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Le coup d'Etat au Burkina Faso n'est pas tout à fait une surprise. La crise était annoncée car ce Régiment de la sécurité présidentielle (Rsp), ses officiers et Gilbert Diendéré qui les contrôlaient sentaient leur fin proche s'ils ne tentaient pas quelque chose avant les élections qui étaient prévues pour le 11 octobre.

Les informations qui nous parviennent du Burkina restent parcellaires. Le Régiment de sécurité présidentielle (Rsp) a pris en otage, mercredi soir, jour du Conseil des ministres, Le président de la Transition, Michel Kafando, le Premier ministre Issac Zida, et les autres ministres présents. Des négociations se sont engagées avec la hiérarchie militaire sans succès.
Quelques heures plus tard, les preneurs d’otage précisaient leurs intentions. Ils déclaraient prendre le pouvoir, portaient à la présidence le Général Diendéré et annonçaient la mise en place d’un Conseil national de la démocratie dont la première mesure serait d’organiser des élections « inclusives ». Plusieurs maisons de leaders de la société civile ont été attaquées, les leaders du Balai citoyen particulièrement visés. Smockey nous a informés que la sienne a été attaquée au lance-roquettes, sa famille ayant pu s’enfuir par-dessus un mur. Un incendie a pu être court-circuité grâce à l’intervention du voisinage.

La réaction n’a pas tardé, des appels à se rassembler place de la révolution jeudi matin ont circulé. Des groupes de jeunes sont descendus dans la rue par petits groupes pour disperser les soldats du Rsp. Les syndicats et la Coalition contre la vie chère ont immédiatement appelé à une grève générale illimitée. La répression aurait fait une dizaine de morts et de nombreux blessés, mais ne serait l’œuvre que des seuls éléments du Rsp. Au nombre de 1 300, ils ne contrôleraient en réalité que la capitale, et encore. Des internautes ont posté aussi des photos de manifestation dans plusieurs villes de province. Et vendredi matin, Rfi annonçait des manifestations à Bobo Dioulasso, à Yako où la maison de Gilbert Diendéré a été incendiée et à Po.

Le président du Conseil national de la transition, Chériff Sy, dans un communiqué à déclaré assumer « désormais les pouvoirs dévolus au chef de l’Etat», et inviter «le chef d’Etat major des armées et les chefs d’Etat major des différentes régions militaires à prendre immédiatement toutes les dispositions pour que cette forfaiture soit arrêtée puisque c’est un groupe armé qui s’oppose à la volonté du peuple». Cheriff Sy n’est autre que le fils du général Baba Sy, qui a toujours été, de son vivant, très respecté par l’armée.

UN COUP D’ETAT PROBABLEMENT PREPARE DEPUIS LONGTEMPS

Par trois fois déjà, le Rsp, sous la houlette de Diendéré, ont perturbé le Conseil des ministres. On se rappelle que la nomination d’Issac Zida comme président, lors de l’insurrection, résultait d’un consensus entre le Rsp, et les autres chefs militaires. Mais rapidement Zida, peu connu bien que numéro deux du Rsp, en mal de popularité parmi les insurgés, se lançait dans des déclarations fracassantes, teintées de populisme, affirmant sa volonté de prendre en compte les aspirations des insurgés. Il annonçait en particulier la réouverture des affaires Sankara, l’ancien président révolutionnaire dont l’assassinat n’est pas officiellement élucidé, et Norbert Zongo, le journaliste assassiné par des hommes de la sécurité présidentiel.

Zida épousant la cause des insurgés, les autres chefs du Rsp, se sentant trahis, ont plusieurs fois séquestrés le Conseil des ministres, le président et le Premier ministre, avançant à chaque fois de nouvelles revendications et s’opposant à la dissolution de leur régiment, demandée par la société civile. En réalité cette revendication est apparue la première fois parmi les propositions du Conseil des sages, mis en place la suite du puissant mouvement de protestation contre l’assassinat de Norbert Zongo.

Avec le recul, l’hypothèse d’une préparation minutieuse d’un coup d’Etat, par un affaiblissement progressif des forces au sein du gouvernement pouvant s’y opposer apparait crédible. Ainsi, en février 2015, à la suite du deuxième mouvement d’humeur du RSP, des proches de Blaise Compaoré furent nommés à des postes clé : Boureima Kéré, pourtant accusé de torture par deux témoignages très précis (voir http://www.thomassankara.net/spip.php?article1739 et http://www.thomassankara.net/spip.php?article1738) comme chef d’Etat major particulier du président et le lieutenant-colonel Coulibaly, ancien aide de camp de Blaise Compaoré, comme chef de corps du Rsp. Ce dernier devait partir en stage de formation en France.

