Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF

Du 16 au 18 septembre 1982, au cours de la guerre du Liban conduite par Israël, un massacre a été perpétré dans les camps de Sabra et de Chatila à Beyrouth qui a coûté la vie à de nombreux civils. Bien que de nombreuses organisations des Droits de l’Homme ont affirmé qu’il s’agissait là d’un crime de guerre et d’un génocide, cet incident n’a pas fait l’objet d’une commission d’enquête officielle internationale. Franklin Lamb raconte l’histoire de Munir qui avait 11 ans à l’époque du massacre et qui a vu sa famille tuée ou disparaître

Les blessures psychologiques, qui sont restées sans soins, restent à vif. Les survivants sont toujours dans l’attente de justice et de droits civils fondamentaux, d’une reconnaissance de responsabilité. Au cours de presque trois décennies, de nombreux témoignages émanant des survivants de Sabra et Chatila ont fait état de l’horreur du massacre. Compte tenu du fait que ceux qui pourraient déposer sous serment sont morts au cours du massacre, les preuves qui émergent ne sont que circonstancielles. D’autres témoins oculaires ne font que commencer à émerger de leur profond traumatisme ou du silence qu’ils se sont imposé.

Des témoignages des survivants seront entendus par le nombre croissant de visiteurs internationaux qui viennent chaque année pour commémorer l’un des plus horribles crimes du 20ème siècle.

LES TEMOIGNAGES NE SE RESSEMBLENT PAS

L’autre jour, Zeina, une belle femme au visage bronzé, d’âge mûr, une connaissance de la famille de Munir Mohammad, a demandé à un étranger : ’’Comment est-ce possible qu’il s’est écoulé 28 ans ? Je pense que c’était juste l’automne passé que mon mari Hussam et nos deux filles Maya, âgée de 8 ans, et Shiram âgée de 9 ans, ont quitté notre maison de deux pièces à la recherche de nourriture. Parce que les Israéliens avaient fermé le camp deux jours auparavant et peu nombreux étaient ceux qui avaient de la nourriture. Je prie et j’attends toujours leur retour.’’

Au camp de réfugiés palestiniens de Chatila ainsi qu’à l’extérieur de l’abri de Abu Yassir, les impacts de balles sont toujours visibles sur la partie inférieure des onze ‘’murs de la mort’’ où du sang séché est mélangé à la mince couche de mortier. Un vieil homme du nom d’Abu Samer se souvient encore des évènements : trois pistolets américains équipés de silencieux, un couple de couteaux, des haches attachées à la ceinture de certains des meurtriers qui ont rapidement et silencieusement tirés, découpés, hachés ceux qu’ils rencontraient, commençant à peu près à 6 heures du soir le jeudi 16 septembre1982. En plus, ils avaient quelques bouteilles de whisky. Ces armes ont été données à Israël par le Congrès américain avant que d’être remises aux tueurs de ‘’cette armée la plus morale au monde’’, par le ministre de la Défense d’alors, Ariel Sharon, en même temps que des drogues et de l’alcool et d’autres équipements de ‘’police’’

Au début de l’année, l’un des meurtriers de la milice de Numour al Ahrar (les Tigres des libéraux), la branche armée du Parti national libéral, un parti de droite, fondé par l’ancien président Camille Chamoun, a confessé avec nonchalance : ’’Nous usions parfois de ces outils afin d’avancer silencieusement dans les allées de Chatila, ce qui permettait d’éviter de causer la panique au cours de notre travail’’. La milice des Tigres, l’une des cinq unités de tueurs chrétiens, était assistée à l’intérieur de Chatila par deux douzaines d’agents du Mossad. Ce blitz a été conduit par nul autre que Dani Chamoun, le fils de l’ancien président.

PAS DE PLAQUES COMMEMORATIVES OU INDICATIVES DES EVENEMENTS

Le monde a appris le massacre de Sabra et Chatila au matin du 19 septembre 1982, un dimanche. Des photos, dont nombre d’entre elles sont maintenant disponibles sur le Web ont été prises par des témoins comme Ralph Shoneman, Mya Shone, Ryuichi Hirokawa, Ali Hassan Salman, Ramzi Hardar, Gunther Altenburg ainsi que par le personnel de l’hôpital d’Akka et de Gaza du Croissant Rouge palestinien (CRP) qui ont gardé les images atroces qui sont gravées profondément dans la mémoire des survivants. La Commission d’enquête Kahan envoyée par Israël a conclu, en substance, dans son rapport publié cinq mois plus tard, le 7 février 1983, qu’Israël n’était pas responsable et qu’il s’agissait d’un acte de guerre. Pas de mention de massacre.

