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Fatima Hassan est avocate sud-africaine, bien connue en matière de défense des Droits de l’homme. Début juillet 2008, elle a fait partie d’une délégation sud-africaine de défense des Droits de l’homme qui a visité Israël et les territoires occupés en Palestine. Cette mission avait pour objectif de «soutenir les Palestiniens et Israéliens travaillant quotidiennement, par des moyens non violents, à mettre fin à l’occupation israélienne d’après 1967, à mettre fin aux abus des Droits de l’homme et aux violations du droit international et à favoriser des relations paisibles et un règlement juste de la question palestinienne». Mais il s’agissait aussi, à travers cette visite, d’exprimer leur solidarité avec ceux qui vivent dans des circonstances oppressives, restrictives et dangereuses, et d’attirer l’attention sur l’injustice de l’occupation, ainsi que ses conséquences désastreuses…

Mukoma Wa Ngugi a interviewé Fatima Hassan sur cette visite de solidarité et les implications que peut avoir la lutte des Palestiniens pour les Africains.

Pambazuka News : Un article paru dans un journal indépendant vous cite disant que “le fait de devoir emprunter des routes différentes, d’avoir [des plaques d’immatriculation différentes] sur des voitures conduites par des nationalités différentes, l’indignité de produire une autorisation chaque fois qu’un soldat vous le demande, et d’attendre dans de longues files d’attente sous un soleil ardent au niveau des postes de contrôle juste pour entrer dans votre propre ville, je crois que c’est pire que ce que nous avons connu sous le régime de l’apartheid." Mais le même article poursuit en disant que “Mme Hassan elle-même a dit que la comparaison avec l’apartheid lui semble être une « habile diversion ». Pouvez-vous parler davantage de ces deux positions ?

Fatima Hassan : Je pense que le débat/discours autour de la question de savoir s’il s’agit d’un Apartheid ou pas ne nous aide pas à progresser. Trop souvent, en voulant trouver une réponse à cette question, on s’enlise. Et on peut s’en servir comme moyen de savoir si la situation en Palestine et en Israël est intolérable du point de vue juridique et moral. Bien sûr, il y a des similitudes pour ce qui est du caractère indigne et inhumain des conséquences de l’occupation. Et les gens en Palestine et en Israël donnent au mur érigé par Israël le nom de « mur de l’Apartheid » parce qu’il est fondé sur une politique de séparation et de fermeture.

Mais le contexte est différent et le débat autour de la question de savoir s’il s’agit d’un apartheid ou pas nous détourne de la vraie question de l’occupation, de l’accaparement d’une plus grande partie des terres, de l’indignité de l’occupation et de la conduite des militaires et de la police. J’ai vu le poste de contrôle à Naplouse, j’ai rencontré des palestiniens à Hébron, j’ai rencontré les villageois qui sont contre le mur, j’ai rencontré des Israéliens et des Palestiniens ayant perdu des membres de leurs familles, leurs terres et leurs maisons. Ils n’ont pas perdu espoir cependant et ils croient en une bataille conjointe contre l’occupation et sont prêts, avec des moyens non violents, à transformer au quotidien les formes directes et indirectes d’injustice et de violence.

Pour résumer – il y a une transgression qui se poursuit sans relâche – appelez la comme vous voulez, apartheid, séparation, fermeture, sécurité – elle demeure une transgression.

PZN : Pensez-vous que les Palestiniens de Cisjordanie vivant sous l’occupation israélienne se battent pour l’intégration, pour les droits humains à l’intérieur d’Israël ou pour un Etat palestinien viable ?

FH : Je pense m’être rendu compte que physiquement et géographiquement - avec l’accaparement massif des terres - une solution basée sur l’existence de deux Etats n’est pas réaliste. Mais il ne m’appartient pas de déterminer les solutions pour les gens qui y vivent.

Quant aux Palestiniens, ils nous ont souligné qu’ils sont contre l’occupation et la négation des Droits de l’homme. Ce qu’ils veulent dépend de ceux à qui vous parlez et de là où ils vivent. Bien sûr, tous ceux à qui nous avons parlé ont mis l’accent sur l’intégration, la dignité et l’autonomie.

PZN: L’évolution en Afrique du sud peut-elle servir de source d’inspiration aux Palestiniens et aux Israéliens ? De quelles manières?

FH: Dans une certaine mesure oui, dans un autre sens non. En Afrique du Sud, nous étions convenus de nous accepter non pas comme des ennemis mais d’abord comme des personnes, avant de nous parler, ce que nous continuons à faire jusqu’ici. Dennis Davis, un membre de notre délégation, l’a bien résumé dans les propos suivants : « Ils parlent de divorce tandis que nous (Afrique du sud) parlons de mariage ».

Nous avions des barrières invisibles et une route pour tout le monde. Ils ont des barrières, des postes de contrôle presque partout et des routes différentes ! Ils ont des enfants qui jettent des pierres à d’autres enfants qui essaient d’aller à l’école (Hébron) ; nous avions la Banthoustanisation de l’enseignement et une langue qui nous été imposée et non les scénarios que nous avons vus et dont nous avons entendu parler à Hébron.

Nous n’avions pas des points de vue et des prétentions profondément religieux qui justifieraient l’injustice et l’accaparement des terres. En effet, les organisations confessionnelles se sont mobilisées contre l’apartheid. En Afrique du sud, nous avons une expérience (limitée) de la race et du traitement du racisme, mais pas d’un racisme qui tire ses origines de la religion.

PZN: Les Palestiniens peuvent-ils tirer une quelconque leçon de la lutte contre l’Apartheid en Afrique du sud ?