En juillet dernier, les chefs du Rsp exigèrent la démission des quatre ministres militaires du gouvernement. Les tractations durèrent cette fois plusieurs jours. Ils n’obtinrent pas totalement satisfaction, mais suffisamment pour pouvoir envisager un coup d’Etat dans de bonnes conditions. Le Premier ministre fut déchargé de la Défense, et surtout le lieutenant colonel Auguste Barry, le ministre le plus populaire parmi les insurgés, perdit son poste de ministre de l’intérieur et de la sécurité. Il venait de déjouer une première tentative de coup d’Etat. N’est-ce pas parce qu’il essayait de reprendre la main sur le système mis en place par Diendéré, chef de la sécurité intérieur du pays sous Blaise Compaoré, qui entretenait à ce titre des rapports étroits avec les officiers des troupes françaises et américaines ? Un des derniers obstacles de taille était levé qui permettait d’envisager un coup d’Etat victorieux.

DIENDERE, ANCIEN CHEF D’UNE MILICE DE TORTIONNAIRES ET D’ASSASSINS, TRANSFORME EN HOMME CLE DE LA SECURITE DE LA REGION PAR LES FRANÇAIS ET LES AMERICAINS

Gilbert Diendéré, avait remplacé Blaise Compaoré à la tête du Centre national d’enseignement commando (Cnec), lorsque ce dernier devint chef d’Etat après un coup d’Etat qui se solda par l’assassinat de Thomas Sankara en 1987. C’est lui qui est aussi à l’origine de l’exécution des capitaines Jean Baptiste Lingani et d’Henri Zongo, les deux autres leaders « historiques » de la révolution, aux côtés de Blaise Compaoré et de Thomas Sankara. Ce sont des hommes sous son commandement qui ont tué Thomas Sankara et ses compagnons. Il en était le chef au moment de la période la plus noire du régime, marquée par des assassinats politiques, et lorsqu’on torturait ceux qui se refusaient à déclarer allégeance au régime.

Le Rsp est issu du Cnec et Gilbert Diendéré en a gardé le commandement jusqu’à sa nomination comme chef d’Etat major particulier de Blaise Compaoré. De nombreuses exactions, commises par les hommes de ce régiment, sont restées jusqu’ici impunies. Le journaliste Norbert Zongo a lui aussi été assassiné par des hommes du Rsp. Gilbert Diendéré a été plusieurs fois cité lors du procès de Charles Taylor, puis dans des rapports de l’Onu, pour avoir détourné l’embargo au profit des rebelles ivoiriens. C'est lui qui avait le premier retrouvé l’avion d’Air Algérie qui s’était crashé au Mali, révélant ainsi l’efficacité de son système d’information mis en place. Et c’est encore lui qui a organisé la fuite de Blaise Compaoré en collaboration avec les forces spéciales françaises basées non loin de Ouagadougou.

Mais Gilbert Diendéré est aussi un ami de la France et la Transition, en tout cas son président, joue plutôt la diplomatie que l'affrontement avec le France qui va financer en partie les élections. Nous écrivions en effet le 5 février 2015 : « C’est ce même Gilbert Diendéré qui a été décoré de la légion d’honneur en France en 2008. Il était proche du général Emmanuel Beth, premier chef de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, directeur de la Coopération militaire et de la défense au Quai d’Orsay qui sera nommé Ambassadeur de la France au Burkina en 2010, son frère Frédéric Beth dirigeant alors les Ccommandement des opérations spéciales basées à Ouagadougou avant de devenir le numéro deux de la Dgse. Diendéré et Emmanuel Beth, très proches, avaient l’habitude de faire ensemble des sauts en parachute ».

Il est aussi l'ami des américains, dont des troupes sont stationnées au Burkina. Ainsi peut-on lire dans un document du service de communication du Rsp : « Pour le Général Gilbert Diendéré, qui n’est plus à présenter, il a été souhaité que l’on exploite ses compétences indéniables, comme conseiller par exemple ; au lieu de s’en débarrasser. Des américains auraient dit : «Si vous n’en voulez plus, donnez-le nous… ». Il est l’un des rares officiers généraux de la sous-région qui maîtrise autant les questions sécuritaires dans la zone sahélo-saharienne » (voir http://www.lefaso.net/spip.php?article63183)

ELECTIONS INCLUSIVES, LE FAUX PRETEXTE

Le préambule de la Charte de la Transition, adoptée par consensus, quelques jours après l’insurrection affirme « la nécessité d’une transition politique, démocratique, civile, apaisée et inclusive ». Effectivement, les partis de l’ex-majorité ont pu bénéficier de dix sièges de députés au Conseil national de la Transition (Cnt).

Lorsque le Cnt a modifié la loi électorale, interdisant aux anciens partisans de la modification de l’article 37, donc à Blaise Compaoré, de se représenter, les protestations se firent rares alors, pour s’amplifier légèrement, surtout parmi les partisans de l’ex-majorité et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et finalement retomber tout récemment. En réalité, trois mois après l’insurrection, cette réforme fut la première qui apparaissait aller dans le sens de ce qu’attendaient les anciens insurgés. Pour eux, l’insurrection s’était soldée par une trentaine de morts et des centaines de blessés qui méritaient le respect. Il n’est pas possible de voir revenir par les urnes les principaux dirigeants du régime précédent, responsables du pillage des principales ressources du pays, ceux qui viennent d’être chassés du pouvoir par un rejet massif. Tous les partis politiques de l’ex-opposition soutenaient cette réforme. En terme, d’exclusion, il convient d’ajouter que les autorités de la Transition, les ministres, les députés du Cnt n’ont pas le droit non plus de se présenter.

