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J’ai lu Things fall apart. En lieu et place des cauchemars de mon enfance, le livre m’a blessé. Chaque phrase lue déchirait mon âme comme un fil de fer barbelé les pieds d’un intrus. Des questions tourmentaient profondément mon âme. Je me demandais ce que, en ma qualité d’humain, je m’infligeais à moi-même, à l’Afrique et pour l’Afrique. J’ai eu peur de moi et pour moi.

J’ai lu pour la première fois Things fall apart (Ndlr : trad.»uit en français sous le titre «Le monde s’effondre) de Chinua Achebe en 2008. Alors que j’étais enfant, j’ai vu le film à la télévision nigériane et j’en ai eu des cauchemars pendant des mois. Les hurlements de Ikemefuna en train d’être sacrifié, m’ont poursuivi pendant des années. Lors des rediffusions du film, je m’enfuyais du salon à exactement 8h 28 mn, deux minutes avant que la bande annonce mélancolique ne fasse place aux images transformées en réalité dans un jeune esprit. Alors que j’écris, je peux toujours voir clairement cette image qui hante : celle d’Okonkwo qui sort sa machette de son fourreau, pendant qu’Ikemefuna court vers lui en quête de protection en criant "Nna anyi". J’ai grandi en cherchant les ouvrages de Papa Achebe, mais jamais " Things fall apart ". Je sentais que je ne pouvais pas gérer ce livre au plan émotionnel.

Lorsqu’en 2008 j’ai été informé que Papa Achebe allait venir à la Library of Congress (mon arrière-cour à ce moment), à l’occasion du 50ème anniversaire de Things fall apart, j’ai compris que j’étais passé au-delà des limites de la raison en fuyant ce livre. J’ai décidé que je me ferais plutôt admettre dans un hôpital psychiatrique que de me rendre à cette réunion armé seulement des clips cauchemardesques d’un film gravé dans mon subconscient.

Ainsi j’ai lu Things fall apart. En lieu et place des cauchemars de mon enfance, le livre m’a blessé. Chaque phrase lue déchirait mon âme comme un fil de fer barbelé les pieds d’un intrus. J’avais le sentiment de pénétrer dans un domaine interdit à mon espèce, une ère que je ne pouvais expliquer, une ère qui devrait appartenir à mon histoire mais pour laquelle j’ai été déclaré occupant illégal en raison de mon ignorance. Des questions tourmentaient profondément mon âme. Je me demandais ce que, en ma qualité d’humain, je m’infligeais à moi-même, à l’Afrique et pour l’Afrique. J’ai eu peur de moi et pour moi.

La peur s’est emparée de mon âme pour les nombreuses personnes à qui la réalité post-natale immédiate a fait comprendre leur africanité. Je me tournais et me retournais dans mon lit alors que je cherchais dans mon âme un aperçu de la réalité existant dans Things fall apart, mais qui était étranger à mon existence. "Tu vis une vie fausse. Tu essaies d’être quelqu’un que tu n’es pas. Tu as essayé d’être cela depuis longtemps. Jusqu’à ce que tu changes, à moins de changer, sauf si tu changes, tu essayeras toujours, en vain d’être, d’appartenir, de devenir, jusqu’à ce que tu sois épuisé et que tu t’effondres au bord de la route". C’était la seule réalité que mon âme pouvait m’offrir en échange.

Nous comme peuple, comme Africains, nous nous sommes tellement efforcés de faire des choses dictées par d’autres. Nous avons plaidé, nous nous sommes excusés et nous avons regretté notre authenticité pendant tellement d’années. Things fall apart nous a mis en face de notre propre histoire pour la première fois dans l’histoire de l’écriture moderne. L’ouvrage ne fait qu’effleurer la surface, mais il a ouvert la porte du cœur de nombreux autres écrivains africains pour qu’ils commencent à dire leurs histoires. Ngugi Wa Thiong’o, Ayi Kwei Armah et d’autres.

