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La coopération Sud/Sud pour une transformation économique
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Tourner son regard vers l’Est était clairvoyant pour le Zimbabwe. Reprendre langue avec l’Occident est nécessaire mais renforcer les liens Sud/Sud avec le Brésil est crucial pour étendre les secteurs mutuellement bénéfiques de coopération sociale, politique et économique entre les deux pays.

Alors que l’équilibre du pouvoir économique, financier et politique se fait en faveur de l’Est au détriment de l’Occident, il devient évident que nous vivons la fin de la suprématie occidentale qui dure depuis plus d’un demi millénaire. A cet égard, le Zimbabwe doit se féliciter d’avoir eu la clairvoyance d’adopter, il y a déjà plus d’une décennie, une politique tournée vers l’Est. Cette politique du "Regard vers l’Est" a été bénéfique mais, à beaucoup d’égards, le Brésil surpasse les autres pays des Brics de l’Est. A la différence de la Chine il affiche une démocratie. A la différence de la Russie, il exporte beaucoup plus que des armes et du pétrole. A la différence de l’Inde, il y a pas d’insurgés, pas de voisins hostiles ni de conflits ethniques ou religieux internes.

Sur le plan économique, à la fin du 19ème siècle, les Etats-Unis étaient devenus la principale économie mondiale et le plus important exportateur. Cette domination a continué et s’est amplifiée pendant près d’un siècle. Il y a quelques années, les Etats-Unis qui comptent seulement le 5% de la population mondiale produisaient approximativement le quart de la production économique mondiale. Ils étaient responsables de près de la moitié des dépenses militaires mondiales et, élément crucial, avaient le soft power culturel et éducationnel le plus étendu.

Aujourd’hui, l’empire s’effondre rapidement. A l’instar de l’empire romain, l’empire américain pourrit de l’intérieur plutôt que du fait de barbares qui seraient à leurs portes ou de méprisables terroristes. Trois forces liées détruisent les empires : le manque d’argent, les aventures militaires tous azimuts et la perte catastrophique de confiance en soi qui résulte des deux premiers. Ces éléments se sont combinés avec une rapidité surprenante depuis l’effondrement tragique sur le World Trade Centre.

Comment en sommes-nous arrivés là alors que tout allait, pour que tout finisse mal ? Lorsque Georges W. Bush a été élu président par cinq juges de la Cour suprême, il a hérité d’une nation qui nageait dans l’argent et qui se prélassait dans l’hégémonie de la fin de la Guerre froide. Juste deux mandats présidentiels plus tard, en dépit d’un boom économique résiduel et des excédents laissés par le président Clinton, il a doublé le déficit budgétaire en dépensant des trillons pour des guerres discréditées et des milliards d’autres pour un allègement fiscal pour les riches. Il a hérité d’un empire orgueilleux, au zénith de sa puissance militaire, financière et culturelle et il a remis au président Obama un pays secoué et en déclin rapide. Pour Obama, les dés étaient pipés et maintenant il parle avec une autorité décroissante lors de conférences internationales où les enjeux sont élevés.

Le sage refus d’Obama de dominer une campagne douteuse de l’Otan et son choix " de diriger depuis les coulisses" confirme quelque chose d’impensable il y a une décennie. Le président des Etats-Unis n’est plus le chef du monde libre, mais un compagnon de voyage dans un monde libre sans dirigeant.

Observer la fin de l’ère unipolaire de l’Amérique c’est comme regarder un géant ivre qui commence à tomber. Un jugement dégrisant, de quelque nature que ce soit, semble inévitable. Et il est difficile de voir comme les Etats-Unis peuvent reprendre pied.

Ce qui a donné l’avantage à l’Occident il y a cinq cents ans, au détriment des autres, repose sur cinq éléments : l’entreprise capitaliste, la méthode scientifique, l’impérialisme global, l’éthique protestante du travail et enfin une société de consommateurs et d’accumulation du capital comme finalité en soi. Le Brésil a clairement repris le premier et le deuxième éléments et se trouve peut-être entrain d’adopter les autres avec quelques modifications (consommation et éthique du travail). Seulement le troisième - l’impérialisme - donne peu de signes d’émergence dans sa relation avec l’Afrique.

En fait c’est tout contraire. Le Brésil fait beaucoup de bien en Afrique. Les relations du Brésil avec l’Afrique remontent au début du 17ème siècle, lorsque les marchands et les entrepreneurs originaires de l’Afrique de l’Ouest sont retournés sur le continent et ont établi des lignes maritimes régulières, pour voir le commerce de Bahia s’épanouir. Avant 1980, le Brésil a poussé aux Nations Unies pour l’indépendance du Zimbabwe et contribué à l’établissement de l’African Development Bank

Plus récemment, alors qu’il était au pouvoir entre 2003 et 2010, l’ancien président Lula da Silva a présidé une ère d’engagement politique et économique sans précédent, entre le Brésil et l’Afrique. Au cours de cette période le Brésil doublé le nombre de ses ambassades sur le continent, avec 34 au final, triplé ses exportations jusqu’à plus 5,9 milliards de dollars et a quadruplé le commerce avec l’Afrique.