Zeina m’a emmené le long des allés étroites qui mènent à un mur de 3 mètres sur 8 mètres, à l’extérieur de la maison de sa sœur, faisant gicler le contenu d’un aérosol ici et là pendant que nous marchions. Elle s’est excusée de son geste, mais a insisté qu’elle et ses voisins pouvaient encore sentir l’odeur du massacre qui s’était produit trois décennies auparavant.

Pour le lecteur qui n’est pas familier avec la localisation des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth, le mur mentionné ci-dessus est situé en face de l’hôpital Akka du Croissant Rouge palestinien, tel qu’il est, après des années de financement inadéquat ou de soutien des ONG. Trouver les ‘’onze murs de la mort ‘’ nécessite l’aide de quelques Palestiniens plus âgés, qui résident toujours dans ce quartier. Ce sont eux qui vivent encore sur la scène du crime et qui se souviennent des détails du massacre. Certains fournissent des éléments de la vie de ceux qui ont été tués, dans ce qui semble un effort pour les rendre à la vie, en mentionnant un trait de caractère particulier et le nom du village palestinien dont la famille provenait.

UN GENTIL GARÇON QUI ADORAIT SES GRANDS FRERES MUTID ET BILAL

Zeina se souvient que Munir Mohammad avait 12 ans le 16 septembre 1982 et qu’il était élève à l’école du camp de Chatila, une école du nom de Jalil (Galilée en arabe). Pratiquement toutes les écoles de l’UNRWA (United Nations Relief and Work Agency for Palestinian refugees) au Liban, ainsi que des institutions palestiniennes, portent le nom d’un village ou d’une ville de la Palestine occupée. Ce sont souvent les noms de villages qui n’existent plus, faisant partie des 531 villages que les sionistes ont rayés de la carte au cours et suivant la Naqba (catastrophe) de 1947-1948.

Zeina se souvient que c’est en fin d’après-midi, ce 16 septembre, que les bombardements israéliens se sont intensifiés. Le but des bombardements était de forcer la population à rejoindre les abris que les services de renseignement israélien avaient recensés la veille. Ils étaient arrivés dans trois véhicules blancs, se présentant comme du personnel d’ONG préoccupé du sort des réfugiés et ont soigneusement relevé les coordonnées exactes des abris. Certains réfugiés, croyant que des travailleurs humanitaires étaient venus les aider, sont allés jusqu’à révéler leur cache secrète. D’autres réfugiés, ayant fait l’expérience des abris surpeuplés au cours de la campagne de bombardements indiscriminés de Chatila, désignée sous le nom de ‘’Peace for Galilée’’ ( !), lors des 75 jours précédents, ont suggéré aux ’’travailleurs humanitaires’’ que les abris nécessitaient une meilleur ventilation et que peut-être les visiteurs pourraient arranger cela.

Selon Zeina, les agents israéliens ont rapidement dessiné la situation des abris, les ont marqués d’un cercle rouge sur la carte et sont retournés dans leur quartier général situé à moins de 70 mètres du coin sud-ouest du camp, un endroit encore connu sous le nom de Turf Club Yards. Au jour d’aujourd’hui, cette région sablonneuse contient toujours trois fosses communes. Lesquelles, selon la journaliste américaine feu Janet Stevens, contiennent probablement les dépouilles de plus de 3000 disparus. Janet a supposé qu’il y avait eu un deuxième massacre, le dimanche 19 septembre, dans le sillage du premier et qui s‘est déroulé à l’ouest du camp de Chatila, à l’intérieur du deuxième quartier général des Israéliens et des Phalangistes, en un endroit connu sous le nom de Complexe sportif de la cité.

Cependant que les Israéliens prenaient livraison des réfugiés survivants aux mains des Phalangistes, des camions sont entrés dans le complexe avec des centaines de résidents du camp afin de les emmener vers des camp de ‘’rétention’’. Les familles contraintes d’attendre à l’extérieur ont entendu des salves de tir et des cris provenant de l’intérieur du complexe. Des heures plus tard, les mêmes camions sont repartis vers des destinations inconnues, des bâches recouvrant un chargement bombé et invisible.