Toutefois, ces auteurs ont écrit et été publiés principalement parce que le monde occidental, intrigué par Things fall apart, voulait lire d’autres histoires provenant du continent noir. L’Occident perdra son intérêt, quelque part dans les années ’80 ou ‘90. En accord avec notre mentalité de suiveur, plusieurs auteurs africains ont abandonné l’écriture d’authentiques histoires africaines. Ils ont plutôt mis à côté de leur bloc de papier des manuels d’écriture écrits par des professeurs d’anglais qui, avec des cannes, bulala ou koboko invisibles, les ont purgé de leurs riches proverbes africains, de leur syntaxe, expressions et maniérisme. Pour les Africains, écrire est devenu une démonstration de honte, une course humiliante à qui sait le mieux écrire l’anglais que les Anglais. En général, il n’était plus question de savoir comment cerner au plus près les réalités des Africains telles qu’elles sont. Les écrivains se sont mis à fréquenter «jusqu’à pas d’heure» les expositions occidentales dans l’espoir d’être publié. Pourtant les maisons d’éditions les ont snobés et rejetés par milliers. Certains écrivains pensaient que c’était le nom. Ainsi Chinedu Udemueze est devenu Chris Dealy, Akinfolu Adefarasin est devenu Archer Dickson, Kwame Atularke s’est transformé en Cane Tulane. Néanmoins les éditeurs ont reconnu le stratagème et ont préféré publier l’un des leurs.

Malheureusement, nombre de ceux publiés dans les années ‘60 et ‘70 ont été attirés en Occident pour enseigner dans les universités. Là-bas, ils ont été installés dans le confort afin d’enseigner aux Américains et aux Européens comment amener les âmes africaines et leur société et écrire en leur nom. Il s’en est suivi que, en Afrique, les jeunes Africains dont les cœurs débordaient d’histoires non dites n’avaient plus de mentors.

Mais il y a de bonnes nouvelles. Bien que cette lacune n’ait pas encore été comblée, quelque chose d’autre est arrivé à ces jeunes auteurs africains, en cette période digitale. Un chant nouveau s’élève du continent africain. Le chant est encore en formation. Il ne résonne pas fort dans l’oreille du public. Il n’a pas besoin de l’être. Le chant est puissant et son écho résonne dans les cœurs et les esprits de plusieurs Africains qui se sont sentis suffisamment insultés pour être eux-mêmes. Leurs octaves s’élèvent au-dessus des remontrances concernant l’exacte syntaxe anglaise et la méthode américaine pour faire les choses. Des hommes et des femmes de la rue placent leurs doigts sur le clavier afin de s’exprimer et de publier leurs pensées sans le jugement d’étrangers souvent ignorants et mal informés. Il y a une véritable renaissance d’une expression authentique. Dans notre musique, des voix africaines sont entendues. Dans le cinéma, de plus en plus d’Africains se produiront dans leur propre création plutôt que celles des étrangers.

Dans les écrits africains, les écrivains - ceux qui savent- ne se laissent plus impressionner par la grammaire orthodoxe et les réalités modernes. Le moderne est simplement redéfini comme un changement de direction du progrès, basé sur des sources locales facilement accessibles. Dans peu de temps, nos institutions académiques s’enflammeront, le curriculum revu afin de refléter notre réalité et proclamer la spontanéité de pensées et de paroles, les annonciateurs de créativité et d’innovation.

Papa Achebe a fait une sortie gracieuse. Il a dû se réjouir de voir Internet s’étendre. Parce que ça lui faisait de la peine- il l’a dit dans un entretien- qu’il n’y ait pas assez d’histoires authentiques qui sortaient d’Afrique. Le medium de l’Internet a finalement libéré la muselière qui avait été placée sur la bouche des Africains qui ont quelque chose de concret et de valable à dire. C’est un sujet de joie que Papa Achebe ait vécu pour voir la libéralisation de la communication, l’émergence d’une plateforme largement ouverte à qui souhaite l’utiliser pour projeter ses plus profondes convictions et pensées progressistes concernant le continent.

Nous remercions Papa Achebe de nous avoir instiller la peur des choses qui se désintègrent à l’intérieur de nous et autour de nous. Nous sommes maintenant conduit à faire des choix valides et authentiques pour notre progrès, indépendamment des dites"structures globales". Nous avons commencé notre cheminement et nous irons jusqu’à son terme. Ka chi foo, Nna anyi ukwu. Jee ofuma.

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** Chika Ezeanya est l’auteur du Penguin Publishers Award for African Writing Shortlisted Before we set sail – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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