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Même si l’origine du terme est assez vague, il reste cependant lié à l’intensification de l’arrivée des enfants des émigrés burkinabè dans le système scolaire et universitaire du Burkina Faso à partir de la décennie 80. Le flux de retour était principalement, sinon quasi exclusivement, alimenté par le courant en provenance de la Côte d’Ivoire qui, confrontée aux tourmentes de la crise économique, a progressivement redéfini la place des étrangers dans la société ivoirienne ; ce qui s’est traduit par des restrictions des conditions d’accès aux emplois, aux bourses aux étrangers ainsi qu’à leur stigmatisation.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le départ des enfants des étrangers vers les pays de leur parents abusivement considérés comme leur pays d’origine.
Initialement appelés au Burkina Faso « les enfants issus de la diaspora », cette catégorie de Burkinabè sera progressivement désignée par le terme « diaspo» que l’on peut retenir comme une contraction de l’expression « enfants issus ou venant de la diaspora ». Le terme n’est donc pas un diminutif de « diaspora » qui renvoie à une communauté nationale vivant à l’extérieur.

«Diaspo» n’a pas d’équivalent dans les langues nationales, mais est plus proche de « tabouga » que les Moose utilisent pour désigner tous les enfants de père moaga nés hors de l’espace géographique traditionnel des Moose (le Mogho) ; ainsi au regard de la conception des Moose tous les enfants moose nés à Bobo, Banfora, Gaoua sont des taboussé au même titre que ceux qui sont nés en Côte d’Ivoire, au Ghana, etc.

L’arrivée des « diaspo » au Burkina Faso offre des éléments à la fois empiriques et théoriques pour discuter les questions d’appartenance et de citoyenneté dans nos pays.

En effet, considérés comme Burkinabè en Côte d’Ivoire à cause de leur patronyme (Sawadogo, Ouedraogo, Kabore, etc.), de leur langue (moore, bobo, etc.), de l’origine de leur parents, et contraints de (re)joindre « leur » pays (qu’ils ne connaissent pas ou qu’ils ne connaissent qu’à travers les médias), les « diaspo », une fois au Burkina Faso, sont confrontés à des situations auxquelles ils ne s’attendaient pas, notamment être traité d’ivoirien ou de petit ivoirien à la fois dans les familles d’accueil, dans l’administration, etc.

L’établissement des documents administratifs offre au « diaspo » à son arrivée l’opportunité de découvrir son altérité: au Burkina Faso, l’obtention de la pièce d’identité est conditionnée à la production d’un certificat de nationalité d’au moins d’un des parents; outre le fait que beaucoup de Burkinabè de la diaspora de Côte d’Ivoire étaient installés bien avant les indépendances, la majorité de ceux qui étaient installés en milieu rural, pour des raisons multiples (analphabétisme, ignorance, facilité de circulation entre les deux frontières, etc.) ne se sont pas préoccupés des documents d’Etat civil.

Leur descendants sont confrontés aux problèmes de papiers à la fois en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso où ils éprouvent des difficultés à prouver leur nationalité par défaut des pièces justificatives. Selon un étudiant de l’université de Ouagadougou (né en Côte d’Ivoire et ayant rencontré ces difficultés) : «c’est vraiment très difficile à comprendre; en Côte d’Ivoire, il suffit que je prononce mon nom Ouedraogo pour que même les enfants qui parlent à peine me disent que je suis Burkinabè.

Une fois ici par contre, il faut que je prouve que je suis Burkinabè. Mon père n’avait pas de certificat de nationalité, heureusement que son acte de naissance a été établi au Burkina ici, même si lui même est né en Côte d’Ivoire. Le comble dans cette histoire, c’est que ce sont souvent des Ouedraogo qui me demandent la preuve de ma nationalité».

La découverte que le patronyme ne suffit pas pour l’accès à la nationalité provoque des interrogations, du désenchantement et parfois de l’ironie : «être Ouedraogo, de père et de mère Ouedraogo et être apatride au Burkina Faso, pays dont une grande partie a été fondée puis structurée par des Ouedraogo, et dire après tout ça que le droit n’est pas tordu, il faut être un juriste pour comprendre tout ça» ironise le même étudiant. En dépit des difficultés, les diapos arrivent tôt ou tard à faire valoir leur droit à la nationalité, mais au delà des difficultés, c’est le sentiment d’être de nulle part qui alimente le sentiment de frustration.

Outre les difficultés dans l’établissement des documents administratifs, les frustrations initiales vont non seulement se maintenir mais s’accentuer à cause des multiples difficultés dans les familles d’accueil et l’indexation sur le campus où ils sont accusés «d’indiscrétion» par les non – diaspo. En effet, le «diaspo» se remarque très facilement, d’abord par son « look à l’ivoirienne » (habillement, cheveux coupés très court voir crane rasé ou coco taillé), ensuite par son accent (ivoirien), son langage (phrase sans article), son complexe de supériorité, ses manières (expression assez vague et flou qui permet de synthétiser tout ce qui est différent).

Les rapports avec les étudiants nés aux Burkina Faso ne s’inscrivent certes pas dans le registre conflictuel mais restent influencer par la réserve, la suspicion voire des accusations et indexations réciproques:

- ainsi les étudiants «diaspo» sont traités de «pieds noirs», «petits ivoiriens ratés», «d’impolis», « de faire le malin », « des présomptueux ». Ils sont également accusés d’être facilement corruptibles et à ce titre ont été parfois présentés comme ceux sur qui les autorités de l’université ont pu agir pour briser les grèves des étudiants.

