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Porte d’entrée de la colonisation française en Afrique au 17e siècle, le Sénégal fait partie des dix-sept Etats africains qui célèbrent les cinquante ans de leur indépendance acquise en 1960. Sauf que pour Sagna et Diagne, il n’y a eu «indépendance nulle part» dans cette Afrique-là. Tête de pont coloniale, pilier de la Françafrique, l’évolution du Sénégal traduit l’expression de ces souverainetés factices qui fait écrire aux deux auteurs que la véritable célébration, en ces cinquante ans, devrait concerner ceux qui «sont morts les armes aux mains en luttant justement contre l’indépendance truquée, celle qui a consisté à passer du colonialisme au néocolonialisme».

Il a existé durant l’antiquité une «solennité publique qui, se célébrant de cinquante en cinquante ans, amenait la rémission de toutes les dettes, la restitution de tous les héritages aux anciens propriétaires, la redistribution des terres et la mise en liberté de tous les esclaves». C’est le jubilé. C’est le jubilé partout. De Dakar à Addis Abeba, de Rabat à Pretoria, l’élite gouvernante invite les peuples à fêter les 50 ans des indépendances africaines. Sont aussi de la fête les capitales des ex-puissances colonisatrices. Paris s’apprête, apprend-on, à faire défiler le 14 juillet prochain, sur les Champs Elysées, des « tirailleurs sénégalais » et des troupes des Etats indépendants de la Françafrique.

Y a-t-il dans nos pays, en Afrique et au Sénégal, cinquante ans après les indépendances, des raisons de jubiler ? Y a-t-il des raisons de se réjouir, de se féliciter, de s’amuser, d’applaudir, de triompher, d’être content de la marche de nos pays en cette année 2010 ?

Les morts ne sont pas morts, ils féconderont l’Afrique nouvelle

Un regard rétrospectif montre que partout les anciens colons se sont battus jusqu’au bout contre l’indépendance. Contre le FLN en Algérie, le PAIGC d’Amilcar Cabral en Guinée Bissau et au Cap Vert et le PDG/RDA de Sékou Touré en Guinée, l’UPC au Cameroun, le MPLA d’Agostinho Neto en Angola, le FRELIMO d’Eduardo Mondlane au Mozambique, la ZANU de Robert Mugabe au Zimbabwe, la SWAPO de Joshua Nkomo en Namibie, l’ANC de Mandela en Afrique du sud, etc.

Au niveau des maillons faibles de la chaîne coloniale, la décolonisation a pris des tournures violentes faites de massacres comme en 1947 à Madagascar, et contre l’insurrection au Cameroun de 1955 à 1972. Massacres, répressions violentes, assassinats, mais aussi corruptions ont été utilisés par les forces coloniales et leurs alliés internes pour éliminer les leaders et les organisations véritablement indépendantistes et saboter la libération anti-coloniale dans l’unité des peuples africains.

Dans des pays comme le Sénégal, avant-poste et tête de pont coloniale en Afrique, où la conscience et l’organisation anti-coloniale féconda en 1957 le Parti Africain de l’Indépendance qui a été vite réprimé, l’idée de collaboration allait prendre le dessus, permettant au colonialisme de placer des hommes de confiance aux postes de commandes pour sauvegarder leurs intérêts.

En réalité, dans les années 1960, nous avons assisté à une sorte de « décentralisation » à l’échelle des empires coloniaux, qui a donné naissance à des sortes de « communautés rurales » du Sénégal, de la Côte d’ivoire, du Cameroun, du Togo, du Bénin, du Tchad, du Congo, du Gabon, de la RDC/Zaïre, etc. La concentration administrative coloniale avait atteint ses limites et « décentraliser », ne serait-ce que tactiquement, était devenu incontournable. Ces « collectivités territoriales » coloniales ont été ainsi bombardées du label « d’Etats indépendants » avec drapeau, hymne et président qui rappelle le pro-consul de l’empire romain antique. Peu importe qu’elles aient cinq, neuf ou trente millions d’habitants. Que ces « collectivités locales » coloniales aient Constitution, Cour suprême, Conseil d’Etat, Assemblée nationale,… peu nous en chaut !