Le résident du camp, Sana Mahmoud Sersawi, l’un des 23 plaignants auprès des tribunaux belges où ils ont déposé plainte le 16 juin 2001 contre Ariel Sharon, a raconté : ’’Les Israéliens qui étaient postés devant l’ambassade du Koweit et de la station à essence Rihab, à l’entrée du camp de Chatila, ont demandé par haut-parleurs que nous allions vers eux. C’est ainsi que nous nous sommes trouvés à leur merci. Ils nous ont emmenés au complexe sportif et les hommes marchaient derrière nous. Mais ils ont commencé à retirer leur chemise aux hommes et à leur bander les yeux. Les Israéliens ont interrogé les jeunes gens et les Phalangistes ont livré deux cents autres personnes aux Israéliens. Et c’est ainsi que mon mari et le mari de ma sœur ne sont jamais revenus’’.

Le journaliste Robert Fisk et d’autres qui ont étudié ces évènements sont d’avis que le massacre s’est poursuivi au cours des vingt-quatre heures à partir de 8 heures du matin le samedi. C’est ce laps de temps que la Commission d’enquête Kahan a refusé de considérer, ayant décrété qu’il ne s’y était rien passé. Elle a aussi refusé de s’entretenir avec des Palestiniens

Des témoins oculaires ont aussi établi que les ‘’travailleurs humanitaires’’ ont transmis les informations concernant les abris à des agents des forces libanaises, Elie Hobeika et Fadi Frem, et leur allié, le major Saad Haddad de l’armée du Sud Liban, alliée d’Israël. Le jeudi soir, Hobeika, commandant de facto depuis l’assassinat la semaine précédente du dirigeant des Phalangistes et président élu, Bachir Gemayel, a conduit seul l’escadron de la mort à l’intérieur du lieu d’exécution de la région de Horst Tabet, près des abris de Abu Yassir.

C’était dans 8 des 11 abris identifiés par les Israéliens que les premières victimes ont été rapidement et méthodiquement tuéz. Les crimes parfaits étant rares, même dans les massacres, les tueurs n’ont pas réussi à trouver trois des abris. Un de ces abris n’était qu’à 25 mètres de l’abri de Abu Yassir. En dehors de ceux qui avaient cherché refuge dans l’un des trois abris qui ont échappé à la vigilance des Israéliens, il n’y a eu pratiquement aucun survivant à Chatila

Le journaliste américain, David Lamb a écrit à propos de cette nuit de boucherie et du ‘’mur de la mort’’ : « Des familles entières ont été tuées. Des groupes constitués de 10 à 20 personnes étaient alignés contre le mur et criblés de balles. Des mères sont mortes serrant leur bébé contre elle. Tous les hommes semblent avoir été tués par derrière. Cinq jeunes gens en âge de porter des armes ont été ligotés et attachés à une camionnette avant que d’être traînés dans les rues et finalement tués.»

Autour 20 heures, le 18 septembre, Munir Mohammad est entré dans l’abri surpeuplé de Abu Yassir avec sa mère Aida et ses frères et sœurs, Iman, Fadya, Mufid et Mu’in. Réserver les abris pour les femmes et les enfants cependant que les hommes courraient à l’extérieur pour échapper aux attaques, était une pratique courante. Mais quelques hommes sont entrés pour aider à calmer les petits-enfants.

SI QUELQU’UN D’ENTRE VOUS EST BLESSE, NOUS VOUS EMMENONS A L’HOPITAL

Munir, plus tard, a relaté les évènements de cette nuit : ‘’Les tueurs sont arrivés à la porte de l’abri et ont crié que tout le monde doit sortir. Les hommes qu’ils ont trouvés ont été alignés contre le mur. Ils ont été immédiatement mitraillés. Munir regardait et les tueurs sont partis tuer un autre groupe pour subitement revenir et ouvrir le feu. Tout le monde s’est jeté par terre. Munir est resté là silencieux, ne sachant pas si sa mère et ses sœurs étaient encore en vie. Ensuite il a entendu les tueurs annoncer : « Si quelqu’un d’entre vous est blessé nous vous emmenons à l’hôpital. Pas de souci. Levez-vous et vous verrez ». Quelques uns ont tenté de se lever ou ont gémi et ils ont été instantanément abattus d’une balle dans la tête.’’

