la Déclaration d’Arusha, un document très simple en deux parties : l’une sur le socialisme et l’autre sur l’autonomie. Ce n’est pas un document qui a une profondeur, mais une façon de traiter les problèmes pratiques qui se sont posés après l’indépendance. Par exemple, nous nous sommes aperçus que les fonctionnaires de l’Etat croyaient avoir le droit d’encaisser un loyer des maisons qu’ils avaient construites avec des prêts du gouvernement. Nous avons dû expliquer que ceci était faux et que chacun devait travailler pour vivre. Ceci a causé beaucoup de difficultés mais c’est très simple et toujours d’actualité.

Le principe d’autonomie est la réponse à certains membres du parlement qui, après l’indépendance, réclamaient toujours plus d’argent. Ceci était clairement une demande impossible- nous devons tous dépendre de nous-même, partout, dans les régions et dans les villages. Donc nous avons décidé de faire de l’autonomie un principe. Donc je n’ai rien à changer : le besoin d’autonomie n’a jamais été plus vital. Ce qui est allé de travers avec la Déclaration d’Arusha, c’est qu’elle n’a pas été appliquée ; elle reste pertinente et je ne changerais pas une virgule si je devais la réécrire aujourd’hui

Ecoutant le président Nyerere, je me souviens du discours qu’il a tenu la semaine dernière à la Conférence des femmes d’Afrique (All African Women’s Conference) à Arusha. Ce discours reflète, dans une large mesure, l’idée fondamentale enracinée dans la culture africaine, idée qui a toujours mis l’accent sur le dialogue et la discussion plutôt que sur la simple obéissance. Dans son discours, Nyerere a aussi démontré les liens qui existent entre les trois problèmes découlant d’un système économique injuste, de la pauvreté et de l’exploitation des femmes. Il a souligné que chaque groupe d’opprimés de l’histoire a obtenu sa liberté par sa propre volonté et ses propres efforts. Et donc la femme africaine doit se libérer par sa propre lutte, comme le Tiers Monde doit lutter pour son émancipation économique.

En retournant à Dar es Salam après la conférence à Arusha, j’ai commencé à entendre des rumeurs selon lesquelles Nyerere avait le projet de démissionner l’année suivante pour se consacrer à la direction du parti, le CCM. Et donc je lui ai posé la question.

Julius Nyerere : Oui c’est vrai. Je ne suis pas très vieux ; j’ai 62 ans mais là n’est pas la question. Le fait est que j’ai dirigé mon pays depuis le début de la lutte pour l’indépendance, il y a 30 ans et depuis l’union avec le Zanzibar il y a 20 ans. Donc je pense que maintenant j’ai fait tout ce j’ai pu pour aider mon pays. Je pourrais continuer, mais je ne pense pas que continuer soit la solution. C’est tellement plus important de regarder vers le futur, de commencer à chercher de nouveaux dirigeants qui traitent les nouveaux problèmes. Je n’avais même pas l’intention de présenter ma candidature lors des dernières élections en 1980 ; j’avais déclaré publiquement que le mandat 1980-1985 serait le dernier. Beaucoup de pressions s’exercent sur moi, mais je crois que je dois aider la Tanzanie à envisager le futur et à s’éloigner de la peur du ‘qu’est-ce qui se passe’. Je n’aime pas cette peur. Mes ennemis et les ennemis de la Tanzanie veulent mon départ parce qu’alors tout s’arrêtera : le socialisme, l’unité, la libération. Ceci est absurde ! Je voudrais prendre ma retraite juste pour leur prouver qu’ils ont tort ! Mais l’année prochaine je dois prendre de la distance et rester le président du CCM jusqu’en 1987. Je crois qu’une personne plus jeune doit reprendre la charge de chef d’Etat.

Ailleurs, Nyerere a déclaré qu’un parti fort est important parce que c’est ainsi que les gens peuvent participer à la réalisation de la justice sociale et au développement. Nous avons tous droit à cela mais l’histoire montre qu’avoir le droit ne suffit pas : nous devons aussi avoir le pouvoir d’exercer nos droits, ce pouvoir qui nous vient seulement de l’unité et de la résistance continue.

Dans l’avion qui me ramenait au Caire, je me sentais tellement optimiste. Je voyais le Nil depuis sa source au cœur de l’Afrique, arriver en Egypte, un Etat arabo-africain. Et à l’horizon des années 1980, je voyais nos espoirs grandir, l’espoir du retour de l’Egypte à la place qui lui appartenait de droit au cœur de monde arabe et de l’Afrique.

* Dr Nawal el Saadwady, médecin psychiatre de profession, est un écrivain et une militante féministe qui vient de retourner en Egypte après trois ans d’exil politique. En 1984, elle a assisté à la All African Women conference à Arusha en préparation à la conférence des femmes des Nations Unies à Nairobi en 1985. Mwalimu Nyerere a officiellement ouvert la conférence à Arusha et a ensuite accordé un entretien à El Saadawy à Dar es Salaam. Cet article est un entretien original publié dans le magazine hebdomadaire égyptien El Mussawar, le 19 octobre 1984

* Traduit de l’arabe par Nawal el Saadwady, cet article constituera un chapitre dans le livre à paraître ‘Nyerere’s legacy’, textes rassemblés par Chambi Chachage et Annar Cassam et publié par Pambazuka Press Books

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