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Jos, capitale de la Middle Belt, dans l’État du Plateau, est à nouveau sous les feux de l'actualité. Mais, cette fois, pour de mauvaises et tragiques raisons. Suite à des allégations d'irrégularités électorales portées contre le PDP au pouvoir dans l'Etat, dans le cadre d’élections locales, les partisans de l’opposition et du gouvernement se sont opposés.

Très vite les mots enflammés ont dégénéré : jets de pierres, tirs de la police, incendie criminel, meurtres ont conduit à de lourdes pertes en vies humaines et à des dégradations de biens. La police s’est retrouvée dépassée, de même que la Brigade de l'armée nigériane basée dans la ville conduisant à l’envoi de troupes par avion à partir de l'Etat de Kaduna voisin, pour contenir les émeutes. Le gouverneur de l'État aurait ainsi donné une «tirer pour tuer» afin de la police.

Tout tragique qu’il est, le chaos qui a frappé Jos est familier aux habitants de cette belle métropole multiculturelle ainsi qu’aux autres Nigérians. La violence est en effet une chose régulière au Nigeria et malheureusement dans de nombreux pays africains. Mais comment se fait-il que les conflits politiques puissent dégénérer en violences ethniques et religieuses quand, en théorie,les partis politiques ont des partisans à travers tout le pays?

Plusieurs raisons peuvent être avancées.

La première est la manière dont les partis politiques sont organisés (ou plus exactement, désorganisés) au Nigeria. Ils sont souvent le fait d'un regroupement de notables/ barons d’une ethnie, alliés à des groupes de malfaiteurs pour imposer leur volonté au niveau local et au niveau de l’Etat. Ces groupes se retrouvent au niveau central pour partager le butin. Comme ils n'ont pas de politique autre que leurs poches, l'appartenance ethnique et religieuse ou le régionalisme deviennent facilement pour eux des moyens pour embrigader les pauvres populations.

Deuxièmement, la culture politique qui veut que le gagnant rafle tout donne une grande importance au fait de «gagner», car il n'y a pas de rapport pour les perdants.

Troisièmement, l'absence de toute source de contrôle sur les deniers publics et les ressources signifie que le gouverneur ou le président du gouvernement local a une emprise directe sur la «répartition» au niveau de son Etat ou des collectivités locales et peut faire tout ce qu'il ou elle veut, en toute impunité.

Quatrièmement, puisque les citoyens nigérians ont, en réalité, tous les droits (indépendamment de ce que dit la Constitution), il est important d'avoir "son homme ou sa femme" au sommet. S’ils sont tous des escrocs, il est important d’avoir le sien.

Cinquièmement, le Nigeria est en théorie une République fédérale, mais dans la pratique il l’est seulement sur le plan politique. Au plan financier ce pays est très centralisée avec l'énorme manne des ressources pétrolières gérée depuis le Centre. La plupart des Etats ne prennent même pas la peine de collecter des ressources au niveau local, préférant attendre les «allocations» qui viennent d'Abuja.

Cette anomalie a favorisé tout parti installé au niveau du pouvoir central. Depuis 1999, le Parti démocratique du peuple, PDP, au pouvoir (également connu sous le nom de Personnes trompant le peuple - PEOPLE DECIEVING PEOPLE) a transformé le Nigeria en un quasi-Etat à parti unique. Non pas parce que les électeurs en ont décidé ainsi, mais parce que ce parti a le pouvoir de changer la réalité des faits en déclarant ses candidats vainqueurs quels que soient les suffrages exprimés. Ses responsables ne se donnent plus la peine de bourrer les urnes, le trucage se faisant à l’annonce des résultats à travers le micro de la Commission électorale qui a le monopole juridique de l'annonce des résultats.

Les gouvernements locaux demeurent un enjeu de combat pour les groupes de pouvoir et d’intérêts. Il s’agit généralement petits espaces où les protagonistes se connaissent les uns les autres et vivent souvent ensemble dans une misère inexplicable provoquée par une élite politique irresponsable.

Mais pourquoi ces questions en arrivent à dégénérer dans une guerre entre musulmans et chrétiens et mener à des dérives ethniques xénophobes ? Ce problème découle essentiellement de l'ethnicisation de la citoyenneté qui pousse à se regarder entre Nigérians comme des «indigènes» ou des colons, «l’indigénéité» étant définie dans une perception ancestrale. Les formulaires officiels avaient une place pour la «tribu», mais maintenant, de manière plus subtile, il est indiqué «État de résidence» et « État d'origine». L'on se réfère d’un côté à l'endroit où vous vivez (résidence) et de l'autre au lieu où vos ancêtres peuvent être originaires, même si vous n'y avez jamais mis les pieds.

Les Nigérians se sont joint hypocritement à d'autres Africains en se félicitant de la victoire d’Obama, alors que celui-ci ne serait pas en mesure de se présenter pour une élection locale en tant que conseiller. Ni à Jos ni n'importe où au Nigeria et dans la plupart des pays d’Afrique.

Mais au-delà de tout ce qui précède, il y a la culture de l'impunité. Si on ne met pas fin à l'impunité de l'État et de citoyens ordinaires, les Nigérians vont continuer à s’entretuer et porter atteinte à notre humanité collective. Même les chiens et les chats ne peuvent être tués en Europe ou en Amérique de la même manière que des vies humaines sont massacrées chaque jour.

«Toujours en avant, jamais en arrière» Kwame Nkrumah (1909 - 1972)

* Dr Tajudeen Abdul-Raheem est Secrétaire Général du Mouvement Panafricain, (Kampala, Ouganda ) et co-directeur de Justice Africa.