Munir se souvient. ‘’Bien que dehors le ciel soit lumineux en raison des fusées éclairantes des Israéliens sur Chatila, les tueurs ont utilisé des torches puissantes pour fouiller l’ombre’’. Subitement le corps de sa mère lui a semblé bouger au milieu d’un monceau de cadavres. Munir a cru qu’elle allait se lever au vu de la promesse des tueurs. Il lui a chuchoté : ’’Ne te lève pas mère. Ils mentent’’ Et Munir est resté totalement immobile pendant toute la nuit, osant à peine respirer, prétendant être mort.

Munir ne pouvait pas oublier les mots des tueurs. Des années plus tard, il répétait à l’auteur, alors qu’ils passaient par le cimetière de Chatila connu sous le nom de Place des Martyrs : ‘’Après qu’ils aient tiré et que nous étions tous par terre, ils allaient et venaient et répétaient : ’’ Si quelqu’un d’entre vous est encore en vie, nous aurons pitié et nous vous amènerons à l’hôpital. Allez, dites-nous. Vous pouvez nous dire.’’ Si quelqu’un gémissait ou les croyait et disait qu’il avait besoin d’une ambulance, il était secouru à coup de fusil et on l’achevait sur place… Ce qui m’a le plus perturbé, ce n’était pas tous ces morts autour de moi. C’est le fait que je ne savais pas si ma mère et mes sœurs et mes frères étaient morts. Je savais que la plupart des gens autour de moi étaient morts. Et c’est vrai que j’avais peur de mourir moi-même Mais ce qui m’a tellement perturbé c’était qu’ils rigolaient, qu’ils se soûlaient et se sont amusés toute la nuit. Ils ont jeté des couvertures sur nous et nous ont laissés là jusqu’au matin. Toute la nuit (du jeudi 16) j’ai entendu les voix des filles qui criaient et hurlaient : ‘’Pour l’amour de Dieu, laissez-moi’’. Je veux dire… je ne me souviens pas de combien de filles ont été violées. La voix des filles pleines de peur et de douleur, je ne pourrais jamais les oublier.’’

Cette même attitude désinvolte est manifestée par la demi-douzaine de miliciens qui reconnaissent avoir perpétré les meurtres et qu’on peut voir dans le film ‘’Massacre’’ (2005) de la cinéaste allemande, Monika Borgmann’, dans lequel l’un d’entre eux opine ‘’ Si vous les pendez ou leur tirez dessus, on ne meurt qu’une fois, mais ceci est double’’, dit-il en expliquant comment il s’est saisi d’un vieil homme palestinien, l’a poussé contre le mur et lui a ouvert le ventre en forme de croix : « Vous mourrez deux fois compte tenu que vous mourrez aussi de peur», avait-il dit avec nonchalance en décrivant la chair blanche et les os comme s’il s’était agit d’un morceau de charcuterie attendant d’être servi.

Les tueurs ont aussi expliqué comment ils ont commencé frénétiquement à faire disparaître le plus de cadavres possible avant que les médias n’entrent à Chatila. L’un d’entre eux a témoigné comment les Israéliens leur ont donné de grands sacs à poubelles pour se débarrasser des corps. Un autre a raconté comment ils ont contraint les gens à monter dans des camions de l’armée pour les emmener au Complexe sportif où ils ont été abattus et comment ils ont utilisé des produits chimiques pour détruire les cadavres. Plusieurs ont fait mention d’une rencontre entre des officiers israéliens qui ont conféré avec les chefs des milices à Beyrouth, la veille des massacres.

UNE HAINE VENIMEUSE PERSISTE A CE JOUR

Jusqu’à aujourd’hui, le Hurras al Arz (Les gardiens des cèdres) se vantent de leur rôle dans le carnage. Moins de deux semaines avant le massacre, ce parti a lancé un appel demandant la confiscation de toutes les propriétés palestiniennes au Liban, l’interdiction de posséder sa maison et la destruction de tous les camps de réfugiés. La déclaration du parti datée du 1er septembre 1982 dit :’’ Des mesures doivent être prises pour diminuer le nombre de réfugiés palestiniens au Liban jusqu’au jour où il n’y a plus un seul Palestinien sur notre terre.’’