Voilà ce qui explique qu’avant et depuis 1960, les anciens colons et leurs complices africains ont eu recours aux assassinats ciblés, aux tripatouillages constitutionnels, aux coups d’Etat militaires ou civils…jusqu’à la tactique récente de succession des présidents collabos par leur fils.

Voilà pourquoi ce que l’on doit célébrer ce sont les martyrs dont certains sont morts les armes aux mains en luttant justement contre l’indépendance truquée, celle qui a consisté à passer du colonialisme au néocolonialisme. Les dignes fils d’Afrique qui sont morts au combat, mais qui ne seront jamais déshonorés. Ceux-là qui ont pour nom : Lamine Arfan Senghor, Tièmokho Garang Kouyaté, Patrice Lumumba, Pierre Mulélé, Ruben Um Nyobe, Roland Félix Moumié, Osende Afana, Abane Ramdane, Ferhat Hached, Mehdi Ben Barka, Frantz Fanon, Nkwame Nkrumah, Amilcar Cabral, Eduardo Mondlane, Samora Machel, Julius Nyerere, Augusto Neto, Steve Biko, Cheikh Anta Diop, Mariem Ngouabi, Thomas Sankara, etc. Ceux-là qui méritent nos cœurs vivants et l’Afrique entière comme tombeau afin que de leur souvenir nous réinventions le futur.

Cinquantenaire partout, indépendance nulle part !

Ces dignes fils d’Afrique ont été assassinés et les moins illustres, mais tout aussi valeureux, se sont vu imposés prison, marginalisation, exil forcé, atteinte à leur intégrité physique, restriction de leurs droits… Ainsi, aux peuples d’Afrique ont été imposés les bourreaux tels qu’Eyadema, Kérékou, Mobutu, Bokassa, Idi Amin, Bongo, Sassou, Idriss Déby, Hassan II, Lansana Conté, Ben Ali, etc. Mais aussi d’autres avec parures comme L. S. Senghor, Houphouët Boigny, Bourguiba, etc.

Aux peuples d’Afrique se sont imposés ensuite les Abdoulaye Wade, Yayi Boni, Mohamed VI, etc., qui ont eux aussi appliqué une politique d’abandon des intérêts nationaux. Ainsi que tous ceux qui pensent que « le FMI et la BM sont incontournables ». Il est donc tout à fait normal que par ces faits « l’Afrique soit mal partie » ! Qu’il semble que l’Afrique « refuse le développement » ! Qu’en Afrique, le seul résultat tangible soit « le développement du sous-développement ». Le passage de berceau à tombeau de l’humanité.

Répondons à l’invitation du poète. « Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images ».

Ces cinquantenaires, ce sont les noces d’or de la victoire d’une partie de la classe politique africaine sur une autre, au détriment des peuples africains. Les noces d’or d’une bourgeoisie sénégalaise, africaine, servile qui a capitulé pour se mettre au service des intérêts de l’ex-bourgeoisie coloniale. Les noces d’or de ce que certains appellent le néocolonialisme et d’autres semi-colonialisme. Les noces d’or de la victoire du centre capitaliste sur la périphérie africaine spoliée. Comprenons donc que ce jubilé mérite d’être fêté en grande pompe.

L’impérialisme c’est Orange sur nos téléphones mobiles ! Le néo colonialisme, c’est Transrail sur le Dakar-Bamako ! Le semi colonialisme c’est les bases militaires françaises en Afrique ! L’apatridie c’est nos langues nationales ravalées au rang de folklore ! La servilité c’est les principales banques et industries contrôlées par les firmes étrangères ! La soumission c’est la Zone franc, puis la dévaluation du franc Cfa ! C’est Total qui fait la loi au Tchad, au Gabon, au Congo, Areva au Niger, Bolloré au Cameroun, Bouygues au Mali, Rio Tinto en Guinée, Mimran au Sénégal, BNP, Crédit Lyonnais, Banque de France et ses succursales la Bceao et la Beac, etc. ! C’est le génocide rwandais et les menaces de partition de la Côte d’Ivoire ! C’est l’émigration par les pirogues qui transforme l’Atlantique en cimetière des jeunes ! C’est les pandémies du paludisme, du choléra et du sida ! C’est les inondations, les coupures de courant, la faim !

