Au Sahel, comme dans de nombreuses régions de la terre, c’est le climat lui-même qui est changeant ! Aussi, sur place, il n’est pas facile de distinguer ce qui provient du « changement climatique » de ce qui provient simplement du climat, qui est changeant par nature. D’ailleurs, ce n’est pas seulement le climat qui change ici : c’est aussi (on peut même dire « surtout ») la densité de la population. Au Burkina, la population double tous les 25 ans ! Comment les populations s’adaptent-elles à un tel changement ? Souvent avec un certain retard, après être passées par un profond déséquilibre.
C’est ainsi qu’en 1997 en arrivant à Koudougou, j’ai vu les femmes des villages voisins préparer le dolo (la bière de mil locale) en brûlant uniquement des tiges de mil ! Pour elles, ce n’est pas une question de facilité. Cette façon de faire est très fatigante. Il faut rester continuellement près du feu, dans la fumée. C’est par nécessité que les femmes utilisent ainsi les tiges de mil.
En réfléchissant avec ces femmes, nous avons fait l’analyse suivante : la population augmentant régulièrement, les besoins en bois augmentent. Mais aussi les besoins en nouveaux champs ! Et pour obtenir de nouveaux champs, les paysans commencent par abattre les arbres des terrains choisis pour ces nouveaux champs. Peu à peu, les besoins en bois augmentent, mais le nombre d’arbre diminue… et immanquablement le bois vient à manquer ! Cette pratique est donc le signe d’un déséquilibre.
Poursuivant ma réflexion, je me suis rendu au pays dagara, du côté de Mariatan et de Dissin. J’ai appris que les femmes y préparent également le dolo en brûlant les tiges de mil. Or ces deux villages correspondent à deux pics de population. Il s’agit des deux régions du pays dagara (du côté du Burkina) où la densité de population dépasse les 60 habitants au km². Et si maintenant vous interrogez les paysans sur la fertilité de leurs terres, vous comprendrez vite que la catastrophe est proche. Ce n’est pas seulement le bois qui manque ! Les dégâts ne s’arrêtent pas là. C’est tout le système de culture traditionnel qui est mis à mal. En effet, dans le système traditionnel, la jachère est un élément clé, qu’il n’est plus possible de conserver quand la densité de population dépasse 60 ha/km².
Finalement, en poursuivant l’analyse, on arrive à la conclusion suivante : le système traditionnel de culture sur brûlis, avec une jachère longue, est un système qui a bien fonctionné pendant des siècles, mais qui aujourd’hui, avec l’augmentation de la population a montré ses limites. Plus précisément, ce système fonctionne correctement jusqu’à 30 ha/km². De 30 à - à 60 ha/km² les difficultés vont croissantes. Au-delà de 60 ha/km² le déséquilibre est insupportable et mène à la catastrophe. En effet, tout ce qui devait nourrir la terre (les tiges de mil, les déchets des animaux…) est transporté à la maison pour y être brûlé (pour faire la cuisine, pour chauffer l’eau…), et la terre s’appauvrit très rapidement. Il est urgent, alors, de réagir !
C’est ainsi que nous avons été amené, en son temps, à faire un article ayant pour titre « La jachère est morte, vive le compost ! ».
Koudougou, Burkina Faso, le 2 décembre 2009?
Maurice Oudet? président du SEDELAN