En 1982, certain partis politiques faisaient référence aux Palestiniens en les désignant comme ‘’un bacille qui doit être exterminé’’ et on pouvoir voir des graffitis sur les murs disant ‘’C’est le devoir de chaque Libanais de tuer un Palestinien’’, soit la même haine que celle communément exprimée par les colonialistes, les rabbins extrémistes et les politiciens dans les Territoires Occupés. Les Gardiens qui réclament toujours l’interdiction pour les Palestiniens de posséder de la propriété ont finalement réussi à obtenir une loi élaborée par l’actuel ministre du travail qui a promis, le 1er septembre 2001, que’’ Jamais le Parlement ne permettra que les réfugiés palestiniens aient le droit de posséder une propriété’’.

En 2010, la mentalité qui a permis le massacre de Sabra et Chatila en 1982 est restée généralement inchangée et le Liban continue d’ignorer les appels de la communauté internationale pour reconnaître aux survivants des droits civils fondamentaux. Ceux qui ont étudié les sites web en arabe et observé les réunions des partis politiques représentés lors du massacre de 1982 disent que le langage de la haine a encore empiré et sert à stimuler l’opposition parlementaire à l’octroi de droits civils aux Palestiniens.

Au cours du mois qui a suivi le massacre de 1982, le médecin britannique Paul Morris, qui avait traité Munir dans un hôpital à Gaza, à environ un kilomètre de l’abri de Abu Yassir, a gardé le jeune homme en observation. Morris a raconté au chercheur Bayan Nuwayhed al Hout que Munir ’’sourit de temps en temps mais ne réagit pas spontanément comme d’autres de son âge, sauf juste, occasionnellement’’. Suite à quoi, le docteur a tapé du poing sur la table et a déclaré : ’’Ce garçon doit être sauvé. Il doit quitter le camp, même si ce n’est que pour un temps, afin de récupérer.’’ (1)

Lorsque Al Hout a demandé à Munir si un jour, quand il sera grand et capable de porter des armes, il considérait devoir se venger. Le jeune garçon a répliqué : ’’Non. Non. Je ne pense jamais à la vengeance en tuant des enfants. C’est ce qu’ils nous ont fait. Quels torts avaient les enfants ?’’

Mufid, le frère de Munir, âgé à l’époque de 15 ans, a été parmi les premiers à entrer dans l’abri de Abu Yassir. Il en est reparti et, plus tard, est arrivé à l’hôpital Akka avec une blessure par balle. Après avoir été soigné il a quitté l’hôpital en quête de sécurité et à la recherche de sa famille. Personne ne l’a jamais plus revu et pendant longtemps Munir ne pouvait pas l’évoquer. Selon les résidents du camp, Nabil âgé de 19 ans et frère aîné de Munir, étant en âge de porter des armes, aurait dû être tué d’emblée. Conscients de cela, le cousin de Nabil et sa femme ont fui avec lui au moment où les bombardements du camp se sont intensifiés. Les résidents du camp ont fait état d’une attaque indiscriminée. Le trio a réussi à éviter les balles des francs tireurs et a trouvé refuge dans une maison de convalescence où travaillait leur tante. Comme Munir, Nabil a bientôt appris que sa mère et ses frères et sœurs avaient péri.

Post sciptum

Maintenant Munir et Nabil mènent une ’’vie normale’’ aux Etats-Unis, au regard de l’horreur qu’ils ont vécue et de la famille qu’ils ont perdue alors qu’ils s’échappaient de Sabra Chatila. Munir et Nabil font honneur au camp de Chatila, à la Palestine et à leur pays adoptif. Vivant dans la région de Washington DC, Munir est marié et poursuit sa carrière. Nabil dédie sa vie à la promotion de la paix et de la justice au Moyen-Orient, travaillant pour une ONG. Les deux frères retournent régulièrement au camp de Chatila

D’autres mènent une vie normale et ce sont les six miliciens chrétiens, les tueurs que l’on peut voir dans le film de Borgmann. ’’Ils vivent tous des vies ordinaires. L’un d’entre eux est un chauffeur de taxi’’, explique Borgmann.

C’est bien connu que les massacres de Sabra Chatila sont indiscutablement des crimes de guerre, des crime contre l’humanité et un génocide. Chaque meurtre est une violation des quatre Conventions de Genève, du Droit International Coutumier et jus cogens (droit international impératif, Ndlt). Des crimes d’envergure similaire ont justifié des plaintes auprès des tribunaux contre les fonctionnaires rwandais, l’ex-président Pinochet, l’ancien chef d’Etat tchadien Hissen Habré, l’ancien président serbe Slobodan Milosevic, le Libérien Charles Taylor et le Soudanais Omar Al Bachir.