FH : La solidarité internationale et la dénonciation de l’injustice sont capitales. Nous avons utilisé plusieurs moyens pour nous battre, entre la solidarité et les sanctions, la lutte armée limitée et la mobilisation de masse. La lutte conjointe des Israéliens et Palestiniens est peut-être le meilleur moyen pour nous d’offrir la solidarité, d’autant que notre bataille était à la fois inclusive et était celle des masses.

PZN: Les Sud-Africains ont-ils une responsabilité spéciale vis-à-vis des Palestiniens? Existe-t-il une solidarité historique entre l’OLP et l’ANC?

FH: Je crois qu’il faut poser la question des alliances historiques à l’ANC elle-même. Mais il va de soi qu’ils étaient historiquement liés.

Qui plus est, je dois d’être solidaire à ma communauté et au monde en général, N’importe où on est confronté à l’injustice. Je la leur dois en tant qu’être humain, mais aussi en tant que Sud-Africain – parce qu’ils nous ont témoigné de leur solidarité pendant les années d’oppression raciale. Oui, nous avons une obligation spéciale de condamner et de réagir contre l’injustice étant donné notre propre honteuse histoire.

PZN: Dans le passé, les Etats africains ne faisaient pas mystère de leur soutien aux Palestiniens. Par exemple dans les années 70, un certain nombre de pays africains avaient rompu leurs relations diplomatiques avec Israël. Quels types de mesures la génération actuelle de chefs d’Etat africains peuvent/doivent-ils prendre ?

FH: D’abord il importe de bâtir un consensus autour de la condamnation de l’oppression et de l’injustice en Israël et ailleurs. S’assurer que les marchés ne sont pas offerts aux sociétés qui tirent profit de la construction du mur et de l’occupation. S’assurer que les chefs d’Etat rendent visite aux villageois moyens et aux défenseurs de la paix qui s’engagent dans des luttes conjointes pour la non violence plutôt que de se limiter à rencontrer les politiciens de carrière d’un bord ou de l’autre.

PZN: Avez-vous une idée exacte de la bataille en cours entre le Hamas et le Fatah ? Qu’est-ce qui, à votre avis, peut être une réponse constructive des Africains à cette scission?

FH: Nous ne disposions que de cinq jours de visite, de sorte que c’est impossible de répondre correctement à votre question. Lorsque j’ai visité plusieurs villages, j’ai vu des activistes qui étaient à l’origine membres des deux mouvements et qui travaillent maintenant à nourrir les enfants, à les éduquer, à leur apporter de l’aide humanitaire, tout en travaillant avec les activistes dans le cadre d’une bataille non violente.

PZN: Quel est l’effet du mur sur les perspectives de paix et sur les Palestiniens?

Je pense que le mur est la plus grosse faute et le plus grand obstacle à la paix. Sa présence physique, sa capacité à couper les personnes de leurs terres, de leurs écoles, de leurs voisins, des Israéliens et des Juifs ne peuvent faire penser à personne que la paix est même sur la table de négociation.

Les parties du mur que nous voyons, les nombreuses ordonnances de démolition qui devaient être prises contre certaines parties du mur démontrent une parfaite incompréhension des moyens d’existence des populations des deux côtés du mur. Le mur signifie que plusieurs milliers de palestiniens ont perdu l’accès à leurs terres et à leurs moyens d’existence. Environ 250 000 personnes sont touchées, avec 8.000 familles palestiniennes dans la zone de sécurité.

Le mur brise les voisinages et, à mon avis, ne protège que les peuplements. Pourrais-je ajouter que la plupart des peuplements sont effectivement illégaux et sont considérés comme des avant-postes illégaux. Pour les faire fonctionner, ils ont mis en oeuvre des systèmes complexes de permis – même un cheval a besoin d’un permis pour traverser. C’est vraiment une honte.

PZN: Etant donné que la solution d’un Etat n’est même pas sur la table, et qu’il me semble qu’Israël ne prévoit pas un Etat palestinien indépendant et prospère, par quel moyen l’une des deux solutions peut-elle fonctionner?

FH : Je ne peux pas commenter sur les perspectives parce que, encore une fois, ma visite n’a duré que cinq jours – je ne pense pas pouvoir commenter sur les solutions – j’y suis allé pour apprendre. Bien sûr, on peut espérer voir un seul Etat fondé sur les Droits de l’homme pour tous, avec la dignité et l’intégration pour tous.

PZN: Nous n’entendons jamais parler des mouvements de solidarité juifs/palestiniens, et pourtant ils existent. Pouvez-vous nous en parler davantage?

FH: Le nombre de tels mouvements va croissant. Ils peuvent être petits et « marginaux » mais je pense que leur message est simple et de portée universelle – la non violence et l’intégration de toutes les populations qui forment les communautés israélienne et palestinienne. Ils vont devenir plus fort grâce à notre solidarité. ‘Combatants for Peace’, ‘Anarchists against the wall’, ‘Breaking the Silence’, ‘Bereaved Parents Families Forum’ en sont quelques exemples. Ainsi que les comités populaires dans les villages, tels que ‘Ta'ayush’ et ‘Children of Abraham’.

Leur plus grande force maintenant réside dans le fait qu’ils perçoivent tout le monde comme des êtres humains dans une lutte commune pour la paix. Leur plus grande menace est qu’ils parlent de la paix et des Droits de l’homme – ils nous ont souvent dit que la plus grande menace contre la suppression des barrières c’est la peur – et je pense qu’ils ont raison. Les gens sont effrayés en Israël comme en Palestine – ils ont peur de la paix.

* Mukoma Wa Ngugi est co-éditeur de Pambazuka News.

* Pour de plus amples renseignements sur la visite de la solidarité, veuillez cliquer ici: .

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