Pour arriver à ce résultat, il fallait que les colons aient des hommes de mains. Des suppôts locaux, collabos nationaux, complices ‘petits nègres’ qui soutiennent la Françafrique, acceptent plans d’ajustements structurels, bradage, dévaluation, privatisation, déprotections douanières, baisse des budgets des secteurs sociaux, éducatifs et de la santé, suppression des subvention aux paysans… Bref tout diktat imposé par le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC. Acceptant l’emprisonnement des Etats issus de l’Afrique Equatoriale Française et de l’Afrique Occidentale Française dans la zone franc, cette monnaie qui fait d’eux des (semi ou néo) colonies françaises d’Afrique. Autant d’exemples qui confirment, si besoin en était, les propos du colonialiste anglais Benjamin Disraeli. « Les colonies ne cessent pas d’être des colonies parce qu’elles sont indépendantes ». Ce que Kwamé Nkrumah a illustré dans son livre « Le néocolonialisme, dernier stade de l’impérialisme ».

Ne pas confondre l’apparent et le réel

Et la variété des formes de l’oppression impérialiste ainsi que les niveaux différents atteints par la cinquantaine de pays ne change rien à l’essence du système semi colonial dans lequel l’Afrique a été maintenue 50 ans durant. Essence qui consiste en un monopole ayant deux fonctions principales : L’exploitation, le pillage impitoyable des richesses nationales au bénéfice des entreprises impérialistes d’une part et l’association à cette spoliation d’une bourgeoisie locale corrompue par les miettes qu’elle reçoit pour service rendu d’autre part.

C’est cela la Françafrique par laquelle « le pays (semi/néo) colonial est contraint de sacrifier les intérêts de son développement indépendant et de jouer le rôle d’appendice économique (agriculture, matières premières) du capitalisme étranger, afin de renforcer au détriment des classes laborieuses du pays (semi/néo) colonial le pouvoir économique et politique de la bourgeoisie du pays impérialiste, de perpétuer son monopole (semi/néo) colonial et de renforcer son expansion dans le reste du monde » (Thèses sur le mouvement révolutionnaire dans les colonies et semi-colonies, VIème congrès de l’Internationale Communistes, 1928).

Quand des Africains acceptent que l’impérialisme vole les peuples africains, c’est pour eux-mêmes voler leur peuple en toute quiétude. Pour bénéficier du retour d’ascenseur de l’impérialisme, en termes de soutien et de protection contre les adversaires politiques nationaux et contre leurs peuples d’où les interventions militaires et les putschs.

Ce sont ces laquais africains apatrides qui détiennent le pouvoir contre les intérêts des peuples africains et leurs maîtres qui seront à la fête en ce cinquantenaire. Qui fêteront cinquante ans d’exercice d’une fonction semi coloniale, qui célèbreront cinquante ans de mariage avec l’impérialisme. Cinquante ans qui n’ont certes pas été de tout repos pour eux. Cinquante ans pendant lesquels ils ont tout de même réussi, avec leurs alliés impérialistes, à pérenniser la domination. Pour le plus grand malheur des peuples d’Afrique !

Les armées battues sont à bonne école

Mais nous avons les moyens d’éviter à nos peuples la célébration des noces de diamant de l’alliance entre l’impérialisme et une bonne partie de l’élite bourgeoise africaine collaboratrice. La multipolarité progressive de ce monde et les expériences en cours dans plusieurs pays sud-américains, en plus de constituer des notes d’espoir dans cette symphonie impérialiste, participent à confirmer que les armées défaites sont allées à bonne école. A l’Afrique combattante de rejoindre le mouvement enclenché en Asie et en Amérique du sud vers le progrès, vers le développement.

* Guy Marius Sagna et Diagne Fodé Roland sont membres de Ferñent/ Mouvement des Travailleurs Panafricains-Sénégal

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