Il n’y a eu ni enquête ni punition pour le massacre de Sabra et Chatila. Le 28 mars 1991, le Parlement libanais a rétroactivement absout les meurtriers de leurs responsabilités criminelles. Toutefois cette loi n’est pas reconnue par le droit international et la communauté internationale a toujours l’obligation légale de punir les coupables. Les victimes du massacre de Sabra et Chatila et leur famille, ainsi que pratiquement toutes les organisations des Droits de l’Homme, en particulier mais pas exclusivement Amnesty International, Human Rights Watch et le Humanitarian Law Project, persistent à rejeter avec vigueur l’amnistie globale dont les tueurs ont bénéficié. Elles affirment que la décision de 1991 viole la Constitution libanaise ainsi que le droit international et fait la promotion de l’impunité de crimes haineux.

C’était précisément pour que justice soit rendue aux victimes de crimes comme ceux perpétrés à Sabra et Chatila que le Tribunal Pénal Permanent a été créé. Ce tribunal doit commencer son travail sans délai et tous les gens de bonne volonté doivent encourager le Liban à accorder aux survivants des massacres de Sabra et Chatila les droits civiles fondamentaux

* L’article ci-dessus a d’abord été publié par Australian for Palestine

LE TEMOIGNAGE OCULAIRE D’UN MEDECIN

La lettre ci-dessous a été adressée à Franklin Lamb par un chirurgien britannique, fondateur de Medical Aid for Palestinians, le docteur Swee Ang Chai qui a écrit le célèbre livre ‘’From Beirut to Jerusalem’’, un témoin oculaire du massacre de Sabra Chatila

Cher Franklin,

« Merci de m’avoir fait parvenir cela. C’est très difficile mais je me souviens de chaque évènement de la nuit du 17 septembre 1982 lorsque Munir a été amené aux urgences de l’hôpital de Gaza par ses amis. Tout ce qu’il a été capable de dire était ’’Israéliens, Haddads, Kataebs’’ et puis il s’est évanoui. Il a été le dernier patient que j’ai opéré avant que nous nous fassions expulser, par des miliciens, de la salle d’opération établie dans le sous-sol. Munir avait trois blessures par balle et avait beaucoup saigné. Son hémoglobine était tombée à 4gr% (normal 12- 13 gr)

« Munir, comme d’autres, a vécu de nombreux mois à Chatila dans la maison où sa famille avait été assassinée, avec des cauchemars répétitifs jusqu’au jour où, enfin, lui et son frère ont pu émigrer aux Etats-Unis pour commencer une nouvelle vie. J’ai rencontré Munir de nombreuses fois et même maintenant il me demande d’examiner ses cicatrices.

« Par respect pour lui, j’ai changé son nom dans mon livre, mais l’an dernier il m’a dit qu’il se sentait assez fort pour que je puisse dire son histoire, celle d’un petit garçon de 11 ans. J’ai aussi imprimé l’image de sa grand-mère et de son grand-père dans mon livre et j’ai inclus la lamentation de sa grand-mère.

« Il est peut-être aussi grand temps que la voix de feu la grand-mère soit entendue au Liban et dans le monde, elle qui a marché 20 km depuis le Sud Liban pour arriver ce jour de septembre à Chatila où elle a trouvé les 27 membres de sa famille tués. Il ne restait que Munir et Nabil.

« Elle a dit :

« Nos colombes sont toujours là. Nos oeillets embaument. Les moineaux chantent leurs chants habituels. Et pourtant Abu Zuhair ne se trouve plus nulle part. Beyrouth, tu as pris tout ce que j’avais. Tu as pris ma dernière étincelle de vie et mon cœur tombe mort dans tes rues. Abu Zuhair, le jeune arbre élancé dont les racines ont été cruellement arrachées de ta terre. Que le sang de celui qui a répandu ton sang se répande à côté du tien. Que sa mère endure la même souffrance. Qui a creusé ta tombe, Abu Zuhair ? Qui nous a amené ce désastre ? Que puis-je dire en ta mémoire ? Mon cœur est plein de reproches à l’égard de ce monde dépourvu de sentiments. Cent bateaux, deux cents étalons ne suffiraient pas à porter le poids de la peine qui pèse sur mon cœur. Que puis-je dire ?

