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Toute révolution est un processus complexe, conjonction d’une période historique donnée, de contradictions dans la société arrivées à maturité nécessitant leur dépassement, d’événements qui accélèrent le processus et bien sûr de l’intervention des hommes sans lesquels rien n’est possible. La révolution burkinabé n’échappe certainement pas à ces caractéristiques. Pourtant elle semble nous poser de façon plus pressante la question de la place de son leader, Thomas Sankara, et de son rôle particulier.

Est-ce parce qu’elle nous est toute proche dans le temps et dans l’espace ? Ou n’est-ce pas plutôt parce c’est son leader le capitaine Thomas Sankara qui nous semblait proche tant sa personnalité, ses paroles, ses actes résonnaient en nous ?

Personne ne conteste aujourd’hui que son assassinat, le 15 octobre 1987, par les hommes de son ancien ami Blaise Compaoré, avec qui il avait partagé les espoirs a mis fin à la révolution. Ce dernier a certes entretenu une période de flottement avant de rompre définitivement avec son idéal de jeunesse mais c’était bien l’âme de la révolution qui avait été éliminé.

Thomas Sankara a-t-il cherché cette place de leader ? Peu importe et malgré toutes les accusations que l’on a portées contre lui, il semble plutôt avoir souvent cherché à unir plutôt qu’à éliminer, à approfondir ses connaissances, à travailler avec acharnement, à convaincre plutôt que de s’imposer par la force. Ces quelques affirmations paraissent provocatrices par rapport à tout ce qu’on a raconté sur lui y compris parmi certains de ses sympathisants qui reconnaissent son action positive mais s’accordent sur ses penchants autoritaires. Mais qu’en est-il vraiment ?

Certes la clarification au sein de l’armée avant et après le 4 août 1983 ne s’est pas faite sans élimination mais il s’agissait d’une question de survie du processus. Quant aux querelles qui ont déchiré les parties aspirant souvent à l’hégémonie, on ne saurait l’en accuser personnellement sans travestir la vérité. Sans revenir en détail sur ce qui s’est passé avant le 15 octobre ni relancer une vieille polémique, ce sont semble-t-il ses tentatives pour rassembler au sein d’un même parti toutes les organisations révolutionnaires qui l’ont isolé.

Sankara sans doute exténué des querelles byzantines avait fini par exiger leurs dissolutions avant de mettre en place un comité d’organisation du nouveau parti tandis que dans ses derniers discours les attaques contre ces organisations se faisaient plus explicites. Et s’il combattait l’hégémonie c’est surtout qu’il croyait sincèrement à la nécessaire diversité. "Gardons-nous de faire de l’unité une univocité asséchante, paralysante et stérilisante. Au contraire préférons-lui l’expression plurielle diversifiée et enrichissante de pensées nombreuses et diverses" déclarait-il le 4 Août 1987 et "Chaque fois que nous nous enfermons dans l’idée que seul un groupe est valable ... c’est là que nous nous isolons... L’objectif n’est pas de disperser les révolutionnaires" ajoutait-il le 2 Octobre 1987.
Bien avant la prise du pouvoir Sankara avait travaillé à construire cette unité, à créer un pont entre les partis politiques, qui se méfiaient à juste titre des militaires, et les militaires que la culture éloignait de la rhétorique dans laquelle se complaisaient les partis de gauche. Dès 1974, Sankara a recherché, avec Compaoré, le contact avec les partis de gauche principalement le Pai qui organisa pour eux des cours de formation politique et ensuite de l’Ulcr.

Les liens se sont tissés patiemment jusqu’à permettre la prise du pouvoir dans un climat relativement confiant. Malheureusement, après le 4 août 1983, même si la partie le plus à droite de l’armée avait été écartée, il fallait bien composer avec l’ensemble de l’armée au détriment de ce que souhaitaient les partis politiques qui se sont retrouvés noyés au milieu d’une foule de militaires au sein du Cnr. Et c’était à ce pari difficile, une véritable course contre la montre, qu’il s’était lancé : transformer l’armée profondément afin qu’elle ne se comporte pas comme une armée de coup d’Etat tout en tentant de tempérer l’aspiration des civils à la voir tourner le dos à la vie politique. La suite a montré que dans cette position il se trouvait bien isolé.

Bien que préoccupé par cette situation politique complexe, il tenait par-dessus tout à ne pas perdre contact avec son peuple, ce que d’autres leaders ont parfois négligé. Il aimait particulièrement circuler incognito ou s’inviter dans une permanence Cdr pour dialoguer directement avec les militants. Il ne comprenait pas pourquoi beaucoup de cadres refusaient d’être nommés en brousse à l’écart de la capitale alors que pour lui nombre d’entre eux avaient besoin de s’y replonger afin de ne pas se perdre dans la rhétorique révolutionnaire, d’autant plus que pour lui c’était aussi pour ces populations éloignées et souvent démunies que devaient se mobiliser les révolutionnaires.

Il est vrai aussi que ces nominations représentaient souvent des sanctions politiques. De plus, il imposait aux ministres et à ses collaborateurs des objectifs de résultats difficilement réalisables. La révolution devait apporter du mieux-être et vite. Cette attitude fut une des sources de divergences avec le Pai qui l’a souvent accusé d’improvisation et de populisme, mais aussi de difficultés avec nombre de gens qui se déclaraient militants de la révolution mais qui n’arrivaient pas à suivre ce rythme ce travail.