La Cedeao s’opposa aussi à cette loi, non sur le fond en réalité, mais pour son imprécision qui semblait écarter tous les partisans de la modification de l’article 37, sans exception. Le président de la Transition déclara que son pays se soumettrait à l’avis de la Cedeao. Mais finalement le Conseil constitutionnel, rejeta les candidatures des ministres et des députés ayant voté cette modification, précisant ainsi de fait le critère d’inéligibilité. Une quarantaine de députés furent écartés des législatives mais purent être remplacés par d’autres personnes. Quant aux présidentielles, les candidatures de plusieurs personnalités comme le président du Congrès pour la démocratie et le progrès, parti de Blaise Compaoré, Eddie Komboïgo, Djibril Bassolet, ancien ministre des Affaires étrangères et Gilbert Ouedraogo, président du Rassemblement démocratique africain, furent aussi écartées.

Finalement, les exclus ont tous déclaré, il y a quelques jours, se ranger aux décisions du Conseil constitutionnel. Et l’on s’orientait vers des élections paisibles, d’autant plus qu’à sa dernière réunion, la Cedeao avait finalement réitéré son soutien aux autorités de la Transition. C’est dans ce contexte que les putschistes disent vouloir organiser des élections « inclusives ».

GILBERT DIENDERE SOUS LA MENACE D’UNE INCULPATION

Un faux prétexte ! La réalité, c’est que la justice se rapprochait de Gilbert Diendéré, dont l’inculpation dans l’affaire Sankara devait se traduire à court terme par son inculpation. Le jour du coup d’Etat, les avocats devaient être informés des avancées de l’enquête et des résultats de l'expertise balistique et de l'autopsie. D’autres témoins, victimes de tortures se sont fait connaitre et ont raconté les sévices qu’ils ont subis. De plus, une commission d’enquête avait été annoncée, pour déterminer les responsabilités des tirs à balles réelles pendant l’insurrection causant la mort d’une quinzaine de personnes et de très nombreux blessés. Or ce sont encore les soldats du Rsp qui en sont les auteurs. Et pour couronner le tout, la Commission des réformes et de réconciliation, mise ne place par la Transition avait déposé son rapport dans lequel la dissolution du RSP était de nouveau proposée.

UN DERNIER BAROUD SUICIDAIRE ?

Si Diendéré a pu séduire les officiers des troupes étrangères pour ses compétences dans la sécurité de la région, s’il semble avoir bien préparé ce coup d’Etat militaire, on peut s’interroger sur ses qualités d’homme politique après ce triste épisode que connait aujourd’hui le Burkina. Certes sa proximité avec les services français et américains ont pu lui faire croire, non sans raison, qu’ils le soutenaient encore. Mais nous ne sommes plus au début des années 1980, où quelques officiers arrivaient à contrôler un pays en quelques heures. La population est aujourd’hui beaucoup plus urbanisée, plus largement politisée, l’information circule rapidement.

L’armée est certes composée d’officiers nommés sous Blaise Compaoré, mais peu d’entre eux se risqueraient à accompagner un putschiste dans une telle aventure tant les risques d’échec sont élevés. Le parti de Blaise Compaoré, Le Cdp, a subi quelques revers ces derniers temps montrant que ses capacités de mobilisation déclinaient. Surtout, après avoir multiplié les déclarations affirmant vouloir respecter la démocratie et les institutions, quel homme politique serait assez bête pour déclarer soutenir les putschistes ? Il y en a bien quelques uns que l’on entend déclarer soutenir le coup d’Etat, mais tout observateur politique sait qu’ils signent là la fin de leur carrière politique. Bien sur certains se réjouissent, mais combien oseront s’afficher aux côtés de Gilbert Diendéré ?

L’affrontement était inévitable, nous l’avions annoncé, car l’impunité de Diendéré ne pouvait durer bien longtemps. Fort se ses soutiens, sans doute s’est-il cru indispensable. Le Rsp ne pouvait non plus continuer à séquestrer les Conseils des ministres à chaque fois qu’il avait des revendications à faire valoir. Et la population qui a massivement participé à l’insurrection ne pouvait supporter encore très longtemps que Diendéré puisse rester plastronner à Ouagadougou.

Isolé à l’intérieur du pays, déconsidéré à l’extérieur, en tout cas officiellement, ce putsch n’a guère d’avenir. Diendéré non plus, si ce n’est en prison ou dans un lointain exil, toujours sous la menace de la justice internationale. Et le peuple burkinabè, aux longues traditions de lutte, n’est pas prêt d’accepter une telle forfaiture. Il a besoin de notre solidarité.

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