« Ma mère’’, tu me dis’’, va visiter nos tombes et prie pour ceux qu’elles ont engloutis’’. Je vais sur les tombes et j’embrasse tendrement leurs pierres. Je leur dit : ’’ Embrassez tendrement les corps de tous mes bien-aimés qui sont là-dessous, je vous en prie, prenez en grand soin, je vous les ai confiés. Je pleure sur ta jeunesse et je pleure sur toutes les jeunes filles qui n’ont jamais connu un moment de bonheur ou de contentement. Elles sont allées à la rencontre de la vie avec espoir et enthousiasme et elles ont été piétinées et déchirées par sa férocité.

« Mon Dieu je ne puis continuer. Il était le plus bel homme et le plus fort. Il ouvrait le chemin aux autres pour leur faciliter la vie. Ton jeune corps s’est mélangé au sable trop tôt, tes yeux se sont remplis de sable. Que d’autre puis-je donner à mon pays ? Mon cœur est plein de souffrance et d’amertume. Comme j’envie ceux d’entre vous qui étiez là lorsque mes bien-aimés sont morts. Sont-ils morts assoiffés ? Ou y a t-il eu une âme compatissante qui leur a donné à boire ? J’implore chaque oiseau qui passe de porter mon angoisse et mon amour vers toi et de revenir avec des nouvelles de mes bien-aimés.

« Mon enfant, ton corps a été criblé de balles. Qui t’a envoyé vers moi, corbeau de mauvaise augure ? Pourquoi est-ce que tu m’infliges tous ces désastres en même temps ? Epargnez-moi un moment ò mon Dieu. Seigneur, attendez au moins une année et après, que Votre volonté soit faite. Je vous implore, vous les porteurs de cercueils, avancez lentement. Ne vous pressez pas. Laissez-moi voir mes bien-aimés une fois encore. Je vais sur la tombe et je tourne autour sans énergie. J’appelle Abu Zuhair et puis j’appelle Um Walid (sa soeur). Mes appels restent sans réponse. Ils ne sont pas là. Ils ont suivis Um Zuhair (épouse de Abu Zuhair) et les plus jeunes. Ils sont tous partis une nuit, au clair de lune - tous mes bien-aimés.

« Mon enfant tu n’es plus. Des montagnes de distance nous séparent… Nabil (le neveu de Abu Zuhair) appelle sa mère. ’’Ma mère’’, dit-il, ’’a qui m’as-tu abandonné ? Zahra répond : ’’Je t’ai confié à tes oncles. Ils doivent te parler de moi et t’emmener sur ma tombe pour que mes yeux puissent te voir et mon cœur s’élancer vers toi’’. Mais Abu Zuhair n’est plus et ne peut plus respecter la volonté de Zahra Zuhair (le fils d’Abu Zuhair) qui demande à son père ‘’A qui m’as –tu confié ?’’

«Ton grand père viendra pour toi. Tu es la continuation de sa vie’’ Mais la vie, quelle vie nous reste-t-il ? Nos cœurs sont morts. Nos larmes ont séché pour tous les jeunes hommes et les jeunes femmes qui sont morts. Vers quoi puis-je me tourner ? Où sont mes enfants ? Mon enfant, puisse Dieu te montrer le chemin sacré et puisse mon amour et ma préoccupation être la lumière qui t’accompagne le long du chemin. Dieu Tout Puissant, donnez-moi la patience. Jeunes gens, écartez-vous de moi, vous ravivez mes blessures et je suis si fatiguée. Qu’est-ce que je puis dire ?’’

« SVP, faites circuler cela. De la part d’une grand-mère palestinienne à sa famille assassinée à Sabra Chatila. J’ai conservé ses mots et je les ai lu pendant 28 ans à tous ceux qui ont bien voulu les entendre.»

Swee.

* Franklin Lamb est le directeur de Americans concerned for Middle East Peace, basé à Beyrouth et à Washington DC. Il est membre du Conseil de la fondation Sabra Chatila et un volontaire de la campagne pour les droits civils des Palestiniens au Liban. Il est l’auteur de ‘’ The price we pay: a quarter of a century of Israel’s use of American weapons against civilians in Lebanon’’. Il poursuit ses recherches au Liban pour son prochain livre. Il peut être atteint à [email][email protected]

* Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne à Pambazuka News