L’amitié prenait chez lui une place particulière en même temps qu’il vouait une confiance religieuse presque aveugle aux hommes. Aussi a-t-il fait preuve d’une grande indulgence envers certains de ses proches, ce qui entra parfois en contradiction avec les nécessités de la vie politique. Il se créa, à cause de certains d’entre eux, des inimitiés sans être pourtant récompensé en retour. Mais surtout lors de la douloureuse confrontation politique qui l’opposa à son ami Blaise Compaoré, il préféra laisser faire plutôt que de se prémunir contre le danger alors que beaucoup autour de lui ne cessaient de le prier de se protéger.

Thomas Sankara était aussi un bourreau de travail. Sans être le meilleur il fut toujours un bon élève tout au long de sa scolarité, en français surtout mais il ne dédaignait pas non plus les mathématiques. A Madagascar où il effectua sa formation de jeune officier, il s’intéressa à l’économie et s’initia au journalisme en dirigeant le journal de l’académie militaire. Mais surtout il se prit de passion pour la sociologie dont il tira des applications pratiques, notamment lors du service civique qu’il effectua auprès des paysans malgaches.

Quel que soit le domaine, militaire ou non, c’était toujours la perfection qu’il visait se fixant des objectifs ambitieux et s’imposant une discipline rigoureuse. C’est à force de travail, de rigueur, d’étude qu’il prenait de l’ascendant sur ses compagnons, grâce à l’exemple qu’il voulait être mais aussi aux connaissances qu’il accumulait. On a voulu l’accuser de ne jamais écouter son entourage et de n’en faire qu’à sa tête mais n’est-ce pas plutôt qu’autour de lui rares étaient ceux qui arrivaient à faire face à sa force de conviction ?

En plus de ce caractère qu’il s’était forgé à force de persévérance, d’étude, d’efforts, d’exigence envers lui-même Thomas Sankara était un homme très sensible. C’est dans ce trait de caractère que réside sa source d’un intérêt sincère et original, si l’on compare avec ses contemporains, pour les mendiants, les prostituées ou les handicapés, tous ceux que l’on appellerait aujourd’hui les exclus. Sans parler des paysans qu’il s’était efforcé de mieux connaître et qui très majoritaires au Burkina vivaient pour la plupart dans un grand dénuement.

Si pour beaucoup de militants la révolution devait profiter à la "classe ouvrière", pourtant quasi inexistante, et aux quelques salariés, la plupart fonctionnaires, pas question pour Sankara qu’elle laisse de côté la paysannerie. Aussi s’est-il efforcé de créer de créer un marché national, des débouchés pour les productions locales en obligeant notamment les quelques salariés à les acheter par l’intermédiaire des Cdr. Ce genre de mesures très impopulaires parmi les couches urbaines a contribué à l’isoler politiquement sous le prétexte d’un manque de réalisme. Mais fondamentalement, pour Sankara, il n’était pas question de tergiverser avec ses convictions. Pour lui un révolutionnaire devait avant tout savoir se sacrifier, vivre humblement et lutter "contre ses tendances petites bourgeoises" comme par exemple préférer la confection importée plutôt que de s’habiller en Faso Dan Fani de fabrication locale.

Fondamentalement, Thomas Sankara n’était motivé que par une formidable volonté de faire progresser son pays, de le faire sortir de l’oubli, d’améliorer les conditions de vie des plus démunis et de faire retrouver sa dignité à son peuple. Pour y arriver avec ses camarades, ils ont tenté de mettre en oeuvre une politique originale, dans le contexte politique de l’époque, capable d’atteindre ses objectifs. En quoi a-t-elle consisté ?

- D’abord cesser de ne compter que sur l’aide extérieure, même si elle demeure nécessaire, pour apprendre à réaliser ce qu’il est possible de faire tout de suite, explorer au maximum les possibilités du pays.

- Jouer sur les contradictions internationales pour obtenir des aides au meilleur prix d’où qu’elles viennent et tenter de faire en sorte qu’enfin l’aide contribue à tuer l’aide comme aimaient à le dire les révolutionnaires burkinabé.

- Affirmer son indépendance, se ranger résolument dans le camp anti-impérialiste et contribuer au sein des organismes internationaux à ce que les pays pauvres s’organisent et s’unissent sur des positions combatives, pour défendre efficacement leurs intérêts face aux pays riches.
- Mobiliser le peuple, en commençant par prouver l’unité du discours et des actes, en lui proposant un projet mobilisateur, en combattant la corruption, en développant l’éducation, la formation.

- Redonner aux paysans, principaux producteurs de richesse, le goût d’entreprendre en leur donnant la place qu’ils méritent dans la vie politique et en tentant de rétribuer leur travail à sa juste valeur.

- Tenter de promouvoir une économie nationale planifiée en développant les productions locales et leur transformation sur place.

- S’appuyer sur le secteur public, sans étatiser, tout en normalisant l’activité du secteur privé pour être à même de contrôler l’économie du pays et avoir les moyens d’appliquer une politique indépendante s’appuyer sur les travailleurs pour en contrôler la gestion.

- Développer les forces productives en s’attaquant résolument à tout ce qui s’y oppose et en particulier aux mentalités rétrogrades sans pour autant remettre fondamentalement en cause l’organisation sociale villageoise.

- Inventer de nouvelles formes de démocratie qui correspondent le mieux à l’état de la population et soient effectivement plus avancée que la démocratie représentative ?

Il a en partie réussi et c’est ce que l’histoire retiendra.

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** Bruno Jaffré anime un site consacré à Thomas Sankara (www.thomassankara.net). Ce texte y a été publié. Nous le republions avec son autorisation.

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