Ils sont mêmes soupçonnés par certains d’être «la cinquième colonne» à cause des loyautés qu’ils conservent avec la Côte d’Ivoire. Cette accusation est généralement appuyée par le fait que leur arrivée au Burkina Faso n’a jamais été un choix mais une contrainte ; ce sentiment est très bien illustré par les propos d’un étudiant lors d’une discussion sur les migrations burkinabè : «c’est parce qu’ils ont été rejeté là bas qu’ils sont venus se réfugier ici ; s’ils n’avaient pas été contraints, ils ne seraient jamais venus ici.

A leur arrivée, les propos qu’ils tiennent montrent bien qu’ils considéraient le Burkina comme un village. Si un jour la Côte d’Ivoire leur reconnaît certains droits, travailler par exemple, vous verrez, ils repartiront ; le Burkina, pour parler comme eux, «c’est en attendant ». Ils faut voir avec les rapatriés, au moment ou ça chauffait, ils se sont rappelés qu’ils ont un pays où ils sont venus se réfugier ; leur situation a même suscité l’indignation nationale. Mais depuis que la situation en Côte d’Ivoire a commencé à se calmer, beaucoup d’entre eux repartent, et discrètement » . Ils sont accusés pèle mêle d’avoir perverti les mœurs, d’être les vecteurs de la violence à l’université, etc.

- En réaction à ces accusations, les « diaspo » traitent les étudiants nés au Burkina de «tinga» , «zoblazo 200% », «peu ouverts » «de jaloux». Selon un « diaspo », «avec nos frères Burkinabè, c’est un peu difficile ; nous autres qui venons de la Côte d’Ivoire, quand on discute, on dit ce qu’on pense et après c’est fini ; mais avec les nos frères «tinga», ils ne disent pas le fond de leur pensée et même après des échanges un peu animés, quand ils disent que c’est fini, c’est pas fini ; il y a manque de sincérité.»

Face à ce qu’ils considèrent comme des entraves à leur épanouissement, les « diaspo » s’organisent d’une part à travers la création d’associations regroupant les ressortissants en provenance des mêmes zones en Côte d’Ivoire (associations des ressortissants de l’Agnéby, du Fromager, de Sinfra, de la Cité Djiboua, d’Adzopé, etc.) et d’autre part en se regroupant dans les zones d’habitation qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à baptiser; c’est ainsi que certaines cours habitées par des «disapo» sont dénommées (avec inscription sur le portail) la Sorbonne, le Château de Versailles, le Pentagone, la Knesset, le Kremlin, Matignon, la Maison Blanche, etc.

Les associations et les cours baptisées jouent plusieurs fonctions : les associations tentent de récréer des espaces de rencontre et de solidarité car certains « diaspo » ne disposent d’aucune connaissance ni d’aucun contact dans la capitale tandis que d’autres ont été obligés de quitter les familles d’accueil.

Au delà de ce rôle de secours d’urgence, les associations permettent aux «diaspo» de récréer « un univers de notre passé récent», «de discuter de chose qui nous sont propres», «de faire la cuisine du pays » ; selon un responsable d’une association « on ne se retrouve pas seulement pour résoudre des problèmes matériels mais aussi et surtout pour exister ». Cette pratique chez les « diaspo » n’est pas vraiment originale dans la mesure où c’est une pratique adoptée par les émigrés burkinabè.

Si ces pratiques permettent aux diaspo de s’organiser et de se retrouver, elles contribuent à renforcer le sentiment chez les autres que les «diaspo» sont des ivoiriens. «Voir des Burkinabè se dire ressortissants de Daloa, Soubré, Yamoussoukro ou Vavoua et en plus au Burkina ici, y’a un problème. Je n’ai jamais vu ces villes sur une carte du Burkina.

Même s’ils sont nés à l’extérieur, leurs parents viennent de régions du Burkina non? Pourquoi ils ne s’associent pas aux ressortissants de ces régions pour démontrer leur volonté de s’intégrer. Or tout ce qu’ils font, c’est montrer qu’ils sont ivoiriens; tout cela montre leur volonté de se démarquer, ce sont vraiment des parents à problème ».

Selon les « diaspo », c’est parce qu’ils sont confrontés dans ces associations au même problèmes d’indexation mais aussi et surtout parce qu’ils se retrouvent isolés avec des gens qui se connaissent, qui ont des histoires communes qu’ils n’éprouvent pas la nécessité de militer dans ces associations : « peut – on être ressortissant d’une région que l’on ne connaît pas ? où l’on est vraiment étranger? Moi je ne suis pas sur que mon père qui aime bien cette région du Burkina soit connu par ces gens parce qu’il est parti de là bas il y’a longtemps?»

En fin de compte, les descendants des immigrés burkinabè se retrouvent écartelés entre une terre d’accueil qui ne les reconnaît pas comme les siens et un pays d’origine des parents qu’ils ne connaissent pas et qui est supposé être le leur. En définitive, citoyens de fait, ces produits de la migration se retrouvent étrangers dans leur zone de naissance mais citoyens de droit d’un pays qui ne les connaît pas, qu’ils ne connaissent pas ou pas assez, et qui à l’occasion des retours contraints leur renvoie leur altérité.

En définitive, la situation des «diaspo» montre la complexité de la citoyenneté qui, au delà de certains aspects, notamment juridiques et formels (la pièce d’identité) et même objectif (la langue par exemple), combinent bien d’autres aspects qui sont parfois les élément de repère qui permettent de se faire identifier et se faire admettre comme membre à part entière de la collectivité. A ce titre, les confusions entre origine et appartenance, langue et nationalité se révèlent réductrice et participe à une vision statique de la vie sociale.

* Mahmadou Zongo, sociologue, est enseignant et chercheur au département de Sociologie à l'Université de Ouagadougou, Burkina Faso.

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