A la différence de l’approche corporative des multinationales et de l’impérialisme bien connu de l’Occident à l’égard de l’Afrique et à la différence du modèle économique chinois d’extraction de ressources, le Brésil met l’accent sur la coopération Sud/Sud dans laquelle les préoccupations sociales, politiques et culturelles sont aussi importantes que les considérations économiques. Jusqu’à 50% de la population ont des origines africaines et certaines parties du pays ressemblent davantage à l’Afrique subsaharienne qu’à l’Amérique latine. Le Brésil est le deuxième plus important pays noir au monde après le Nigeria, avec 76 millions d’Afro-brésiliens sur une population totale de 190 millions. "Le Brésil ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans la participation de millions d’Africains qui ont aidé à construire notre pays. Qui que soit la personne qui me succède, elle a l’obligation morale, politique et éthique de faire beaucoup plus", a déclaré le président da Silva dans sa dernière adresse sur le continent.

Le Zimbabwe doit maintenant entrer en relation avec la nouvelle administration, pour reconnaître et étendre les secteurs mutuellement bénéfiques de coopération sociale, politique et économique entre les deux pays.

Premièrement, sur le front politique, l’association de Brasilia avec le second Chimurenga et les cordiales relations politiques subséquentes ont abouti dans la formation d’une alliance idéologique cruciale avec un partenaire à l’influence croissante de la communauté internationale, en plus d'être un probable membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Pratiquement tout le monde s’accorde pour dire que le Conseil de Sécurité permanent, avec des membres au pouvoir de veto, appartient à une époque révolue, lorsque l’élément décisif était d’avoir gagné la Deuxième Guerre mondiale. Lorsque le Brésil prendra son siège permanent qui lui revient de droit au Conseil de Sécurité des Nations Unies, le peuple du Zimbabwe aura un autre allié très précieux pour lutter contre les sanctions illégales.

Deuxièmement, le Brésil a beaucoup à offrir au Zimbabwe sur le front économique et réciproquement. Le Brésil se place au 5ème rang en termes de population et au 8ème rang en matière d’économie, en termes réels. Et il est prédit qu’il deviendra la cinquième plus importante économie du monde au cours de la prochaine décennie, dépassant la Grande-Bretagne et la France.

Un Zimbabwe qui progresse doit apprendre du Brésil qui, au cours de la dernière décennie, a maîtrisé l’inflation, ouvert au monde une économie protégée et à commencé à aborder ses problèmes sociaux. La pauvreté et l’inégalité décroissent constamment. Les compagnies brésiliennes, traditionnellement en mains familiales et introverties, vont en bouse pour lever des fonds et dans de nombreuses instances pour financer leur expansion à l’étranger.

Sur le plan des mines, l’expansion sera mutuellement bénéfique autant pour le Brésil que pour le Zimbabwe. Le premier pourrait profiter de l’accès à la nation la plus riche du monde en ressources naturelles per capita, le secteur minier à la croissance la plus rapide du monde et à la main d’œuvre bon marché. Le Zimbabwe, pour sa part, pourrait profiter de l’expertise, de l’exploration et du capital à la disposition de certaines maisons minières globales brésiliennes. Obliger les partenaires miniers traditionnels du Zimbabwe en Occident à entrer en compétition avec toute une série d’agents commerciaux émergents, pour des ressources et influences, ne peut être que de bon augure pour la position géopolitique du Zimbabwe.

Du point de vue de l’agriculture, le Zimbabwe peut bénéficier de l’expertise du Brésil dans les domaines de la recherche et du développement d’équipement agricole, particulièrement pour l’acquisition de machinerie, la mise en œuvre de la mécanisation, la production du café et le transfert de technologie ainsi que dans des partenariats pour la production d’équipement agricole.

Enfin, le Brésil peut jouer un rôle essentiel dans la quête d’une solution à sa crise énergétique et pour parvenir à l’indépendance énergétique en soutenant la volonté de Harare de promouvoir l’usage de l’éthanol. L’éthanol est un carburant propre, produit à partir de sources renouvelables comme la canne à sucre. L’éthanol peut être mélangé à de la benzine ou au diesel, ce qui permettrait au Zimbabwe de produire une partie de son propre carburant.

La production et l’utilisation d’éthanol profiteraient à l’économie en réalisant l’indépendance énergétique, le développement rural et la création d’emploi tout en combattant le changement climatique. Ceci profiterait aussi à tous les niveaux de l’économie : local, provincial et national. Des zones métropolitaines où les chauffeurs feraient le plein avec un carburant produit localement jusqu’aux communautés locales où les cultures poussent et sont traitées.

Il n’y a pas de meilleur exemple pour réaliser l’indépendance énergétique globale que le Brésil. A l’apogée du programme d’éthanol, les trois quarts des voitures vendues dans le pays fonctionnement purement à ce produit. En fait, le Brésil est le producteur le plus efficace d’éthanol et veut créer un marché global de carburant vert. Mais il ne peut y parvenir s’il est le seul véritable producteur. Transférer la technologie de l’éthanol à des pays comme le Zimbabwe génère de nouveaux fournisseurs, stimule les chances d’un marché global et promeut les affaires des firmes brésiliennes. D’où le soutien financier du Brésil pour un montant de 600 millions de dollars pour des fabriques d’éthanol en Chisumbanje, promue par Arda, ce qui représente un développement monumental pour le secteur énergétique du Zimbabwe. Que ce soit dans le domaine de l’énergie, des mines, de l’agriculture, de la politique ou de la réduction de la pauvreté, Harare est susceptible de gagner beaucoup en approfondissant ses relations avec Brasilia.

Tourner son regard vers l’Est était clairvoyant. Reprendre langue avec l’Occident est nécessaire mais renforcer les liens Sud/Sud avec le Brésil est crucial.

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** Garikai Chengu est un chercheur à la faculté des Arts et des Sciences à l’université de Harvard. Voir son site web http://garikaichengu.com - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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